Texte cité dans

René Char : Le Soleil des eaux

Complainte du lézard amoureux

N'égraine pas le tournesol.Tes cyprès auraient de la peine.Chardonneret. reprends ton volEt reviens à ton nid de laine.

Tu n'es pas un caillou du cielPour que le vent te tienne quitte.Oiseau rural ; I'arc-en-cielS'unifie dans la marguerite.

L'homme fusille cache toi ;Le tournesol est son compliceSeules les herbes sont pour toiLes herbes des champs qui se plissent.

Le serpent ne te connaît pasEt la sauterelle est bougonne :La taupe, elle, n'y voit pas ;Le papillon ne hait personne

Il est midi chardonneret.Le séneçon est là qui brilleAttarde-toi va sans danger :L'homme est rentré dans sa famille !

L'écho de ce pays est sûr.J'observe, je suis bon prophète ;Je vois tout de mon petit murMême tituber la chouette.

Qui, mieux qu'un lézard amoureux.Peut dire les secrets terrestres ?O léger gentil roi des cieux.Que n'as tu ton nid dans ma pierre !

Orgon, août 1947

La SorgueChanson pour Yvonne

Rivière trop tôt partie, d'une traite, sans compagnonDonne aux enfants de mon pays le visage de ta passion

Rivière où l'éclair finit et où commence ma maisonQui roule aux marches d'oubli la rocaille de ma raison.

Rivière, en toi terre est frisson, soleil anxiété.Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta moisson.

Rivière souvent punie, rivière à l'abandon.

Rivière des apprentis à la calleuse condition,Il n'est vent qui ne fléchisse à la crête de tes sillons.

Rivière de l'âme vide, de la guenille et du soupçonDu vieux malheur qui se dévide, de l'ormeau de la compassion .

Rivière des farfelus des fiévreux, des équarrisseursDu soleil lâchant sa charrue pour s'acoquiner au menteur.

Rivière des meilleurs que soi. rivière des brouillards éclosDe la lampe qui désaltère l'angoisse autour de son chapeau.

Rivière des égards au songe rivière qui rouille le fer,Où les étoiles ont cette ombre qu'elles refusent à la mer.

Rivière des pouvoirs transmis et du cri embouquant les eauxDe l'ouragan qui mord la vigne et annonce le vin nouveau

Rivière au coeur jamais détruit dans ce monde fou de prisonGarde-nous violent et ami des abeilles de l'horizon.

«Le Soleil des Eaux», Editions Gallimard