Inspiré par l’artiste antillaise Maria Martinez, surnommée la Malibran noire, le récit met en scène une narratrice universitaire qui fait des recherches sur ce personnage. Son travail est perturbé par l’irruption dans sa vie d’une chanteuse qui pourrait bien avoir un lien, si diffus soit-il, avec l’artiste que Nadar photographia du temps de sa splendeur, mais aussi de sa déchéance. Ce texte a été écrit à l’occasion de l’exposition « Le modèle noir » qui s’est tenu en 2019 au musée d’Orsay.
Le texte de Marie NDiaye est un vertige en forme d’enquête, une affaire de projection, de triple transfert, transfert d’une femme vers une autre vers une autre…
C’est subtil mais entêtant, comme la musique de Gérard Pesson, ou comme certains parfums dans les poèmes de Baudelaire.
Penser ce texte comme une partition, dont celle de Gérard Pesson révélerait et augmenterait la musicalité.
Et Jeanne Balibar serait non seulement la voix mais aussi une partie de l’instrumentarium de cette exécution musicale d’un texte littéraire.
On puiserait dans son interprétation la matière d’un orchestre de mots, de sons, de souffles. Car Jeanne Balibar est sans cesse au présent : elle performe, elle invente et elle déroute, y compris quand elle lit. Ça ne peut s’écouter que de très près, et même plus que près. Ça se joue à l’intérieur.
David Lescot
Écrire pour, avec, autour d’un texte de Marie NDiaye, est un rêve pour moi depuis des années. Depuis que je la lis, et même avant que je la connaisse. Nous étions tous deux à la Villa Médicis en 1990-91. Elle était incroyablement jeune et déjà totalement maîtresse de son art.
C’est lors de mes visites hebdomadaires à Joseph, peint en 1819 par Géricault, que j’ai découvert le texte de Marie, commandé par le musée d’Orsay pour l’exposition « Le modèle noir » (2019). La chanteuse, guitariste et danseuse Maria Martinez, dite La Malibran noire, a été elle aussi, au milieu du XIXe siècle, modèle, comme Joseph, et photographiée par Nadar.
C’est la première fois, je crois, que Marie NDiaye met une musicienne au centre d’un de ses livres. Et peut-être aussi la première fois que la narratrice dit vouloir être une femme noire. Enfant, moi aussi, je voulais être une femme noire. Ma mère m’avait expliqué patiemment que c’était impossible, à deux titres, né comme j’étais.
Dire si ce texte m’a envoûté, et plus encore quand Jeanne Balibar en a donné une interprétation musicale si frappante qu’elle ne peut pas être au centre de ma musique, puisqu’elle est la musique elle-même.
Ma musique est donc là simplement un climat, une respiration résonnante ou pulsée autour de ces mots phrasés/ chantés. Elle est faite de courts fragments qui sont comme les signaux fugaces marquant les pointes du triangle que forment ces trois personnages féminins liés par la mémoire, l’appropriation, le désir ou la peur d’être autre. Musique comme empreinte de destins fantômes.
Je pense, ou plutôt, je sens intimement le livre de Marie NDiaye, et en conséquence, notre tentative de musique, comme un hommage à cette artiste vaillante qu’était Maria Martinez, attirante parce qu’exotique, remarquée parce que talentueuse, mais moquée parce que noire.
Si l’on considère que David Lescot, auteur, metteur en scène, est aussi musicien, compositeur, et qu’il a réalisé lui aussi, pour la scène, un portrait magistral d’une autre chanteuse noire, Nina Simone, on comprendra qu’il y a bien des fils entrecroisés dans cette Musique-Fiction.
Gérard Pesson