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L'œuvre d'Asbjørn Schaathun

par Geir Johnson

Jan. 1, 1995


Au début des années quatre-vingt, la Norvège voit l'émergence d'une nouvelle génération de compositeurs qui amenènent des bouleversements dans bien des domaines touchant tant les musiciens que l'administration. Ils refusèrent de continuer à proposer le point de vue musical dominant, déterminés qu'ils étaient à imposer leur propre conception. Les compositeurs de cette génération désiraient parler haut et fort de leur profession. C'est ainsi qu'ils participèrent à la création de nouveaux ensembles et du magazine musical Ballade. Ce qui apporta un nouveau dynamisme dans l'univers de la musique contemporaine. Après plusieurs décennies sans véritable contact entre le cercle des compositeurs et celui des instrumentistes, le modernisme commença à s'imposer et la propagande destinée à éloigner le public qui avait marqué la scène musicale des années 1950 et 60 laissa la place à une nouvelle approche des techniques d'interprétation et de l'esthétique.

Asbjørn Schaathun (né en 1961) est le compositeur le plus jeune de cette génération, qui compte aussi Rolf Wallin, Cecilie Ore et Åse Hedstrom. Schaatun apparut sur la scène musicale professionnelle au début des années 1980, d'abord grâce à des pièces interprétées au Festival de Jeune Musique Nordique, puis comme premier animateur de plusieurs concerts et ensembles. En créant l'Ensemble du XXe siècle de l'Académie Nationale de musique de Norvège, puis l'Oslo Sinfonietta, Schaatun réalisa très vite qu'en réunissant de jeunes compositeurs et instrumentistes il pouvait insuffler une vie nouvelle au monde musical. Outre ses activités d'organisateur, Schaatun fut aussi un compositeur productif. Il étudia d'abord la composition à l'Académie de Musique de Norvège puis au Royal College of Music de Londres et à L'Ircam, à Paris. Ses pièces attirèrent très tôt l'attention car elles représentaient une approche nouvelle et intransigeante dans l'art de la composition en Norvège, où l'accent était mis sur les formes abstraites et structurelles et les techniques d'envergure.

Les œuvres de Schaathun marquent le début de la composition sur ordinateur dans la musique norvégienne. Il exprima son besoin de structures allant au-delà de l'expérience immédiate. Il a lui-même déclaré : « J'ai besoin de structures vers lesquelles je puisse travailler sinon il m'est impossible de composer. Il s'agit de moderniser ma manière de m'exprimer. Les meilleurs moments de ma musique sont ceux où j'essaie d'accomplir quelque chose selon une manière de pensée particulière, et cela heurte une structure qui me dit « tu ne peux pas faire ça ! » Cette collision contient les germes de l'innovation. »

D'où vient ce penchant pour le structuralisme ? Schaatun s'efforçait d'écrire bien au-delà de ce qu'il pouvait appréhender, tant en ce qui concerne l'intention que les techniques de composition. Il chercha à trouver un moyen de créer et de contrôler une matière plus complexe que ce qu'on peut saisir de prime abord. Les décisions relatives aux détails devenaient absurdes à moins d'être reliées à un tout structurel. « J'ai pensé à utiliser un ordinateur pour la première fois en tentant de contrôler un processus qui se trouvait sous mon propre horizon temporel. J'essayais de découvrir jusqu'où je pouvais étendre ma perception des décisions musicales avant qu'elles ne deviennent absurdes. Je me suis en fait inspiré de l'article de Stockhausen Wie die Zeit vergeht (comment le temps passe), dans lequel il montre comment on peut structurer les éléments musicaux de la même manière dans le micro-temps et le macro-temps. J'ai brusquement réalisé qu'il existait d'autres façons de percevoir les temps musicaux que celles dictées par la tradition. »

Bien que Schaathun se serve de l'ordinateur comme outil de travail, il conserve une affinité pour l'aspect compositionnel du processus, indépendamment des systèmes ou des structures. En ce sens, A Tabular System révèle une tendance au retour vers le contrepoint traditionnel, juxtaposant les lignes les unes aux autres. À ses yeux, il est important d'établir un équilibre entre le formel et le créatif. À cet égard, l'attitude « poétique » du compositeur est aussi importante que les méthodes scientifiques qu'il emploie. C'est une question d'inspiration dans son acception traditionnelle. Mais Schaathun ne peut nier que l'ordinateur constitue son principal outil depuis une décennie. Comme le prouvent ses œuvres récentes, il a intériorisé les techniques employées dans ce contexte de manière étonnamment poétique.

Comme chef d'orchestre et directeur artistique de l'Oslo Sinfonietta, Schaathun a travaillé aux côtés de certains des meilleurs musiciens norvégiens de sa génération, constituant pour lui une source d'inspiration évidente. On devrait toujours jouer une nouvelle pièce avec les instrumentistes avant de lui donner sa forme définitive. Cela fait partie du processus de résistance car Schaathun attache une grande importance au point de vue d'interprètes expérimentés de sa propre génération quant à la pertinence de ce qu'il compose.

Geir Johnson, avec l'aimable autorisation des Editions Whilhelm Hansen.
© Whilhelm Hansen 1995