Texte cité dans

René Char : Fureur et Mystère

1. Conduite

Passe.La bêche sidérale autrefois là s'est engouffrée.Ce soir un village d'oiseaux très haut exulte et passe.

Ecoute aux tempes rocheuses des présences dispersées le mot qui fera ton sommeil chaud comme un arbre de septembre.

Vois bouger l'entrelacement des certitudes arrivées près de nous à leur quintessence, ma Fourche, ma Soif anxieuse !

La rigueur de vivre se rode sans cesse à convoiter l'exil. Par une fine pluie d'amande, mêlée de liberté docile, ta gardienne alchimie s'est produite, ô Bien aimée !

2. Gravité

L 'Emmuré

S'il respire il pense à l'encoche Dans la tendre chaux confidenteOù ses mains du soir étendent ton corps.

Le laurier l'épuise, La privation le consolide.

O toi, la monotone absente, La fileuse de salpêtre,Derrière des épaisseurs fixesUne échelle sans âge déploie ton voile !

Tu vas nue, constellée d'échardes,Secrète, tiède et disponible,Attachée au sol indolent,Mais l'intime de l'homme abrupt dans sa prison.

A te mordre les jours grandissent,Plus arides, plus imprenables que les nuages qui se déchirent au fond des os.J'ai pesé de tout mon désirSur ta beauté matinalePour qu'elle éclate et se sauve.

L'ont suivie l'alcool sans rois mages,Le battement de ton triangle,La main-d'oeuvre de tes yeuxEt le gravier debout sur l'algue.

Un parfum d'insolationProtège ce qui va éclore.

3. Le Visage Nuptial

A présent disparais, mon escorte, debout dans la distance ;La douceur du nombre vient de se détruire.Congé à vous, mes alliés, mes violents, mes indices.Tout vous entraîne, tristesse obséquieuse.J'aime.

L'eau est lourde à un jour de la source.La parcelle vermeille franchit ses lentes branches à ton front, dimension rassurée.Et moi semblable à toi,Avec la paille en fleur au bord du ciel criant ton nom,J'abats les vestiges,Atteint, sain de clarté.Ceinture de vapeur, multitude assouplie, diviseurs de la crainte, touchez ma renaissance.Parois de ma durée, je renonce à l'assistance de ma largeur vénielle ;Je boise l'expédient du gîte, j'entrave la primeur des survies.Embrasé de solitude foraine,J'évoque la nage sur l'ombre de sa Présence.

Le corps désert, hostile à son mélange, hier, était revenu parlant noir.Déclin, ne te ravise pas, tombe ta massue de transes, aigre sommeil.Le décolleté diminue les ossements de ton exil, de ton escrime :Tu rends fraîche la servitude qui se dévore le dos :Risée de la nuit, arrête ce charroi lugubreDe voix vitreuses, de départs lapidés.

Tôt soustrait au flux des lésions inventives(La pioche de l'aigle lance haut le sang évasé)Sur un destin présent j'ai mené mes franchisesVers l'azur multivalve, la granitique dissidence.

O voûte d'effusion sur la couronne de son ventre,Murmure de dot noire !O mouvement tari de sa diction !Nativité, guidez les insoumis, qu'ils découvrent leur base,L'amande croyable au lendemain neuf.Le soir a fermé sa plaie de corsaire où voyageaient les fusées vagues parmi la peur soutenue des chiens,Au passé les micas du deuil sur ton visage.

Vitre inextinguible : mon souffle affleurait déjà l'amitié de ta blessure,Armait ta royauté inapparente,Et des lèvres du brouillard descendit notre plaisir au seuil de dune, au toit d'acier,La conscience augmentait l'appareil frémissant de ta permanence :La simplicité fidèle s'étendit partout.

Timbre de la devise matinale, morte-saison de l'étoile précoce,Je cours au terme de mon cintre, colisée fossoyé.Assez baisé le crin nubile des céréales :La cardeuse, I'opiniâtre, nos confins la soumettent,Assez maudit le havre des simulacres nuptiaux :Je touche le fond d'un retour compact.

Ruisseaux, neume des morts anfractueux,Vous qui suivez le ciel aride,Mêlez votre acheminement aux orages de qui sut guérir de la désertion,Donnant contre vos études salubres,

Au sein du toit le pain suffoque à porter coeur et lueur,Prends, ma Pensée, la fleur de ma main pénétrable,Sens s'éveiller l'obscure plantation.

Je ne verrai pas tes flancs, ces essaims de faim, se dessécher, s'emplir de ronces :Je ne verrai pas l'empuse te succéder dans ta serre :Je ne verrai pas l'approche des baladins inquiéter le jour renaissant :Je ne verrai pas la race de notre liberté servilement se suffire,

Chimères, nous sommes montés au plateau,Le silex frissonnait sous les sarments de l'espace :La parole, lasse de défoncer, buvait au débarcadère angélique,Nulle farouche survivance :L'horizon des routes jusqu'à l'afflux de rosée,L'intime dénouement de l'irréparable,

Voici le sable mort, voici le corps sauvé :La Femme respire, I'Homme se tient debout.

4. Évadné

L'été et notre vie étions d'un seul tenantLa campagne mangeait la couleur de ta jupe odoranteAvidité et contrainte s'étaient réconciliéesLe château de Maubec s'enfonçait dans l'argileBientôt s'effondrerait le roulis de sa IyreLa violence des plantes nous faisait vacillerUn corbeau rameur sombre déviant de l'escadreSur le muet silex de midi écarteléAccompagnait notre entente aux mouvements tendresLa faucille partout devait se reposerNotre rareté commençait un règne(Le vent insomnieux qui nous ride la paupièreEn tournant chaque nuit la page consentieVeut que chaque part de toi que je retienneSi étendue à un pays d'âge affamé et de larmier géant)

C'était au début d'adorables annéesLa terre nous aimait un peu je me souviens,

5. Post-Scriptum

Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche :A vos pieds je suis né. mais vous m'avez perdu :Mes feux ont trop précisé leur royaume :Mon trésor a coulé contre votre billot,

Le désert comme asile au seul tison suaveJamais ne m'a nommé, jamais ne m'a rendu,

Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche :Le trèfle de la passion est de fer dans ma main,

Dans la stupeur de l'air où s'ouvrent mes allées,Le temps émondera peu à peu mon visage,Comme un cheval sans fin dans un labour aigri.

Poèmes extraits de «Fureur et mystère» (Editions Gallimard)