Paul Dessau est né le 19 décembre 1894 à Hambourg. Il grandit dans un univers musical : son grand-père est chantre à la synagogue, son père mélomane. Un de ses cousins, Max Winterfeld, alias Jean Gilbert, est chef d’orchestre et compositeur d’opérettes. Dès son plus jeune âge, Dessau apprend le violon, mais il doit abandonner l’idée d’une carrière d’instrumentiste en raison d’un problème physiologique à la main gauche. Il se convertit alors à la direction d’orchestre, qu’il étudie de 1909 à 1913 à Berlin. Âgé de 18 ans tout juste, il est répétiteur au théâtre de Hambourg.
En mai 1915, Paul Dessau est appelé sur le front français, où il est blessé. Il est ensuite assigné à un poste de musicien militaire dans le Schleswig. Après la Première Guerre mondiale, il obtient différents engagements de chef d’orchestre, à Hambourg, puis à Cologne (1919-1923), auprès d’Otto Klemperer. Suivent des contrats à Mayence (1923-1924) et au Städtische Oper de Berlin (1925-1926). À partir de 1926, c’est au cinéma (Wiesbaden, puis Berlin) qu’il dirige et compose sur des films muets. Il écrit aussi quelques compositions pour le culte juif, et à partir de 1930, pour des chœurs ouvriers.
Politiquement à gauche, de confession juive et musicien d’avant-garde, Paul Dessau est triplement menacé dans l’Allemagne aux mains des nationaux-socialistes depuis le 30 janvier 1933. Il fuit en France en août 1933. Dessau sort de facto de la carrière « classique » de compositeur qui s’offrait à lui pour mener une vie de bohème, pendant laquelle il connaît la pénurie. Le succès ne se mesure plus à l’aune du grand public, mais d’un cercle restreint d’amis et de connaissances. L’exil l’incite aussi à se rapprocher de ses racines juives. Pendant la guerre civile d’Espagne, il compose des chants pour les Brigades internationales. C’est aussi pendant l’exil en France qu’il commence une collaboration avec Bertolt Brecht.
En juillet 1939, Dessau s’installe à New York. Il vit d’emplois divers, comme ceux de correcteur et copiste de partitions ou de professeur de piano. Son intégration dans la communauté juive se renforce. La disparition de sa mère, déportée et morte à Theresienstadt en 1942, est un élément déterminant pour la suite de son engagement. Sur les conseils de Brecht, Dessau quitte New York pour Hollywood en octobre 1943. Son réseau et la présence de nombreux intellectuels et artistes allemands en exil l’aident à s’intégrer. Des compositions pour les studios d’Hollywood lui permettent de vivre. Sa collaboration avec Brecht s’intensifie.
Fuyant la « chasse aux sorcières » qui sévit aux États-Unis, Dessau rentre en Europe en juillet 1948 : passant par Paris, puis par Stuttgart, il s’installe finalement dans la partie Est de Berlin. Les autorités soviétiques laissent encore une relative liberté artistique dans leur zone d’occupation, alors qu’en URSS même, la lutte contre le « formalisme » décrié par Jdanov bat son plein. Contrairement à Bertolt Brecht ou Hanns Eisler, plus réservés, Dessau prend sa carte au Parti socialiste unifié (SED) dès novembre 1948, puis la nationalité est-allemande après la création de la RDA le 7 octobre 1949. Tandis qu’il espère œuvrer au renouveau démocratique de l’Allemagne et rapporte d’exil de nombreuses partitions, il se heurte à une méfiance des autorités est-allemandes.
Entretenant un rapport distant aux institutions, Dessau ne se charge jamais de responsabilités administratives. En revanche, la tâche d’enseignement (à l’Académie des Arts principalement) lui tient à cœur. Il devient l’un des compositeurs les plus renommés de RDA et noue des liens privilégiés avec des musiciens de l’Ouest ou de l’Est, comme Luigi Nono, Hans Werner Henze, Boris Blacher ou Alfred Schnittke. Il fait en effet partie de l’intelligentsia autorisée à voyager. Lauréat, à plusieurs reprises, du prix national de la RDA (1953, 1956, 1965, 1974), il participe en quelque sorte de la « vitrine » culturelle que la RDA se plaît à afficher. Cette position lui laisse une relative liberté d’expression qu’il n’hésite pas à mettre au service des artistes et amis en butte à la rigidité du régime.
Il est d’autant plus surprenant qu’il approuve le Parti en 1976 dans « l’affaire Wolf Biermann », déchu de la nationalité est-allemande après un concert à Cologne, et qui n’est pas autorisé à rentrer dans son pays. L’attitude de Dessau peut s’expliquer par son attachement à l’Allemagne de l’Est, alternative largement préférable à ses yeux à l’Allemagne capitaliste, qui fut le berceau du fascisme en un autre temps. Dessau fait partie de ceux qui espèrent transformer le régime de l’intérieur.
Toutefois, un scepticisme croissant du compositeur à l’égard de la stagnation de son pays semble s’exprimer dans son œuvre ultime, l’opéra Léonce et Léna,créé cinq mois après sa mort survenue le 28 juin 1979, à l’âge de 84 ans. Une de ses dernières volontés fut le refus d’obsèques nationales.