\r\nLa première génération qui entre de plein droit dans la base est donc celle constituée par John Cage, Olivier Messiaen ou encore Elliott Carter.\r\n\u003C/p>\r\n\r\n\u003Ch3>Contenus\u003C/h3>\r\n\r\n\u003Cp style=\"text-align: justify;\">\r\nLes données sont progressivement mises à jour depuis juillet 2007, en remplacement de celles de l’ancienne version de la base, développée entre 1996 et 2001 par Marc Texier. L’information peut donc être incomplète pour certains compositeurs non encore traités : dans ce cas l’indication « ! Informations antérieures à 2002 » apparaît en haut de page. Pour tous les autres documents, la date de dernière mise à jour est indiquée en haut de page.\r\n\u003C/p>\r\n\r\n\u003Ch3>Mises à jour et nouvelles entrées\u003C/h3>\r\n\r\n\r\n\u003Cp style=\"text-align: justify;\">Les mises à jour se font compositeur par compositeur. Pour un compositeur donné, sont systématiquement revus ou créés les documents suivants :\r\n\u003C/p>\r\n\u003Cul style=\"text-align: justify;\">\r\n \u003Cli>la biographie\u003C/li>\r\n \u003Cli>le catalogue exhaustif de ses œuvres (y compris, si possible, les œuvres disparues, retirées ou posthumes)\u003C/li>\r\n \u003Cli>une liste de ressources bibliographiques, discographiques et internet,\u003C/li>\r\n \u003Cli>des éventuels documents attachés (Parcours de l’œuvre, interviews, analyses, notes de programme etc.)\u003C/li>\r\n\u003C/ul>\r\n\u003Cp style=\"text-align: justify;\">\r\nLa définition des priorités de mises à jour et nouvelles entrées des compositeurs s’opèrent suivant une méthodologie basée sur l’observation de la vie culturelle européenne :\r\n\u003C/p>\r\n\u003Cul style=\"text-align: justify;\">\r\n \u003Cli>Avant chaque saison, nous relevons les programmations à venir des principaux festivals, institutions et ensembles musicaux européens investis dans le domaine de la création musicale. Cette observation s’opère par cercles concentriques en partant de l’activité propre de l’Ircam (année n-2), puis de celle des partenaires privilégiés (année n-1) jusqu’aux grandes institutions et festivals européens de création (année n) ;\u003C/li>\r\n \u003Cli>Chaque compositeur est crédité de points en fonction de l’importance et de l’intensité de l’activité musicale le concernant. Ce classement permet de définir les priorités pour chaque trimestre ;\u003C/li>\r\n \u003Cli>Si un compositeur n’a pas obtenu assez de points pour figurer dans les priorités, il cumule ceux-ci sur le trimestre suivant ; et ainsi remonte progressivement dans la liste des priorités.\u003C/li>\r\n \u003Cli>Une fois mis à jour, les documents attachés à un compositeur sont valables trois ans, après lesquels le processus décrit ci-dessus reprend.\u003C/li>\r\n\u003C/ul>\t\r\n\r\n\u003Ch3>Erreurs ou omissions\u003C/h3>\t\r\n\t\t\t\t\r\n\u003Cp style=\"text-align: justify;\">\r\nSi la mise à jour est déjà effectuée (date postérieure à juin 2007) : nous invitons les musicologues, les compositeurs (ou leur éditeur) à nous signaler toute erreur ou omission importante. Elle sera corrigée, dans la mesure du possible, au cours du trimestre suivant. De même, nous les invitons à nous faire connaître leurs œuvres nouvelles, en mentionnant tous les éléments nécessaires à la création d’une fiche œuvre nouvelle.\r\n\u003C/p>\r\n\u003Cp style=\"text-align: justify;\">\t\t\r\nSi la mise à jour n’est pas encore effectuée (indication : « mise à jour à venir ») : Les compositeurs peuvent nous signaler des erreurs ou omissions importantes. Ces indications seront prises en compte au moment de la mise à jour à venir. Un compositeur peut également demander le retrait de sa biographie dans l’attente de la mise à jour.\r\n\u003C/p>\r\n\u003Cp style=\"text-align: justify;\">\r\nPour cela : \u003Ca href=\"mailto:brahms-contenu[at]ircam[dot]fr\">écrire\u003C/a> à l’administrateur de publication\r\n\u003C/p>\r\n",{"id":14,"url":15,"titleFr":16,"titleEn":11,"contentFr":17,"contentEn":11},"a3cd05aa-3447-487a-b4fc-213ba0f77e6b","/copyrights/","Mention Légale","La reproduction de contenus de ce site Web, en tout ou partie, est formellement interdite sans la permission écrite de l'Ircam. Les textes, images, logos, codes sources sont la propriété de l'Ircam, ou de détenteurs avec lesquels l'Ircam a négocié les droits de reproduction à sa seule fin d'utilisation dans le cadre du site Brahms. Tout contrevenant s'expose à des poursuites judiciaires. ",{"id":19,"url":20,"titleFr":21,"titleEn":11,"contentFr":22,"contentEn":11},"9162642e-ea99-48c3-8d3b-2dc2a3f8ba45","/repertoire/about/","Projet Répertoire Ircam","\u003Cp>Le Projet Répertoire Ircam est une collection d’analyses musicales en ligne d’environ 70 œuvres crées à l’Ircam et considérées comme représentatives de la culture de l’institut tant sur le plan artistique que technologique.\u003C/p>\r\n\r\n\u003Cp>Ce projet a débuté en 2006-2008 avec la création d’outils auteurs mises en œuvre par le département Interfaces Recherche/Création en collaboration avec le secteur recherche de l’institut. Les premières analyses ont été mises en ligne fin 2010 et il est prévu que la collection s’élargisse à un rythme de deux ou trois nouvelles analyse par an.\u003C/p>\r\n\r\n\u003Cp>Plusieurs objectifs sont poursuivis par ce projet :\u003C/p>\r\n\r\n\u003Cul>\r\n\t\u003Cli>faire connaître les œuvres produites à l’Ircam à un public plus large,\u003C/li>\r\n\t\u003Cli>montrer la relation entre l’idée musicale et les technologies utilisés,\u003C/li>\r\n\t\u003Cli>identifier les nouveaux éléments du vocabulaire musical qui émergent à travers ces œuvres,\u003C/li>\r\n\t\u003Cli>offrir un support d’information aux interprètes.\u003C/li>\r\n\u003C/ul>\r\n\r\n\u003Cp>Chaque analyse est structurée en trois parties :\u003C/p>\r\n\r\n\u003Col>\r\n\t\u003Cli>description générale de l’œuvre,\u003C/li>\r\n\t\u003Cli>analyse des extraits de l’œuvre avec mise en relation de l’idée musicale et de l’écriture électronique,\u003C/li>\r\n\t\u003Cli>la liste de ressources spécifiques (type de problème musical abordé, technologies utilisées, œuvres abordant le même type de problématique) et générales (biographique, historique, technique).\u003C/li>\r\n\u003C/ol>\r\n\r\n\u003Cp>Les analyses seront également mises en relation avec :\u003C/p>\r\n\r\n\u003Cul>\r\n\t\u003Cli>Brahms : une base de données encyclopédique en ligne de compositeurs de musique contemporaine de toutes les nationalités dont les œuvres ont été créées après 1945. Cette base contient actuellement environ 600 références. Pour chaque compositeur, il y a une partie biographique accompagnée des sources d’information, et une autre partie qui situe l’orientation esthétique, les phases principales et le contexte historique de l’œuvre.\u003C/li>\r\n\t\u003Cli>Images d’une œuvre : une collection des interviews filmés des compositeurs.\u003C/li>\r\n\t\u003Cli>Sidney : une base de données qui contient les éléments techniques (programmes informatiques, sons etc. ) nécessaires pour l’exécution de l’œuvre.\u003C/li>\r\n\u003C/ul>\r\n\r\n\u003Cp>A plus long terme, les analyses des nouvelles œuvres créés à l’Ircam viendront se rajouter au corpus donné dans l’annexe citée ci-dessus.\u003C/p>",{"data":24},{"analyses":25},[26,46,60,77,93,106,123,135,148,162,173,186,197,209],{"title":27,"titleEn":28,"text":11,"textFr":29,"textEn":30,"date":31,"type":32,"slug":33,"authors":11,"toc":11,"image":34,"composer":11,"cardImage":36,"cardTitle":27,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":39},"Analyse de \u003Ci>Anthèmes 2\u003C/i> (1997) de Pierre Boulez","Analysis of \u003Cem>Anthèmes 2\u003C/em> (1997) by Pierre Boulez","### Introduction \n\n#### Historique de l’œuvre \n\n[*Anthèmes 2*](https://ressources.ircam.fr/work/anthemes-2), pièce pour violon et électronique (réalisée par Andrew Gerszo à l’Ircam), fut créée le 19 octobre 1997 à Donaueschingen par la violoniste Hae-Sun Kang. La création française eut lieu deux jours plus tard, à l’Ircam. Comme souvent chez [Pierre Boulez](https://ressources.ircam.fr/composer/pierre-boulez/biography), *Anthèmes 2* est née de l’expansion d’une œuvre antérieure, ici [*Anthèmes 1*](https://ressources.ircam.fr/work/anthemes), courte pièce pour violon composée en 1991 (et révisée en 1992 et 1994) pour le quatre-vingt-dixième anniversaire d’Alfred Schlee, directeur de longue date de la maison d’édition musicale de Boulez, Universal Edition, puis révisée l’année suivante pour le Concours international de violon Yehudi-Menuhin à Paris. *Anthèmes 2* est donc le développement de cette pièce initiale d’environ neuf minutes, non seulement en termes de durée (on y dépasse les vingt minutes), mais aussi, et particulièrement, par l’ampleur de son éventail sonore, atteint par le biais des moyens électroniques. Tout comme [*Rituel*](https://brahms.ircam.fr/work/rituel-in-memoriam-bruno-maderna) et [*Mémoriale*](https://brahms.ircam.fr/work/memoriale), *Anthèmes 1* et *2* découlent d’un fragment de sept notes provenant de la partie de violon d’une des nombreuses versions d’[work:defe281d-4dd7-47ec-94ff-94194571077f][...explosante-fixe...], schéma de composition évolutif créé à l’occasion de la mort d’[Igor Stravinsky](https://brahms.ircam.fr/igor-stravinsky) et inclus dans un dossier hommage publié par le magazine *Tempo* (Royaume-Uni) en 1971. En tant que pièce de concours, *Anthèmes 1* fait montre d’une panoplie de techniques violonistiques, des plus classiques aux techniques de jeu étendues. Les deux *Anthèmes* s’articulent autour du _ré_, une note qui peut être jouée de diverses manières au violon : sur une corde ouverte, sur une harmonique naturelle ou artificielle, avec différentes harmonisations, etc. Le chiffre sept — artefact d’*…explosante-fixe…* — joue un rôle majeur dans les *Anthèmes*, tant par la présence abondante de septolets que dans la structure générale de l’œuvre, soit une introduction suivie de six parties. Les *Anthèmes* marquent également le retour d’un intérêt pour l’écriture thématique chez Boulez, le titre faisant allusion, par homophonie, à l’expression « en thème ». Comme Boulez l’expliquait à l’occasion de la création française d’*Anthèmes 2*, le 21 octobre 1997 à l’Ircam : \n\n> À l’époque de ma très grande jeunesse, je pensais que toute la musique devait être athématique, sans aucun thème, et finalement je suis persuadé maintenant que la musique doit se baser sur des choses qui peuvent être reconnaissables, mais qui ne sont pas des thèmes au sens classique, mais des thèmes où il y a une entité qui prend des formes différentes, mais avec des caractéristiques si visibles qu’on ne peut pas les confondre avec une autre entité. [Boulez _in Goldman_, 2001, p. 117]\n\nLe titre est également un néologisme dérivé du mot anglais « anthem », faisant ainsi référence à l'univers solennel et unidirectionnel de l’hymne. En effet, dans *Anthèmes*, le caractère général y est solennel, mais cette tranquillité est interrompue à plusieurs reprises par la violence éruptive de certains passages.\n\n#### Thématiques et forme\n\nComme susmentionné, les *Anthèmes* proviennent d’un court fragment d’*…explosante-fixe…*, et plus précisément de la partie de violon de la pièce de 1973 pour flûte solo, petit ensemble et électronique. Dans le dernier mouvement de l’œuvre, intitulé [*Originel*](https://brahms.ircam.fr/work/originel), le début de la partie de violon comporte sept notes en trille qui se retrouvent, dans le même ambitus, au début de la Section I d’*Anthèmes 1* (dans *Anthèmes 2*, ce passage est étendu à plus de sept notes, ce qui obscurcit la présence du fragment original d’*…explosante-fixe…*). Si l’on considère que l’Introduction d’*Anthèmes* puisse avoir été composée vers la fin du processus de composition (puisqu’elle apparaît à la fin du manuscrit d’*Anthèmes 1* [Boulez et al., 2009], les ouvertures des deux pièces / mouvements correspondent de manière saisissante [Figure 1].\n\n![image:6718263d-8285-46a9-addb-bb93c454d303][fig1.jpg]\n\n\n**Figure 1. Haut : *…explosante-fixe…* (version de 1973), mouvement *Originel*, partie de violon, mesure 1. Bas : *Anthèmes 1*, section I, mesures. 1-4 avec les sept notes communes encerclées [Score UE, 1992].**\n\nOn observe que le _ré_, note centrale des *Anthèmes*, est également placé au centre de la série de sept notes. Cette position originelle n’est pas sans importance et se prolonge dans la production subséquente de Boulez, même si le compositeur n’accordait que peu d’importance aux points de départ des œuvres. Toujours lors de la création française d’*Anthèmes 2*, il explique : \n\n>Cette pièce est, comme souvent chez moi, une réflexion sur quelque chose que j’avais déjà écrit, qui n’était pas abouti ou qui est un tout petit noyau d’*...explosante-fixe...*. Vous me l’avez montré tout à l’heure d’ailleurs, parce que je n’avais plus l’exemple sous la main. Mais c’est exactement sept notes au départ, pas plus. Donc, je trouve que les points de départ ne sont jamais très importants. Ce qui est important, c’est toute la trajectoire. Et cette trajectoire, comme vous dites, est entre sept notes qui durent cinq secondes peut-être, et puis une pièce qui dure vingt minutes et qui a tout de même beaucoup d’invention à trouver. [Boulez in Goldman, 2001, p. 117-118]\n\nLes thèmes évoqués dans le titre font référence à des figures musicales qui subissent des variations constantes sans toutefois perdre leurs caractéristiques d’identification (le phrasé, le tempo, le caractère rythmique, l’expression, la technique de jeu, l’intensité, etc.), les rendant ainsi facilement reconnaissables. Chaque thème suit une instruction de performance simple et directe. Par exemple, on trouve les indications « calme, retenu » au-dessus d’un accord souvent répété et arpégé en pizzicati nonchalants ; « brusque » au-dessus d’un passage rapide et presque impertinent d’emphase et « calme, régulier » inscrit pour un glissando langoureux. Les six sections relativement autonomes de l’œuvre sont séparées par une figure caractéristique, formée d’une ou plusieurs notes tenues sur les harmoniques, et qui se termine parfois par un glissando approximatif vers les aigus, formant ainsi une véritable signature sonore. Ne pouvant être confondues avec aucun autre son de l’œuvre, ces figures sont l’exemple classique de ce que Boulez appelle les « signaux ». Boulez associe ces signaux aux lettres hébraïques utilisées pour diviser les textes en latin du « Livre des Lamentations » qu’il récitait, enfant, pendant les cérémonies de la Semaine sainte à l’église du village de Montbrison, dans la vallée de la Loire. À cause de cette référence aux lettres hébraïques dans le texte imprimé du « Livre des Lamentations », ces signaux sonores seront parfois appelés « lettres » dans ce qui suit (voir §3.2). Les six sections (ou versets) d’*Anthèmes 2* sont classées par chiffres romains de I à VI, les lettres sont indiquées par la lettre H (pour harmoniques) et leurs positions entre les versets sont indiquées par des chiffres romains (H I, H I/II, etc.). La longue sixième section est subdivisée en trois sous-sections : la première (VI.1) est liée thématiquement à l’ensemble de la pièce, la section centrale (VI.1) est autonome et implique un jeu de reconnaissance et de surprise entre quatre « personnages » identifiables et la troisième section (VI.3) est une coda conclusive qui réaffirme le rôle central de la note _ré_. Le tableau de la Figure 2 présente la forme de base des différentes sections, incluant les numéros de mesures et les types de procédés utilisés.\n\n![image:4e532f56-f94b-4b0b-a32d-c888866ad752][Fig2-nouv.png]\n\n**Figure 2. Sections d’*Anthèmes 1*.**\n\nLa forme d’*Anthèmes 2*, malgré son apparente linéarité, est en fait foncièrement originale : la courte introduction est suivie de petites sections se concluant en un final qui dépasse en durée *toutes* les sections qui le précèdent. Bien qu’il n’était pas inhabituel pour Boulez d’écrire de longues sections finales (par exemple, dans *Rituel*), *Anthèmes* demeure un exemple extrême de cette pratique. Une forme analogue est utilisée par [Gustav Mahler](https://brahms.ircam.fr/fr/composer/gustav-mahler/biography) dans *Das Lied von der Erde* : la symphonie lyrique comprend cinq mouvements suivis d’un sixième dont la durée équivaut à celle des cinq premiers mouvements mis ensemble. *Das Lied von der Erde* fut publié en 1912 par Universal Edition, maison d’édition musicale qui deviendra celle de Boulez. Rappelons qu’*Anthèmes 1* fut dédiée « en souvenir amical » à Alfred Schlee (1901-1999), le vénérable directeur de Universal à l’occasion de son quatre-vingt-dixième anniversaire. En ce sens, la forme d’*Anthèmes* peut être lue comme un hommage secret à un autre illustre compositeur de Universal Edition. Cette hypothèse, bien que non vérifiée, devient un peu plus convaincante lorsqu’on se rappelle que *Das Lied von der Erde* de Mahler fut, avec la *Quatrième symphonie*, une des deux œuvres de Mahler que Boulez, dans sa jeunesse, avait entendu en concert [Boulez, 1995]. \n\nComparativement à l’œuvre précédente pour violon solo, *Anthèmes 2* est beaucoup plus ample, mais cette augmentation en durée respecte les proportions établies dans *Anthèmes 1*, chaque section étant « étirée » de manière substantielle [Figure 3].\n\n![image:75864b14-6e97-432e-8544-3efbca1d6688][fig3.jpg]\n\n\n**Figure 3. Comparaison des durées relatives des sections d’*Anthèmes 1* et *2* proportionnellement à la durée totale (la durée des sections inclut la durée de la « lettre » qui les suit). Enregistrements utilisés : *Anthèmes 1* par Julie-Anne Derome [AR CD Atma, 1996] et *Anthèmes 2* par Hae-Sun Kang [AR CD Deutsche Grammophon, 2000].**\n\n### Dispositif technologique \n\n#### Le *Score Follower*\n\nÀ l’époque où *Anthèmes 2* a été développé, des chercheurs de l'IRCAM ont essayé de mettre au point une technologie audio pour le *Score Follower*, ou « suiveur de partition », qui déclencherait des commandes informatiques pour le traitement audio (ou patchs) après avoir comparé les sons joués par le violon à la partition. Cependant, le résultat n’était pas assez fiable pour être utilisable lors de la création d’*Anthèmes 2* et même lors des représentations ultérieures dans les années qui ont suivi. Au lieu de cela, les commandes audio étaient déclenchées manuellement par l'ingénieur du son qui suivait attentivement la partition pendant l’exécution. Ce n’est que ces dernières années qu’une nouvelle application informatique de suivi de la partition a été utilisée pour les représentations d’*Anthèmes 2*. Il n’en reste pas moins que, comme toutes les œuvres de Boulez produites à l’Ircam, *Anthèmes 2* a été conçue non seulement comme une œuvre d’art, mais aussi comme l’occasion pour l’équipe de l’Institut de développer de nouvelles technologies dans le domaine de l’interface personne-machine. \n\n#### Spatialisation\n\n*Anthèmes 2* présente deux configurations de performance : l’une, dans une salle de concert « traditionnelle » avec scène face au public, et l’autre, en plaçant la violoniste au centre de l’espace de concert, avec le public disposé donc autour de l’interprète [Figure 4]. Boulez préférait la deuxième configuration pour des raisons d’effets dramatiques, mais aussi parce que l’œuvre était souvent jouée en tandem avec [*Répons*](https://ressources.ircam.fr/work/repons-1), pièce pour orchestre à cordes placé au centre de l’espace de concert. \n\n![image:7630228f-84cf-4028-bfd2-200743221442][fig4.jpg]\n\n**Figure 4. Les deux configurations scéniques d’*Anthèmes 2* [© Score UE, 1997b].**\n\nBoulez a toujours fait usage de la spatialisation comme moyen de clarifier le texte musical. Cet exemple précis découle d’un principe plus large appliqué par Boulez en fin de carrière, où un type d’écriture musicale est utilisé pour articuler, accentuer ou mettre en relief la structure d’un autre type d’écriture musicale. Dernière pièce écrite par Boulez pour électronique, *Anthèmes 2* hérite donc de plusieurs concepts de spatialisation élaborés précédemment dans *Répons*, [*Dialogue de l’Ombre Double*](https://brahms.ircam.fr/work/lieder-eines-fahrenden-gesellen), dans *…explosante-fixe…* et même dans les premières tentatives du compositeur de combiner l’orchestre et les sons électroniques ([*Poésie pour pouvoir*](https://brahms.ircam.fr/work/poesie-pour-pouvoir), 1958). La spatialisation occupe également une place centrale comme paramètre de composition dans plusieurs œuvres de Boulez sans partie électronique, comme [*Figures, doubles, prismes*](https://brahms.ircam.fr/work/figures-doubles-prismes) (1963) et [*Domaines*](https://brahms.ircam.fr/work/domaines) (1970). *Anthèmes 2* marque pourtant un tournant dans l’approche de la spatialisation. Les œuvres précédant *Anthèmes 2* font usage d’un lien direct entre la position physique des haut-parleurs et la direction perçue de la source sonore. *Anthèmes 2* fut la première pièce à utiliser le logiciel Spat, une technologie de spatialisation développée à l’Ircam dans les années 1990 qui ouvrit la voie aux recherches en matière de salles acoustiques virtuelles et de sources sonores virtuelles [Jot and Warusfel, 1995 ; Carpentier et al., 2015]. La relation directe entre la position du haut-parleur et la perception d’une source sonore étant ainsi brisée, les directives de spatialisation d’*Anthèmes 2* décrivent la position perceptuelle souhaitée des sources sonores, indépendamment du nombre de haut-parleurs (quatre, six ou huit) utilisés pendant la performance.\n\nLa spatialisation dans *Anthèmes 2* donne lieu à tout un nouveau système de notation. Quelques exemples des instructions de spatialisation d’*Anthèmes 2* sont fournis à la Figure 5. Il y est indiqué que le programmeur informatique doit, en alternance : « choisir un chemin aléatoire longeant le côté gauche ou le côté droit de la salle » ; « en partant de la position arrière gauche, traverser la position avant pour se rendre à la position arrière à droite, puis revenir au point de départ, le tout en seize secondes » ; « effectuer une rotation dans le sens des aiguilles d’une montre en dix-huit secondes » ; « en partant de la position avant, effectuer une rotation dans le sens des aiguilles d’une montre en dix-huit secondes » ; et « choisir au hasard une rotation dans le sens des aiguilles d’une montre ou une rotation inverse qui prend en tout cinq cents millisecondes ». \n\n![image:ddb7daef-6c9a-4949-a8fa-2a5651b5027b][fig5.jpg]\n\n\n**Figure 5. Diverses instructions de spatialisation indiquées dans la partition d’*Anthèmes 2* [© Score UE, 1997a].** \n\nEt pourtant, la spatialisation dans *Anthèmes 2* est toujours au service de l’aspect dramaturgique de l’œuvre et ne tombe jamais dans l’exploration abstraite de paramètres spatiaux. La violoniste sur scène incarne le point d’ancrage de toute opération de spatialisation : par sa présence physique, les sons électroniques sont perçus, soit comme étant avec ou contre elle, soit dans une position fixe par rapport au violon ou en mouvement autour de celui-ci, etc. Ce jeu de cache-cache dans l’espace est plus fondamental à l’œuvre que le fait de déterminer une position cartésienne précise. \n\n#### Le rôle de l’électronique\n\nLe traitement électronique, développé à l’Ircam, transforme en temps réel le son du violon capté à l’aide d’un microphone. Ces sons transformés sont diffusés par un système de haut-parleurs distribués autour de la salle. Cette transformation électronique *in situ* permet au geste et au style de la violoniste au cours d’une performance d'avoir un impact direct sur le son électronique. Dans cette œuvre, Boulez cherche consciemment à limiter le rôle de l’électronique à l’augmentation du son du violon, le transformant ainsi en ce qu’il appelait un « hyper-instrument ». Si le son du violon dans cet hymne qu’est *Anthèmes* s’apparente à la voix d’un prêtre officiant, celles, multiples, de la partition électronique d’*Anthèmes 2* rappellent le chœur. De fait, Boulez n’exploite un jeu d’appel et de réponse entre le violon et l’électronique que dans une brève section de l’œuvre (VI.1), la vaste majorité de la partition électronique étant utilisée pour créer une texture homophonique de laquelle la voix du violon peut émerger.\n\n*Anthèmes 2* utilise deux types très communs de traitement du son pour densifier la ligne principale du violon : le décalage de fréquence et l’harmonisateur. Ce dernier ajoute un certain nombre de notes autour de la note jouée et ce, à intervalle fixe de celle-ci. Ainsi, la monodie se transforme en séquence d’accords évoluant en mouvement parallèle. Après une écoute prolongée d’un son ainsi traité, un phénomène de fusion se produit par lequel on peut entendre une masse sonore homogène générant un nouveau timbre, plutôt qu’une séquence délimitée d’accords. À la différence de l’harmonisateur, le décalage de fréquence ajoute un ou plusieurs sons à la note jouée, séparés de celle-ci par une fréquence fixe (c’est-à-dire séparés par un certain nombre de hertz et non par un intervalle tempéré.) La densité résultante de la ligne est ainsi moins uniformisée que dans le cas du son traité par l’harmonisateur — la relation logarithmique entre la fréquence et les notes de la gamme implique que plus la note est basse, plus l’écart entre celle-ci et le son émis par décalage de fréquence est grand. L’ouverture de la section I fait montre de cette différence entre les résultats sonores de l’harmonisateur et du décalage de fréquences : le premier geste de la violoniste (les appogiatures phrasées en legato) est augmenté de quatre notes ajoutées par l’harmonisateur, tandis que le septolet effectué d’un coup d’archet en ricochet est traité via un décalage de fréquence, pour être ensuite diffusé autour de la salle [Figure 6].\n\n![image:a82e68ab-14e7-4150-9c96-bded27eea77a][fig6.jpg]\n\n\n**Figure 6. *Anthèmes 2*, section I, mesure 1 [© Score UE, 1997a].**\n\nCette figure illustre également la manière dont *Anthèmes 2* traite chaque partie électronique comme un instrument à part entière, avec leur propre portée dans la partition. Ce détail en apparence futile révèle en fait un fondement de l’approche de Boulez en ce qui concerne l’électronique : la primauté de la notation musicale et, conséquemment, la place de choix accordée aux traitements sonores qui peuvent être traduits par des mots ou des symboles graphiques et qui se soumettent donc à une certaine logique discursive. Les parties électroniques notées peuvent également être perçues comme un moyen d'échapper à la nature éphémère de l’équipement électronique en décrivant les procédés via des formules notées qui pourraient, théoriquement, suffire à transmettre la vision de Boulez à de futurs musiciens. Il est clair que cet accent mis sur la notation a pour effet d’exclure tous types de manipulations électroniques qui ne se prêtent pas à l'écriture graphique ou verbale. Mais ce que Boulez perd d’un côté, il le regagne de l’autre, en potentiel de transmission. De plus, l’approche du compositeur en matière de notation électronique (qu’il adopte dans d’autres œuvres avec électronique, incluant *Répons* et *...explosante-fixe...*) permet une certaine liberté d’interprétation à la personne qui contrôle les sections électroniques, au même titre qu’un musicien qui interprète une partition. Comme souligné par Augustin Muller, important interprète de la partie électronique d’*Anthèmes 2*, l’électronique notée de Boulez donne une plus grande liberté d’interprétation que d’autres œuvres où l’électronique n'est pas notée, dans la mesure où il est possible de choisir les sons précis, les couleurs, la balance et les qualités de spatialisation du son, à la manière d’un musicien qui joue dans un ensemble de musique de chambre.\n\nDe plus, par l’utilisation d’effets de délai, l’électronique permet l’extension rythmique du texte musical — les réverbérations « infinies » offrent la possibilité d’étirer le son du violon indéfiniment. La production de partitions virtuelles complexes, informatisées à partir d’échantillons sonores du violon, ouvre la voie à une écriture qui transgresse les capacités habituelles du violon, étirant son ambitus et permettant des sauts, des combinaisons de notes et des vitesses inatteignables sur un violon purement acoustique. De manière plus précise, l’électronique est utilisée pour la création de structures verticales de grandeurs variées, construites autour de notes individuelles jouées sur le violon. La spatialisation sonore a donc pour but — tout comme dans les autres œuvres de Boulez pour électronique — de décrire et d’articuler le texte musical. \n\nL’électronique en temps réel chez Boulez rappelle les esquisses pédagogiques de l’artiste du Bauhaus Paul Klee, parallèle souvent proposé par le compositeur lui-même [Boulez, 1989 ; 2008]. Comme Klee dans plusieurs de ses exercices, Boulez tente de trouver une manière d’amplifier une figure par l’épaississement, par l’étirement ou par d’autres moyens d’altérer le cours de son énergie [Figure 7].\n\n![image:d6ee5c73-28ad-428a-83dd-57de659294d6][fig7.jpg]\n\n\n**Figure 7. Extrait de Paul Klee, *Pedagogical Sketches* (Esquisses pédagogiques) [Klee, 1953, p. 18-19].** \n\n### Analyse\n\n#### Introduction \n\nCette section, marquée « Libre », sert d'ouverture et contient plusieurs idées reprises ailleurs dans la pièce. Y est affirmée l’importance du chiffre sept et du point d’ancrage autour de la note _ré_, qui apparaît ici sous forme d’un long trille, figure favorite chez Boulez et dont on trouve *locus classicus* dans *Répons*. Le _ré_ \u003Csub>4\u003C/sub> central joue un rôle d’importance : il s’agit de la note principale du trille vers lequel converge la phrase initiale ; il forme l’aiguë à partir duquel sont construites les dyades ; le _ré_ \u003Csub>4\u003C/sub> est la note initiale de toutes les petites séquences, la note de référence pour le décalage de fréquence vers le grave et la note qui perdure à la fin des couches de réverbérations infinies. Un geste bref, marqué *col legno battuto* et joué sur le _ré_ naturel, coupe soudainement les réverbérations persistantes et signale ainsi la fin de l’Introduction. Ce même geste réapparaît à la fin de la pièce, indiquant ainsi que la pièce débute et se termine avec le _ré_ \u003Csub>4\u003C/sub> central. Ce geste initial évoque également, de façon métaphorique, les diverses étapes de l’évolution d’un son du point de vue acoustique : l’attaque, la réverbération et la décroissance sonore (l’appogiature étant l’attaque, le trille la réverbération et le *col legno battuto* en jeu double-corde sur _ré_ la décroissance). [Figure 8]\n\n![image:0827704c-2758-42df-aa9c-83cd9eaf67c9][fig8.jpg]\n\n**Figure 8. *Anthèmes 2*, section “Libre”, mesures 1-3 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:9e57885d-3873-45ea-b311-ae84f67fa0ff][boulez_anthems2_media1a.mp3]\n\n\n**Média 1a. Hae-Sun Kang (violon) sans électronique [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:a1a74710-1401-4388-beaf-78365786c937][boulez_anthems2_media1b.mp3]\n\n\n**Média 1b. Hae-Sun Kang (violon) avec électronique [© Arch. Ircam].**\n\nCertains traits caractéristiques de l’électronique peuvent déjà être établis via cet exemple. Premièrement, la réverbération infinie crée progressivement une couche de son statique. Ce phénomène opère sur deux plans : 1) en captant le son en temps réel du violon pendant les deux premières mesures de l’introduction, suivie d’un long decrescendo à la mesure trois ; 2) en réinjectant une séquence rapide d’échantillons sonores du violon (qui ne sont pas entendus directement) dont les hauteurs proviennent de la première mesure. Ainsi sont créées les deux couches de réverbération infinies. Deuxièmement, de courtes séquences d’échantillons sonores du violon interviennent lorsque le violon atteint le trille à la première mesure, de même que chaque dyade à la mesure deux. À la mesure trois, le décalage de fréquences est utilisé pour transposer le son du ricochet vers le grave, élargissant ainsi le registre de l’instrument acoustique. \n\n#### Lettres et transitions\n\nComme expliqué précédemment, ces lettres font office de signaux pour marquer les points de transition entre les sections (HI, HI/II, HII/III, etc.), rappelant les lettres hébraïques qui divisent les versets du « Livre des Lamentations ». Parlant de son concept des signaux, Boulez explique que : « les signaux servent à marquer les points d’articulation d’un développe- ment, d’une forme. Un signal peut être considéré, avant tout, comme un moyen mnémotechnique » [Boulez, 2005, p. 312]. Si on considère *Anthèmes 2* comme alternant écriture statique et dynamique, les lettres représentent le côté statique du balancier, lieu des idées en devenir [Figure 9]. \n\n![image:72c1c3d9-0aa0-457a-9fd1-5cb16d77bec5][fig9.jpg]\n\n\n**Figure 9. *Anthèmes 2*, première « lettre » H/I [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:9047c475-0001-42b5-814f-7ded18cbe21a][boulez_anthems2_media2a.mp3]\n\n\n**Média 2a. Hae-Sun Kang (violon) sans électronique [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:f3c2a2fc-f26b-4438-846e-4053b414266c][boulez_anthems2_media2b.mp3]\n\n\n**Média 2b. Hae-Sun Kang (violon) avec électronique [© Arch. Ircam].**\n\n\nComme on pourrait s’y attendre, le son du violon acoustique ainsi que celui des transformations électroniques sont disposés dans l’espace de manière complètement stationnaire, comme il convient à ce genre d’événement statique ayant pour but de marquer une pause entre le dynamisme des versets. Deux harmonisateurs sont utilisés pour transposer le son du violon soit de onze ou de vingt-trois demi-tons plus bas, élargissant ainsi le registre vers le grave. Le son du violon est transformé de plus belle par deux modulateurs en anneaux qui injectent un spectre harmonique complexe dans un filtre en peigne, lui-même réglé à une fréquence de réjection grave, produisant ainsi un riche spectre inharmonique statique. En ce qui a trait à la spatialisation, le violon acoustique, les modulateurs en anneaux joints au filtre en peigne et la réverbération infinie sont placés à l’avant de l’espace de concert, tandis que les harmonisateurs se trouvent sur les côtés. Chaque lettre comprend un certain nombre de ces « sons de cloche » : la Figure 10 montre les hauteurs utilisées dans ces sections en lettres, qui débutent et se terminent sur le _ré_ central de l’œuvre. \n\n![image:cbf60b30-cf05-4470-a50c-c38bde3d4f6f][fig10.png]\n\n**Figure 10. Hauteurs utilisées dans les sections en « lettres » d’*Anthèmes 2***\n\n#### Section I \n\nD’ordre général, l’écriture pour violon de cette section est caractérisée par une ligne monodique et expressive — selon le patron boulézien de l’appogiature (ici, un patron de sept notes) — suivie d’un trille soutenu et se terminant par un certain nombre de notes brèves accentuées par des ornements. L’électronique de cette section élargit et souligne la partie de violon [Figure 11]. Premièrement, lors des phrasés expressifs, les harmonisateurs construisent des accords vers le grave à partir des notes jouées par le violon, « épaississant » ainsi la ligne mélodique à la manière des esquisses pédagogiques de Klee. Ensuite, la création de dyades, formées à partir d’échantillons du violon en pizzicato, est déclenchée chaque fois que le violon joue un trille. Troisièmement, lors des passages rapides de sept notes, l’effet est accentué par la spatialisation qui projette le son du violon du fond de la salle vers l’avant. Enfin, à la fin de ces passages rapides, lorsque le violon reprend sa mélodie expressive, la première note de la ligne est, pour ainsi dire, « cristallisée » par l’effet de la réverbération infinie, augmentant ainsi son impact et, par le fait même, marquant le début d’un nouveau phrasé expressif. \n\n![image:ba461503-18e4-4abf-b194-21d0b61f37f4][fig11.jpg]\n\n\n**Figure 11. *Anthèmes 2*, section I, mesures 1-5 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:23e2c002-b5e2-4db5-a183-d479d3c81508][boulez_anthems2_media3a.mp3]\n\n\n**Média 3a. Hae-Sun Kang (violon) sans électronique [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:f1de81c3-913b-4c7e-9f4f-e89ac89fe613][boulez_anthems2_media3b.mp3]\n\n\n**Média 3b. Hae-Sun Kang (violon) avec électronique [© Arch. Ircam].**\n\n\n#### Section II \n\nCette section s’inspire de la sculpture *Compression « Ricard »* (1962), une œuvre provocante de l’artiste français César (1921–1998), conservée au Centre Pompidou [Figure 12]\n\n![image:46323a07-1924-41bb-96ca-2809c1def643][fig12.jpg]\n \n\n**Figure 12. César, *Compression « Ricard »* (1962) [© Centre Pompidou].**\n\nCésar a inséré diverses parties d’automobile de couleurs variées dans une presse hydraulique, créant ainsi un bloc de métal compact et multicolore. La section II d’*Anthèmes 2* est caractérisée par ce qu’on pourrait qualifier de l’équivalent musical de la compression, à savoir l’absorption des différentes voix d’un canon par une seule ligne au violon. Ce canon est de forme ternaire (dans *Anthèmes 2* : A=II.1–61, B=II.62–72 A’=II.73–118). Les trois sections de cette forme sont mises en relief par l’électronique, les sections périphériques faisant usage d’un patch de décalage de fréquence et la section centrale de l’harmonisateur. Une séquence de seize hauteurs et une autre d’autant de durées forment les doubles points de départ de ce canon [Figure 13]. \n\n![image:ad58ca94-4299-4259-ab67-09b005c9b18e][fig13.jpg]\n\n\n**Figure 13. Séquences de hauteurs et de durées dans le canon rythmique de la section II d’*Anthèmes 2*.**\n\nCette séquence de hauteur est jouée en boucle fixe, tandis que les durées se transforment pour créer trois séries de durées différentes. Chaque valeur des trois séquences de durées (I, II ou III) se superpose à une autre valeur pour générer une nouvelle série rythmique (pour la première transformation, les 3 se superposent aux 2 — c’est-à-dire que la croche pointée devient une croche —, les 1 se superposent aux 4, les 2 aux 3 ; dans la deuxième transformation, les 2 deviennent des 4, le 4 se superpose au 3 et le 3 au 5) [Figure 14].\n \n![image:534dc57c-2414-47a7-861d-3bce3682e02f][fig14.jpg]\n\n**Figure 14. Transformations des durées (mesurées en doubles croches) du canon rythmique à trois voix de la section II d’*Anthèmes 2*.**\n\nChaque valeur des trois séquences rythmiques se voit ensuite attribuer une hauteur dans l’ordre de la séquence invariable, qui est ensuite compressée, à la manière de César, dans une seule et même ligne. (Le tout redécoupé, par souci de clarté, dans la Figure 15). Dans la quatrième ligne résultante, seulement les attaques des pizzicati ont été prises en compte et la cinquième ligne indique les ajustements faits dans la partition.\n\n![image:0884cc0e-4fbb-4638-ba45-fbef6b7022f0][fig15.jpg]\n\n**Figure 15. Début du canon à trois voix dans la section II d’*Anthèmes 2* (hauteurs et rythmes seulement) ; divergences encerclées.**\n\nIl suffit de comparer la ligne résultante avec la partition de la section II (à partir de la deuxième mesure) pour comprendre toute l’expression du canon rythmique, une technique privilégiée par Boulez — et par [Olivier Messiaen](https://brahms.ircam.fr/composer/olivier-messiaen/biography), qui fut son professeur — et ce, malgré qu’il s’écarte du plan à quelques reprises pour éviter à la violoniste de jouer, par exemple, des quintes parfaites en double-corde.\n\n![image:52a989b6-4b24-4a25-a52e-24e8f76df4c0][fig16.jpg]\n \n**Figure 16. *Anthèmes 2*, section II, mesures 1-6 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:47b84eeb-af5c-4c46-8835-de0e1a8c49f0][boulez_anthems2_media4a.mp3]\n\n**Média 4a. Hae-Sun Kang (violon) sans électronique [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:601bcf76-808e-414b-9ee8-8fd5ae575942][boulez_anthems2_media4b.mp3]\n\n**Média 4b. Hae-Sun Kang (violon) avec électronique [© Arch. Ircam].**\n\nLa partie électronique de cette section offre un contrepoids à l’écriture en canon de la partition instrumentale : alors que le thème du canon rythmique est diffusé à des vitesses variables par les haut-parleurs, le son alterne entre un sillon linéaire et circulaire. Boulez a qualifié la conception spatiale de cette section de « contrepoint spatial », qui met en contraste et qui complémente le contrepoint temporel de la ligne du violon, créant ainsi une texture sonore qui varie selon la position de l’auditeur dans la salle. Qui plus est, le son du violon se superpose à des versions altérées de lui-même, diffusées par voie de décalage de fréquences (afin d’enrichir le registre grave). Des effets de délai sont utilisés pour créer des patrons à partir des valeurs rythmiques de la série de notes originale [Figure 17].\n\n![image:b987a8e4-f1ab-4750-8337-548e93ab8fe8][fig17.jpg]\n\n\n**Figure 17. Une page des croquis d’Andrew Gerzso pour les patrons d’effets de délai dans le traitement de la section II d’*Anthèmes 2*.**\n\nDans la Figure 17, les attaques du thème rythmique original sont traduites en millisecondes. La première séquence d’effets de délai donne la valeur des six premières attaques du thème alors qu’elles se diffusent dans le temps. Dans les dix-neuf passages consécutifs (chaque colonne de la figure), ces valeurs de délai varient graduellement pour correspondre à d’autres attaques du thème, donnant ainsi une impression d’expansion et de contraction temporelle (la ligne diagonale de la Figure 17 démontrant la durée totale inégale de chacune des dix-neuf itérations). Ces séries de compressions et d’expansions des effets de délai sont superposées à la partie de violon afin d’accroître l’idée d’origine, mais aussi pour mettre à l’épreuve les capacités de l’auditeur en ce qui a trait à la distinction entre le violon et les sections électroniques. Une autre couche sonore est fournie par ce que Gerzso appelle le « cantus » (la colonne la plus à droite dans l’esquisse). Il s’agit de trois courtes séquences rythmiques générées à partir de sous-ensembles du motif rythmique du violon qui sont incarnées par des notes en pizzicato échantillonnées (le premier cantus est visible dans la portée « Sampler » de la figure 16).\n\n#### Section III\n\nOutre son utilisation du traitement sonore en temps réel, Boulez était mû d’un intérêt profond pour le potentiel virtuose de l’ordinateur et pour la manière dont il permet de transgresser les limites de la performance musicale humaine. Ici, l’idée est poussée encore plus loin : le violon et l’électronique se confrontent. Le caractère de l’écriture musicale pour violon est instable et imprévisible, caractère confirmé par le « Nerveux, irrégulier » marqué à la quatrième mesure de cette section, indiquant à l’interprète de changer abruptement de nuances, d’allonger les notes de longues durées et de raccourcir celles de courte durée. En effet, lorsqu’on écoute l’interprétation magistrale de Hae-Sun Kang et d’Andrew Gerzso [AR CD Deutsche Grammophon, 2000], il est frappant de constater à quel point Kang réussit à imprégner chaque note d’une durée et d’un niveau de nuance distinct. La partie électronique est créée par des algorithmes de composition en temps réel, générant ainsi un matériau semblable, au niveau du caractère, à celui du violon. Ces deux couches — soit l’écriture pour violon et celle pour électronique — sont ensuite mises en superposition [Figure 18].\n\n![image:48bb70ee-952f-4976-94ad-ab0e010d9c1a][fig18.jpg]\n\n**Figure 18. *Anthèmes 2*, section III, mesures 1-9 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:f1dc6689-2f72-40ac-ad07-c9386c5f5501][boulez_anthems2_media5a.mp3]\n\n**Média 5a. Hae-Sun Kang (violon) sans électronique [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:0376688a-a36b-4306-bc68-ca417af614c0][boulez_anthems2_media5b.mp3]\n\n**Média 5b. Hae-Sun Kang (violon) avec électronique [© Arch. Ircam].**\n\nParlant de cette section lors de la création française, Boulez mit l’accent sur l’environnement aléatoire créé par l’électronique :\n\n>Vous avez aussi un environnement aléatoire, c’est-à-dire que le violon joue un certain nombre de figures qui sont très dirigées et la machine, elle, prend les mêmes notes pratiquement, mais elle en fait [autre chose] comme si vous remuiez quelque chose très vite, mais dans n'importe quel ordre : seul le champ est fixé, mais l’ordre n’est pas fixé. Tandis que, là, le champ est fixé, mais l’ordre est fixé aussi. Là aussi on peut avoir une opposition — pas de coordination cette fois-ci — entre un geste qui est très volontaire et des gestes qui sont complètement sans volonté. [...] Et c’est un contraste, toujours, entre des sons très forts et des sons très *piano*. Il y a un contraste de tempo, j’ai écrit exprès *extrêmement irrégulier* : il faut qu'il soit comme ataxique, qu'on ait l'impression [que la violoniste] ne contrôle plus ses mouvements. C'est une espèce d’ataxie, mais qui [est] réalisée avec des valeurs numériques. [Boulez, dans Goldman, 2001, p. 130] \n\nAinsi, l’auditeur est incapable de distinguer le violon acoustique de l’électronique, situation ambiguë de la perception que Boulez chérissait particulièrement dans ses créations. Cette section démontre également comment l’électronique sert la conception thématique d’*Anthèmes 2* en imprégnant chaque thème de sa propre signature sonore. Cette fonction caractéristique de l’électronique pour l’identité thématique des figures est aussi démontrée à la Figure 17, où les phrases sont composées de quatre thèmes distincts (ou cellules, vu leur brièveté) : un trémolo ponticello (1), une appogiature de sept notes (2), un trille tenu (3) et, finalement, une ligne nerveuse, en soubresauts (4). Chacune de ces figures est identifiable à l’ouïe grâce à un traitement électronique qui lui est propre : la modulation en anneaux (1), le décalage de fréquence (2), l’harmonisateur (3) et des échantillons spatialisés et mis en réverbération (4). \n \n#### Section IV\n\nLa quatrième section est formée de deux parties périphériques — marquées « instable » (dans *Anthèmes 2*, mesures 1-11 et 25-39 ; dans *Anthèmes 1*, mesures 67-71 et 80-88) et composées de trilles qui sont parfois joués en jeu double ou triple-corde — et d’une partie centrale (mesures 72-79) écrite principalement en triples croches. La partie centrale n’utilise que neuf hauteurs distinctes et de registre fixe. Les sections périphériques (A et A’) de cette petite forme ternaire sont dotées d’une organisation des hauteurs particulièrement symétrique (voir le début de la section A dans la Figure 19).\n\n![image:490063d5-3686-4ab8-9b06-1a173369d270][fig19.jpg]\n\n**Figure 19. *Anthèmes 2*, section IV, mesures 1-4 [© Score UE, 1997a].**\n\nDans *Anthèmes 1*, la section A est composée de douze attaques et le A’ en a dix-huit. *Anthèmes 2* double le nombre de ces attaques. Regardons, par exemple, l’organisation des hauteurs du solo pour violon d’*Anthèmes 1*. Dans le A’, parmi les douze trilles, quatre jeux triple-corde sont marqués *ff*, quatre jeux double-corde *mf* et quatre notes seules *p*. La symétrie des hauteurs apparaît lorsqu’on regroupe les notes du haut (des jeux double ou triple-corde) ou les notes seules par nuance [Figure 20]. \n\n![image:d66fa322-e564-42b4-a2b6-8822b2ed667b][fig20.jpg]\n\n**Figure 20. Organisation des notes du haut d’*Anthèmes 2*, section IV, regroupées selon leur nuance respective.**\n\nComme le montre la Figure 20, la section A d’*Anthèmes 1* comporte trois séries de quatre notes qui sont toutes des transpositions et/ou des rétrogrades les unes des autres, avec une structure d’intervalle particulièrement symétrique de 5-8-5 demi-tons. Le A’ comporte également trois séries de six notes dont certaines ont également une structure d’intervalle symétrique de 6-5-5-5-6 demi-tons (dans la dernière série, les deux dernières hauteurs, soit le _ré_ et le _sol_#, sont inversées). Dans la section A’ d’*Anthèmes 2*, une deuxième séquence de douze notes suit une première séquence identique à celles d’*Anthèmes 1*, mais sans respecter le plan symétrique. De façon similaire, dans le A’ d’*Anthèmes 2*, au lieu de suivre les dix-huit notes qui apparaissent dans la version d’origine, dix-huit trilles les précèdent, encore une fois sans respecter le patron symétrique. \n\nAinsi, il n’est peut-être pas si saugrenu d’avancer l’hypothèse selon laquelle le profil symétrique — et très Webernien — de la Section IV, avec ses séries identiques lorsque lues de droite à gauche et de gauche à droite, serait en fait un hommage secret au dédicataire d’*Anthèmes 1*, Alfred Schlee, à qui la pièce fut offerte en guise de cadeau d’anniversaire le 19 novembre 1991, pour ses quatre-vingt-dix ans. La dédicace d’*Anthèmes 1* indique : « à Alfred Schlee — en souvenir amical du 19.11.91 », Boulez ayant choisi d’écrire la date de l’anniversaire en palindrome (puisque 191191 se lit de la même manière de droite à gauche et de gauche à droite). Peut-être les palindromes musicaux de cette quatrième section sont-ils un clin d’œil à la symétrie de la date d’anniversaire de Schlee (et, au passage, à Webern, un autre compositeur des éditions Universal). \n\nPour ce qui est de la conception électronique de cette section, au lieu d’utiliser la spatialisation pour articuler le texte musical selon sa pratique habituelle, Boulez en fait usage ici pour amplifier et souligner l’énergie des gestes de la violoniste. En résulte un son acoustique du violon (sans transformation) qui se déplace abruptement d’une position à l’autre dans l’espace autour du public, utilisant un patron rythmique qui imite la partie de violon sans y être synchronisé, cette absence de synchronisation précise créant une certaine tension musicale. Dans la section centrale, par contraste, la réverbération infinie obscurcit les hauteurs principales du violon. Quant au traitement électronique de cette section, il présente une situation dans laquelle le violon et l’électronique expriment des affects opposés. Alors que le violon joue de violents trilles en jeu double et triple-corde, l’électronique présente des notes calmes et régulièrement espacées (échantillons de notes de violon jouées arco et pizzicato pourvues d’une réverbération infinie) qui contrastent avec ces trilles par leur sérénité. Elles créent une toile de fond paisible sur laquelle la violence des gestes du violon est mise en relief.\n\n#### Section V\n\nLa courte cinquième section reprend du matériel thématique déjà entendu, soit a) une première phrase se conformant à l’appogiature de sept notes (patron devenu habituel à ce point dans l’œuvre), suivi de b) de longs trilles qui terminent leur cours avec c) de courtes croches ornementées, le tout, encore une fois, traité par décalage de fréquences et par l’harmonisateur. À la suite de cette forme en triptyque, entendue pour la première fois dans la Section I, une section centrale revient au matériau « ataxique », déjà entendu dans la Section III : on y entend un passage marqué « nerveux et extrêmement irrégulier », joué en dents de scie. Cette section se résout finalement en une ambiance plus tranquille, avec le violon qui joue de doux trilles et l’électronique qui ajoute des pizzicati provenant d’échantillonnage sonore du violon. \n\n#### Section VI\n\n**Section VI.1 Le violon et l’électronique en dialogue ; figure « à la Klee »**\n\nLa longue section finale est divisée en trois sous-sections, la première étant la seule instance dans l’œuvre où les phrases électroniques suivent les phrases du violon en question-réponse, rappelant en quelque sorte le répons liturgique. Le violon exécute de rapides passages suivis de longs trilles. Alors que ces trilles s’estompent, des échantillons de violon très rapides sont déclenchés. Ceci mène à la longue section centrale. L’électronique dans cette section illustre on ne peut plus clairement le lien avec les esquisses pédagogiques de Klee : les lignes monodiques du violon sont suivies par des échantillonnages électroniques du violon, diffusés en pizzicati, qui élargissent la ligne acoustique de manière géométrique, et par des échantillons électroniques de passages rapides tirés de groupements d’accords prédéfinis, le tout renforcé par des blocs sonores de formes diverses. En effet, suivant les esquisses pédagogiques de Klee, la ligne unidimensionnelle du violon est mise en contrepoint par des sons qui tracent des formes sur le plan des hauteurs et du temps : triangle sonore descendant suivi d’un rectangle ; un triangle sonore qui débute dans le registre grave et qui remonte, suivi d’un rectangle ; ou l’une ou l’autre de ces formes dans des positions inversées (le rectangle suivi du triangle). Certains réalisateurs en informatique musicale [RIM] vont jusqu’à utiliser une partition, annotée à la main par Andrew Gerzso et aussi par Boulez lui-même, qui indique ces formes sur la partition [Figure 21], alors que Gerzso a donné à ce patch le nom suggestif de « klee-machines ».\n\n![image:3f2a5c6a-e244-43de-a064-da0e0fdfc824][fig21.png]\n\n**Figure 21 : extrait de la partition annotée de Andrew Gerzso, tiré de la section VI.1 d’*Anthèmes 2*, avec les formes « à la Klee » encerclées [Arch. Ircam].**\n\n**Section VI.2 Jeu de reconnaissance et de surprise**\n\nParlant du retour de l’écriture thématique dans *Anthèmes 2*, Boulez souligne la manière dont les thèmes furent utilisés dans la longue section centrale de la dernière partie d’*Anthèmes 2* :\n\n> Et donc, ici, c’est plein de choses comme cela, qu’on peut repérer pratiquement tout de suite. Mais ce qu’on ne repère pas, c’est l’ordre et le désordre dans lequel viennent ces événements : on les reconnaît, mais on ne sait pas quand est-ce qu’ils vont venir ; on les reconnaît après coup. Et ce qui m’intéresse, c’est justement d’avoir à la fois cet effet de surprise et de reconnaissance : on a une variation sur quelque chose de global, et en même temps, c’est très caractérisé au moment même où on l’entend [Boulez in Goldman, 2001, p. 117]\n\nDans cette section (VI, mesures 54-163) — qui constitue, à bien des égards, le cœur de l’ensemble de l’œuvre — il y a une sorte de dialogue entre quatre objets musicaux clairement définis (marqués a, b, c et d dans la Figure 22). \n\n![image:d6965761-512c-4a8f-a68a-a4b45b564817][fig22-ggg.png]\n\n\n**Figure 22. Quatre thèmes d’*Anthèmes 2*, section VI.2 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:d74ccaa2-e036-426d-b54e-bfad597b99e7][boulez_anthems2_media6a.mp3]\n\n**Média 6a. Hae-Sun Kang (violon) sans électronique [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:a12b8981-af1c-441a-81ab-21493eedcb42][boulez_anthems2_media6b.mp3]\n\n**Média 6b. Hae-Sun Kang (violon) avec électronique [© Arch. Ircam].**\n\nCes quatre motifs sont aisément identifiables par leurs caractéristiques propres, soit la figure de ricochet en jeu double-corde marquée « calme, retenu » de l’élément *a* ; l’« agité, pizz. » de l’élément *b* ; le violent coup d’archet marqué « brusque » de l’élément *c* ; et enfin l’accord brisé en pizzicati, mettant l’accent sur la note _ré_ et marqué « calme, retenu, pizz. » de l’élément *d*. Chacun de ces éléments, ou thèmes, ont une « enveloppe » — pour utiliser un terme prisé par Boulez — qui lui est propre : tous ont un style de jeu, un phrasé, une articulation et des nuances, etc., qui lui sont caractéristiques, au-delà du contenu brut en hauteur et en durée. Bien que ces thèmes n’apparaissent jamais deux fois dans des formes identiques, il est impossible de les confondre entre eux. \n\nQuoique ces thèmes soient reconnaissables, Boulez accorde néanmoins beaucoup d’importance à cet élément de surprise susmentionné, attribué ici à l’ordre dans lequel les thèmes apparaissent. En effet, l’ordre de leur apparition fut conçu pour souligner cette imprévisibilité (un thème *b* peut être suivi par un *a*, un *c* par un *d*) qui est, selon Boulez, complètement intentionnelle. Les quatre thèmes apparaissent donc dans l’ordre (ou plutôt dans le désordre) illustré à la Figure 23.\n\n![image:b1bd46b6-41b9-4e9d-b22f-e17d301cf62f][fig23.png]\n\n**Figure 23. Ordre des quatre thèmes d’*Anthèmes 2*, section VI.2.**\n\nL’électronique utilisée dans la section VI.2 sert à caractériser de plus belle chacun des quatre thèmes. Pour le thème *a*, soit le segment en coup d’archet ricochet, le décalage de fréquence est utilisé pour élargir le registre du violon vers le grave. Pour le thème *b*, deux types de traitement électronique sont utilisés : le premier fait usage à la fois de l’harmonisateur et du délai afin de complexifier l’aspect rythmique du segment tout en élargissant le registre par la transposition vers le grave ; le second crée un contraste avec le caractère « agité » de l’écriture instrumentale par l’utilisation d’accords construits à partir d’échantillons du violon avec sourdine peigne, pour ensuite les prolonger avec la réverbération infinie. Pour le troisième thème *c*, marqué « brusque », au lieu de souligner la puissance du geste violonistique par la spatialisation (comme à la section IV), ici Boulez accomplit ceci par le déclenchement de séquences rapides et agressives faites d’échantillons du *arco* et des pizzicati du violon. Enfin, les doux accords en arpèges pizzicati du quatrième thème *d* utilisent deux modulateurs en anneaux, tout comme dans le traitement des harmoniques des transitions en « lettres ». Ces modulateurs en anneaux injectent un spectre harmonique complexe dans un filtre en peigne, lui-même réglé à une fréquence de réjection grave, produisant ainsi un riche spectre inharmonique. Ici, le résultat obtenu est un tant soit peu différent de celui des lettres puisque les accords lentement arpégés ajoutent un aspect percussif à la résonance créée par les filtres en peigne. De plus, une série d’accords construite à partir d’échantillons d’onde sinusoïdale couvrent partiellement les accords brisés du violon. \n \n**Section VI.3**\n\nCette section finale de l’œuvre est caractérisée par deux idées musicales qui convergent toutes deux progressivement vers le _ré_ central avec lequel la pièce débute et se conclut [Figure 24]. \n\n![image:8a7b910b-c003-4526-ba31-811844f7d27b][fig24.jpg]\n\n**Figure 24. *Anthèmes 2*, section VI, mesures 164–170 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:8bb53c04-bb52-4286-88ad-acdb36aa51c3][boulez_anthems2_media7a.mp3]\n\n**Média 7a. Hae-Sun Kang (violon) sans électronique [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:cede3403-8809-4bcf-86b2-6c9156d49600][boulez_anthems2_media7b.mp3]\n\n**Média 7b. Hae-Sun Kang (violon) avec électronique [© Arch. Ircam].**\n\nLa régularité rythmique du style de jeu *moto perpetuo* de la partie de violon, faite de triples croches presque ininterrompues, crée une impression étrangement statique qui contraste avec l’écriture en soubresauts des sections précédentes. À mesure que cette section se déploie, le motif musical converge lentement mais sûrement vers le _ré_ central. La partie électronique crée une sorte de nuage spectral dense qui voile partiellement le solo au violon. De manière générale, ces « nuages » sonores sont créés par la réinjection d’échantillons du violon (qui ne sont pas entendus *in situ*) dans un module de réverbération infinie. Deux couches de ces « nuages » sont créées puis superposées. Le matériau musical pour chacune de ces deux couches se base sur une hauteur principale et sur un ensemble de hauteurs auxiliaires construites autour d’elle. La première couche est créée à partir de notes choisies au hasard parmi celles de l’ensemble de notes auxiliaires, pour ensuite les injecter en rafale dans le module de réverbération infinie. La deuxième couche est créée en injectant à répétition la hauteur principale dans un second module de réverbération infinie. Au début de cette section, les hauteurs principales suivent les hauteurs centrales jouées par le violon. Puis, à mesure que progresse la section, la taille de l’ensemble des hauteurs diminue et la hauteur principale converge lentement vers le _ré_ naturel. Lorsque la partie de violon et les « nuages » ont tous deux convergé vers ce _ré_ \u003Csub>5\u003C/sub>, les « nuages » sont abruptement coupés par un bref geste *col legno battuto* (rappelant l’introduction de l’œuvre, marquée « Libre ») [Figure 25]. \n \n![image:2642dff2-a50b-4393-89f0-bc407b749eda][fig25.png]\n\n**Figure 25. Fin d’*Anthèmes 2* [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:b04a106c-3d4b-490c-b7b6-3bbc56d9356e][boulez_anthems2_media8.mp3]\n\n**Média 8. Hae-Sun Kang (violon) avec électronique [© Arch. Ircam].**\n\nCe geste sec du bois de l’archet sur les cordes met un terme au traitement électronique et à l’œuvre dans son ensemble. Boulez a conçu ce final avec humour, comme si la violoniste disait, par ce *col legno battuto*, « maintenant, ça suffit, au revoir » [Boulez in Goldman, 2001, p.118].\n\n### Version pour alto\n\nTout comme le *Dialogue de l’ombre double* (1985, qui fut adapté pour saxophone alto (2001) et [*Messagesquisse*](https://brahms.ircam.fr/work/messagesquisse) (1976), arrangé pour [ensemble d’altos](https://brahms.ircam.fr/work/messagesquisse-2000-01-01) (2000), *Anthèmes 2* fut, à la demande de l’altiste Odile Auboin de l’Ensemble Intercontemporain, [adapté pour alto](https://brahms.ircam.fr/work/anthemes-2-1). Préparée par Auboin en 2008, cette version fut autorisée par Boulez et publiée par Universal Edition [Score UE, 2008]. La création eut lieu le 30 juin 2021 à Paris à la Cité de la musique par Auboin, avec l’électronique par Augustin Muller. Le traitement électronique a demandé quelques ajustements pour s’adapter à la fois au registre plus grave de l’alto, ainsi qu’à son timbre et ses caractéristiques de jeu. \n\nPuisque certaines sections de l’œuvre utilisent le *Score Follower*, il fut nécessaire de transposer la fréquence de référence de l’analyse audio dans la version pour alto. Étant donné que le traitement de l’harmonisateur touche justement les transpositions, ces patchs n’ont pas dû être modifiés. Cependant, pour ce qui est du traitement par décalage de fréquence, une correction de 2/3 dut être appliquée à la sortie du patch. Quelques ajustements furent également appliqués à la partition de l’interprète, principalement pour tout ce qui a trait au tempo de certaines séquences, en particulier celles jouées pizzicato (voir sections II et VI.3), afin d’accommoder l’altiste pour qui ce type de manœuvres demande plus de temps que sur un violon. De plus, afin de prendre en considération les diverses caractéristiques physiques des cordes de l’alto comparativement à celles du violon, un ensemble d’échantillons — surtout faits à partir de notes pizzicati — fut créé pour correspondre au timbre et aux caractéristiques de jeu de l’alto. Tous ces changements à la partie électronique furent effectués par Augustin Muller qui, depuis 2017, prend en charge toutes les œuvres de Boulez produites à l’Ircam lorsqu’elles sont jouées. \n\nBoulez avait aussi pour projet de développer *Anthèmes 2* en une nouvelle pièce pour violon et orchestre de chambre pour la violoniste Anne-Sophie Mutter. *Anthèmes 3*, comme elle aurait été intitulée, avait été planifiée pour un concert célébrant le quatre-vingt-dixième anniversaire de Paul Sacher le 28 avril 2006 à Basel, mais, quoique mentionnée dans les correspondances de Boulez, elle ne semble jamais avoir dépassé ces étapes préliminaires. \n \n### Conclusion\n\nAujourd’hui, *Anthèmes 2* fait partie des classiques de l’électroacoustique. Son traitement électronique parvient à transmettre tant le fantasmagorique que la sobriété profonde, en accord avec la solennité évoquée par l’allusion du titre aux hymnes. Les tensions qui sous-tendent *Anthèmes 2* se basent sur une dramaturgie créée à partir d’oppositions marquées. Par son attachement à l’écriture, tant instrumentale qu’électronique, elle regroupe plusieurs aspects fondamentaux de l’esthétique musicale de Boulez. Mais, surtout, elle fut conçue pour permettre à l’interprète de jouir d’un haut niveau de flexibilité, d’adapter son jeu aux propriétés acoustiques de l’espace de concert et de marquer des pauses ou de faire des entrées abruptes à sa guise. Après tout, en faisant du développement de l’électronique en temps réel l'une des missions premières de l’Ircam, Boulez était motivé par un désir de libérer l’interprète de l’obligation de suivre servilement le déroulement inexorable de la partie électronique sur bande, ce qui était la manière standard de combiner les instruments et l’électronique depuis les premiers jours de la [*Musica su due dimensioni*](https://brahms.ircam.fr/work/musica-su-due-dimensioni) (1952) de [Bruno Maderna](https://brahms.ircam.fr/composer/bruno-maderna/biography). Tant la grandeur de l’œuvre que sa flexibilité transparaissent, devenant de manière inattendue — avec un clin d’œil à Mahler — un nouveau « chant de la terre ». Vue dans son ensemble, *Anthèmes 2* peut être comprise comme contenant, à l’échelle du microcosme, plusieurs des grandes préoccupations de Boulez : découvrir comment conjuguer l’écriture traditionnelle et le son électronique, tout en explorant la manière dont l’électronique puisse être traduite par la notation musicale ; créer des états d’écoute ambiguë, où la perception est à la fois concentrée et diffuse ; faire proliférer le matériau musical de manière quasi infinie, que ce soit par le saut quantique d’*Anthèmes 1* à *Anthèmes 2* ou de [*Incises*](https://brahms.ircam.fr/work/incises) à [*Sur Incises*](https://brahms.ircam.fr/work/sur-incises) ; et aborder la texture musicale de manière visuelle ou même sculpturale dans une réflexion inspirée du Bauhaus sur la ligne, la structure, le volume et la forme.\n\n#### Resources\n\nCertaines sections de cette analyse s'appuient sur des publications antérieures du co-auteur, Jonathan Goldman, et les complètent, en particulier [Goldman, 2001; 2009; 2011]. \n \n### Textes\n\n[Boulez, 1976] – Pierre Boulez, *Conversations with Célestin Deliège*, London : Eulenburg, 1976.\n \n[Boulez, 1995] – Pierre Boulez, “Interview with Stephen Plaistow”, dans les notes d’accompagnement du disque compact *Boulez at 70*, Deutsche Gramophon, GPL01, 1995. \n \n[Boulez, 1989/2008] – Pierre Boulez, *Le pays fertile. Paul Klee*, Paule Thévenin (éd.), Paris : Gallimard 1989/2008. \n \n[Boulez, 2005] – Pierre Boulez, *Leçons de musique. Points de repère III*, Jean-Jacques Nattiez (éd.), Paris, Bourgois, 2005\n \n[Boulez, 2025] – *Pierre Boulez. Catalogue des œuvres*, Éditions de la Philharmonie de Paris, 2025, dir. Alain Galliari and Robert Piencikowski, Paris : Éditions de la Philharmonie, 2025. \n \n[Boulez *et al.*, 2009] – Pierre Boulez, Yves Bonnefoy and Carol Bernier. *Quêtes d’absolus*, Jean-Jacques Nattiez et Jonathan Goldman (éd.), Montréal, Simon Blais, 2009. \n \n[Carpentier *et al.*, 2015] – Thibaut Carpentier, Markus Noisternig et Olivier Warusfel, “Twenty Years of Ircam Spat: Looking Back, Looking Forward”, 41st International Computer Music Conference (ICMC), Denton (É.-U.), Sept. 2015, p.270-277. \n \n[Dal Molin, 2007] – Paolo Dal Molin, *Introduction à la famille d’œuvres …explosante-fixe… de Pierre Boulez : Étude philologique*, thèse de doctorat en Arts/Musicologie, Université de Nice Sophia Antipolis, 2007. \n \n[Goldman, 2001] – Jonathan Goldman, *Understanding Pierre Boulez’s Anthèmes: ‘Creating a Labyrinth out of Another Labyrinth’*, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2001. \n \n[Goldman, 2009] – Jonathan Goldman, ‘Passage d’*Anthèmes 1* à *Anthèmes 2*’, in *Quêtes d’absolus*, éd. Jean-Jacques Nattiez, Montréal: Éditions Simon Blais, 2009, p. 34-39. \n \n[Goldman, 2011] – Jonathan Goldman, *The Musical Language of Pierre Boulez: Writings and Compositions*, Cambridge, Cambridge University Press, 2011. \n \n[Jot and Warusfel, 1995] – Jean-Marc Jot et Olivier Warusfel, “A Real-Time Spatial Sound Processor for Music and Virtual Reality Applications”, *International Computer Music Conference (ICMC)*, Banff (Alberta, Canada), Sept. 1995, p. 294-295. \n \n[Klee, 1953] – Paul Klee, *Pedagogical Sketches*, Sibyl Moholy-Nagy (éd. et traduction.), New York, Frederick A. Praeger, 1953. \n \n[MacKay, 2009] – John MacKay, “Analytical Diptych: Boulez *Anthèmes*/Berio *Sequenza XI*”, *Ex Tempore*, vol.14 n\u003Csup>o\u003C/sup>2, 2009, p.111-141. \n \n[Røsnes, 2023] – Irine Røsnes, “The Violining Body in *Anthèmes II* by Pierre Boulez”, in Linda O Keeffe et Isabel Nogueira (eds.), *The Body in Sound, Music and Performance: Studies in Audio and Sonic Arts*, Abingdon : Routledge, p.214-227, 2023. \n \n[Taher, 2016] – Cecilia Taher, “Motivic similarity and form in Boulez’s *Anthèmes*”, thèse de doctorat, Université McGill, 2016. \n \n[Taher *et al.*, 2018] – Cecilia Taher, Robert Hasegawa et Stephen McAdams, “Effects of Musical Context on the Recognition of Musical Motives during Listening”, *Music Perception: An Interdisciplinary Journal*, vol.36 n\u003Csup>o\u003C/sup>1, p.77-97. \n \n[Van der Wee *et al.*, 2016] – Laurens Van der Wee, Roel van Doorn et Jos Zwaanenburg, “Reconstructing *Anthèmes 2*: Addressing the performability of live-electronic music”, *International Computer Music Conference (ICMC)*, Utrecht (Netherlands), Sept. 2016, p.466-470. \n \n#### Archives \n \nLes informations qui suivent proviennent de [Boulez, 2025]. Utilisé avec permission. \n \n- Bibliothèque nationale de France, fonds Pierre Boulez (BnF/PB) \nÀ propos d’*Anthèmes 1*: Partition de Universal Edition, annotée par Pierre Boulez (GR FOL-VM FONDS 148 BLZ-160) ; épreuves corrigées de la transcription pour alto (VM FONDS 148 BLZ-9(39)) \n \n- Paul Sacher Stiftung, Pierre Boulez Sammlung (PSS/PB): \n \nÀ propos d’*Anthèmes 1* : a) esquisses ; b) brouillon ; c) photocopie annotée de la version originale recopiée au propre ; d) copie manuscrite de la version initiale ; e) épreuves corrigées de la version initiale ; f) épreuves corrigées de la version de 1992 ; g) photocopie de l’édition de 1992, annotée en vue d’*Anthèmes 2* (Mappe J, dossier 5a)\n \nÀ propos d’*Anthèmes 2* : esquisses et brouillons ; b) version recopiée au propre, copie manuscrite ; c) épreuves corrigées (Mappe J, dossier 5b)\n \n#### Partitions\n \n[Score UE, 1992] – Pierre Boulez, *Anthèmes*, Vienne, Universal Edition, UE 19992, 1992. \n \n[Score UE, 1997a] – Pierre Boulez, *Anthèmes 2*, Vienne, Universal Edition, UE 31160, 1997. \n \n[Score UE, 1997b] – Pierre Boulez, *Anthèmes 2* – Instructions d’exécution, Vienne, Universal Edition, UE 31160b, 1997.\n \n[Score UE, 2008] – Pierre Boulez, *Anthèmes 2* (alto), Vienne, Universal Edition, UE 34342, 2008). \n \n#### Enregistrements audio\n \n***Anthèmes 1***\n \n[AR CD Atma, 1996] – Julie-Anne Derome, *Solo* \n \nAnne Derome (vln) \n \nAtma A+CD 2 2117 [CD], 1996. \n \n***Anthèmes 2***\n \n[AR CD Accentus Music, 2016] – *Bach, Bartók, Boulez*\n \nMichael Barenboim (vln), Andrew Gerzso (RIM) \n \nAccentus Music ACC30405 [CD], 2016 \n \n[AR CD Col Legno, 1998] – *Donaueschinger Musiktage 1997 *\n \nHae Sun Kang (vln), Andrew Gerzso (RIM) \n \nCol Legno WWE [3 CD] 20026, 1998. \n \n[AR CD Deutsche Grammophon, 2000] – *Pierre Boulez : Sur Incises, Messagesquisse, Anthèmes 2* \n \nHae Sun Kang (vln), Andrew Gerzso (RIM) \n \nDeutsche Grammophon DG 463 475-2 [CD], 2000. \n \n[AR CD Deutsche Grammophon, 2017] – *Hommage à Boulez*\n \nMichael Barenboim (vln), Andrew Gerzso (RIM) \n \nDeutsche Grammophon DG 4797160 [2 CD], 2017. \n \n[AR CD Les Belles Écouteuses, 2015] – *Stravinsky-Boulez*\n \nDiégo Tosi (vln), David Poissonnier (RIM) \n \nLes Belles Écouteuses LBE 10 [CD], 2015. \n \n[AR CD Simon Blais, 2009] – Disque compact d’accompagnement pour *Quêtes d’absolus*, Jean-Jacques Nattiez éd., Montréal : Éditions Simon Blais, 2009. \n \nJean-Marie Conquer (vln), Gilbert Nouno (RIM) \n \n**Pour citer cet article :** \n \nJonathan Goldman et Andrew Gerzso, « Pierre Boulez – *Anthèmes 2* », *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2025. URL : https://brahms.ircam.fr/analyses/Anthems2/.\n\n_Texte traduit de l'anglais par Emanuelle Majeau-Bettez_.","### Introduction \n\n#### A brief history\n\nPremiered on 19 October 1997 in Donaueschingen by violinist Hae Sun Kang with electronics produced by Andrew Gerzso at Ircam (where the French premiere was performed two days later), [*Anthèmes 2*](https://ressources.ircam.fr/work/anthemes-2), as is often the case with [composer:e9985cf2-64e4-4e47-aba3-ee6167cbfae0][Pierre Boulez], developed out of an earlier work whose ramifications the composer wished to further explore. [*Anthèmes 1*](https://ressources.ircam.fr/work/anthemes) is a short violin piece first composed in 1991 (then revised in 1992 and 1994) for the ninetieth birthday of Alfred Schlee, longstanding director of Boulez’s music publishing company, Universal Edition, and then revived the following year as a qualifying piece for the Yehudi Menuhin Violin Competition in Paris. The work comprises some nine minutes of music, which Boulez set about expanding into *Anthèmes 2*, a work expanded not only in terms of duration (it lasts more than twenty minutes) but especially through its new sonic breadth, achieved through technological means. Like [*Rituel*](https://brahms.ircam.fr/work/rituel-in-memoriam-bruno-maderna) and [*Mémoriale*](https://brahms.ircam.fr/work/memoriale), *Anthèmes 1* and *2* belong to the [*...explosante-fixe...*](https://brahms.ircam.fr/work/...explosante-fixe...) family of works, being derived from a seven-note fragment of the violin part of one of the several successive versions of *...explosante-fixe...*, originally an open-ended compositional schema composed to mark the death of [Igor Stravinsky](https://brahms.ircam.fr/igor-stravinsky) and included in a tribute dossier published by *Tempo* magazine (UK) in 1971. In keeping with the requirements of a competition piece, *Anthèmes 1* features a panoply of violinistic techniques, from the most classical to so-called extended techniques. Both *Anthèmes* revolve around the polar note D, a note that can be played in a variety of ways on the violin (as open string, artificial or natural harmonic, in varied voicings, etc.). The number seven plays a decisive role in the structure of *Anthèmes* (an artefact of the seven-note fragment of *…explosante-fixe…* from which it proliferated), which is notably reflected in the abundance of groups of seven notes (septuplets) and its form that follows an introduction with six sections. The work also testifies to Boulez’s renewed interest in thematic writing, the presence of recognizable musical figures being already suggested by the title, “anthèmes”, recalling by homophony the expression “*en thème*”, i.e., “in themes”. As Boulez explained in a public lecture at the French premiere of *Anthèmes 2*, on 21 October, 1997 at Ircam: \n\n>In my youth, I thought that music could be athematic, completely devoid of themes. In the end, however, I am now convinced that music must be based on recognizable musical objects. These are not ‘themes’ in the classical sense, but rather entities which, even though they constantly change their form, have certain characteristics which are so identifiable that they cannot be confused with any other entity. [Boulez in Goldman, 2001, p. 117]\n\nThe title word is also a neologism derived from the English “anthem”, thereby evoking the character of a hymn, that solemn idiom with a linear form, and indeed the overall character of *Anthèmes* is one of solemnity, but the peaceful ambiance is interrupted several times by fairly violent and sputtering eruptions. \n\n#### Thematics and form \n\nAs already mentioned, the *Anthèmes* pieces proliferated from a short fragment of *…explosante-fixe…*, specifically the violin part of the version of the work from 1973, for solo flute, small ensemble and electronics. The opening of the violin part of the [*Originel*](https://brahms.ircam.fr/work/originel) movement of that work (played as the final movement of the work), features seven trilled notes that have the same pitches as the seven trills that begin Section I of *Anthèmes 1* (in *Anthèmes 2*, this passage is extended to more than seven notes, the artefact from *…explosante-fixe…* is therefore even more obscured there). If one considers that the Introduction of *Anthèmes* (see form below) was seemingly composed at the end of the compositional process (since it appears at the end of *Anthèmes 1*’s manuscript [Boulez *et al.*, 2009]), the openings of the two pieces/movements correspond strikingly [Figure 1]. \n\n![image:6718263d-8285-46a9-addb-bb93c454d303][fig1.jpg]\n\n\n**Figure 1. Top: *…explosante-fixe…* (1973 version), *Originel* movement, violin part, b.1. Bottom: *Anthèmes 1*, section I, b.1-4 with 7 common notes circled [Score UE, 1992].**\n\nOne observes that the D, polar note of *Anthèmes*, is also the middle note of the seven-note series. This genesis is significant and has consequences for Boulez’s subsequent invention, even if the composer himself considered the starting points of works to be of little importance. Speaking at the French premiere of *Anthèmes 2* in 1997, he said : \n\n>This piece is, as is often the case with me, a reflection on something I’d already written, which wasn’t finished - which is a tiny nucleus of *...explosante-fixe...* You showed it to me earlier, because I didn’t have the example to hand. But it’s exactly seven notes to start with, no more. So, I find that starting points are never very important. What’s important is the whole trajectory. And that trajectory, as you say, is between seven notes that last maybe five seconds, and a piece that lasts twenty minutes, so a lot of invention is still required. [Boulez in Goldman, 2001, p. 117-118] \n\nThe themes alluded to in the title refer to musical figures that undergo constant variation while nevertheless retaining their identifying characteristics (phrasing, tempo, rhythmic character, expression, playing technique, intensity, *etc.*), rendering them easily recognizable at each return. Each theme is imbued with its own straightforward performance instruction (for example, “*calme*, *retenu*” marked above a lazy and oft-repeated arpeggiated pizzicato chord, \"*brusque*\" above an impertinent rapid flourish, and “*calme*, *régulier*” inscribed over a languorous glissando that slides down the string). Each of its six relatively autonomous sections is separated by a characteristic figure: one or more long notes in harmonics, sometimes ending in a glissando that rises to indeterminate heights, constituting an aural signature which can be mistaken for no other sound in the rest of the piece; they are classic examples of what Boulez calls “signals”. Boulez associated these signals with the Hebrew letters that divided the Latin text of the Book of Lamentations, traditionally ascribed to Jeremiah, which he had recited in church during the Holy Week ceremonies of his childhood in the small town of Montbrison in France’s Loire Valley. Because of this reference to the Hebrew letters in the printed text of the Book of Lamentations, these signals are sometimes referred to as ‘letters’ in what follows (see §3.2). The six sections (or verses) of *Anthèmes 2* are assigned roman numerals (I to VI), and the letters are indicated by the letter H (standing for harmonics) and their placement between verses indicated with roman numerals (H I, H I/II etc.). The long final sixth section is further divided into three subsections: the first one (VI.1) is thematically continuous with the rest of the piece; the middle section (VI.2) is autonomous, involving a play of recognition and surprise between four recognizable ‘characters’, and the third part (VI.3) is a conclusive coda in which the central note D is affirmed throughout. The chart in Figure 2 outlines the basic form of the different sections, including the bar numbers and the types of processing featured. \n\n![image:4e532f56-f94b-4b0b-a32d-c888866ad752][Fig2-nouv.png]\n\n\n**Figure 2. Sections of *Anthèmes 1*.**\n\nThough it might seem straightforwardly linear, the form of *Anthèmes 2* is actually strikingly original: after its short introduction, five short sections are followed by a final one longer in duration than *all* that preceded it. While Boulez would sometimes write works with long final sections (for example, in *Rituel*), *Anthèmes* remains an extreme example of an end-loaded form. An analogous form is used in [Gustav Mahler](https://brahms.ircam.fr/fr/composer/gustav-mahler/biography)’s *Das Lied von der Erde*, Mahler’s lyric symphony having five movements followed by a sixth whose duration is as long as the first five put together. Mahler’s *Song of the Earth* was published, in 1912, by Universal Edition, who would become Boulez’s own publisher, and *Anthèmes 1* was dedicated “*en souvenir amical*” to Alfred Schlee (1901-1999), the venerable director of Universal, on the occasion of his 90\u003Csup>th\u003C/sup> birthday. In this way, the form of *Anthèmes* might be considered a secret tribute to another illustrious Universal composer. This claim, while unverified, becomes less farfetched when one considers that Mahler’s *Song of the Earth* was, along with the Fourth Symphony, one of the two works by Mahler that Boulez had heard in concert in his youth [Boulez, 1995]. \n\nCompared to the earlier solo violin piece, *Anthèmes 2* is much more ample, but *Anthèmes 2* largely respects the proportions of the sections of its predecessor, each section being ‘stretched’ a comparable amount [Figure 3]. \n\n![image:75864b14-6e97-432e-8544-3efbca1d6688][fig3.jpg]\n \n\n**Figure 3. Comparison of relative durations of sections in *Anthèmes 1* and *2* expressed as a proportion of the total duration (section durations include the durations of the ‘letters’ that follow them). Recordings used: *Anthèmes 1* by Julie-Anne Derome [AR CD Atma, 1996] and *Anthèmes 2* by Hae-Sun Kang [AR CD Deutsche Grammophon, 2000].**\n\n \n\n### Technological setup \n\n#### Score following \n\nAround the time that *Anthèmes 2* was being developed, researchers at IRCAM was trying to develop an audio-based technology for score following, that would trigger computer commands for audio processing (or patches) after comparing the sounds actually played by the violin against the score. However, the result was not dependable enough to be usable in performance when *Anthèmes 2* was premiered and even in subsequent performances in the years that followed. Instead, audio commands were triggered manually in performance by the audio engineer who carefully followed along with the score in performance. Only in recent years has a new score-following computer application been used in performances of *Anthèmes 2*. Nevertheless, the fact remains that, like all of Boulez’s works produced at Ircam, *Anthèmes 2* was conceived not only as a work of art, but also as the opportunity for the institute’s team to develop new technologies in the field of person-machine interface. \n\n\n#### Spatialization \n\n*Anthèmes 2* can be performed in two configurations: in a “normal” concert hall with frontal stage or by placing the violin in the center of the performance space with the public surrounding the performer [Figure 4]. Boulez preferred the second configuration both for theatrical reasons but also because the work was frequently performed with [*Répons*](https://ressources.ircam.fr/work/repons-1) where the chamber orchestra was placed on a central stage in the performance space. \n\n![image:b63da3d0-313c-488d-aa56-738297a8e6b7][fig4.jpg]\n\n\n**Figure 4. The two stage configurations for the performance of *Anthèmes 2* [© Score UE, 1997b].**\n\n \n\nPierre Boulez always used spatialization as a means to clarify the musical text. This is a specific example of a more general principle present in Boulez’s approach to composition in the latter part of his career where one type of musical writing is used to describe, accentuate or highlight the structure of another musical type of musical writing. *Anthèmes 2* was the last work Boulez composed for electronics and as such it inherits many ideas related to spatialization already present in *Répons*, [*Dialogue de l’Ombre Double*](https://brahms.ircam.fr/work/lieder-eines-fahrenden-gesellen) and *…explosante-fixe…*, and even harks back to Boulez’s early effort to combine orchestral and electronic sound, in [*Poésie pour pouvoir*](https://brahms.ircam.fr/work/poesie-pour-pouvoir) from 1958. Spatialization was also a major compositional parameter in many of Boulez’s works that do not use electronics, such as [*Figures, doubles, prismes*](https://brahms.ircam.fr/work/figures-doubles-prismes) (1963) and [*Domaines*](https://brahms.ircam.fr/work/domaines) (1970). There is one important difference, however, between the approach to spatialization in *Anthèmes 2* and the other works. In the works preceding *Anthèmes 2*, there was a direct relation between the physical position of a speaker and the perceived direction of the sound source. *Anthèmes 2* was the first work to take advantage of the Spat software, a spatialization technology developed at Ircam in the 1990s which opened the way to virtual room acoustics and virtual sound sources [Jot and Warusfel, 1995; Carpentier *et al.*, 2015]. Thus, the direct relationship between speaker position and the perception of a sound source was broken. As a result, the spatialization directives in *Anthèmes 2* describe the desired perceptual position of sound sources, independently of the number of speakers (four, six or eight) used during a performance. \n\nSpatialization in *Anthèmes 2* gives rise to a novel notational system. A few examples of these spatialization instructions found in the score of *Anthèmes 2* are provided in Figure 5. They instruct the programmer to, variously, “choose a path at random going up the left side or the right side of the hall”, “starting at the back-left position sweep through the front position to the back-right position then back to the starting point in 16 secs”, “make a clockwise rotation in 18 secs”, “starting at the front of the hall make a clockwise rotation in 18 secs”, and “choose at random a rotation in either a clockwise or anti-clockwise direction that takes 500 msec”. \n\n![image:ddb7daef-6c9a-4949-a8fa-2a5651b5027b][fig5.jpg]\n\n\n**Figure 5. Various spatialization instructions found in score of *Anthèmes 2* [© Score UE, 1997a].**\n\nAnd yet, spatialization in *Anthèmes 2* is always used in the service of the dramaturgy of the work rather than as some abstract compositional excursion into the “spatial parameter”. The violinist on stage is the focal point of all the spatial operations in the work: because of this physical presence, the electronic sounds are perceived as being *either* with the violinist *or* in opposition to her, *either* in a fixed position relative to the violin *or* moving around it, *etc.* This spatial game of hide-and-seek is more fundamental to the work than ensuring that any exact spatial placement within Cartesian space is observed. \n\n#### Role of electronics \n\nThe electronic processing, developed at Ircam, performs real-time electronic transformations of the sound of the violin captured using a microphone, and sends this processed sound through a system of loudspeakers arranged around the room. A consequence of real-time electronics is that specific gestures and playing style of the violinist during a particular performance have a direct impact on the sound of the electronics. Boulez consciously chooses to restrict the role of electronics in this work to that of augmenting the sound of the violin, turning it into what he called a “hyper-instrument”. If the voice of the violin in this hymn is likened to that of an officiant, the multiple voices of the electronic score of *Anthèmes 2* could be likened to that of a choir. In fact, in only one brief section (VI.1), does Boulez exploit the interplay between violin and electronics in a kind of call-and-response between the violin and the electronics. For the most part, Boulez uses electronics to create a homophonic texture within which the violin’s voice emerges. \n\n*Anthèmes 2* uses two very common types of audio processing to thicken the violin’s main line: frequency shifting and harmonizer. To a note played by an instrument, a harmonizer adds a number of other notes located at a fixed interval from it. In this way, a monody becomes a sequence of chords in parallel motion. After prolonged listening to a sound processed with a harmonizer, a phenomenon of fusion tends to occur, whereby we hear a single homogeneous sound imbued with a new timbre rather than a sequence of chords. In contrast to the harmonizer, frequency shifter adds one or more other sounds to the note played, separated from it by a fixed frequency (*i.e.*, distinct by a certain number of hertz, not by a well-tempered interval). The resulting thickening of the line is less uniform than in the case of the harmonizer, since the logarithmic relationship between frequency and the notes of the scale means that the lower the note, the greater the gap between it and the sound emitted by the frequency translation. The opening of section I illustrates the difference, the first gesture (the grace-noted legato phrase) is augmented by four added notes via the harmonizer, while the ricochet-bowed septuplet is processed through frequence shifter whose output is sent around the hall [Figure 6]. \n\n![image:a82e68ab-14e7-4150-9c96-bded27eea77a][fig6.jpg]\n\n\n**Figure 6. *Anthèmes 2*, section I, b.1 [© Score UE, 1997a].**\n\nThis figure also reveals how the score of *Anthèmes 2* treats each of the electronic parts as individual “instruments” given its own stave in the score. This apparently trivial observation reveals a deeper truth about Boulez’s approach to electronics: the primacy of notated musical inscription, and, consequently, the pride of place this approach gives to processing that can be described in words or graphic symbols and thus which submit to a certain discursive logic. The notated electronics can also be seen as an attempt to transcend the ephemeral nature of computer equipment by describing processes through verbal formulas that could, in theory, suffice to convey his vision to musicians of the future. Clearly, this focus on notation precludes many electronic manipulations (ones less amenable to verbal or graphic representation), but what he loses on the one hand, he gains in transmission capacity. Moreover, Boulez’s approach to notating electronics (he adopts the same approach in other works with electronics, such as *Répons* and *…explosante-fixe…*) allows the person controlling the electronic part of the piece to interpret the music in the same way that an instrumentalist interprets a score. As Augustin Muller, who frequently performs the electronic part of *Anthèmes 2*, has observed, even though the electronic part is fully notated, he feels freer when performing the work than he does when performing other electronic works, the vast majority of which do not used a notated score, because he is at liberty to choose the precise sounds, colors, balance and spatial qualities of the sounds described in the notated score, much like a musician playing in a chamber ensemble. \n\nFurthermore, through the use of delays, the electronics provide rhythmic extensions to the musical text. The use of “infinite” reverberation offers the possibility of extending the violin sound indefinitely. The generation of virtuoso computer “virtual” scores using violin sound samples opens the way for musical writing that transgresses the normal capacities of the violin – extending its ambitus and allowing for leaps, combinations of notes and speeds not attainable on an unprocessed violin. More specifically, the electronics are used for the creation of vertical structures of varying size constructed around single notes played by the violin. Sound spatialization is used—as in the other works of Boulez involving electronics – for describing and articulating the musical text. \n\nBoulez’s approach to live electronics recalls the pedagogical sketches of Bauhaus artist Paul Klee, a parallel often made by the composer himself [Boulez, 1989; 2008]. Like Klee in many of his exercises, Boulez seeks to find ways to amplify a figure through thickening, extending, or otherwise altering its energy or flow [Figure 7]. \n\n![image:d6ee5c73-28ad-428a-83dd-57de659294d6][fig7.jpg]\n\n\n**Figure 7. Excerpt from Paul Klee, *Pedagogical Sketches* [Klee, 1953, p. 18-19].**\n\n \n\n### Analysis \n\n#### Introduction \n\nThis section “Libre” serves as kind of introduction to the work and contains several ideas found elsewhere in the composition. It affirms the importance of the number 7 and the polar note D, which appears in the form of a long trill – a favorite figure in Boulez (whose *locus classicus* is in *Répons*). The central D\u003Csub>4\u003C/sub> plays a predominant role: it is the main note of the trill towards which the initial phrase converges; the note from which the dyads are built downwards; the initial note of all the short sequences; the reference note for the downward frequency shifting; the note which remains at the end of the infinite reverberation layers. A brief gesture of the *col legno battuto* played on the D natural at the end of bar 3 marks the end of the Introduction by suddenly cutting off the lingering reverberation. This same gesture will appear again at the end of the piece, thus indicating that the piece starts and ends with this central D\u003Csub>4\u003C/sub>. This initial gesture also metaphorically evokes the different stages of a sound’s evolution from an acoustic point of view, that is, attack–resonance–decay (the appoggiatura being the attack phase, the trill the resonance, and the short double stops with D being the decay). [Figure 8]\n\n![image:0827704c-2758-42df-aa9c-83cd9eaf67c9][fig8.jpg]\n\n\n**Figure 8. *Anthèmes 2*, section “Libre”, b.1-3 [© Score UE, 1997a].** \n\n![audio:9e57885d-3873-45ea-b311-ae84f67fa0ff][boulez_anthems2_media1a.mp3]\n\n\n**Media 1a. Hae-Sun Kang (violin) without electronics [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:a1a74710-1401-4388-beaf-78365786c937][boulez_anthems2_media1b.mp3]\n\n\n**Media 1b. Hae-Sun Kang (violin) with electronics [© Arch. Ircam].**\n\nCertain general characteristics of the electronics can already be ascertained through this example. First of all, infinite reverberation serves to progressively create a static layer of sound. This works on two levels: 1) by taking the live sound of the violin during the first two bars of the introduction, followed by a slow fadeout starting at bar three; 2) by injecting a rapid sequence of violin samples (that are not heard directly) whose pitches are those found in the first bar. Thus, two layers of infinite reverb are created. Secondly, short sequences of violin samples intervene when the violin reaches the trill in bar one and also at each of the dyads in bar 2. In bar 3, a frequency shifter is used in order to transpose downwards the sound of the ricochet in order to enlarge the register of the instrument. \n\n#### Letter sections \n\nAs has already been explained, these letters function as signposts that mark the transition between sections (HI, HI/II, HII/III, etc.), like the Hebrew letters that separate out the verses of the Book of Lamentations. Speaking about his concept of signals, Boulez explained that “signals are used to mark the points of articulation of a development, of a form. A signal can be considered above all as a mnemonic tool” [Boulez, 2019, p. 253]. If *Anthèmes 2* can be viewed as alternating dynamic and static types of musical writing, the letters represent the static side of the pendulum. Several ideas are at work in all the “letter” sections [Figure 9]. \n\n![image:edae7e33-f699-4bf3-84c3-a32361d81cbb][fig9.jpg]\n\n**Figure 9. *Anthèmes 2*, first “letter” H/I [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:9047c475-0001-42b5-814f-7ded18cbe21a][boulez_anthems2_media2a.mp3]\n\n\n**Media 2a. Hae-Sun Kang (violin) without electronics [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:f3c2a2fc-f26b-4438-846e-4053b414266c][boulez_anthems2_media2b.mp3]\n\n\n**Media 2b. Hae-Sun Kang (violin) with electronics [© Arch. Ircam].**\n\nAs one would expect, the sound of both the acoustic violin and the electronic transformations are placed in spatial positions that remain completely stationary, as befits these static events that mark a pause between the dynamic verses. Two harmonizers are used to transpose the sound of the violin respectively 11 and 23 semitones lower in order to expand the overall register downwards. The sound of the violin is further transformed via the use of two ring modulators that inject a complex spectrum into a comb filter tuned to a low notch frequency thus providing a rich static inharmonic spectrum. Lastly, infinite reverberation is used to sustain the harmonics played by the violin. Again, concerning spatialization, the acoustic violin, ring modulators plus comb filter and infinite reverberation are placed in the front of the performance space while the harmonizers are placed along the sides. Each letter section comprises a number of these bell-like sounds. Figure 10 lists the pitches of these notes that begin and end on the central D of the work. \n\n![image:cbf60b30-cf05-4470-a50c-c38bde3d4f6f][fig10.png]\n\n\n**Figure 10. Pitches of harmonic note “letters” in *Anthèmes 2*.**\n\n \n#### Section I \n\nOverall, the writing for the violin in this section is characterized by a single expressive monodic line, adhering to the familiar Boulezian pattern of *appogiatura* (in this case, a seven-note run), followed by a sustained trill and ending with a number of short notes accented with grace notes. The electronics in this section serves to expand and articulate the violin part [Figure 11]. First, during all the expressive phrases, harmonizers are used to build chords downwards from the notes of the violin thus ‘thickening’ the instrumental melodic line in the sense of Klee’s pedagogical sketches. Then, dyads made from pizzicato violin samples are triggered each time the violin plays a trill. Thirdly, during each seven-note run, the effect is highlighted through the use of spatialization that projects the sound of the violin from the back of the hall to the front. Lastly, at the end of each run when the violin begins again its expressive melody, the first note of the line is “frozen” via the use of infinite reverberation thus heightening its impact and at the same time signaling the beginning of a new expressive phrase. \n\n ![image:e9a09f68-e0b3-4212-89df-0ec6ecb06d4a][fig11.jpg]\n\n**Figure 11. *Anthèmes 2*, section I, b.1-5 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:23e2c002-b5e2-4db5-a183-d479d3c81508][boulez_anthems2_media3a.mp3]\n\n\n**Media 3a. Hae-Sun Kang (violin) without electronics [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:f1de81c3-913b-4c7e-9f4f-e89ac89fe613][boulez_anthems2_media3b.mp3]\n\n\n**Media 3b. Hae-Sun Kang (violin) with electronics [© Arch. Ircam].**\n\n#### Section II \n\nThis section was inspired by the sculpture *Compression “Ricard”* (1962), a provocative work housed at the Centre Pompidou by the French artist known by his first name, César (1921-1998) [Figure 12]. \n\n![image:46323a07-1924-41bb-96ca-2809c1def643][fig12.jpg]\n\n**Figure 12. César, *Compression “Ricard”* (1962) [© Centre Pompidou].**\n\nIn it, César inserted various automobile parts of different colors into a hydraulic crushing machine, creating a tautly compressed block of multicolored metal. And indeed, section II is characterized by the musical equivalent of compression—in this case the absorption of multiple strands of a rhythmic canon into the single line of the violin. It has a ternary form (in *Anthèmes 2* : A=II.1–61, B=II.62–72 A’=II.73–118). The three sections of this form are thrown into relief through the use of electronics, the outer sections employing a frequency shifter patch, the central passage using the harmonizer. The double starting points for this canon are a sequence of sixteen pitches and one of as many durations [Figure 13]. \n\n![image:ad58ca94-4299-4259-ab67-09b005c9b18e][fig13.jpg]\n\n**Figure 13. Pitch and duration sequences in rhythmic canon of section II of *Anthèmes 2*.** \n\nThis sequence of pitches is performed in an unvarying loop, while the durations are twice transformed to form three distinct durational series. Each of the three distinct values of the durational series (I, II or III) is mapped onto another value to generate a new rhythmic series (for the first transformation, 3s are mapped onto 2s – *i.e.* a dotted eighth note becomes an eighth – 1s into 4s, 2s into 3s; in the second, 2s become 4s, 4 is mapped onto 3, and 3 onto 5) [Figure 14]. \n\n![image:534dc57c-2414-47a7-861d-3bce3682e02f][fig14.jpg]\n\n\n**Figure 14. Transformations of durations (measured in sixteenth notes) of three-voiced rhythmic canon in second section of *Anthèmes 2*.**\n\nEach value of the three rhythmic sequences are then assigned the pitches of the unvarying note sequence in order, which is then compressed, César-style, into a single line (redrafted, for the sake of clarity in Figure 15). In the fourth, resultant, line, only the attacks of the short pizzicato sounds are taken into account, and the fifth line indicates the adjustments made in the score. \n\n![image:0884cc0e-4fbb-4638-ba45-fbef6b7022f0][fig15.jpg]\n\n\n**Figure 15. Beginning of the three-voiced canon in second section of *Anthèmes 2* (pitches and rhythms only); divergences circled.**\n\nThis resultant line need only be compared with the second measure of section II onwards to see how the rhythmic canon, a favorite technique of Boulez’s – as it was also of his one-time professor, [Olivier Messiaen](https://brahms.ircam.fr/composer/olivier-messiaen/biography) – is given concrete expression [Figure 16], even if it deviates from the plan on a few occasions (for example, to avoid having the violinist play awkward double-stopped perfect fifths). \n\n![image:52a989b6-4b24-4a25-a52e-24e8f76df4c0][fig16.jpg]\n\n\n**Figure 16. *Anthèmes 2*, section II, b.1-6 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:47b84eeb-af5c-4c46-8835-de0e1a8c49f0][boulez_anthems2_media4a.mp3]\n\n\n**Media 4a. Hae-Sun Kang (violin) without electronics [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:601bcf76-808e-414b-9ee8-8fd5ae575942][boulez_anthems2_media4b.mp3]\n\n\n**Media 4b. Hae-Sun Kang (violin) with electronics [© Arch. Ircam].**\n\n \n\nThe electronic part of this section offers a spatial counterpart to the canonical writing of the instrumental score: as the theme of the rhythmic canon is sent at variable speeds to the surrounding speakers, the sound alternates between a linear and a circular path. Boulez likened the spatial conception of this section to a ‘counterpoint in space’ that contrasts or complements the counterpoint in time of the violin’s line, creating a sonic texture that differs depending on the listener’s position in the concert hall. Moreover, the sound of the violin is superimposed with altered versions of itself, sent through frequency shifters (in order to enlarge the lower register). Delay is used to create patterns based on the rhythmic values of the original series of notes [Figure 17]. \n\n![image:b987a8e4-f1ab-4750-8337-548e93ab8fe8][fig17.jpg]\n\n\n**Figure 17. A page from Andrew Gerzso’s sketches for the delay patterns used in the processing of section 2 of *Anthèmes 2*.**\n\n\n\nIn Figure 17, the attacks of the original rhythmic theme are translated into milliseconds, and the first delay sequence assigns the values of the first six attacks of the theme as their delay times. In nineteen successive passages (each of the rows of the figure), these delay values are gradually varied to correspond to other attacks of the theme, giving the impression of temporal expansion or contraction, the diagonal lines in Figure 17 illustrating the unequal total durations of each of the nineteen iterations. These compressed/expanded series of delays are superimposed over the violin part in order to extend the original idea but also to challenge the listener’s capacity to distinguish the violin and electronic parts. A further sonic layer is provided by what Gerzso termed the ‘cantus’ (the rightmost column in the sketch). These refer to three short rhythmic sequences generated from subsets of the violin’s rhythmic pattern that are sounded out by sampled pizzicato notes (the first cantus can be seen in the ‘Sampler’ stave in Figure 16). \n\n \n\n#### Section III\n\nIn addition to the use of real-time sound processing, Boulez displayed an abiding interest in the virtuosic potential of the computer to transgress the possibilities of human instrumental performance. Here the idea is pushed farther by deliberately placing the violin and the electronics in confrontation with each other. The character of the musical writing for the violin is jumpy and erratic, a character confirmed by Boulez’s marking at the fourth measure of the section “Nerveux, irrégulier” and instructing the violinist to play very abrupt dynamic levels as well as to lengthen the loud notes and shorten the shorter ones. Indeed, listening to Hae-Sun Kang and Andrew Gerzso’s authoritative 2000 recording of the work [AR CD Deutsche Grammophon, 2000], one is struck by the way Kang manages to imbue each note of this section with a distinctive dynamic level and duration. The electronic part is created through the use of real-time composition algorithms that generate musical material similar in character to that of the violin. These two layers are then superimposed [Figure 18]. \n\n![image:48bb70ee-952f-4976-94ad-ab0e010d9c1a][fig18.jpg]\n\n\n**Figure 18. *Anthèmes 2*, section III, b.1-9 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:f1dc6689-2f72-40ac-ad07-c9386c5f5501][boulez_anthems2_media5a.mp3]\n\n\n**Media 5a. Hae-Sun Kang (violin) without electronics [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:4e128a4d-3c99-40db-b114-a183dd7795fb][boulez_anthems2_media5b.mp3]\n\n\n**Media 5b. Hae-Sun Kang (violin) with electronics [© Arch. Ircam].**\n\nSpeaking about this section at the French premiere, Boulez emphasized the aleatoric environment that the electronics produced: \n\n>You also have a random environment, where the violin plays a certain number of figures that are very directed, and the machine takes the same notes practically but does [something else] as if you were moving something very quickly but in a random order: only the field is fixed, but the order is not. Whereas here, the field is fixed, but the order is also fixed. Here too, we can see an opposition—not coordination this time—between a gesture that is highly voluntary and gestures that are completely involuntary. [...] And there’s always a contrast between very loud sounds and very *piano* sounds. There’s a contrast in tempo, I wrote ‘extremely irregular’ on purpose: it has to be as if it were ataxic, so that you get the impression [that the violinist] is no longer in control of her movements. It’s a kind of ataxia, but achieved through numerical values. [Boulez, in Goldman, 2001, p. 130] \n\nAs a result, listeners are unable to discern if they are hearing the acoustic or the electronic violin, an ambiguous situation of uncertain perception that Boulez was particularly fond of creating. This section further demonstrates how electronics serve the thematic conception of *Anthèmes 2* by imbuing each theme with its own sonic signature. This characterizing function of electronics for the thematic identity of figures is also illustrated in Figure 17 by the way the phrase is composed of four separate themes (or cells might be more apposite given their brevity): a tremolo ponticello figure (1) , a 7-note *appogiatura* (2), a long-held trill (3) and finally a nervous jagged line (4). Each of these figures is rendered more sonically recognizable by being assigned its own distinctive electronic processing: ring modulation for (1), frequency shifter for (2), harmonizer for (3), and spatialized, reverberating samples for (4). \n\n#### Section IV \n\nThe fourth section consists of two outer parts marked “*instable*” (in *Anthèmes 2*, b.1-11, and b.25-39; in *Anthèmes 1*, b.67-71 and b.80-88) consisting of trilled notes, some played as double- and triple-stops, and a central phrase (b.72–79) predominantly written in thirty-second notes. The central section uses only nine distinct pitches at a fixed register. The outer A and A’ sections of this little ternary form have a particularly symmetrical pitch organization (see beginning of A section in Figure 19). \n\n![image:490063d5-3686-4ab8-9b06-1a173369d270][fig19.jpg]\n\n\n**Figure 19. *Anthèmes 2*, section IV, b.1-4 [© Score UE, 1997a].**\n\nIn *Anthèmes 1*, the A section consists of twelve attacks, and A’ has eighteen attacks. *Anthèmes 2* doubles the number of attacks. We look first at the pitch structure of the earlier violin solo. In A’, of the twelve trills, four triple-stops are marked *ff*, four double-stops are marked *mf*, and four single notes are marked *p*. The pitch symmetry appears once the top notes are grouped together according to their dynamic level [Figure 20].\n\n![image:d66fa322-e564-42b4-a2b6-8822b2ed667b][fig20.jpg]\n\n\n**Figure 20. Pitch organization of top notes of *Anthèmes 2*, section IV, grouped by dynamic level.**\n\nAs Figure 20 shows, the A section of *Anthèmes 1* features three four-note series that are all transpositions and/or retrogrades of each other, with a particularly symmetrical intervallic structure of 5–8–5 semitones. Similarly, the A’ section has three six-note series with series that have an equally symmetric intervallic structure 6–5–5–5–6 (in the last series, the last two tones, D and G#, are inverted). In the A of *Anthèmes 2*, a second sequence of twelve notes follows the first one that is identical to those in *Anthèmes 1*, but no longer follows the symmetrical plan. Similarly, in the A’ of *Anthèmes 2*, eighteen trills precede rather than follow the eighteen notes that appear in the earlier version, but again without the same symmetrical profile. \n\nIt might not be too farfetched to postulate that the symmetrical – indeed Webernian – pitch profile of Section IV, with series that are identical when read from right to left or left to right, may be a secret homage to the dedicatee of *Anthèmes 1*, Alfred Schlee, for whom the piece served as a ninetieth birthday gift on November 19, 1991. The dedication of *Anthèmes 1* reads “*à Alfred Schlee—en souvenir amical du 19.11.91*”, Boulez having chosen a palindromic way to notate that date (since 191191 reads the same way from right to left and from left to right). Perhaps the musical palindromes of this section are a nod in the direction of the symmetrical date of Schlee’s birthday (as well as to Anton Webern—another Universal composer). \n\nAs for the electronic conception of this section, instead of using spatialization to articulate the musical text in accordance with Boulez’s usual practice, here the spatialization is used to amplify or underscore the forceful gestures of the violinist. As a result, the sound of the acoustic violin (without transformations) is abruptly shifted from one spatial position to another around the audience, using a rhythmic pattern that imitates but is not synchronous with that of the violin part. This absence of precise synchronization builds musical tension. In the contrasting middle section, on the other hand, infinite reverberation shadows the main pitches of the violin. \n\nAs for the electronic processing in this section, it presents a situation in which the violin and the electronics express opposite affects. While the violin plays violent double- and triple-stopped trills, the electronics feature calm evenly spaced notes (arco and pizzicato violin samples with infinite reverb) that contrast with these by their serenity. They create a peaceful backdrop against which the violence of the violin gestures are thrown into relief.\n\n#### Section V \n\nThe short fifth section reprises thematic material already heard. In particular, after a short phrase conforming to the by now standard seven-note *appogiatura*, long-held trill followed by short grace-noted eighth notes, first seen in Section I (once again processed with frequency shifter and harmonizer), the central passage returns to the ‘ataxic’ material first heard in Section III: jaggedly bowed single notes, marked “*nerveux et extrêmement irrégulier*”. This section finally resolves into a more tranquil ambiance with the violin playing soft trills with electronics adding sampled pizzicato notes. \n\n#### Section VI\n\n**Section VI.1 Violin and electronics in dialogue; Klee-like figuration**\n\nThe long sixth and final section is divided into three subsections, the first of which being the only the time in the work where electronic phrases follow phrases on the violin like questions and answers, in a way that also recalls responsive chanting. The violin plays quick runs of notes followed by long trills, and as these trills fade out, very fast violin samples are triggered. This leads in to the long central section. The electronics in this section illustrate most clearly their affinity with Paul Klee’s pedagogical sketches: the violin’s single lines are followed by sampled violin pizzicato sounds that expand the line in geometrical ways: the individual violin notes are answered by sampled runs of notes drawn from preset chord reservoirs, buttressed by sound-blocks of various shapes underneath. Indeed, following Klee’s pedagogical sketches, the violin’s one-dimensional line is counterpointed by sounds that describe shapes on the pitch-time plane: a downward wedge of sound followed by a rectangle; a wedge that starts in the low register and slopes upward followed by a rectangle; or either of these shapes in reverse (rectangle followed by wedge). Some Computer Music Designers (CMD) even use a score, annotated by Andrew Gerzso and indeed Boulez himself, that indicates these shapes on the score [Figure 21], while Gerzso gave this patch the suggestive name of ‘klee-machines’.\n\n![image:3f2a5c6a-e244-43de-a064-da0e0fdfc824][fig21.png]\n\n**Figure 21: Excerpt from Andrew Gerzso’s annotated performance score) from section VI.1 of *Anthèmes 2*, with ‘Klee-like’ shapes circled [Arch. Ircam].**\n\n**Section VI.2 Play of recognition and surprise**\n\nWhen speaking about the return to thematic writing in *Anthèmes 2*, Boulez emphasized the way themes were used in the long middle passage of the last section of *Anthèmes 2*. As he said: \n\n>This piece is replete with such entities, which can be identified very easily. What is less easily identifiable is the order in which they occur, or rather the disorder in which they occur. We recognize a specific event, but we do not know when it will occur; we recognize them after the fact. This is what interests me – to create an effect of simultaneous surprise and recognition. [Boulez in Goldman, 2001, p. 117] \n\n \n\nIn this section (VI, b.54-163), in many ways the heart of the entire piece, there is a kind of dialogue between four very clearly defined musical objects (marked a, b, c and d in Figure 22). \n\n![image:d6965761-512c-4a8f-a68a-a4b45b564817][fig22-ggg.png]\n\n\n**Figure 22. Four themes in *Anthèmes 2*, section VI.2 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:d74ccaa2-e036-426d-b54e-bfad597b99e7][boulez_anthems2_media6a.mp3]\n\n\n**Media 6a. Hae-Sun Kang (violin) without electronics [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:a12b8981-af1c-441a-81ab-21493eedcb42][boulez_anthems2_media6b.mp3]\n\n\n**Media 6b. Hae-Sun Kang (violin) with electronics [© Arch. Ircam].**\n\n \n\nThese four motives are clearly recognizable, being comprised of the following: *element a* : ricochet double stops marked “calme, retenu”; *element b*: marked “agité, pizz.” ; *element c*: a violent bowed flourish marked brusque and element d: a pizzicato broken chord, emphasizing the note D and marked “calme, retenu, pizz.” Each of these themes has a distinctive “envelope”, to use the term favored by Boulez: each has a characteristic playing style, phrasing, articulation, dynamic, etc., over and above its brute pitch or duration content. Although never occurring twice in identical form, it can never be mistaken for a different thematic family member. \n\nWhile recognizable, Boulez puts much store in the element of surprise, here attributed to the order in which these elements appear. And indeed, their order of appearance seems devised to emphasize their unpredictability (a *b* element could be followed by an *a*, a *c* or a *d*), which is, according to Boulez, by design. The four themes occur in the order (or indeed disorder) exhibiting in Figure 23. \n\n![image:b1bd46b6-41b9-4e9d-b22f-e17d301cf62f][fig23.png]\n\n\n**Figure 23. Order of four themes in *Anthèmes 2*, section VI.2.**\n\nThe electronics used in section VI.2 serve to further characterize each of the four themes. For element *a*, the ricocheted bow figure, frequency shifting is used to enlarge in a downward direction the register of the violin. For element *b*, two types of processing are deployed: the first uses both harmonizers and delays in order to complexify the rhythmic aspect and at the same time enlarge the register through the downward transpositions; the second creates a contrast with the “agitated” character of the instrumental writing through the use of chords created from violin samples with practice mute that are prolonged through the use of infinite reverberation. For the “brusque” third theme *c*, instead of underlying the forceful violin gestures through spatialization (as in section IV), here this is accomplished through the triggering of rapid and aggressive sequences made from *arco* and *pizzicato* violin samples. Finally, the quiet arpeggiated *pizzicato* chords of the fourth theme *d* use two ring modulators, much like the processing of the harmonics notes in the “letter” transitions. These ring modulators inject a complex spectrum through a comb filter tuned to a low notch frequency providing a rich inharmonic spectrum. Here the result obtained is slightly different than in the letters as a result of the slowly arpeggiated chords which add a percussive aspect to the resonance created by the comb filters. Finally, a series of chords generated from sine wave samples softly shadow the arpeggiated chords of the violin. \n\n**Section VI.3**\n\nThis is the closing section of the work and is characterized by two musical ideas that progressively converge towards the central D with which the piece opens and closes [Figure 24]. \n\n![image:8a7b910b-c003-4526-ba31-811844f7d27b][fig24.jpg]\n\n\n**Figure 24. *Anthèmes 2*, section VI, b.164–170 [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:8bb53c04-bb52-4286-88ad-acdb36aa51c3][boulez_anthems2_media7a.mp3]\n\n\n**Media 7a. Hae-Sun Kang (violin) without electronics [© Arch. Ircam].**\n\n![audio:cede3403-8809-4bcf-86b2-6c9156d49600][boulez_anthems2_media7b.mp3]\n\n\n**Media 7b. Hae-Sun Kang (violin) with electronics [© Arch. Ircam].**\n \nThe rhythmic regularity of the *moto perpetuo*-style violin part featuring nearly uninterrupted 32\u003Csup>nd\u003C/sup> notes creates a curiously static impression overall that contrasts with the jagged rhythmic writing of the previous sections. As the section proceeds, the musical figuration slowly and steadily converges towards the central D\u003Csub>5\u003C/sub>. The electronic part creates creating “clouds” imbued with a rich spectrum that shadow the solo violin. Generally speaking, these clouds are created by injecting violin samples (that are not heard directly) into an infinite reverberation module. Two distinct “cloud” layers are created and then superimposed. The musical material for both layers is based on a main pitch and a set of auxiliary pitches constructed around it. The first layer is created by choosing notes from the set of pitches at random and injecting them in a rapid burst into the infinite reverb module. The second layer is created by repeatedly injecting only the main pitch into another infinite reverb module. At the beginning of the section the main pitches shadow central pitches in the violin part. As the section progresses, the size of the pitch-set decreases and the main pitch slowly converges towards the D natural. Once both the violin part and the “clouds” have converged to this D\u003Csub>5\u003C/sub>, the “clouds” are unceremoniously cut off by a brief *col legno battuto* gesture (like in the introductory “*Libre*” section of the piece) [Figure 25]. \n\n![image:2642dff2-a50b-4393-89f0-bc407b749eda][fig25.png]\n\n\n**Figure 25. Ending of *Anthèmes 2* [© Score UE, 1997a].**\n\n![audio:b04a106c-3d4b-490c-b7b6-3bbc56d9356e][boulez_anthems2_media8.mp3]\n\n\n**Media 8. Hae-Sun Kang (violin) with electronics [© Arch. Ircam].**\n\nThis dry tap on the string with the wood of the bow puts a stop to the electronic processing and to the work as a whole. Boulez said that the end of the piece was meant to be humourous effect, as if the violinist were saying by the struck *col legno battuto*, “*maintenant, ça suffit, au revoir*” (“that’s enough now, goodbye”) [Boulez in Goldman, 2001, p. 118]. \n\n### Version for viola\n\nAs with *Dialogue de l’ombre double* (1985), which was adapted for alto saxophone (2001), and [*Messagesquisse*](https://brahms.ircam.fr/work/messagesquisse) (1976), which was arranged for [an ensemble of violas](https://brahms.ircam.fr/work/messagesquisse-2000-01-01) (2000), *Anthèmes 2* was [adapted for viola](https://brahms.ircam.fr/work/anthemes-2-1) at the request of Ensemble Intercontemporain violist Odile Auboin. Prepared by Auboin in 2008, this version was authorized by Pierre Boulez and published by Universal Edition [Score UE, 2008]. It was premiered on 30 June 2021 in Paris at the Cité de la Musique by Auboin, with electronics by Augustin Muller. The electronic processing had to be adjusted both to adapt to the viola’s lower range as compared to the violin, and to take into account timbre and playing characteristics specific to the viola. \n\nSince some parts of the work employ audio score following, it was necessary to transpose the reference frequency of the audio analysis for the viola version. Since the processing of the harmonizer affects the transpositions themselves, these patches did not need to be modified. However, for the processing of the frequency shifter, a correction of 2/3 was applied to the patch’s output. Some adjustments were also made to the performer’s score, mostly involving changes in tempo of certain sequences, in particular those that are performed *pizzicato* (in section II, and VI.3 in particular) in order to accommodate an instrument in which such *manœuvres* require more time than on a violin. Moreover, in order to take into account the different physical characteristics of viola strings as compared to violin strings, a set of samples – especially those of pizzicato notes – was created in order to match the timbre and performance characteristics of the viola. All of the changes to the electronic part were made by Augustin Muller who, since 2017, has taken charge of all the works by Pierre Boulez produced at Ircam when they are performed. \n\nBoulez also planned to expand *Anthèmes 2* into a new work for violin and chamber orchestra, for the violinist Anne-Sophie Mutter. *Anthèmes 3*, as it would have been titled, had been scheduled to be performed at a concert celebrating the ninetieth birthday of Paul Sacher, in Basel on 28 April 2006, but although mentioned in Boulez’s correspondence, seems to never have got beyond its initial stages. \n\n### Conclusion\n\nToday, *Anthèmes 2* has attained the status of a classic work of live electronics. Its electronic processing succeeds in being both phantasmagorical and fundamentally sober, in keeping with the solemnity announced by the title’s allusion to the hymn. It creates tension through a dramaturgy based on stark oppositions. In its attachment to “écriture” in both its instrumental and electronic components, it encapsulates several fundamental aspects of Boulez’s musical aesthetics. Most importantly, it was designed to allow the performer to enjoy a broad degree of flexibility, to adapt her playing to the acoustic properties of the space in which the work is performed, and to make pauses or abrupt openings as desired. After all, one of Boulez’s main objectives to assigning the development of real-time electronics as one of Ircam’s main early missions, was motivated by a desire to free performers from slavishly following the inexorable unfolding of an electronic part on tape, which was the standard way of combining instruments and electronics ever since the early days of [Bruno Maderna](https://brahms.ircam.fr/composer/bruno-maderna/biography)’s [*Musica su due dimensioni*](https://brahms.ircam.fr/work/musica-su-due-dimensioni) (1952). The work’s grandeur but also its flexibility shine through, unexpectedly becoming, with a nod to Mahler, a new ‘song of the earth’. Viewed at a distance, *Anthèmes 2* can be seen to contain in microcosm many of Boulez’s most steadfast compositional concerns: to find ways to embrace both traditional musicianship and electronic sound, with an exploration of the ways electronics can be brought into the realm of notated musical language; to create ambiguous listening situations where perception is by turns focused or diffuse; to have musical material proliferate seemingly endlessly, whether in the quantum leap from *Anthèmes 1* to *Anthèmes 2* or from [*Incises*](https://brahms.ircam.fr/work/incises) to [*Sur Incises*](https://brahms.ircam.fr/work/sur-incises); and to approach musical texture visually or sculpturally in a Bauhaus-inspired reflection on line, form, volume and shape. \n\n\n#### Resources\n\nSome sections of this essay draw on and extend previous publications by the co-author, Jonathan Goldman, in particular [Goldman, 2001; 2009; 2011]. \n\n### Texts \n\n[Boulez, 1976] – Pierre Boulez, *Conversations with Célestin Deliège*, London: Eulenburg, 1976.\n\n[Boulez, 1995] – Pierre Boulez, “Interview with Stephen Plaistow”, in liner notes of CD *Boulez at 70*, Deutsche Gramophon, GPL01, 1995. \n\n[Boulez, 1989/2008] – Pierre Boulez, *Le pays fertile. Paul Klee*, Paule Thévenin (ed.), Paris: Gallimard 1989/2008. \n\n[Boulez, 2019] – Pierre Boulez, *Music Lessons*, Jonathan Dunsby, Jonathan Goldman and A. Whittall (eds.), London: Faber, 2019. \n\n[Boulez, 2025] – *Pierre Boulez. Catalogue des œuvres*, Éditions de la Philharmonie de Paris, 2025, dir. Alain Galliari and Robert Piencikowski, Paris: Éditions de la Philharmonie, 2025. \n\n[Boulez *et al.*, 2009] – Pierre Boulez, Yves Bonnefoy and Carol Bernier. *Quêtes d’absolus*, Jean-Jacques Nattiez and Jonathan Goldman (ed.), Montréal, Simon Blais, 2009. \n\n[Carpentier *et al.*, 2015] – Thibaut Carpentier, Markus Noisternig and Olivier Warusfel, “Twenty Years of Ircam Spat: Looking Back, Looking Forward”, 41st International Computer Music Conference (ICMC), Denton (USA), Sept. 2015, p.270-277. \n\n[Dal Molin, 2007] – Paolo Dal Molin, *Introduction à la famille d’œuvres …explosante-fixe… de Pierre Boulez : Étude philologique*, thèse de doctorat en Arts/Musicologie, Université de Nice Sophia Antipolis, 2007. \n\n[Goldman, 2001] – Jonathan Goldman, *Understanding Pierre Boulez’s Anthèmes: ‘Creating a Labyrinth out of Another Labyrinth’*, Master’s thesis, Université de Montréal, 2001. \n\n[Goldman, 2009] – Jonathan Goldman, ‘Passage d’*Anthèmes 1* à *Anthèmes 2*’, in *Quêtes d’absolus*, ed. Jean-Jacques Nattiez, Montreal: Éditions Simon Blais, 2009, pp. 34-39. \n\n[Goldman, 2011] – Jonathan Goldman, *The Musical Language of Pierre Boulez: Writings and Compositions*, Cambridge, Cambridge University Press, 2011. \n\n[Jot and Warusfel, 1995] – Jean-Marc Jot and Olivier Warusfel, “A Real-Time Spatial Sound Processor for Music and Virtual Reality Applications”, *International Computer Music Conference (ICMC)*, Banff (Alberta, Canada), Sept. 1995, pp. 294-295. \n\n[Klee, 1953] – Paul Klee, *Pedagogical Sketches*, Sibyl Moholy-Nagy (ed. and trans.), New York, Frederick A. Praeger, 1953. \n\n[MacKay, 2009] – John MacKay, “Analytical Diptych: Boulez *Anthèmes*/Berio *Sequenza XI*”, *Ex Tempore*, vol.14 n\u003Csup>o\u003C/sup>2, 2009, p.111-141. \n\n[Røsnes, 2023] – Irine Røsnes, “The Violining Body in *Anthèmes II* by Pierre Boulez”, in Linda O Keeffe and Isabel Nogueira (eds.), *The Body in Sound, Music and Performance: Studies in Audio and Sonic Arts*, Abingdon: Routledge, p.214-227, 2023. \n\n[Taher, 2016] – Cecilia Taher, “Motivic similarity and form in Boulez’s *Anthèmes*”, diss., McGill University, 2016. \n\n[Taher *et al.*, 2018] – Cecilia Taher, Robert Hasegawa and Stephen McAdams, “Effects of Musical Context on the Recognition of Musical Motives during Listening”, *Music Perception: An Interdisciplinary Journal*, vol.36 n\u003Csup>o\u003C/sup>1, p.77-97. \n\n[Van der Wee *et al.*, 2016] – Laurens Van der Wee, Roel van Doorn and Jos Zwaanenburg, “Reconstructing *Anthèmes 2*: Addressing the performability of live-electronic music”, *International Computer Music Conference (ICMC)*, Utrecht (Netherlands), Sept. 2016, p.466-470. \n\n #### Archives \n\nThe following information was sourced from [Boulez, 2025]. Used with permission. \n\n- Bibliothèque nationale de France, fonds Pierre Boulez (BnF/PB) \nAbout *Anthèmes 1*: Universal Edition score, annotated by Pierre Boulez (GR FOL-VM FONDS 148 BLZ-160); corrected galley proofs of the transcription for viola (VM FONDS 148 BLZ-9(39)) \n\n- Paul Sacher Stiftung, Pierre Boulez Sammlung (PSS/PB): \n\nAbout *Anthèmes 1*: a) sketches ; b) draft; c) annotated photocopy of the fair copy of the initial version; d) autograph copy of the initial version ; e) corrected proofs of the initial version; f) corrected proofs of the 1992 version; g) photocopie of the 1992 edition annoted in view of *Anthèmes 2* (Mappe J, dossier 5a) \n\nAbout *Anthèmes 2*: a) sketches and drafts; b) fair copy, autograph copy; c) corrected proofs (Mappe J, dossier 5b) \n\n#### Scores \n\n[Score UE, 1992] – Pierre Boulez, *Anthèmes*, Vienne, Universal Edition, UE 19992, 1992. \n\n[Score UE, 1997a] – Pierre Boulez, *Anthèmes 2*, Vienne, Universal Edition, UE 31160, 1997. \n\n[Score UE, 1997b] – Pierre Boulez, *Anthèmes 2* – Performance instructions, Vienne, Universal Edition, UE 31160b, 1997. \n\n[Score UE, 2008] – Pierre Boulez, *Anthèmes 2* (Viola), Vienne, Universal Edition, UE 34342, 2008). \n\n#### Audio recordings \n\n***Anthèmes 1***\n\n[AR CD Atma, 1996] – Julie-Anne Derome, *Solo* \n\nAnne Derome (vl) \n\nAtma A+CD 2 2117 [CD], 1996. \n\n***Anthèmes 2***\n\n[AR CD Accentus Music, 2016] – *Bach, Bartók, Boulez*\n\nMichael Barenboim (vl), Andrew Gerzso (CMD) \n\nAccentus Music ACC30405 [CD], 2016 \n\n[AR CD Col Legno, 1998] – *Donaueschinger Musiktage 1997*\n\nHae Sun Kang (vl), Andrew Gerzso (CMD) \n\nCol Legno WWE [3 CD] 20026, 1998. \n\n[AR CD Deutsche Grammophon, 2000] – *Pierre Boulez : Sur Incises, Messagesquisse, Anthèmes 2* \n\nHae Sun Kang (vl), Andrew Gerzso (CMD) \n\nDeutsche Grammophon DG 463 475-2 [CD], 2000. \n\n[AR CD Deutsche Grammophon, 2017] – *Hommage à Boulez*\n\nMichael Barenboim (vl), Andrew Gerzso (CMD) \n\nDeutsche Grammophon DG 4797160 [2 CD], 2017. \n\n[AR CD Les Belles Écouteuses, 2015] – *Stravinsky-Boulez*\n\nDiégo Tosi (vl), David Poissonnier (CMD) \n\nLes Belles Écouteuses LBE 10 [CD], 2015. \n\n[AR CD Simon Blais, 2009] – Accompanying CD in *Quêtes d’absolus*, Jean-Jacques Nattiez ed., Montreal: Éditions Simon Blais, 2009. \n\nJean-Marie Conquer (vl), Gilbert Nouno (CMD) \n\n**To quote this article:** \n\nJonathan Goldman and Andrew Gerzso, “Pierre Boulez – *Anthèmes 2*”, *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2025. URL : https://brahms.ircam.fr/analyses/Anthems2/","2025-03-06T00:00:00.000Z","Analysis","analyse-de-i-anthemes-2-i-(1997)-de-pierre-boulez",{"getUrl":35},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photo/fc6d9f4c-c2ae-49bb-bf8d-759a4689dbd3-thumbnail.jpeg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=9178c82a88b396b2cc418848b67980f31840ab6c49f7eb2f494d56dc2be8d9a8",{"url":35,"isIcon":11,"alt":27,"centered":37},true,"",[40,43],{"firstName":41,"lastName":42},"Jonathan","Goldman",{"firstName":44,"lastName":45},"Andrew","Gerzso",{"title":47,"titleEn":48,"text":49,"textFr":50,"textEn":38,"date":51,"type":32,"slug":52,"authors":11,"toc":11,"image":53,"composer":11,"cardImage":55,"cardTitle":47,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":56},"Analyse de \u003Ci>Burger Time ou les tentations de Saint Antoine\u003C/i> (2001) de Mauro Lanza","Analysis of \u003Ci>Burger Time ou les tentations de Saint Antoine\u003C/i> (2001) by Mauro Lanza","### Introduction\r\n\r\n#### Résumé\r\n\r\nComposée en 2001, [work:73649dbd-e867-46fc-b7bc-2211caac89a4][Burger Time ou les tentations de Saint Antoine] (2001) pour tuba et électronique est une œuvre mixte qui ne fait pas appel à toutes les ressources possibles de prolongement du tuba (transformations en temps réel, suiveur de partition, etc.). L’instrument dialogue simplement en live avec une bibliothèque de 468 fichiers son, déclenchés manuellement par l’instrumentiste à l’aide d’une commande à main (piston supplémentaire sur le tuba), et diffusés spatialement sur huit haut-parleurs. L’intérêt technique majeur de *Burger Time* réside dans l’utilisation et le développement du programme de synthèse par modélisation physique Modalys, créé à l’Ircam. *Burger Time* est par ailleurs un bon objet d’étude concernant le langage de [composer:04a51f12-cb18-4670-bc66-967fadf991a5][Mauro Lanza] et son utilisation d’algorithmes, s’inscrivant dans la continuité de ses œuvres précédentes, notamment [work:d9e5a735-eec4-4207-b857-3a1d9398f0bc][L’Allegro Chirurgo] (1996) pour saxophone ténor et [work:fc688817-a128-4a2e-90eb-1453c627a802][Barocco] (1998-2003) pour soprano et ensemble d’instruments jouets, deux pièces dont les matériaux sonores sont réexploités dans *Burger Time*. Lanza utilise également comme “modèles” des sons de jeux vidéos d’arcade des années 1980.\r\n\r\nLa version mixte s’étant révélée particulièrement contraignante techniquement, elle n’a pas été confirmée par le compositeur (la partition n’est pas officiellement éditée, ni enregistrée commercialement) ; elle n’en reste pas moins importante pour le compositeur, qui y fait référence régulièrement dans ses interventions. Une seconde version entièrement fixée sur support a vu le jour en 2008. Il existe donc désormais deux versions distinctes de l’œuvre :\r\n\r\na) La version d’origine pour tuba et électronique élaborée à l’Ircam et créée le 16 novembre 2001 par le tubiste David Zambon à la Paul Sacher Halle de Bâle dans le cadre du Mois européen de la musique de Bâle (Europäischer Musikmonat). Deux enregistrements de cette première version ont été captés en *live* lors de deux concerts à l’Ircam, toujours par David Zambon :\r\n\r\n- le 22 janvier 2002 [https://medias.ircam.fr/x47b985_burger-time-ou-les-tentations-de-saint-ant], la durée est de 16 minutes.\r\n- le 19 octobre 2002 [https://medias.ircam.fr/x415d22_burger-time-ou-les-tentations-de-saint-ant], la durée est de 16 :17 minutes.\r\n\r\nb) La version pour électronique seule (sons fixés sur support) réalisée en 2008. Sa durée est désormais ramenée à 13 minutes. [© Lanza, 2008]\r\n\r\n#### Programmes utilisés\r\n\r\nPour la réalisation des séquences électroniques, les trois logiciels suivants furent utilisés :\r\n\r\n- AudioSculpt pour l’analyse des sons présélectionnés du tuba, ainsi que l’analyse et la retranscription des sons de jeux d’arcade,\r\n- OpenMusic pour la composition de la plupart des autres objets sonores,\r\n- Modalys pour le travail de transformation définitif de tous les objets sonores par modélisation du son par synthèse physique.\r\n\r\n#### Matériel nécessaire\r\n\r\nLes dispositifs technologiques pour l’exécution de l’œuvre sont les suivants :\r\n\r\n- 468 fichiers-sons préenregistrés.\r\n- un dispositif informatique permettant de gérer l’envoi des fichiers sons.\r\n- une console de mixage pour la gestion du son.\r\n- un déclencheur à main pour l’interprète.\r\n- un ensemble spatialisé de 8 haut-parleurs pour la diffusion des séquences électroniques.\r\n\r\n### Prolégomènes à l’analyse de l’œuvre\r\n\r\n#### Partition inédite\r\n\r\nQuelques remarques peuvent être faites avant d’aborder les problématiques et les arcanes internes de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, notamment en ce qui concerne l’accessibilité et la possibilité d’analyser cette œuvre. Lanza a réalisé seul l’ensemble des étapes d’élaboration de la pièce — conception, composition, expérimentations, programmations, mise en espace — sans collaborer avec un Réalisateur en Informatique Musicale. Ainsi, et contrairement à d’autres œuvres développées à l’Ircam, il n’existe pas ou peu de documentation accessible, outre les archives personnelles du compositeur. La première version pour tuba et électronique n’ayant pas apporté pleine satisfaction au compositeur, la partition musicale n’est à ce jour pas finalisée. Le compositeur qui supervise lui-même les étapes de publication de ses partitions en collaboration avec les éditions Ricordi, n’a pas souhaité mener à bien l’achèvement de *Burger Time* et rendre publique la partition.\r\n\r\nEn l’état, la partition — 16 pages, format A3 — comprend l’intégralité de la partie de tuba (imprimée), ainsi que des retranscriptions de l’ensemble des évènements, reportées en petit sous la portée principale — et pas toujours lisibles dans le détail. Une ligne intermédiaire permet le positionnement rythmique exact du déclenchement de chaque évènement par le tubiste par rapport aux données de la partie de tuba. Cette partition amène ainsi trois écueils pour l’analyse :\r\n\r\n- Elle est de toute évidence une partition destinée à l’interprète, et est donc exempte de toutes les données techniques de la partie électronique (nature des évènements, programmes, effets du spatialisateur, etc). Elle diffère en cela par exemple de la partition \"régie informatique\" de [work:0ad4d613-a018-4d49-bc73-027336601c73][Anthèmes 2] (1997) de [composer:e9985cf2-64e4-4e47-aba3-ee6167cbfae0][Pierre Boulez] [Part. UE, 1997], dans laquelle l’ensemble des données étaient reportées, en raison évidemment du temps réel et du rôle primordial du Musicien En charge de l’Électronique (MEL) pour la diffusion de l’œuvre.\r\n- Elle ne contient ni préface, ni schémas d’implantation ou de gestion de la spatialisation, et ne donne ainsi aucun indice sur la manière dont la dimension électronique a été pensée.\r\n- Les retranscriptions des 468 évènements électroniques ne sont pas des aide-mémoire pour l’auditeur ou le lecteur, bien au contraire. Elles sont issues des analyses techniques réalisées par ordinateur, et présentent donc des résultats spectrographiques, dont la lecture est parfois difficile à relier au résultat sonore.\r\n\r\n#### Approche algorithmique\r\n\r\nL’écriture de Mauro Lanza est en grande partie conditionnée par des algorithmes, élaborés à l’origine à la main, selon une logique combinatoire :\r\n\r\n> Il s’agissait plutôt de systèmes déterministes, avec peu d’aléatoire, que je faisais à la main, et je me suis rendu compte que j’aurais pu faire ça plus vite et mieux avec l’aide d’un ordinateur. […] J’avais entendu parler des amis compositeurs d’un logiciel d’aide algorithmique à la composition (PatchWork) qui se développait à l’Ircam, et j’avais immédiatement commencé à fantasmer à ce sujet. C’est l’une des principales raisons qui m’ont poussé à postuler au cursus de l’Ircam — formation davantage consacrée à la synthèse et au traitement sonore, mais dont la partie qui m’intéressait le plus était celle qui concernait la composition (symbolique) assistée par ordinateur — et la raison pour laquelle, dès le début de mon cursus, j’ai commencé à travailler à la fois sur l’environnement graphique de CAO développé par l’Ircam (OpenMusic, le temps de PatchWork étant révolu) et en langage Lisp. [….] Aujourd’hui, la ligne qui sépare composition et algorithmique devient pour moi tellement fine que je n’arrive plus à savoir où finit l’un et où commence l’autre. Je travaille toujours avec une fenêtre ouverte où il y a du code. C’est un environnement de travail, avec des allers-retours permanents. [Lanza, 2018]\r\n\r\nLes systèmes algorithmiques se différentiant d’autres systèmes de CAO — comme OpenMusic — par le non recours à l’aléatoire dans l’élaboration de structures musicales, mais aussi par le caractère fini des opérations engendrées, ils devraient pouvoir être, en théorie, explicités par l’analyse. Certains processus le sont dans les œuvres de Lanza — par exemple dans la pièce [work:7b6bd564-e884-42b3-9508-29d0e49e7e3a][Mess] (2008) pour piano — mais nombre de paramètres doivent être pris en compte dans une pièce comme *Burger Time*. C’est la raison pour laquelle nous ferons abstraction dans ce qui suit de certains paramètres mathématiques, en essayant toutefois de proposer une étude des processus de l’œuvre la plus fluide possible. La question se posera également des proportions, durées et rapports entre tuba et évènements électroniques.\r\nIl existe souvent par ailleurs dans *Burger Time* une inadéquation entre numération et nature des évènements. Par exemple certains passages de la pièce font se succéder plusieurs évènements de même nature. Doit-on les considérer alors comme des évènements indépendants, ou comme un groupe d’évènements de même nature, c’est-à-dire comme une seule entité ? Par simplification nous avons fait le choix de regrouper certains évènements en séquences logiquement unifiées.\r\n\r\n#### Lanza et Modalys\r\n\r\nL’enjeu majeur de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* est l’emploi, et surtout l’évolution du programme Modalys, développé à l’Ircam. Modalys est un programme de synthèse sonore par modélisation physique, permettant de \"créer des instruments virtuels — proprement inouïs ! — à partir d’objets physiques \"simples\" tels que cordes, plaques, tubes, membranes, plectres, archets ou marteaux, et de les faire interagir\". [Bensoam et Ellis, 2004] L’enjeu à partir des années 1980 était de fournir une alternative au traitement du signal en affinant les propriétés de la synthèse : au lieu de s’attacher à reproduire le son lui-même (par l’analyse des fréquences qui le composent par exemple), la synthèse par modélisation physique part du dispositif physique producteur de ce son. Cette technique se démarque des méthodes de synthèse digitale comme la synthèse soustractive, additive, etc.\r\n\r\nLorsque Lanza arrive à l’Ircam pour suivre le cursus de composition et d’informatique en 1998–99, le programme Modalys était encore balbutiant : purement textuel et assez austère, l’interface posait problème. Le programme ne fonctionnait d’ailleurs que pour des sons isolés, ce qui explique le nombre très limité d’œuvres composées à cette époque avec cet outil. Le premier projet de Lanza fut donc de développer les capacités de Modalys afin de pouvoir jouer des séquences musicales :\r\n\r\n> Au tout début, il y avait cette interface textuelle, écrite dans un langage qui s’appelle *Skin*. Je pensais appliquer à l’époque une logique de synthèse instrument/orchestre ; instrument/partition, comme dans Modalys il y a des objets, il y a des connexions, un instrument est grosso modo fait par des objets et des connexions. Et puis les contrôleurs qui font bouger, qui font rencontrer les objets entre eux est quelque chose qu’on peut contrôler, qu’on pourrait rapprocher à une partition. Dans les premiers travaux tous les instruments étaient définis en mode textuel, et tous les contrôleurs étaient engendrés par un logiciel qui était OpenMusic, qui est un logiciel de CAO, développé à l’Ircam. [Lanza, 2004]\r\n\r\nLa première œuvre écrite par Lanza avec Modalys est [work:732d8097-f685-45c9-8f16-90dff75e175d][Erba nera che cresci segno nero tu vivi] (1999/2001) pour soprano et sons de synthèse, dont les quatre premières minutes ont constitué sa pièce de fin de cursus en 1999. Lanza y utilise encore exclusivement des connexions \"frappé\" et \"frotté\". La suite de la partition composée l’année suivante a eu pour objet de développer encore la précision et la richesse des transitoires d’attaque :\r\n\r\n> L’idée que nous avions à l’esprit était de travailler avec des objets très proches entre eux. Imaginons les trois cordes d’un piano qui sont beaucoup plus proches que les cordes d’un piano, disons moins éloigné d’un millimètre par exemple, si on établit des connexions entre chaque corde, des connexions de type \"frappé\", c’est comme si le point d’une corde et le point d’une autre corde se regardaient entre eux. Et de voir s’il y a un phénomène de choc qui se produit. Et donc après, si avec un marteau, avec un plectre, avec une masse quelconque on pince les cordes, les cordes commencent à vibrer, et il y a un phénomène qui se produit, qui n’est pas un phénomène de frottement mais une espèce de masse qui se produit, les trois cordes qui s’écrasent entre elles. [Ibid.]\r\n\r\nLa partie électronique de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* s’inscrit dans cette continuité : poursuivre le travail avec Modalys, expérimenter de nouveaux objets et de nouvelles connexions, en prenant notamment comme matériaux de base des objets constitués, en l’occurrence des sons de jeux vidéos ainsi que des citations d’œuvres anciennes. L’ensemble du travail de Lanza sur l’électronique peut être résumé en quatre stratégies :\r\n\r\n- Un travail de reconstitution d’une oeuvre ancienne, autrement dit reconsidérer une structure musicale entièrement élaborée et fiable : sa pièce *Barocco* pour soprano et instruments jouets. Les timbres spécifiques des instruments jouets ont été entièrement recréés avec Modalys (objet \"tuyau\" et connexion \"Reed) et deviendra la famille d’objets sonores n°1.\r\n- Un travail de synthèse de sons de jeux vidéo, dont les originaux ont été analysés grâce au programme AudioSculpt avant d’être entièrement resynthétisés avec Modalys.\r\n- Un travail sur des sonorités hybrides obtenues par expérimentations avec Modalys, sans lien avec une quelconque citation ou référence externe, simplement centrées sur le timbre et les effets imposés à des matériaux (plaques métalliques notamment) avec différentes connexions (\"plectre\", \"marteau\", \"archet\", etc.).\r\n- Une utilisation de plus en plus accrue de la connexion \"Force\", permettant de soumettre un fichier son à des connexions Modalys.\r\n\r\n### Sources d’inspiration\r\n\r\n#### Idée compositionnelle\r\n\r\nLa composition de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* est la conséquence d’une double découverte : celle d’un site Internet d’émulation d’anciens jeux vidéo d’arcade des années 1980 (MAME[^NBP1]), et d’un ouvrage de Jurgis Baltrušaitis intitulé *Le Moyen Age fantastique, Antiquités et exotismes dans l’art gothique* (1981). Dans le livre de Baltrušaitis, un chapitre est indirectement consacré au mythe des \"tentations de Saint Antoine\", porté à son apogée dans la littérature par Flaubert [Flaubert, 1874/2006]. Le protagoniste (Saint Athanase/Saint Antoine) est un moine anachorète confronté à des apparitions et tentations successives de toutes sortes : souvenirs, démons, séductions, contradictions des multiples croyances et religions, etc. Dans son ouvrage, Baltrušaitis démontre la dimension universelle de ce mythe, hérité de grands thèmes bouddhistes, et adapté fréquemment dans la statuaire puis la peinture au fil des époques et des cultures. [Baltrušaitis, 1981, p.221-225] Le moine est ainsi confronté aux forces du mal et à toutes sortes de rapports conflictuels où s’imposent richesse, opulence et diversité. Cette même confrontation se retrouve ironiquement dans la logique simpliste des jeux vidéo des années 1980, comme *Pac Man* face aux fantômes, ou *Peter Pepper* face aux ingrédients dans *Burger Time*. La dimension religieuse n’en est pas pour autant exclue :\r\n\r\n> J’ai fait des recherches sur Internet à propos de *Burger Time*, et j’ai trouvé un site où quelqu’un, pas dépourvu d’ironie, avait créé une espèce de religion autour du jeu *Burger Time*. Il avait conçu une espèce d’église qui s’appelle \"The Church of Burger Time\", où il y avait un pèlerinage chaque année vers un fast food je ne sais plus où aux Etats-Unis. Á la fin de chaque écran on voit, dans *Burger Time*, que Peter Pepper est content donc il fait comme ça avec les bras [\\ /], et ça c’est le salut initiatique de cette secte, et j’ai trouvé ça formidable. Sur ce même site, il y a plusieurs pages de délires religieux à propos de cette figure que l’on peut définir christique ; pour les gens qui ont fondé cette religion c’est vraiment Jésus Christ. Et moi j’ai trouvé tout de suite le rapprochement entre Peter Pepper et Saint Antoine, pour deux raisons. D’abord le côté religieux : Peter Pepper doit combattre le mal, et notamment des hot dog à base de porc, or le porc c’est le mal personnifié, pas seulement pour l’Islam, il y a aussi des références dans l’évangile. Et Saint Antoine en Italie est le saint patron des fermes, donc toujours figuré avec un cochon. [Lanza, 2002]\r\n\r\nÀ cette confrontation synchronique (Saint Antoine/Tentations) répond une confrontation diachronique : l’évolution de la pensée et des réactions de Saint Antoine au fil des évènements, et donc la transformation progressive du protagoniste. L’idée centrale du *Burger Time* de Lanza est donc indubitablement la confrontation : confrontation de différents matériaux dans le temps sous la forme de processus évolutifs ; et confrontation dialectique entre un instrument (tuba/Saint Antoine) et des matériaux exogènes (électronique/tentations). Ce qui peut se schématiser par les rapports suivants :\r\n\r\n<center>Antoine face aux tentations → tuba face aux évènements électroniques</center>\r\n<center>Foisonnement des tentations → diversité des objets sonores, citations</center>\r\n<center>Diversité culturelle des tentations → choix de jeux vidéo des années 1980</center>\r\n<center>Constantes reprises du concept à travers les siècles → reprise de matériaux musicaux anciens</center>\r\n<br>\r\nPlusieurs problématiques doivent alors être traitées conjointement par le compositeur. Pour réorganiser structurellement ces multiples sources à l’intérieur d’un discours musical, il fait appel à de nouveaux algorithmes. Pour diversifier les processus de transformation de ces matériaux par ordinateur, il recourt notamment à la synthèse par modélisation physique avec le logiciel Modalys, ce qui permet la confrontation de tous ces différents matériaux selon différents critères (anciens et modernes, réels ou informatiques, kitch ou scientifiques, proches ou contrastés, etc.).\r\n\r\n#### Note de programme\r\n\r\nLa note de programme de *Burger Time ou les tentations de Saint Antoine* [Lanza, 2002] rédigée pour la création mondiale à Bâle (16/11/2001) et reprise lors des exécutions de l’œuvre à l’Ircam en 2002 est assez laconique[^NBP2]. Elle comprend une courte présentation thématique, suivie de trois longues citations : un site de présentation du jeu d’arcade *Burger Time*, un extrait de l’essai de Baltrušaitis et un extrait du roman de Flaubert. L’emploi du logiciel Modalys n’est pas évoqué, c’est donc une écoute esthétique plus que poïétique qui est privilégiée.\r\n\r\n### Matériaux préalables\r\n\r\n#### Un prolongement de *L’Allegro Chirurgo* (1996)\r\n\r\nPlusieurs procédés ainsi que les principaux matériaux de *Burger Time* trouvent leurs origines dans une œuvre préalable de Lanza : *L’Allegro Chirurgo* pour saxophone ténor en sib composé en 1996. Le titre fait — déjà — référence à un jeu : *L’Allegro Chirurgo* (jeu de société *Docteur Maboul* en français). *L’Allegro Chirurgo* est déjà fondé sur des algorithmes, toutefois Lanza à cette époque les écrivait à la main. L’une des techniques utilisée était alors le *slicing* : \"[…] je manipule des listes ou des fragments de musique pour les croiser entre elles. Par exemple, je choisis une séquence, je la découpe en morceaux de longueur décroissante, j’en prends une autre, que je découpe en morceaux de longueur croissante, et ensuite je croise les deux séquences. C’est une sorte de *crossfade* discret\" [Lanza, 2018]. C’est ainsi que dans *L’Allegro Chirurgo*, émerge une cellule — que nous nommons cellule *a* — de cinq notes descendantes non tempérées : *fa-mi-ré-si-la #*, générée par un précédent processus, et qui deviendra l’un des matériaux principaux de l’Allegro [Média 1].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8eabfc_01_lanza_burgertime_allegrochirurgico_cell\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 1. *L’Allegro Chirurgo*, apparition de la cellule *a* [© Part. Noten Roehr, 1996, p.4 / Arch. Kiyokawa, EA 2019].**\r\n\r\nUne seconde cellule principale — que nous nommons cellule *b* — constituée de quatre notes descendantes diatoniques (*solb-fa-mib-réb*) apparaît plus loin. Celle-ci n’est pas le fruit direct d’un processus antérieur. Après une cadence refermant la section précédente [Média 2, 3e système] elle apparaît *Brillante* : il s’agit d’une citation, clairement identifiable de l’*incipit* de la chanson *Mah na mah na* de Patrycja Kozakowska qui a fait l’objet d’innombrables reprises — y compris dans les sketchs télévisés de l’humoriste britannique Benny Hill ainsi que dans le Muppet show.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x04872b_02_lanza_burgertime_allegrochirurgico_cell\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 2. *L’Allegro Chirurgo*, appariation de la cellule *b* [© Part. Noten Roehr, 1996, p.6 / Arch. Kiyokawa, EA 2019].**\r\n\r\nVers la fin de la pièce, les deux cellules *a* et *b* sont confrontées selon un procédé de *slicing* [Média 3]. On constate une succession de cinq processus où la cellule *a* en boucle (en jaune) se voit contaminée par la cellule *b* également en boucle (en vert) jusqu’à la disparition totale de la cellule *a* au profit de la cellule *b*.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x43b6f8_03_lanza_burgertime_allegrochirurgo_slicin\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 3. *L'Allegro Chirurgo*, *slicing* des cellules *a* et *b* [© Part. Noten Roehr, 1996, p.9 / Arch. Kiyokawa, EA 2019].**\r\n\r\nSi les différences de registre et de tempérament (quart de tons / tempéré) distinguent les deux matériaux, le résultat obtenu est un mouvement d’accélération rythmique tendant vers le grave du registre et le gel de la cellule *b*. Ce procédé de *slicing* sera utilisé de manière quasi identique tout au long de la partie de tuba de *Burger Time* ; et les cellules *a* et *b* de *L’Allegro Chirurgo* engendreront les premiers éléments constitutifs — légèrement modifiés — de la partie de tuba. Outre le procédé de *slicing*, il est intéressant de faire quelques constatations sur ces deux cellules. Toutes deux sont descendantes, respectivement de cinq et quatre sons, et constituées de tierces et de secondes. En revanche, plusieurs paramètres les opposent : *a* est non tempéré et probablement élaboré par le compositeur alors que *b* est une citation en tempérament égal.\r\n\r\nConcernant la forme globale de *L’Allegro chirurgo*, il faut signaler un autre élément musical que l’on retrouvera également dans *Burger Time*, dérivé dans un autre contexte : un motif de fusée descendante, non tempéré, de vingt notes, couvrant l’ensemble du registre du saxophone ténor [Figure 1].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 1. *L’Allegro Chirurgo*, motif fusée [Part. Noten Roehr, 1996, p.3].**\r\n\r\nRésultat d’un processus d’excroissance de la cellule *a* (que l’on retrouve au sein de sa structure) cette fusée descendante devient virale dans toute la seconde partie de la pièce, démultipliée, et ponctuée de sons multiphoniques — évoquant probablement le *buzz* électrique caractéristique du jeu *Docteur Maboul*. Si l’on fait abstraction d’autres sections secondaires, la forme globale de *L’Allegro Chirurgo* comprend sept sections [Figure 2].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 2. Plan global de *L’Allegro Chirurgo***\r\n\r\n#### Musiques de jeux d’arcade\r\n\r\nLanza éprouve un intérêt particulier pour les objets animés : les objets du quotidien qui se révoltent contre les sons. Mais de manière plus générale, Lanza se passionne pour ce qu’il appelle des \"modèles\", c’est-à-dire des objets trouvés, s’opposant historiquement à la recherche de “pureté” de l’objet sonore prônée par la génération précédente — celle de Boulez en l’occurrence :\r\n> Ce qui m’a intéressé justement ces dernières années, c’était d’aller chercher des sons trop typés, et pas assez souples. En fait le “pas assez souple” se résout assez facilement avec l’électronique. […] et cependant malgré la souplesse qui est donnée par l’outil informatique il reste cette espèce de friction entre un objet qui n’est vraiment pas musical et qui renvoie toujours à autre chose et donc qui résiste à son traitement, à sa déclinaison à l’intérieur d’une composition. [Ibid.]\r\n\r\nParmi les applications de ce concept, on peut citer tout le travail de collaboration avec Andrea Valle (*Systema naturae*, 2013-2017), d’après des objets manufacturés usuels détournés de leur fonction première à des fins bruitistes (sèche-cheveux, anciennes platines, couteaux électriques…) ; ou encore la pièce [work:8be08b24-f6e3-47c3-9920-dce078458ba4][Le nubi non scoppiano per il peso] (2011) pour ensemble de neuf instruments, *coloratura*, électronique et gouttes d’eau contrôlées par ordinateur pour laquelle fut élaborée une \"machine à pluie\". Dans le cas présent avec des sons du jeu vidéo d’arcade des années 1980 [Figure 3] Lanza a fait le choix d’éléments finis, composés, et aisément identifiables.\r\n\r\n<center></center><center></center>\r\n\r\n**Figure 3. Borne d’arcade et capture d’écran du jeu *Burger Time* (1982).**\r\n\r\nLes éléments musicaux de *Burger Time* sont assez peu nombreux, rudimentaires et assignés chacun à une fonction précise. Ils ne sont constitués que de sons électroniques basiques (quelques secondes) avec une écriture à une, deux ou trois voix (le plus généralement mélodie + basse). On distingue deux familles de sons dans *Burger Time*[^NBP3] :\r\n\r\na) Une musique de fond sonore, en général une courte séquence mise en boucle comme le motif générique de *It’s Burger Time* [Média 4].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9c0771_04_lanza_burgertime_itsburgertime\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 4. Jeu *It’s Burger Time*, motif générique.**\r\n\r\nb) Des “bruitages” brefs, directement connectés aux actions du jeu : menu, début de partie [Média 5], fin de partie [Média 6], bonus, mort du personnage [Média 7].\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xad5250_05_lanza_burgertime_start\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 5. Jeu *It’s Burger Time*, motif \"Start\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd50192_06_lanza_burgertime_roundclear\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 6. Jeu *It’s Burger Time*, motif \"Round clear\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4d639a_07_lanza_burgertime_gotcaught\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 7. Jeu *It’s Burger Time*, motif \"Got caught\".**\r\n\r\nEn accord avec sa problématique, Lanza a sélectionné principalement des sons extraits de ce jeu : la musique de fond sonore sur laquelle sera construite la majorité de la partie de tuba, ainsi qu’un \"signal\" (quarte juste) issu de celle-ci et quelques bruitages comme le \"Got caught\". D’autres extraits de jeux contemporains comme *Bomb Jack*, *Dig dug* et *Pac Man* ont également été envisagés. Ces différents sons sont aisément repérables parmi les évènements de la partie électronique, même transformés. Ils évoquent ainsi à la fois la richesse et le kitch des “tentations” face à l’austérité du tuba (Saint Antoine):\r\n> […] Dans toute la peinture flamande, on trouve le thème des objets animés. Des objets qui deviennent des monstres qui font une révolte contre l’homme qui les a créés. Peter Pepper a créé la nourriture, et la nourriture se révolte contre lui. On peut trouver ce délire fantastique seulement dans les jeux des années 1980 parce que les nouveaux sont beaucoup plus réalistes. Il n’y a pas cet aspect de personnification des choses. [Lanza, 2002]\r\n\r\n### La partie de tuba\r\n\r\n#### Données générales\r\n\r\nL’organisation des données musicales de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* obéit à des calculs algorithmiques, élaborés préalablement par Lanza sous forme de code dans le programme Lisp. Le déchiffrage de ces données codées serait indispensable en vue d’appréhender chaque détail de la partition — une telle analyse dépasserait de très loin le cadre de ce texte ; néanmoins une analyse de niveau neutre reste possible pour une compréhension globale de la partition et de ses composantes.\r\n\r\n*Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* est une pièce d’un seul tenant, sans indications de mouvements, de sections ou de structures. Bien que les deux composantes – instrumental et électronique — soient connectées et interdépendantes, chacune obéit à un schéma formel global propre. Le compositeur évoque à ce sujet un principe de \"forme à fenêtres\", concept repris de [composer:cab1bc69-6a31-4086-8bfc-0b62b1f9ef55][Salvatore Sciarrino]. La forme à fenêtre se caractérise par des apparitions impromptues d'objets sonores (évènements électroniques) ouvrant de nouvelles fenêtres au sein du discours musical principal (instrumental) : \"Les coupures créent un effet certainement traumatique. Toute interruption brusque est traumatisante : la forme à fenêtres elle-même se fonde sur des petits traumatismes. Cependant, l'homme s’habitue à tout\". [Sciarrino, 1998]\r\n\r\nCette analyse doit donc distinguer deux perspectives :\r\n\r\n- horizontale : le discours musical dans son déroulé, c’est-à-dire la partie de tuba (que le compositeur appelle avec ironie le “plan Lanza” [Lanza, 2002]).\r\n- diagonale : la partie électronique, et les interactions de ces \"fenêtres\" avec l’instrument.\r\n\r\nEt donc cette analyse doit se faire dans cet ordre : d’abord la partition instrumentale (tuba), ensuite la partition électronique (les fichiers sons correspondant aux 468 évènements). Dans sa note de programme, Lanza évoque le rôle du tuba en ces termes : \"On ne sait finalement s’il joue à être Peter Pepper ou s’il est vraiment Saint-Antoine\" [Lanza, 2002]. Et pour cause, le tuba adopte dans *Burger Time* un comportement polymorphique, avec plusieurs niveaux hiérarchiques de l’écriture :\r\n\r\n- niveau 1 (macroforme) : un processus principal fait évoluer une idée musicale initiale vers une idée terminale. (un élément exogène proliférant intervient en milieu d’œuvre permettant la bascule d’une idée vers l’autre.)\r\n- niveau 2 (structures) : des sections dans l’œuvre sont distinguées par enchaînement de processus.\r\n- niveau 3 (détail) : des micro-processus ciblés sont égrenés dans le cours de l’œuvre.\r\n\r\nParadoxalement, et au regard de la complexité technique et algorithmique de la pièce, la partie de tuba de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* repose sur six matériaux aisément identifiables, peu développés, et cantonnés à un rôle précis au service du discours musical. Lanza parle ici de personnages : \"Il y a plusieurs éléments répétés, jamais pareils, que j’appelle personnages. Ces éléments sont très typés, même pour le type de registre\". [Lanza, 2002].\r\n\r\nCes six matériaux sont les suivants :\r\n\r\n- deux cellules *a* et *b* (reprises de *L’Allegro Chirurgo*)\r\n- deux pédales *c* et *d* (les deux notes extrêmes de la tessiture de tuba)\r\n- un motif de fusée ascendante (reprise de *L’Allegro Chirurgo*)\r\n- la citation du motif mélodique du jeu *It’s Burger Time* [Média 5].\r\n\r\nCes matériaux interviennent à différents niveaux hiérarchiques de l’écriture, respectivement au niveau 2 (pour les cellules *a* et *b* et les pédales *c* et *d*) et au niveau 1 (pour le motif \"It’s Burger Time\" et celui de fusée ascendante). Afin de pouvoir appréhender la forme globale de l’œuvre (niveau 1), il est nécessaire d’identifier et analyser au préalable les processus du niveau 2. Quant au niveau 3 — que nous aborderons succinctement — il correspond à l’intrusion d’accidents.\r\n\r\n#### Niveau 2 : une succession de processus\r\n\r\nMalgré l’absence de repères structurels indiqués dans la partition, il est possible d’opérer un découpage d’après les données musicales intrinsèques. On distingue, tout au long des deux premiers tiers de la pièce (394 mesures), une série de processus de même nature [Figure 4] : treize processus — que nous indiquons avec les premières lettres de l’alphabet — reprenant, de manière similaire, le procédé de *slicing* entre deux cellules tel que nous l’avons vu dans *L’Allegro Chirurgo*.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 4. Répartition des processus A à M dans *L’Allegro Chirurgo*.**\r\n\r\nChacun de ces treize processus a sa propre durée, ses propres proportions, sa propre organisation, réglementée par un algorithme spécifique. Les deux cellules ici soumises au principe de *slicing* sont plus que probablement dérivées de celles de *L’Allegro Chirurgo* – même si les hauteurs diffèrent quelque peu. Deux cellules *a* et *b*, deux brefs réservoirs de hauteurs constitués respectivement de cinq et quatre sons ; le premier acceptant les micro-intervalles dans le registre médium de la clé de *fa*, le second tempéré dans le grave de la clé de *fa*. [Figure 5] :\r\n\r\n<center></center>\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 5. *L’Allegro Chirurgo*, cellules génératrices *a* et *b* des premiers processus.**\r\n\r\nPrenons l’exemple du processus B (m.42-65) [Média 8] : la cellule *a* (en jaune) est exposée onze fois. La cellule *b* (en vert), exposée dix-sept fois, l’interpénètre avec accélération et densification, jusqu’à dominer tout l’espace sonore. On peut constater ici l’impact de la \"forme en fenêtres\" de Sciarrino : l’insertion des évènements électroniques (déclenchés par chaque note jaune de la cellule *a*) écartèle les données du *slicing* de la partie de tuba. Qu’en est-il des proportions ? Les algorithmes préalables élaborés sous Lisp prennent-ils en compte le temps de ces inserts électroniques, ou doivent-ils être défalqués des valeurs rythmiques de la partie de tuba ? Probablement cette question n’appelle-t-elle pas la même réponse au début et à la fin de la pièce — nous y reviendrons.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8cad19_08_lanza_burgertime_processusb\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 8. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, processus B (*slicing* *a* et *b*) [© Part. Lanza, 2001, m.42-65 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nIci, et contrairement à *L’Allegro Chirurgo* où ils étaient contextualisés, les processus de *slicing* sont présentés à nu au tuba, donc facilement identifiables. C’est la raison pour laquelle Lanza enrichit son discours musical en rajoutant deux clausules successives, deux pédales respectivement aux deux extrêmes de la tessiture de l’instrument : sol *aigu* (pédale *c*) et *do* # grave (pédale *d*). Une mesure de silence supplémentaire avec point d’orgue sépare les différents processus [Figure 6].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 6. _Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine_, structure de chaque processus.**\r\n\r\nCes deux pédales successives permettent à Lanza de travailler d’autres modes de jeu du tuba. La première clausule est obtenue par un glissando du tuba après l’achèvement du *slicing* précédent (boucle du motif *b*) vers le *sol* aigu. Ce dernier est mis en résonance, ou soumis à un traitement rythmique — que nous ne détaillerons pas ici. Prenons par exemple le prolongement du processus B [Média 9], enchaîné à la fin du *slicing* (mise en boucle de la cellule *b*). Cette note unique est traitée par *bisbigliando*, c’est-à-dire par variation du timbre par modification du mode de jeu — modification des doigtés du double système de pistons. Ainsi chaque son est indépendant de timbre, nonobstant la séquence rythmique imposée. La seconde clausule s’appuie sur le *do* # grave sans le transformer [Média 10].\r\n\r\n<iframe width=100% height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaeb9b0_09_lanza_burgertime_pedalec\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 9. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, pédale *c* *bisbigliando* sur le *sol* aigu [© Part. Lanza, 2001, m.62-65 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xde8e53_10_lanza_burgertime_pedaled\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 10. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, pédale *d* sur *do* # grave, [© Part. Lanza, 2001, m.271-274 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nChacune des séquences A à M suit sa propre organisation et ses propres proportions. Une fois encore, seule une compréhension des algorithmes préalables permettrait de détailler la logique interne de ces séquences [Figure 7]. La dernière séquence M est réduite au simple *slicing* des cellules *a* et *b*, et pour cause : la fin de ces séquences entre en tuilage avec la prise de pouvoir du matériau citationnel \"It’s Burger Time\" ; ces séquences sont donc soumises au processus global du niveau 1.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 7. Organisation interne des treize processus.**\r\n\r\n#### Niveau 1 : forme globale\r\n\r\nLa forme globale de la pièce obéit à un principe simple de translation d’un état A (processus A-M) à un état B. À terme, le tuba adopte la mélodie du \"It’s Burger Time\" (état B), c’est-à-dire qu’il s’approprie la musique de fond sonore du jeu vidéo [Média 11].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8b7fe5_11_lanza_burgertime_findeburgertime\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 11. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* [© Part. Lanza, 2001, m.488-514 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nLanza utilise à ce sujet le terme de *crossfade*, c’est-à-dire de chuintement discret permettant une continuité au sein du discours musical — proche du principe de fondu enchaîné. Cela peut se résumer en un schéma simple [A] → [B] qui se traduit ici par : \r\n\r\n<center>Processus de <em>slicing</em> A à M → \"It’s Burger Time\"</center>\r\n\r\nMais ce schéma simple peut résumer également nombre de paramètres de l’écriture et de la pensée de Lanza pour l’élaboration de sa pièce, selon la définition qui est donnée pour [A] et pour [B], en gardant pour règle ce principe de <em>crossfade</em>. Par exemple la densité d’écriture du tuba : \r\n\r\n<center>[A] = Rare et pointilliste → [B] = omniprésent et virtuose</center>\r\n\r\nou encore la présence des évènements électroniques :\r\n\r\n<center>[A] = Omniprésente et riche → [B] = ponctuelle et limitée</center> \r\n\r\nSachant que l’ensemble des processus A-M, issus de l’écriture de <em>L’Allegro Chirurgo</em>, gère toute la première partie de l’œuvre, il est possible de généraliser cette équation aux œuvres et aux jeux concernés : \r\n\r\n<center><em>L’Allegro Chirurgo</em> → <em>Burger time ou les Tentations de Saint Antoine</em></center>\r\n\r\n<center><em>Docteur Maboule</em> (électrique) → <em>Burger Time</em> (électronique)</center>\r\n<br>\r\nToutefois cette équation simple est enrichie par une étape intermédiaire, une fois encore reprise de <em>L’Allegro Chirurgo</em>, Lanza présentant, aux mesures 144-146, un motif de fusée ascendante.\r\n\r\nCe motif de fusée (motif *e*) est présentée intégralement dès sa première apparition [Média 12] : quasi-chromatique et non tempérée avec vingt notes constitutives, et une étendue du *do* # grave au *sol* aigu, c’est-à-dire établissant la jonction entre les deux pôles des pédales *c* et *d*, et donc encore une fois les extrêmes de la tessiture du tuba. Hormis sa directionnalité, cette fusée est en tout point similaire à son *alter ego* de *L’Allegro Chirurgo*. Elle diffère en revanche quant à sa fonction qui n’est plus de séparer deux motifs (*a* et *b*), mais deux états musicaux : les processus A-M au motif \"It’s Burger Time\".\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcafeb1_12_lanza_burgertime_fusee\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 12. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, première apparition de la fusée ascendante (motif *e*) [© Part. Lanza, 2001, m.144-146 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nCette fusée *e* est omniprésente dans toute la seconde partie de l’œuvre : tout d’abord comme élément perturbateur/interstitiel (m.144-268) ; puis proliférant (m.279-402) ; et enfin en dialectique avec les éléments de \"It’s Burger Time\" (à partir de m.404). La forme générale de *Burger Time ou les tentations de Saint Antoine* peut ainsi être schématisée simplement [Figure 8] suivant trois entités-matériaux qui s’interpénètrent : la suite des treize des processus de *slicing* A-M , la propagation du motif de fusée ascendante et, enfin, le travail final sur la mélodie \"It’s Burger Time\".\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 8. Macroforme de *Burger Time ou les tentations de Saint Antoine* avec les *crossfade* entre les trois entités principales.**\r\n\r\n#### Niveau 3 : micro-évènements\r\n\r\nDe nombreux “accidents” viennent émailler le discours musical, accidents que l’on ne saurait considérer comme de simples faits de parcours ou de simples coquilles de publication. L’analyse de niveau neutre se heurte ainsi à ces micro-phénomènes, sans pouvoir y trouver une justification. Par exemple dans le processus B [Média 8], la cellule *b* est présentée dix-sept fois et sa quatorzième occurrence est amputée d’une note. Les clausules *c* et *d* sont par ailleurs souvent enrichies de ces “accidents”, probablement non algorithmiques, visant à contrebalancer la rigueur conceptuelle de l’œuvre.\r\n\r\n### La partie électronique\r\n\r\n####Patch principal\r\n\r\nLe *patch* principal que Lanza a réalisé sous *Max/MSP* [Figure 9] prend en charge la gestion de l’ensemble des 468 fichiers-son déclenchés manuellement. Ce patch intègre avec ironie le personnage virtuel du cuisinier Peter Pepper, ainsi que quatre hamburgers, illustrant les quatre colonnes du terrain de jeu d’arcade [Figure 3]. Toutefois leur présence n’est pas qu’anecdotique : cet écran illustre une fois encore la dichotomie du titre de l’œuvre (écrit intégralement en haut à gauche de l’écran). Cet écran oppose à la fois la gaîté du jeu vidéo (en couleur) au terne programme *Max* (en gris) ; et la simplicité ancienne du jeu vidéo (pixélisé) à la complexité du programme Modalys. Lanza n’a pas souhaité recourir à des procédés temps réel (capteur MIDI, suiveur de partition, etc.), notamment afin de garder le contrôle total sur la conception de la partition. [0]La pièce fait juste usage du spatialisateur SPAT de l’Ircam, mais ici aussi de manière ponctuelle et ciblée — notamment pour les séquences sur le *sol* aigu parcourant un mouvement giratoire autour du public. Dans la fenêtre de son *patch* principal, les quatre hamburgers sont achevés, et Peter Pepper lève les bras en signe de victoire. On pourrait y voir une boutade de Lanza face aux innombrables difficultés qu’engendre la réalisation globale d’une telle œuvre mixte à l’Ircam, une domination de la dimension technique dans le cadre du cursus de formation et d’apprentissage.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 9. Patch principal *Max* pour la partie électronique de *ou les tentations de Saint Antoine*.**\r\n\r\n#### Analyse des objets sonores\r\n\r\nLa partie électronique n’est pas constituée que de sons de jeux vidéo reconstitués. La majeure partie des évènements comprend des structures élaborées au fil des expérimentations de Lanza avec Modalys — nous les étudierons au cas par cas plus loin. En ce qui concerne les sons extraits de jeux vidéo, Lanza a procédé tout d’abord à une collecte de sons susceptibles d’être employés. En raison des traitements envisagés, Lanza a fait le choix de sons brefs, et donc principalement des bruitages locaux, issus d’un nombre restreint de jeux d’arcade contemporains de *Burger Time*. Le compositeur en cite trois en particulier : *Bomb jack*, *Dig-dug* et *Pac-Man*. Vingt ans après, Lanza n’a plus le souvenir exact des choix qui ont été faits, ainsi que de la raison de ces choix. Un son extrait du jeu *Pac-Man* est par exemple bien présent dans le dossier des fichiers \"Burger Time\" d’époque, mais l’analyse de la pièce démontre qu’il n’a, au final, pas été utilisé. L’œuvre connut plusieurs versions successives, ce qui peut expliquer certaines modifications ; cela sous-entend par ailleurs que le choix des sons fut assez libre, et sans organisation préalable. Dans la version terminale, huit sons de jeux vidéo distincts sont utilisés [Figure 10].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 10. Liste des extraits sonores puisés dans différents jeux d’arcade.**\r\n\r\nLanza a fait le choix de ne pas utiliser directement ces sons. À une exception près — les quartes de \"It’s Burger Time\" — tous les sons utilisés dans *Burger Time* ont été entièrement reconstitués avec Modalys. Pour expliquer le protocole employé, prenons comme exemple le son \"Death\" tiré du jeu *Bomb Jack* [Média 13]. Lanza analyse le son d’origine avec le logiciel AudioSculpt afin d’en identifier les composantes principales [Figure 11] ; il réalise alors une transcription musicale — limitée à deux ou trois voix et en utilisant des quarts de ton — puis opère une reconstitution à l’identique en recourant à un objet \"plaque\" excité par un \"strike\" (marteau) en synthèse par modèle physique [Média 14].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"55\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa1f339_13_lanza_bugertimeoulestentationsdesaintan\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 13. Jeu *Bomb Jack*, motif \"Death\".**\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 11. Analyse AudioSculpt du pattern originel utilisé dans le motif \"Death\" du jeu vidéo *Bomb Jack*.**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3abdf0_14_lanza_burgertime_death\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 14. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, retranscription du son après analyse sur AudioSculpt (à gauche) et re-synthèse par modèle physique (à droite) [© Part. Lanza, 2001, m.297 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nIl est possible d’établir des “familles” d’objets sonores selon la nature de leur(s) matériau(x) d’origine. Dans son analyse sémiologique de *Burger Time*, Valle avait déjà fait ce constat, désigné des catégories et élaboré un plan de forme selon la logique de répartition de ces familles d’objets sonores [Valle, 2019]. Toutefois il avait fait le choix de ne pas chercher à identifier les matériaux originels, dénombrant à l’écoute onze familles d’objets sonores, répartis temporellement en deux groupes. Il leur attribue des dénominations approximatives d’après le résultat sonore (*trumpet*, *cymbalum*, *voice*, *frog*, etc.). Leur répartition temporelle montre des premières familles omniprésentes dans l’œuvre, et les dernières très ponctuelles et uniquement dans les trois dernières minutes de l’œuvre.\r\n\r\nL’analyse de la partition montre nombre de similitudes avec cette analyse esthésique, mais elle permet d’affiner l’identification des familles d’objets sonores, d’étudier leur évolution au fil de la forme, et de proposer une structure globale de *Burger Time* plus précise. Cette analyse permet de confirmer la présence de 11 familles d’objets sonores. Le nombre d’occurrences de ces objets s’avère très variable puisqu’ils peuvent apparaître à travers 3 séquences comme à travers 187 séquences.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 12. Liste des familles d'objets sonores.**\r\n\r\nSi comme nous l’avons vu, la forme globale de la partie de tuba de *Burger Time* peut être résumée par un simple processus [A] → [B] (*L’Allegro Chirurgo* → *Its Burger Time*), la logique de la partition électronique montre une autre forme évolutive, par glissement progressif des familles d’objets sonores. Afin d’offrir une alternative au schéma formel de Valle, nous avons fait le choix de ne pas prendre le temps comme unité en abscisses, mais les objets sonores [Figure 13].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 13. Plan global de la partie électronique**\r\n\r\nComme l’avait constaté Valle, il existe effectivement une dichotomie entre les premières et les dernières familles de sons. On constate par exemple une logique fonctionnelle des premières familles par rapport aux données (matériaux) de la partie instrumentale (*harmonizer*, anacrouses, désinences, etc.) ; logique qui se délite au cours de l’œuvre, pour tendre vers l’aléatoire, ce qui constitue une fois encore un processus global identique à ce qui a été démontré auparavant : \r\n<center>séquences liées à l’instrumental → séquences aléatoires non liées à l’instrumental.</center>\r\nIl est à noter également une logique de répartition progressive selon la nature des matériaux, au profit des sons tirés de jeux vidéo. À cela s’ajoute une volonté probable de la part du compositeur de confronter tous ces matériaux selon différents critères (anciens et modernes, réels ou informatiques, kitch ou scientifiques, proches ou contrastés, etc.). La liberté constatée tant en ce qui concerne le choix des sons que leur disposition semble indiquer que la partie électronique n’obéit pas à un algorithme préétabli.\r\n\r\n#### Analyse des familles d’objets sonores\r\n\r\n**Famille n°1 : réécriture de *Barocco***\r\n\r\n- Modèle : séquences d’instruments jouets issus de la pièce *Barocco*\r\n- Objet : tuyau\r\n- Connexion : reed\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 12\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.1-180\r\n- Évolution : les séquences de *Barocco* ne subissent aucune transformation autre que la reconstitution avec Modalys.\r\n- Fonction : ces séquences, associées à celles de la famille n°2, constituent la principale matière du discours musical pour le début de l’œuvre.\r\n\r\nLa première famille d’objets sonores — qui ouvre la pièce — est constituée de séquences redécoupant un matériau pour instruments jouets (saxophone, clarinette et trompette de la marque *Bontempi*) issu d’une pièce antérieure de Lanza : *Barocco* (2000) pour voix et ensemble [Média 15]. Toutes ces séquences ont été intégralement reconstituées sous Modalys [Média 16]. Lanza a choisi de travailler avec des objets de type “tuyaux” ainsi que la connexion \"reed\" (anche), afin de reconstituer le plus fidèlement possible les sons des instruments jouets d’origine, en rajoutant un effet de membrane ou de mirliton afin d’obtenir un son vibré. De l’aveu même du compositeur, le résultat est presque meilleur que les sons originaux.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x622bba_15_lanza_burgertime_barocco\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 15. *Barocco* [© Part. Ricordi, 2003, m.XXX / EA CD MFA-Stradivarius, 2007].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x898593_16_lanza_burgertime_debutburgertime\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 16. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, reconstitution d’un extrait de *Barocco* [© Part. Lanza, 2001, m.1-06 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°2 : composition d’arpèges égrenés**\r\n\r\n- Modèle : aucun\r\n- Objet : plaque avec clusters d’objets, effet \"kalimba\"\r\n- Connexion : plectre + connexion \"strike\"\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 187\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.3-392\r\n- Fonction : les séquences de cette famille n°2 sont systématiquement associées aux sons de la cellule *a* de tuba [Média 8].\r\n- Évolution : boucle défective.\r\n\r\n> Le matériau musical est constitué de 4 accords/désinences : 4 groupes de 24 triples croches, que nous nommerons α, β, γ et δ [Médias 17, 18, 19 et 20]. Ces quatre gestes ont été vraisemblablement composés afin de s’opposer esthétiquement à la famille n°1 avec laquelle elle entre en dialectique (comme pour *L’Allegro Chirurgo*). Le principe d’engendrement de ces séries de sons est basé sur la métabole progressive d’un accord originel par chromatisme. Les objets de cette famille sont souvent pris en exemple par Lanza lors de ses présentations de l’œuvre : \"Parfois je ne spécifie pas tous les paramètres pour créer un objet […], je fais des *random* par exemple, je resynthétise le même son plusieurs fois, […] chaque son est composé de plusieurs couches, et je compose les couches de manière à obtenir le résultat qui me plait\" [Lanza, 2004].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x25732e_17_lanza_burgertime_elementalpha\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 17. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, élément α [© Part. Lanza, 2001, m.01 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaa6c03_18_lanza_burgertime_elementbeta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 18. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, élément β [© Part. Lanza, 2001, m.06 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x06c15a_19_lanza_burgertime_elementgamma\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 19. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, élément γ [© Part. Lanza, 2001, m.11 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"250\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x2f6f54_20_lanza_burgertime_elementdelta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 20. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, élément δ [© Part. Lanza, 2001, m.12 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nCes quatre séquences sont présentées en boucle toujours dans le même ordre (α, β, γ et δ), mais de manière défective avec une diminution généralement du nombres de valeurs pour chaque élément [Média 21]. Les premières mesures de *Burger Time* sont, encore une fois, un exemple de contraste matériel souhaité par Lanza. Dans *Barocco*, il opposait instruments jouets et \"boites à meuh\", ici il oppose instruments jouets reconstitués et séquences complexes élaborées par ordinateur qui constituent la famille n°2.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xce4b8a_21_lanza_burgertime_groupe2\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 21. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, mise en boucle des éléments α, β, γ et δ (év 12/δ6 ; év 13/α18 ; év 14/β9 ;év 15/γ15 ; év 16/δ9 ; év 17/α16 [© Part. Lanza, 2001, m.**24-26** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°3 : *sol* # de tuba +désinence **\r\n\r\n- Matériau : *sol* # de tuba (fichier son)\r\n- Objet : plaques\r\n- Connexion : Marteau + \"Force\"\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 15\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.39-435\r\n- Évolution : D’abord limités à un unique *sol* # réverbéré (évènements 38 et 70), ces objets se déploient vers le grave.\r\n- Fonction : logiquement associés à la pédale *c*, c’est-à-dire aux clausules des différents processus A-M, dont ils constituent au final un prolongement hétérophonique. Leur durée est associée à cette pédale ; la seconde pédale *do* # grave met fin à leur déroulé.\r\n\r\nLanza a choisi de travailler ici une connexion particulière de Modalys : \"Force\", connexion permettant de soumettre un fichier son à un excitateur (marteau, archet, etc.). Le fichier son comprend un *sol* # aigu du tuba, spécifique de la pédale c à qui cette famille d’objets est associée. Les évènements liés à ce *sol* # ont été entièrement créés par Lanza avec OpenMusic, et consistent en des chaînes de brefs *pattern* constituant une polyphonie complémentaire dont la vitesse est variable, selon une logique proche des canons de Wuza. Les marteaux bougent en fonction d’une fréquence audio, permettant la création d’objets hybrides. Dans le processus D [Média 22] on peut distinguer clairement le fichier son dans son état d’origine présenté sur l’apparition du *sol* # au tuba (évènement 139, m.133), puis sa transformation progressive vers le grave. Cette transformation, ainsi que toutes celles de cette famille (15 occurrences) sont toutes différentes de nature, et présentent fondamentalement des proliférations de *pattern* de quelques notes, élaborées avec OpenMusic – assez semblables au développement de la voix dans la précédente pièce de Lanza : [work:732d8097-f685-45c9-8f16-90dff75e175d][Erba nera].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x59e26c_22_lanza_burgertime_transformationfichiers\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 22. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, transformation d'un fichier son de *sol* # du tuba [© Part. Lanza, 2001, m.**103-127** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°4 : son de \"réveil\"**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Dig-dug*, \"Monster morning\".\r\n- Objet : plaques.\r\n- Connexion : \"Strike\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 10.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.41-414.\r\n- Fonction : enchaîner deux fonctions au sein de la forme en introduisant les processus de la famille n°2 [Médias 17 à 20].\r\n\r\nÀ la différence de la famille précédente, la famille n°4 expose un élément bref et aisément identifiable. Dans son analyse, Valle qualifie ce son de \"réveil\" en raison de ses caractéristiques : deux tons sol #-sol, vibrato, strident [Valle, 2019]. Cet objet sonore est plusieurs fois mis en boucle. Il s’agit d’un son extrait du jeu vidéo *Dig-dug* intitulé \"Monster morning\" [Média 23] que Lanza a reconstitué pour être très proche de l’original [Média 24]. Puis à partir de m.198, cet objet est relié à la fusée ascendante dont il sépare les occurrences [Média 25].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"65\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa3548d_23_lanza_burgertimeoulestentationsdesainta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 23. Jeu *Dig dug*, motif \"Monster morning\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x361fa4_24_lanza_burgertime_reveil\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 24. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, son de \"réveil\" (év. 71) [© Part. Lanza, 2001, m.**66-68** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7e14c5_25_lanza_burgertime_reveil2\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 25. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, alternance entre fusée ascendante et son de \"réveil\" [© Part. Lanza, 2001, m.211-212 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°5 : résonances “rouillées”**\r\n\r\n- Matériau originel : inconnu, métallique (partition : transcription spectrale).\r\n- Objet : objets divers.\r\n- Connexion : \"Force\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 11.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.83-395.\r\n- Fonction : généralement associées au motif *b* dans la première partie [Média 22].\r\n\r\nLes séquences regroupées dans la famille n°5 l’ont été en raison de leur esthétique similaire (timbre métallique, aspect frotté), ainsi que leur parenté d’écriture dans la partition. Lanza emploie ici encore la connexion \"Force\" afin d’utiliser des sons du tuba pour faire résonner des objets de type \"plaques\", sans directionnalité réelle. [Média 26]. Par la suite, ils se combinent avec d’autres objets sonores, comme ceux des familles n°10 et n°7 [Média 27].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x69688a_26_lanza_burgertime_objet5\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 26. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, résonances “rouillées” (év. 114, 115, 117 et 118) [© Part. Lanza, 2001, m.**89-92** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x08e663_27_lanza_burgertime_objet5b\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 27. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, résonances “rouillées” (év. **315-317, 319-321**) [© Part. Lanza, 2001, m.**338-343** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°6 : répercussions métalliques**\r\n\r\n- Matériau originel : montée spectrale métallique.\r\n- Objet : plaques métal.\r\n- Connexion : \"Strike\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 10.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.127-391.\r\n- Évolution : chaque séquence est différente, leur retranscription évolue dans le cours de l’œuvre, certaines en blocs harmoniques complexes, d’autres simplement monodiques (pour une simple facilité de lecture).\r\n- Fonction : toujours déclenchées par le tuba sur le *do* # grave dont elles constituent une désinence, les séquences s’enchaînent toujours à un objet de la famille n°2.\r\n\r\nLe travail porte à nouveau sur des objets de type \"plaques métalliques\" de grande taille, avec un excitateur de type \"marteau\" auquel s’ajoute un processus de compression du spectre vers l’aigu et un ralentissement [Médias 28 et 29]. Composés dans OpenMusic, les objets de cette famille sont tous différents mais répondent à une problématique commune : constituer d’un effet d’éclat à partir de la matière qui produit le son.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xca2db1_28_lanza_burgertime_objet6\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 28. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, éclats métalliques (év. 170) [© Part. Lanza, 2001, m.**161-163** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x44cd3d_29_lanza_burgertime_objet6b\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 29. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, éclats métalliques (év. 222) [© Part. Lanza, 2001, m.**242-243** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°7 : arpèges rapides descendants**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Bomb Jack*, motif \"Death\".\r\n- Objet : plaques.\r\n- Connexion : \"Strike\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 10.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.297-473.\r\n- Évolution : fixe, et non modifié au fil des occurrences, excepté le nombre d’arpèges (6 dans l’exemple suivant ; puis réduit à 4, puis légèrement transformé).\r\n- Fonction : pas de fonction spécifique.\r\n\r\nIl s’agit du motif \"Death\" extrait du jeu *Bomb Jack* que nous avons détaillons plus haut [Médias 13 et 14].\r\n\r\n**Famille n°8 : quartes**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Burger Time*, deux quartes extraites de \"It’s Burger Time\".\r\n- Objet : échantillons de *Toy piano*.\r\n- Connexion : /\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 33.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.303-511.\r\n- Évolution : domine toute la dernière partie de l’œuvre.\r\n- Fonction : renforce les quartes identiques de la partie de tuba.\r\n\r\nIl s’agit des seules composantes de la partie électronique non travaillées, mais simplement constituées d’échantillons, en l’occurrence de *Toy piano*. Lanza a souhaité ainsi mettre en évidence un son riche, opposé aux sons recomposés par synthèse. Par ailleurs le *Toy piano* faisait partie de l’instrumentarium de *Barocco*. Lanza crée ainsi un lien entre la musique du jeu *Burger Time* et les autres instruments jouets de *Barocco* dominant tout le début de l’œuvre. Cet objet très bref sonne comme un signal au sein du discours musical. Il s’agit de l’intervalle de quarte omniprésent dans la musique de fond du jeu *Burger Time*. Il se trouve donc à la fois dans la partie instrumentale et la partie électronique. Nous avons rassemblé dans le même groupe les deux quartes utilisées : l’une descendante *fa* #-*do* # et l’autre ascendante *mi-la*, en raison de leur traitement identique [Média 30].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xea588e_30_lanza_burgertime_quartes\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 30. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*,** quartes extraites de *It’s Burger Time* **[© Part. Lanza, 2001, m.347-350 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°9 : arpèges rapides ascendants**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Dig-dug*, motif \"Shot\".\r\n- Objet : plaques.\r\n- Connexion : \"Strike\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 5 (n° 309, 333, 344, 358, 403).\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.333-482.\r\n- Évolution : présenté 5 fois de manière identique.\r\n- Fonction : interstitiel, il est utilisé sans logique apparente, mais souvent entre deux \"fusées\" de la partie instrumentale.\r\n\r\nLanza ne retient que les trois premiers arpèges ascendants initiaux [Média 31] pour constituer un objet sonore [Média 32] dont la morphologie est l’inverse de ceux issus de la famille n°7 (arpèges descendants).\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0f0c02_31_lanza_burgertime_digdugshot\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 31. Jeu *Dig-dug*, motif \"Shot\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xae7a30_32_lanza_burgertime_objet9\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 32. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, arpèges rapides ascendants [© Part. Lanza, 2001, m.354 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°10 : arpèges tonals ascendants/descendants**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Burger Time*, motif \"Got caught\" (mort).\r\n- Objet : objet spécifique.\r\n- Connexion : \"Reed\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 6 (n°314, 337, 338, 350, 364, 385).\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.339-436.\r\n- Évolution : l’objet n°10 n’évolue pas, hormis sa longueur en variant le nombre d’arpèges à chaque évènement (respectivement 3, 4, 2, 3, 3, 2).\r\n- Fonction : sans logique apparente.\r\n\r\nCe son occasionnel du jeu *Burger Time* [Média 33] est présenté ici à 6 reprises. Il est facilement identifiable morphologiquement [Média 34], le timbre est caractéristique de la connexion \"Reed\" de Modalys similaire aux séquences transformées de *Barocco* constituant la famille n°1.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"200\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x1013bf_33_lanza_burgertime_burgertimegotcaught\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 33. Jeu *Burger Time*, motif \"Got caught\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x1ce99b_34_lanza_burgertime_objet10\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 34. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, objet sonore de la famille n°10 (év. 337) [© Part. Lanza, 2001, m.358-360 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°11 : sons isolés de *Dig-dug***\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Dig-dug*, motifs \"Monster touched Dig-dug\", \"Dig-dug disappearing\" (bruitages) et \"Walking\" (fond sonore).\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 3 (n°177, 178 et 393).\r\n- Au sein du discours musical : m.167-169 et 414.\r\n\r\nNous avons regroupé dans cette onzième famille trois évènements isolés au sein du discours musical, ne comportant qu’une seule occurrence chacun, mais provenant d’une même origine : le jeu d’arcade *Dig-dug*. D’un côté, en plein milieu de la pièce (évènements 177 et 178) : deux bruitages brefs enchaînés correspondant aux deux sons enchaînés de la mort (*death*) du personnage : \"monster touched Dig-dug\" [Média 35] et \"Dig-dug disappearing\" [Média 36].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"65\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf5b4f2_35_lanza_burgertimeoulestentationsdesainta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 35. Jeu *Dig-dug*, motif \"monster touched Dig-dug\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"65\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8825e3_36_lanza_burgertimeoulestentationsdesainta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 36. Jeu *Dig-dug*, motif \"Dig-dug disappearing\".**\r\n\r\nCes deux sons s’enchaînent dans *Burger Time* et s’insèrent entre des objets sonores issus des familles n°2 et n°4. Ils ne sont pas liés à la partie de tuba, constituant une sorte de micro-interlude [Média 37].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb032f8_37_lanza_burgertime_objet11a\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 37. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, motifs \"monster touched Dig-dug\" et \"Dig-dug disappearing\" du jeu *Dig-dug* (év. 177-178) [© Part. Lanza, 2001, m.166-169 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nLe motif \"Walking\" [Média 38] — caractérisé par sa basse de banjo — sert de fond sonore dans le jeu *Dig-dug* et apparaît donc comme l’*alter ego* du motif générique de *It’s Burger Time* [Média 4]. En totale opposition avec les motifs précédents, cet objet sonore ne connaît qu’une seule occurrence vers la fin de l’œuvre qui n’est pas liée à la partie soliste. La séquence construite par Lanza ne reprend que les cinq premières doubles croches ; elle s’insère dans une période de silence dans le prolongement d’une séquence de tierce [Média 39]. Sa transformation est très légère, même si la représentation analytique dans la partition semble complexe et éloignée de la transcription précédente.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"270\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb5ef3e_38_lanza_burgertime_digdugwalking\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 38. Jeu *Dig-dug*, motif \"Walking\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"220\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7bf0b3_39_lanza_burgertime_objet11b\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 39. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, **motif \"walking\" du jeu *Dig-dug*** [© Part. Lanza, 2001, m.**414-415** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n#### La version pour électronique seule (2008)\r\n\r\nLa première version de *Burger Time* pour tuba et électronique n’a jamais été jouée depuis 2002. Elle nécessiterait, d’après le compositeur, une réécriture ainsi qu’une nouvelle implémentation de la partie électronique. Une seconde version a été réalisée en 2008 dans le cadre d’une commande d’œuvre électronique destinée à être diffusée en plein air. Elle conserve l’intégralité des données musicales (partie de tuba et séquences électroniques) mais sa durée a été ramenée à 12 minutes 54 secondes et la spatialisation réduite en stéréophonie. Le titre n’a pas été modifié (il aurait pu être par exemple *Burger Time* II). À ce jour, cette version remplace officiellement la version mixte originelle retirée du catalogue.\r\n\r\nLes deux enregistrements de la première version démontrent que s’il est possible techniquement d’exécuter l’œuvre. Le déclenchement de chaque évènement par l’instrumentiste demeure une épreuve pesante, à laquelle s’ajoute la complexité technique de la partie instrumentale, provoquant une fatigue progressive de l’exécutant perceptible dans la dernière partie de l’œuvre. Cette fatigue amène des imprécisions de jeu, mais aussi des respirations de plus en plus marquées alors que Lanza a au contraire envisagé sa fin comme une domination du tuba sur l’électronique (Saint Antoine surpassant les tentations). La fixation des données permet de supprimer cette difficulté.\r\n\r\nChaque note de la partie de tuba, isolée en un fichier son, a été traitée avec la connexion \"Force\" sous Modalys comme un objet soumis à une excitateur de type marteau, créant ainsi des sons hybrides. Ce travail est notamment évident dans les séquences de *bisbigliando* sur le sol aigu ; il permît au compositeur un contrôle du temps, de la précision des sons de la partie soliste ainsi que de la dynamique globale, le paramètre humain ayant été supprimé. Ces transformations donnent à la partie de tuba une dynamique étonnante, notamment en ce qui concerne les transitoires d’attaque. La dernière partie de l’œuvre conserve ainsi son énergie, y compris dans le détail de chaque note [Média 40].\r\n\r\nLes évènements électroniques sont en revanche identiques. Leurs enchaînements sont facilités, et donc les rapports entre eux plus évidents. Cependant, ces modifications entraînent une indifférenciation entre Saint Antoine et les tentations, entre le tuba et les évènements électroniques. Si cette nouvelle version gagne en efficacité dynamique, la problématique originelle est gommée. Le compositeur assume cependant cette version “transitoire” de la partition. La comparaison des deux versions donne un renversement de paramètres intéressant : la version I voyait la domination du tuba (Saint Antoine) sur l’électronique (Tentations) ; dans cette seconde version le tuba est désormais entièrement absorbé par l’électronique.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"65\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0c8081_40_lanza_burgertimeoulestentationsdesainta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 40. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, fin de la version électronique, [© Arch. **Lanza, EA 2008**].**\r\n\r\n------------\r\n\r\n### Conclusion\r\n\r\nEn 2023 Lanza n’envisageait pas d’autres versions de *Burger Time ou les tentations de Saint Antoine*, ce qui aurait été, somme toute, assez logique dans la continuité des réécritures de Flaubert ou des représentations historiques du moine anachorète. Il n’y a pas non plus de réemploi des matériaux de l’œuvre dans d’autres compositions, si ce n’est *via* le prolongement du cycle *Nessun suono d’acqua*, cycle d’après les fragments poétiques des Premières proses italiennes (*Prime prose italiane*) d’Amelia Rosselli, dont *Erba nera che cresci segnio nero tu vivi* (1999-2001) pour voix et électronique et *Barocco* (2000) pour voix et instruments-jouets ont été les premières composantes. Suivant [work:a3174a75-5b3c-4547-a4b5-9f010951ebb9][Mare] (2003-2004) pour voix, instruments-jouets, ensemble instrumental et électronique, *Cane* (2006-2007) pour voix, instruments-jouets, ensemble instrumental et électronique et [work:d258e066-253f-44be-963d-a1ae88f1b453][Vesperbild] (2007) pour instruments-jouets et ensemble instrumental.\r\n\r\nLe cycle *Nessun suono d’acqua* rencontre des similitudes avec *Burger Time*, à commencer par l’opposition/complémentarité entre voix de soprano et multiples entités d’accompagnement, permutant ces entités au cours des pièces. Un détail mérite d’être évoqué en conclusion de cette analyse. *Erba nera*, proposée dans une première version inachevée en 1999 à la fin de son cursus de composition et informatique à l’Ircam, sera achevée par Lanza en 2001, c’est-à-dire durant la conception de *Burger Time*. En septembre 2001, c’est au tour de [composer:f953997f-355f-4ad9-bbda-7e441cc5953e][Francesco Filidei], compositeur, compatriote et ami proche de Lanza, de suivre la formation de l’Ircam (2001-2002). Celui-ci choisira de poursuivre le travail sur Modalys pour son œuvre de fin de cursus, avec d’ailleurs la même bibliothèque que Lanza dans l’environnement OpenMusic (OM-Modalys, version 2.0). Sa pièce, *Programming Pinocchio* pour piano et électronique, s’inspire du roman éponyme de Carlo Collodi, et s’intéresse, comme la première pièce de Lanza, à la linguistique puisqu’une partie du texte de Collodi sera retranscrite en séquences d’accords dans une structuration assez proche de la parole, séquences orchestrées ensuite grâce à la synthèse par modélisation physique. *Burger Time* et [work:82c6d8af-9035-4fb6-81f7-fdc3e89b0d2b][Programming Pinocchio] partagent quant à elles plusieurs points communs comme l’effectif mixte instrument solo/électronique, et une partition électronique limitée au déclenchement live d’un ensemble de fichiers sons (106 pour Filidei, déclenchés grâce à une pédale). Une continuité donc assurée et assumée puisque *Programming Pinocchio* est officiellement dédiée à Mauro Lanza.\r\n\r\n### Ressources\r\n\r\n#### Textes\r\n\r\n[Baltrušaitis, 1981] – Jurgis Baltrušaitis, \"Le Moyen Age fantastique, Antiquités et exotismes dans l’art gothique\", Paris : Flammarion, 1981.\r\n\r\n[Delmar, 1998] – Olivier Delmar, *De* Modalys *au guide d’ondes numérique*, mémoire Ircam/ENSEA – Université Cergy Pontoise, 1998.\r\n\r\n[Dos Santos, 2006] Reinaldo Dos Santos, *Interface perceptive de contrôle dans un logiciel de modélisation par synthèse physique* : Modalys, mémoire de Master 2, Ircam/Université Pierre et Marie Curie, Jussieu, Paris VI, 2006.\r\n\r\n[Flaubert, 1874/2006] – Gustave Flaubert, *La Tentation de Saint Antoine*, édition de Claudine Gothot-Mersch, folio classique, n°1492, 2006.\r\n\r\n[Lanza, 2002] – Mauro Lanza, note de programme pour *Burger time ou les Tentations de Saint Antoine*, Ircam, 22 janvier 2002, [https://medias.ircam.fr/media/old_archives/programnote/LO38067-01.pdf/](https://medias.ircam.fr/media/old_archives/programnote/LO38067-01.pdf/ \"https://medias.ircam.fr/media/old_archives/programnote/LO38067-01.pdf/\") (Consulté en mars 2020).\r\n\r\n[Lanza, 2018] – Mauro Lanza, \"Entretien #16 – Mauro Lanza\", MusicAlgo, Petite introduction pratique aux musiques génératives et algorithmiques (propos recueillis en juillet 2018), http://musiquealgorithmique.fr/entretien-16-mauro-lanza/ (Consulté en février 2020).\r\n\r\n[Sciarrino, 1998] – Salvatore Sciarrino, *Les Figures de la musique, de Beethoven à aujourd'hui*, Ricordi, 1998.\r\n\r\n[Valle, 2019] – Andrea Valle, \"*Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, or Not Wanting to Say Anything About Mauro Lanza, Gustav Flaubert and Peter Pepper\", *Flaubert* [en ligne] 21/2019, mis en ligne le 01 juin 2019, http://journals.openedition.org/flaubert/3650 (Consulté en novembre 2020).\r\n\r\n#### Archives\r\n\r\n**[Arch. Ircam]**\r\n\r\n[Bensoam et Ellis, 2004] — Joël Bensoam et Nicholas Ellis, *Synthèse par modélisation physique (logiciel* Modalys *) et interprétation*, Paris, Ircam, 16 octobre 2004. Consultable à la médiathèque de l’Ircam (consulté en novembre 2020).\r\n\r\n[Lanza, 2002a] — Mauro Lanza, Présentation de *Burger time ou les Tentations de Saint Antoine*, Ircam, 22 janvier 2002. Consultable à la médiathèque de l’Ircam (consulté en novembre 2020).\r\n\r\n[Lanza, EA 2002a] — Mauro Lanza, *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, David Zambon (tuba), Ircam, 22 janvier 2002, https://medias.ircam.fr/x47b985_burger-time-ou-les-tentations-de-saint-ant (consulté en février 2021).\r\n\r\n[Lanza, EA 2002b] — Mauro Lanza, *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, David Zambon (tuba), Ircam, le 19 octobre 2002 https://medias.ircam.fr/x415d22_burger-time-ou-les-tentations-de-saint-ant (consulté en février 2021).\r\n\r\n[Lanza, 2004] — Mauro Lanza, *Point de vue de compositeurs*, Ircam, 15 novembre 2004. Consultable à la médiathèque de l’Ircam (consulté en novembre 2020).\r\n\r\n[Lanza, 2017] —& Mauro Lanza, *Objet trivial objet trouvé*, Paris, CDMC, 12 décembre 2017. Consultable sur le site Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=ebPjRF3qLwk (consulté en août 2020).\r\n\r\n[Lanza, 2018] — Mauro Lanza, *20 ans de musique entre informatique & boîte à meuh*, conférence donnée le 17 mai 2018 au Club 44, La Chaux-de-Fonds (Suisse). Consultable sur le site Vimeo : https://vimeo.com/275243022 (consulté en août 2020).\r\n\r\n**[Arch. Lanza]**\r\n\r\n[Lanza, EA 2008] — Mauro Lanza, *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* (version électronique), https://soundcloud.com/maurolanza/burger-time-ou-les-tentations-de-st-antoine (consulté en février 2021).\r\n\r\n**[Arch. Kiyokawa]**\r\n\r\n[Kiyokawa, EA 2019] — Mauro Lanza, *L’Allegro Chirurgo*, Miho Kiyokawa (saxophone ténor), sl.n.d., https://www.youtube.com/watch?v=h2L4M4QXKqs (consulté en juillet 2020).\r\n\r\n#### Partitions\r\n\r\n[Part. UE, 1997] — Pierre Boulez,* Anthèmes 2*, Universal Edition UE 31160, 1997.\r\n\r\n[Part. Noten Roehr, 1996] — ;Mauro Lanza, *L’Allegro Chirurgo*, Noten Roehr 91243, 1996.\r\n\r\n[Part. Ricordi, 2003] — Mauro Lanza, *Barocco*, Ricordi, 139220, 2003.\r\n\r\n[Part. Lanza, 2001] — Mauro Lanza, *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, Edition du compositeur, 2001.\r\n\r\n#### Enregistrement audio\r\n\r\n[EA CD MFA-Stradivarius, 2007] — Mauro Lanza, *Barocco*, dans Neverland, Ensemble Alternance, Robert H.P. Platz (dir.), CD MFA-Stradivarius, 2007.\r\n\r\n### Remerciements et citation\r\n\r\nJe tiens à remercier très chaleureusement Mauro Lanza pour sa disponibilité ainsi que ses très précieuses informations sur sa partition et son travail avec Modalys. Un grand merci également à Andrea Valle, Francesco Filidei et Bertrand Dubedout pour leurs précieux conseils. Un grand merci enfin à François-Xavier Féron, Nicolas Donin et Grégoire Lorieux pour m’avoir permis de travailler sur les archives et documentations techniques de l’Ircam.\r\n\r\n**Pour citer cet article :**\r\n\r\nBrice Tissier, \"Mauro Lanza – *Burger Time*\", *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2023. URL : http://brahms.ircam.fr/analyses/BurgerTime/.\r\n\r\n[^NBP1]: *Multiple Arcade Machine Emulator*, désormais rattaché au site suivant : https://www.mamedev.org/ (consulté en juin 2021).\r\n\r\n[^NBP2]: Lanza entretient un rapport particulier avec ce concept. Certaines sont très détaillées quant à la genèse, la problématique ou les données techniques de la composition d’une pièce, d’autres sont intentionnellement lacunaires, facétieuses, voire inexistantes. Par exemple, la note de programme de la pièce *Mess* pour piano, https://brahms.ircam.fr/works/work/32246/ (consulté en février 2020) est réduite à une simple définition multiple de dictionnaire, évitant soigneusement de faire référence tant au dédicataire (MESSiaen), qu’au fragment d’œuvre qui sert de fondement à la pièce (deux mesures du *Regard de l’Esprit de Joie*).\r\n\r\n[^NBP3]: Pour des raisons de confort de lecture, et comme cela est sans incidence, ces transcriptions de motifs ont été ramenés dans l’ambitus d’une clé de *sol*, sans prendre en compte les octaviations réelles. De même, le rythme a été parfois simplifié, et le diapason – différent selon les banques de données – uniformisé d’après la partition de Mauro Lanza.","### Introduction\r\n\r\n#### Résumé\r\n\r\nComposée en 2001, [work:73649dbd-e867-46fc-b7bc-2211caac89a4][Burger Time ou les tentations de Saint Antoine] (2001) pour tuba et électronique est une œuvre mixte qui ne fait pas appel à toutes les ressources possibles de prolongement du tuba (transformations en temps réel, suiveur de partition, etc.). L’instrument dialogue simplement en live avec une bibliothèque de 468 fichiers son, déclenchés manuellement par l’instrumentiste à l’aide d’une commande à main (piston supplémentaire sur le tuba), et diffusés spatialement sur huit haut-parleurs. L’intérêt technique majeur de *Burger Time* réside dans l’utilisation et le développement du programme de synthèse par modélisation physique Modalys, créé à l’Ircam. *Burger Time* est par ailleurs un bon objet d’étude concernant le langage de [composer:04a51f12-cb18-4670-bc66-967fadf991a5][Mauro Lanza] et son utilisation d’algorithmes, s’inscrivant dans la continuité de ses œuvres précédentes, notamment [work:d9e5a735-eec4-4207-b857-3a1d9398f0bc][L’Allegro Chirurgo] (1996) pour saxophone ténor et [work:fc688817-a128-4a2e-90eb-1453c627a802][Barocco] (1998-2003) pour soprano et ensemble d’instruments jouets, deux pièces dont les matériaux sonores sont réexploités dans *Burger Time*. Lanza utilise également comme “modèles” des sons de jeux vidéos d’arcade des années 1980.\r\n\r\nLa version mixte s’étant révélée particulièrement contraignante techniquement, elle n’a pas été confirmée par le compositeur (la partition n’est pas officiellement éditée, ni enregistrée commercialement) ; elle n’en reste pas moins importante pour le compositeur, qui y fait référence régulièrement dans ses interventions. Une seconde version entièrement fixée sur support a vu le jour en 2008. Il existe donc désormais deux versions distinctes de l’œuvre :\r\n\r\na) La version d’origine pour tuba et électronique élaborée à l’Ircam et créée le 16 novembre 2001 par le tubiste David Zambon à la Paul Sacher Halle de Bâle dans le cadre du Mois européen de la musique de Bâle (Europäischer Musikmonat). Deux enregistrements de cette première version ont été captés en *live* lors de deux concerts à l’Ircam, toujours par David Zambon :\r\n\r\n- le 22 janvier 2002 [https://medias.ircam.fr/x47b985_burger-time-ou-les-tentations-de-saint-ant], la durée est de 16 minutes.\r\n- le 19 octobre 2002 [https://medias.ircam.fr/x415d22_burger-time-ou-les-tentations-de-saint-ant], la durée est de 16 :17 minutes.\r\n\r\nb) La version pour électronique seule (sons fixés sur support) réalisée en 2008. Sa durée est désormais ramenée à 13 minutes. [© Lanza, 2008]\r\n\r\n#### Programmes utilisés\r\n\r\nPour la réalisation des séquences électroniques, les trois logiciels suivants furent utilisés :\r\n\r\n- AudioSculpt pour l’analyse des sons présélectionnés du tuba, ainsi que l’analyse et la retranscription des sons de jeux d’arcade,\r\n- OpenMusic pour la composition de la plupart des autres objets sonores,\r\n- Modalys pour le travail de transformation définitif de tous les objets sonores par modélisation du son par synthèse physique.\r\n\r\n#### Matériel nécessaire\r\n\r\nLes dispositifs technologiques pour l’exécution de l’œuvre sont les suivants :\r\n\r\n- 468 fichiers-sons préenregistrés.\r\n- un dispositif informatique permettant de gérer l’envoi des fichiers sons.\r\n- une console de mixage pour la gestion du son.\r\n- un déclencheur à main pour l’interprète.\r\n- un ensemble spatialisé de 8 haut-parleurs pour la diffusion des séquences électroniques.\r\n\r\n### Prolégomènes à l’analyse de l’œuvre\r\n\r\n#### Partition inédite\r\n\r\nQuelques remarques peuvent être faites avant d’aborder les problématiques et les arcanes internes de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, notamment en ce qui concerne l’accessibilité et la possibilité d’analyser cette œuvre. Lanza a réalisé seul l’ensemble des étapes d’élaboration de la pièce — conception, composition, expérimentations, programmations, mise en espace — sans collaborer avec un Réalisateur en Informatique Musicale. Ainsi, et contrairement à d’autres œuvres développées à l’Ircam, il n’existe pas ou peu de documentation accessible, outre les archives personnelles du compositeur. La première version pour tuba et électronique n’ayant pas apporté pleine satisfaction au compositeur, la partition musicale n’est à ce jour pas finalisée. Le compositeur qui supervise lui-même les étapes de publication de ses partitions en collaboration avec les éditions Ricordi, n’a pas souhaité mener à bien l’achèvement de *Burger Time* et rendre publique la partition.\r\n\r\nEn l’état, la partition — 16 pages, format A3 — comprend l’intégralité de la partie de tuba (imprimée), ainsi que des retranscriptions de l’ensemble des évènements, reportées en petit sous la portée principale — et pas toujours lisibles dans le détail. Une ligne intermédiaire permet le positionnement rythmique exact du déclenchement de chaque évènement par le tubiste par rapport aux données de la partie de tuba. Cette partition amène ainsi trois écueils pour l’analyse :\r\n\r\n- Elle est de toute évidence une partition destinée à l’interprète, et est donc exempte de toutes les données techniques de la partie électronique (nature des évènements, programmes, effets du spatialisateur, etc). Elle diffère en cela par exemple de la partition \"régie informatique\" de [work:0ad4d613-a018-4d49-bc73-027336601c73][Anthèmes 2] (1997) de [composer:e9985cf2-64e4-4e47-aba3-ee6167cbfae0][Pierre Boulez] [Part. UE, 1997], dans laquelle l’ensemble des données étaient reportées, en raison évidemment du temps réel et du rôle primordial du Musicien En charge de l’Électronique (MEL) pour la diffusion de l’œuvre.\r\n- Elle ne contient ni préface, ni schémas d’implantation ou de gestion de la spatialisation, et ne donne ainsi aucun indice sur la manière dont la dimension électronique a été pensée.\r\n- Les retranscriptions des 468 évènements électroniques ne sont pas des aide-mémoire pour l’auditeur ou le lecteur, bien au contraire. Elles sont issues des analyses techniques réalisées par ordinateur, et présentent donc des résultats spectrographiques, dont la lecture est parfois difficile à relier au résultat sonore.\r\n\r\n#### Approche algorithmique\r\n\r\nL’écriture de Mauro Lanza est en grande partie conditionnée par des algorithmes, élaborés à l’origine à la main, selon une logique combinatoire :\r\n\r\n> Il s’agissait plutôt de systèmes déterministes, avec peu d’aléatoire, que je faisais à la main, et je me suis rendu compte que j’aurais pu faire ça plus vite et mieux avec l’aide d’un ordinateur. […] J’avais entendu parler des amis compositeurs d’un logiciel d’aide algorithmique à la composition (PatchWork) qui se développait à l’Ircam, et j’avais immédiatement commencé à fantasmer à ce sujet. C’est l’une des principales raisons qui m’ont poussé à postuler au cursus de l’Ircam — formation davantage consacrée à la synthèse et au traitement sonore, mais dont la partie qui m’intéressait le plus était celle qui concernait la composition (symbolique) assistée par ordinateur — et la raison pour laquelle, dès le début de mon cursus, j’ai commencé à travailler à la fois sur l’environnement graphique de CAO développé par l’Ircam (OpenMusic, le temps de PatchWork étant révolu) et en langage Lisp. [….] Aujourd’hui, la ligne qui sépare composition et algorithmique devient pour moi tellement fine que je n’arrive plus à savoir où finit l’un et où commence l’autre. Je travaille toujours avec une fenêtre ouverte où il y a du code. C’est un environnement de travail, avec des allers-retours permanents. [Lanza, 2018]\r\n\r\nLes systèmes algorithmiques se différentiant d’autres systèmes de CAO — comme OpenMusic — par le non recours à l’aléatoire dans l’élaboration de structures musicales, mais aussi par le caractère fini des opérations engendrées, ils devraient pouvoir être, en théorie, explicités par l’analyse. Certains processus le sont dans les œuvres de Lanza — par exemple dans la pièce [work:7b6bd564-e884-42b3-9508-29d0e49e7e3a][Mess] (2008) pour piano — mais nombre de paramètres doivent être pris en compte dans une pièce comme *Burger Time*. C’est la raison pour laquelle nous ferons abstraction dans ce qui suit de certains paramètres mathématiques, en essayant toutefois de proposer une étude des processus de l’œuvre la plus fluide possible. La question se posera également des proportions, durées et rapports entre tuba et évènements électroniques.\r\nIl existe souvent par ailleurs dans *Burger Time* une inadéquation entre numération et nature des évènements. Par exemple certains passages de la pièce font se succéder plusieurs évènements de même nature. Doit-on les considérer alors comme des évènements indépendants, ou comme un groupe d’évènements de même nature, c’est-à-dire comme une seule entité ? Par simplification nous avons fait le choix de regrouper certains évènements en séquences logiquement unifiées.\r\n\r\n#### Lanza et Modalys\r\n\r\nL’enjeu majeur de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* est l’emploi, et surtout l’évolution du programme Modalys, développé à l’Ircam. Modalys est un programme de synthèse sonore par modélisation physique, permettant de \"créer des instruments virtuels — proprement inouïs ! — à partir d’objets physiques \"simples\" tels que cordes, plaques, tubes, membranes, plectres, archets ou marteaux, et de les faire interagir\". [Bensoam et Ellis, 2004] L’enjeu à partir des années 1980 était de fournir une alternative au traitement du signal en affinant les propriétés de la synthèse : au lieu de s’attacher à reproduire le son lui-même (par l’analyse des fréquences qui le composent par exemple), la synthèse par modélisation physique part du dispositif physique producteur de ce son. Cette technique se démarque des méthodes de synthèse digitale comme la synthèse soustractive, additive, etc.\r\n\r\nLorsque Lanza arrive à l’Ircam pour suivre le cursus de composition et d’informatique en 1998–99, le programme Modalys était encore balbutiant : purement textuel et assez austère, l’interface posait problème. Le programme ne fonctionnait d’ailleurs que pour des sons isolés, ce qui explique le nombre très limité d’œuvres composées à cette époque avec cet outil. Le premier projet de Lanza fut donc de développer les capacités de Modalys afin de pouvoir jouer des séquences musicales :\r\n\r\n> Au tout début, il y avait cette interface textuelle, écrite dans un langage qui s’appelle *Skin*. Je pensais appliquer à l’époque une logique de synthèse instrument/orchestre ; instrument/partition, comme dans Modalys il y a des objets, il y a des connexions, un instrument est grosso modo fait par des objets et des connexions. Et puis les contrôleurs qui font bouger, qui font rencontrer les objets entre eux est quelque chose qu’on peut contrôler, qu’on pourrait rapprocher à une partition. Dans les premiers travaux tous les instruments étaient définis en mode textuel, et tous les contrôleurs étaient engendrés par un logiciel qui était OpenMusic, qui est un logiciel de CAO, développé à l’Ircam. [Lanza, 2004]\r\n\r\nLa première œuvre écrite par Lanza avec Modalys est [work:732d8097-f685-45c9-8f16-90dff75e175d][Erba nera che cresci segno nero tu vivi] (1999/2001) pour soprano et sons de synthèse, dont les quatre premières minutes ont constitué sa pièce de fin de cursus en 1999. Lanza y utilise encore exclusivement des connexions \"frappé\" et \"frotté\". La suite de la partition composée l’année suivante a eu pour objet de développer encore la précision et la richesse des transitoires d’attaque :\r\n\r\n> L’idée que nous avions à l’esprit était de travailler avec des objets très proches entre eux. Imaginons les trois cordes d’un piano qui sont beaucoup plus proches que les cordes d’un piano, disons moins éloigné d’un millimètre par exemple, si on établit des connexions entre chaque corde, des connexions de type \"frappé\", c’est comme si le point d’une corde et le point d’une autre corde se regardaient entre eux. Et de voir s’il y a un phénomène de choc qui se produit. Et donc après, si avec un marteau, avec un plectre, avec une masse quelconque on pince les cordes, les cordes commencent à vibrer, et il y a un phénomène qui se produit, qui n’est pas un phénomène de frottement mais une espèce de masse qui se produit, les trois cordes qui s’écrasent entre elles. [Ibid.]\r\n\r\nLa partie électronique de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* s’inscrit dans cette continuité : poursuivre le travail avec Modalys, expérimenter de nouveaux objets et de nouvelles connexions, en prenant notamment comme matériaux de base des objets constitués, en l’occurrence des sons de jeux vidéos ainsi que des citations d’œuvres anciennes. L’ensemble du travail de Lanza sur l’électronique peut être résumé en quatre stratégies :\r\n\r\n- Un travail de reconstitution d’une oeuvre ancienne, autrement dit reconsidérer une structure musicale entièrement élaborée et fiable : sa pièce *Barocco* pour soprano et instruments jouets. Les timbres spécifiques des instruments jouets ont été entièrement recréés avec Modalys (objet \"tuyau\" et connexion \"Reed) et deviendra la famille d’objets sonores n°1.\r\n- Un travail de synthèse de sons de jeux vidéo, dont les originaux ont été analysés grâce au programme AudioSculpt avant d’être entièrement resynthétisés avec Modalys.\r\n- Un travail sur des sonorités hybrides obtenues par expérimentations avec Modalys, sans lien avec une quelconque citation ou référence externe, simplement centrées sur le timbre et les effets imposés à des matériaux (plaques métalliques notamment) avec différentes connexions (\"plectre\", \"marteau\", \"archet\", etc.).\r\n- Une utilisation de plus en plus accrue de la connexion \"Force\", permettant de soumettre un fichier son à des connexions Modalys.\r\n\r\n### Sources d’inspiration\r\n\r\n#### Idée compositionnelle\r\n\r\nLa composition de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* est la conséquence d’une double découverte : celle d’un site Internet d’émulation d’anciens jeux vidéo d’arcade des années 1980 (MAME[^NBP1]), et d’un ouvrage de Jurgis Baltrušaitis intitulé *Le Moyen Age fantastique, Antiquités et exotismes dans l’art gothique* (1981). Dans le livre de Baltrušaitis, un chapitre est indirectement consacré au mythe des \"tentations de Saint Antoine\", porté à son apogée dans la littérature par Flaubert [Flaubert, 1874/2006]. Le protagoniste (Saint Athanase/Saint Antoine) est un moine anachorète confronté à des apparitions et tentations successives de toutes sortes : souvenirs, démons, séductions, contradictions des multiples croyances et religions, etc. Dans son ouvrage, Baltrušaitis démontre la dimension universelle de ce mythe, hérité de grands thèmes bouddhistes, et adapté fréquemment dans la statuaire puis la peinture au fil des époques et des cultures. [Baltrušaitis, 1981, p.221-225] Le moine est ainsi confronté aux forces du mal et à toutes sortes de rapports conflictuels où s’imposent richesse, opulence et diversité. Cette même confrontation se retrouve ironiquement dans la logique simpliste des jeux vidéo des années 1980, comme *Pac Man* face aux fantômes, ou *Peter Pepper* face aux ingrédients dans *Burger Time*. La dimension religieuse n’en est pas pour autant exclue :\r\n\r\n> J’ai fait des recherches sur Internet à propos de *Burger Time*, et j’ai trouvé un site où quelqu’un, pas dépourvu d’ironie, avait créé une espèce de religion autour du jeu *Burger Time*. Il avait conçu une espèce d’église qui s’appelle \"The Church of Burger Time\", où il y avait un pèlerinage chaque année vers un fast food je ne sais plus où aux Etats-Unis. Á la fin de chaque écran on voit, dans *Burger Time*, que Peter Pepper est content donc il fait comme ça avec les bras [\\ /], et ça c’est le salut initiatique de cette secte, et j’ai trouvé ça formidable. Sur ce même site, il y a plusieurs pages de délires religieux à propos de cette figure que l’on peut définir christique ; pour les gens qui ont fondé cette religion c’est vraiment Jésus Christ. Et moi j’ai trouvé tout de suite le rapprochement entre Peter Pepper et Saint Antoine, pour deux raisons. D’abord le côté religieux : Peter Pepper doit combattre le mal, et notamment des hot dog à base de porc, or le porc c’est le mal personnifié, pas seulement pour l’Islam, il y a aussi des références dans l’évangile. Et Saint Antoine en Italie est le saint patron des fermes, donc toujours figuré avec un cochon. [Lanza, 2002]\r\n\r\nÀ cette confrontation synchronique (Saint Antoine/Tentations) répond une confrontation diachronique : l’évolution de la pensée et des réactions de Saint Antoine au fil des évènements, et donc la transformation progressive du protagoniste. L’idée centrale du *Burger Time* de Lanza est donc indubitablement la confrontation : confrontation de différents matériaux dans le temps sous la forme de processus évolutifs ; et confrontation dialectique entre un instrument (tuba/Saint Antoine) et des matériaux exogènes (électronique/tentations). Ce qui peut se schématiser par les rapports suivants :\r\n\r\n<center>Antoine face aux tentations → tuba face aux évènements électroniques</center>\r\n<center>Foisonnement des tentations → diversité des objets sonores, citations</center>\r\n<center>Diversité culturelle des tentations → choix de jeux vidéo des années 1980</center>\r\n<center>Constantes reprises du concept à travers les siècles → reprise de matériaux musicaux anciens</center>\r\n<br>\r\nPlusieurs problématiques doivent alors être traitées conjointement par le compositeur. Pour réorganiser structurellement ces multiples sources à l’intérieur d’un discours musical, il fait appel à de nouveaux algorithmes. Pour diversifier les processus de transformation de ces matériaux par ordinateur, il recourt notamment à la synthèse par modélisation physique avec le logiciel Modalys, ce qui permet la confrontation de tous ces différents matériaux selon différents critères (anciens et modernes, réels ou informatiques, kitch ou scientifiques, proches ou contrastés, etc.).\r\n\r\n#### Note de programme\r\n\r\nLa note de programme de *Burger Time ou les tentations de Saint Antoine* [Lanza, 2002] rédigée pour la création mondiale à Bâle (16/11/2001) et reprise lors des exécutions de l’œuvre à l’Ircam en 2002 est assez laconique[^NBP2]. Elle comprend une courte présentation thématique, suivie de trois longues citations : un site de présentation du jeu d’arcade *Burger Time*, un extrait de l’essai de Baltrušaitis et un extrait du roman de Flaubert. L’emploi du logiciel Modalys n’est pas évoqué, c’est donc une écoute esthétique plus que poïétique qui est privilégiée.\r\n\r\n### Matériaux préalables\r\n\r\n#### Un prolongement de *L’Allegro Chirurgo* (1996)\r\n\r\nPlusieurs procédés ainsi que les principaux matériaux de *Burger Time* trouvent leurs origines dans une œuvre préalable de Lanza : *L’Allegro Chirurgo* pour saxophone ténor en sib composé en 1996. Le titre fait — déjà — référence à un jeu : *L’Allegro Chirurgo* (jeu de société *Docteur Maboul* en français). *L’Allegro Chirurgo* est déjà fondé sur des algorithmes, toutefois Lanza à cette époque les écrivait à la main. L’une des techniques utilisée était alors le *slicing* : \"[…] je manipule des listes ou des fragments de musique pour les croiser entre elles. Par exemple, je choisis une séquence, je la découpe en morceaux de longueur décroissante, j’en prends une autre, que je découpe en morceaux de longueur croissante, et ensuite je croise les deux séquences. C’est une sorte de *crossfade* discret\" [Lanza, 2018]. C’est ainsi que dans *L’Allegro Chirurgo*, émerge une cellule — que nous nommons cellule *a* — de cinq notes descendantes non tempérées : *fa-mi-ré-si-la #*, générée par un précédent processus, et qui deviendra l’un des matériaux principaux de l’Allegro [Média 1].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8eabfc_01_lanza_burgertime_allegrochirurgico_cell\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 1. *L’Allegro Chirurgo*, apparition de la cellule *a* [© Part. Noten Roehr, 1996, p.4 / Arch. Kiyokawa, EA 2019].**\r\n\r\nUne seconde cellule principale — que nous nommons cellule *b* — constituée de quatre notes descendantes diatoniques (*solb-fa-mib-réb*) apparaît plus loin. Celle-ci n’est pas le fruit direct d’un processus antérieur. Après une cadence refermant la section précédente [Média 2, 3e système] elle apparaît *Brillante* : il s’agit d’une citation, clairement identifiable de l’*incipit* de la chanson *Mah na mah na* de Patrycja Kozakowska qui a fait l’objet d’innombrables reprises — y compris dans les sketchs télévisés de l’humoriste britannique Benny Hill ainsi que dans le Muppet show.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x04872b_02_lanza_burgertime_allegrochirurgico_cell\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 2. *L’Allegro Chirurgo*, appariation de la cellule *b* [© Part. Noten Roehr, 1996, p.6 / Arch. Kiyokawa, EA 2019].**\r\n\r\nVers la fin de la pièce, les deux cellules *a* et *b* sont confrontées selon un procédé de *slicing* [Média 3]. On constate une succession de cinq processus où la cellule *a* en boucle (en jaune) se voit contaminée par la cellule *b* également en boucle (en vert) jusqu’à la disparition totale de la cellule *a* au profit de la cellule *b*.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x43b6f8_03_lanza_burgertime_allegrochirurgo_slicin\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 3. *L'Allegro Chirurgo*, *slicing* des cellules *a* et *b* [© Part. Noten Roehr, 1996, p.9 / Arch. Kiyokawa, EA 2019].**\r\n\r\nSi les différences de registre et de tempérament (quart de tons / tempéré) distinguent les deux matériaux, le résultat obtenu est un mouvement d’accélération rythmique tendant vers le grave du registre et le gel de la cellule *b*. Ce procédé de *slicing* sera utilisé de manière quasi identique tout au long de la partie de tuba de *Burger Time* ; et les cellules *a* et *b* de *L’Allegro Chirurgo* engendreront les premiers éléments constitutifs — légèrement modifiés — de la partie de tuba. Outre le procédé de *slicing*, il est intéressant de faire quelques constatations sur ces deux cellules. Toutes deux sont descendantes, respectivement de cinq et quatre sons, et constituées de tierces et de secondes. En revanche, plusieurs paramètres les opposent : *a* est non tempéré et probablement élaboré par le compositeur alors que *b* est une citation en tempérament égal.\r\n\r\nConcernant la forme globale de *L’Allegro chirurgo*, il faut signaler un autre élément musical que l’on retrouvera également dans *Burger Time*, dérivé dans un autre contexte : un motif de fusée descendante, non tempéré, de vingt notes, couvrant l’ensemble du registre du saxophone ténor [Figure 1].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 1. *L’Allegro Chirurgo*, motif fusée [Part. Noten Roehr, 1996, p.3].**\r\n\r\nRésultat d’un processus d’excroissance de la cellule *a* (que l’on retrouve au sein de sa structure) cette fusée descendante devient virale dans toute la seconde partie de la pièce, démultipliée, et ponctuée de sons multiphoniques — évoquant probablement le *buzz* électrique caractéristique du jeu *Docteur Maboul*. Si l’on fait abstraction d’autres sections secondaires, la forme globale de *L’Allegro Chirurgo* comprend sept sections [Figure 2].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 2. Plan global de *L’Allegro Chirurgo***\r\n\r\n#### Musiques de jeux d’arcade\r\n\r\nLanza éprouve un intérêt particulier pour les objets animés : les objets du quotidien qui se révoltent contre les sons. Mais de manière plus générale, Lanza se passionne pour ce qu’il appelle des \"modèles\", c’est-à-dire des objets trouvés, s’opposant historiquement à la recherche de “pureté” de l’objet sonore prônée par la génération précédente — celle de Boulez en l’occurrence :\r\n> Ce qui m’a intéressé justement ces dernières années, c’était d’aller chercher des sons trop typés, et pas assez souples. En fait le “pas assez souple” se résout assez facilement avec l’électronique. […] et cependant malgré la souplesse qui est donnée par l’outil informatique il reste cette espèce de friction entre un objet qui n’est vraiment pas musical et qui renvoie toujours à autre chose et donc qui résiste à son traitement, à sa déclinaison à l’intérieur d’une composition. [Ibid.]\r\n\r\nParmi les applications de ce concept, on peut citer tout le travail de collaboration avec Andrea Valle (*Systema naturae*, 2013-2017), d’après des objets manufacturés usuels détournés de leur fonction première à des fins bruitistes (sèche-cheveux, anciennes platines, couteaux électriques…) ; ou encore la pièce [work:8be08b24-f6e3-47c3-9920-dce078458ba4][Le nubi non scoppiano per il peso] (2011) pour ensemble de neuf instruments, *coloratura*, électronique et gouttes d’eau contrôlées par ordinateur pour laquelle fut élaborée une \"machine à pluie\". Dans le cas présent avec des sons du jeu vidéo d’arcade des années 1980 [Figure 3] Lanza a fait le choix d’éléments finis, composés, et aisément identifiables.\r\n\r\n<center></center><center></center>\r\n\r\n**Figure 3. Borne d’arcade et capture d’écran du jeu *Burger Time* (1982).**\r\n\r\nLes éléments musicaux de *Burger Time* sont assez peu nombreux, rudimentaires et assignés chacun à une fonction précise. Ils ne sont constitués que de sons électroniques basiques (quelques secondes) avec une écriture à une, deux ou trois voix (le plus généralement mélodie + basse). On distingue deux familles de sons dans *Burger Time*[^NBP3] :\r\n\r\na) Une musique de fond sonore, en général une courte séquence mise en boucle comme le motif générique de *It’s Burger Time* [Média 4].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9c0771_04_lanza_burgertime_itsburgertime\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 4. Jeu *It’s Burger Time*, motif générique.**\r\n\r\nb) Des “bruitages” brefs, directement connectés aux actions du jeu : menu, début de partie [Média 5], fin de partie [Média 6], bonus, mort du personnage [Média 7].\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xad5250_05_lanza_burgertime_start\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 5. Jeu *It’s Burger Time*, motif \"Start\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd50192_06_lanza_burgertime_roundclear\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 6. Jeu *It’s Burger Time*, motif \"Round clear\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4d639a_07_lanza_burgertime_gotcaught\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 7. Jeu *It’s Burger Time*, motif \"Got caught\".**\r\n\r\nEn accord avec sa problématique, Lanza a sélectionné principalement des sons extraits de ce jeu : la musique de fond sonore sur laquelle sera construite la majorité de la partie de tuba, ainsi qu’un \"signal\" (quarte juste) issu de celle-ci et quelques bruitages comme le \"Got caught\". D’autres extraits de jeux contemporains comme *Bomb Jack*, *Dig dug* et *Pac Man* ont également été envisagés. Ces différents sons sont aisément repérables parmi les évènements de la partie électronique, même transformés. Ils évoquent ainsi à la fois la richesse et le kitch des “tentations” face à l’austérité du tuba (Saint Antoine):\r\n> […] Dans toute la peinture flamande, on trouve le thème des objets animés. Des objets qui deviennent des monstres qui font une révolte contre l’homme qui les a créés. Peter Pepper a créé la nourriture, et la nourriture se révolte contre lui. On peut trouver ce délire fantastique seulement dans les jeux des années 1980 parce que les nouveaux sont beaucoup plus réalistes. Il n’y a pas cet aspect de personnification des choses. [Lanza, 2002]\r\n\r\n### La partie de tuba\r\n\r\n#### Données générales\r\n\r\nL’organisation des données musicales de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* obéit à des calculs algorithmiques, élaborés préalablement par Lanza sous forme de code dans le programme Lisp. Le déchiffrage de ces données codées serait indispensable en vue d’appréhender chaque détail de la partition — une telle analyse dépasserait de très loin le cadre de ce texte ; néanmoins une analyse de niveau neutre reste possible pour une compréhension globale de la partition et de ses composantes.\r\n\r\n*Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* est une pièce d’un seul tenant, sans indications de mouvements, de sections ou de structures. Bien que les deux composantes – instrumental et électronique — soient connectées et interdépendantes, chacune obéit à un schéma formel global propre. Le compositeur évoque à ce sujet un principe de \"forme à fenêtres\", concept repris de [composer:cab1bc69-6a31-4086-8bfc-0b62b1f9ef55][Salvatore Sciarrino]. La forme à fenêtre se caractérise par des apparitions impromptues d'objets sonores (évènements électroniques) ouvrant de nouvelles fenêtres au sein du discours musical principal (instrumental) : \"Les coupures créent un effet certainement traumatique. Toute interruption brusque est traumatisante : la forme à fenêtres elle-même se fonde sur des petits traumatismes. Cependant, l'homme s’habitue à tout\". [Sciarrino, 1998]\r\n\r\nCette analyse doit donc distinguer deux perspectives :\r\n\r\n- horizontale : le discours musical dans son déroulé, c’est-à-dire la partie de tuba (que le compositeur appelle avec ironie le “plan Lanza” [Lanza, 2002]).\r\n- diagonale : la partie électronique, et les interactions de ces \"fenêtres\" avec l’instrument.\r\n\r\nEt donc cette analyse doit se faire dans cet ordre : d’abord la partition instrumentale (tuba), ensuite la partition électronique (les fichiers sons correspondant aux 468 évènements). Dans sa note de programme, Lanza évoque le rôle du tuba en ces termes : \"On ne sait finalement s’il joue à être Peter Pepper ou s’il est vraiment Saint-Antoine\" [Lanza, 2002]. Et pour cause, le tuba adopte dans *Burger Time* un comportement polymorphique, avec plusieurs niveaux hiérarchiques de l’écriture :\r\n\r\n- niveau 1 (macroforme) : un processus principal fait évoluer une idée musicale initiale vers une idée terminale. (un élément exogène proliférant intervient en milieu d’œuvre permettant la bascule d’une idée vers l’autre.)\r\n- niveau 2 (structures) : des sections dans l’œuvre sont distinguées par enchaînement de processus.\r\n- niveau 3 (détail) : des micro-processus ciblés sont égrenés dans le cours de l’œuvre.\r\n\r\nParadoxalement, et au regard de la complexité technique et algorithmique de la pièce, la partie de tuba de *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* repose sur six matériaux aisément identifiables, peu développés, et cantonnés à un rôle précis au service du discours musical. Lanza parle ici de personnages : \"Il y a plusieurs éléments répétés, jamais pareils, que j’appelle personnages. Ces éléments sont très typés, même pour le type de registre\". [Lanza, 2002].\r\n\r\nCes six matériaux sont les suivants :\r\n\r\n- deux cellules *a* et *b* (reprises de *L’Allegro Chirurgo*)\r\n- deux pédales *c* et *d* (les deux notes extrêmes de la tessiture de tuba)\r\n- un motif de fusée ascendante (reprise de *L’Allegro Chirurgo*)\r\n- la citation du motif mélodique du jeu *It’s Burger Time* [Média 5].\r\n\r\nCes matériaux interviennent à différents niveaux hiérarchiques de l’écriture, respectivement au niveau 2 (pour les cellules *a* et *b* et les pédales *c* et *d*) et au niveau 1 (pour le motif \"It’s Burger Time\" et celui de fusée ascendante). Afin de pouvoir appréhender la forme globale de l’œuvre (niveau 1), il est nécessaire d’identifier et analyser au préalable les processus du niveau 2. Quant au niveau 3 — que nous aborderons succinctement — il correspond à l’intrusion d’accidents.\r\n\r\n#### Niveau 2 : une succession de processus\r\n\r\nMalgré l’absence de repères structurels indiqués dans la partition, il est possible d’opérer un découpage d’après les données musicales intrinsèques. On distingue, tout au long des deux premiers tiers de la pièce (394 mesures), une série de processus de même nature [Figure 4] : treize processus — que nous indiquons avec les premières lettres de l’alphabet — reprenant, de manière similaire, le procédé de *slicing* entre deux cellules tel que nous l’avons vu dans *L’Allegro Chirurgo*.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 4. Répartition des processus A à M dans *L’Allegro Chirurgo*.**\r\n\r\nChacun de ces treize processus a sa propre durée, ses propres proportions, sa propre organisation, réglementée par un algorithme spécifique. Les deux cellules ici soumises au principe de *slicing* sont plus que probablement dérivées de celles de *L’Allegro Chirurgo* – même si les hauteurs diffèrent quelque peu. Deux cellules *a* et *b*, deux brefs réservoirs de hauteurs constitués respectivement de cinq et quatre sons ; le premier acceptant les micro-intervalles dans le registre médium de la clé de *fa*, le second tempéré dans le grave de la clé de *fa*. [Figure 5] :\r\n\r\n<center></center>\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 5. *L’Allegro Chirurgo*, cellules génératrices *a* et *b* des premiers processus.**\r\n\r\nPrenons l’exemple du processus B (m.42-65) [Média 8] : la cellule *a* (en jaune) est exposée onze fois. La cellule *b* (en vert), exposée dix-sept fois, l’interpénètre avec accélération et densification, jusqu’à dominer tout l’espace sonore. On peut constater ici l’impact de la \"forme en fenêtres\" de Sciarrino : l’insertion des évènements électroniques (déclenchés par chaque note jaune de la cellule *a*) écartèle les données du *slicing* de la partie de tuba. Qu’en est-il des proportions ? Les algorithmes préalables élaborés sous Lisp prennent-ils en compte le temps de ces inserts électroniques, ou doivent-ils être défalqués des valeurs rythmiques de la partie de tuba ? Probablement cette question n’appelle-t-elle pas la même réponse au début et à la fin de la pièce — nous y reviendrons.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8cad19_08_lanza_burgertime_processusb\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 8. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, processus B (*slicing* *a* et *b*) [© Part. Lanza, 2001, m.42-65 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nIci, et contrairement à *L’Allegro Chirurgo* où ils étaient contextualisés, les processus de *slicing* sont présentés à nu au tuba, donc facilement identifiables. C’est la raison pour laquelle Lanza enrichit son discours musical en rajoutant deux clausules successives, deux pédales respectivement aux deux extrêmes de la tessiture de l’instrument : sol *aigu* (pédale *c*) et *do* # grave (pédale *d*). Une mesure de silence supplémentaire avec point d’orgue sépare les différents processus [Figure 6].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 6. _Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine_, structure de chaque processus.**\r\n\r\nCes deux pédales successives permettent à Lanza de travailler d’autres modes de jeu du tuba. La première clausule est obtenue par un glissando du tuba après l’achèvement du *slicing* précédent (boucle du motif *b*) vers le *sol* aigu. Ce dernier est mis en résonance, ou soumis à un traitement rythmique — que nous ne détaillerons pas ici. Prenons par exemple le prolongement du processus B [Média 9], enchaîné à la fin du *slicing* (mise en boucle de la cellule *b*). Cette note unique est traitée par *bisbigliando*, c’est-à-dire par variation du timbre par modification du mode de jeu — modification des doigtés du double système de pistons. Ainsi chaque son est indépendant de timbre, nonobstant la séquence rythmique imposée. La seconde clausule s’appuie sur le *do* # grave sans le transformer [Média 10].\r\n\r\n<iframe width=100% height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaeb9b0_09_lanza_burgertime_pedalec\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 9. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, pédale *c* *bisbigliando* sur le *sol* aigu [© Part. Lanza, 2001, m.62-65 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xde8e53_10_lanza_burgertime_pedaled\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 10. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, pédale *d* sur *do* # grave, [© Part. Lanza, 2001, m.271-274 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nChacune des séquences A à M suit sa propre organisation et ses propres proportions. Une fois encore, seule une compréhension des algorithmes préalables permettrait de détailler la logique interne de ces séquences [Figure 7]. La dernière séquence M est réduite au simple *slicing* des cellules *a* et *b*, et pour cause : la fin de ces séquences entre en tuilage avec la prise de pouvoir du matériau citationnel \"It’s Burger Time\" ; ces séquences sont donc soumises au processus global du niveau 1.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 7. Organisation interne des treize processus.**\r\n\r\n#### Niveau 1 : forme globale\r\n\r\nLa forme globale de la pièce obéit à un principe simple de translation d’un état A (processus A-M) à un état B. À terme, le tuba adopte la mélodie du \"It’s Burger Time\" (état B), c’est-à-dire qu’il s’approprie la musique de fond sonore du jeu vidéo [Média 11].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8b7fe5_11_lanza_burgertime_findeburgertime\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 11. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* [© Part. Lanza, 2001, m.488-514 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nLanza utilise à ce sujet le terme de *crossfade*, c’est-à-dire de chuintement discret permettant une continuité au sein du discours musical — proche du principe de fondu enchaîné. Cela peut se résumer en un schéma simple [A] → [B] qui se traduit ici par : \r\n\r\n<center>Processus de <em>slicing</em> A à M → \"It’s Burger Time\"</center>\r\n\r\nMais ce schéma simple peut résumer également nombre de paramètres de l’écriture et de la pensée de Lanza pour l’élaboration de sa pièce, selon la définition qui est donnée pour [A] et pour [B], en gardant pour règle ce principe de <em>crossfade</em>. Par exemple la densité d’écriture du tuba : \r\n\r\n<center>[A] = Rare et pointilliste → [B] = omniprésent et virtuose</center>\r\n\r\nou encore la présence des évènements électroniques :\r\n\r\n<center>[A] = Omniprésente et riche → [B] = ponctuelle et limitée</center> \r\n\r\nSachant que l’ensemble des processus A-M, issus de l’écriture de <em>L’Allegro Chirurgo</em>, gère toute la première partie de l’œuvre, il est possible de généraliser cette équation aux œuvres et aux jeux concernés : \r\n\r\n<center><em>L’Allegro Chirurgo</em> → <em>Burger time ou les Tentations de Saint Antoine</em></center>\r\n\r\n<center><em>Docteur Maboule</em> (électrique) → <em>Burger Time</em> (électronique)</center>\r\n<br>\r\nToutefois cette équation simple est enrichie par une étape intermédiaire, une fois encore reprise de <em>L’Allegro Chirurgo</em>, Lanza présentant, aux mesures 144-146, un motif de fusée ascendante.\r\n\r\nCe motif de fusée (motif *e*) est présentée intégralement dès sa première apparition [Média 12] : quasi-chromatique et non tempérée avec vingt notes constitutives, et une étendue du *do* # grave au *sol* aigu, c’est-à-dire établissant la jonction entre les deux pôles des pédales *c* et *d*, et donc encore une fois les extrêmes de la tessiture du tuba. Hormis sa directionnalité, cette fusée est en tout point similaire à son *alter ego* de *L’Allegro Chirurgo*. Elle diffère en revanche quant à sa fonction qui n’est plus de séparer deux motifs (*a* et *b*), mais deux états musicaux : les processus A-M au motif \"It’s Burger Time\".\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcafeb1_12_lanza_burgertime_fusee\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 12. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, première apparition de la fusée ascendante (motif *e*) [© Part. Lanza, 2001, m.144-146 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nCette fusée *e* est omniprésente dans toute la seconde partie de l’œuvre : tout d’abord comme élément perturbateur/interstitiel (m.144-268) ; puis proliférant (m.279-402) ; et enfin en dialectique avec les éléments de \"It’s Burger Time\" (à partir de m.404). La forme générale de *Burger Time ou les tentations de Saint Antoine* peut ainsi être schématisée simplement [Figure 8] suivant trois entités-matériaux qui s’interpénètrent : la suite des treize des processus de *slicing* A-M , la propagation du motif de fusée ascendante et, enfin, le travail final sur la mélodie \"It’s Burger Time\".\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 8. Macroforme de *Burger Time ou les tentations de Saint Antoine* avec les *crossfade* entre les trois entités principales.**\r\n\r\n#### Niveau 3 : micro-évènements\r\n\r\nDe nombreux “accidents” viennent émailler le discours musical, accidents que l’on ne saurait considérer comme de simples faits de parcours ou de simples coquilles de publication. L’analyse de niveau neutre se heurte ainsi à ces micro-phénomènes, sans pouvoir y trouver une justification. Par exemple dans le processus B [Média 8], la cellule *b* est présentée dix-sept fois et sa quatorzième occurrence est amputée d’une note. Les clausules *c* et *d* sont par ailleurs souvent enrichies de ces “accidents”, probablement non algorithmiques, visant à contrebalancer la rigueur conceptuelle de l’œuvre.\r\n\r\n### La partie électronique\r\n\r\n####Patch principal\r\n\r\nLe *patch* principal que Lanza a réalisé sous *Max/MSP* [Figure 9] prend en charge la gestion de l’ensemble des 468 fichiers-son déclenchés manuellement. Ce patch intègre avec ironie le personnage virtuel du cuisinier Peter Pepper, ainsi que quatre hamburgers, illustrant les quatre colonnes du terrain de jeu d’arcade [Figure 3]. Toutefois leur présence n’est pas qu’anecdotique : cet écran illustre une fois encore la dichotomie du titre de l’œuvre (écrit intégralement en haut à gauche de l’écran). Cet écran oppose à la fois la gaîté du jeu vidéo (en couleur) au terne programme *Max* (en gris) ; et la simplicité ancienne du jeu vidéo (pixélisé) à la complexité du programme Modalys. Lanza n’a pas souhaité recourir à des procédés temps réel (capteur MIDI, suiveur de partition, etc.), notamment afin de garder le contrôle total sur la conception de la partition. [0]La pièce fait juste usage du spatialisateur SPAT de l’Ircam, mais ici aussi de manière ponctuelle et ciblée — notamment pour les séquences sur le *sol* aigu parcourant un mouvement giratoire autour du public. Dans la fenêtre de son *patch* principal, les quatre hamburgers sont achevés, et Peter Pepper lève les bras en signe de victoire. On pourrait y voir une boutade de Lanza face aux innombrables difficultés qu’engendre la réalisation globale d’une telle œuvre mixte à l’Ircam, une domination de la dimension technique dans le cadre du cursus de formation et d’apprentissage.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 9. Patch principal *Max* pour la partie électronique de *ou les tentations de Saint Antoine*.**\r\n\r\n#### Analyse des objets sonores\r\n\r\nLa partie électronique n’est pas constituée que de sons de jeux vidéo reconstitués. La majeure partie des évènements comprend des structures élaborées au fil des expérimentations de Lanza avec Modalys — nous les étudierons au cas par cas plus loin. En ce qui concerne les sons extraits de jeux vidéo, Lanza a procédé tout d’abord à une collecte de sons susceptibles d’être employés. En raison des traitements envisagés, Lanza a fait le choix de sons brefs, et donc principalement des bruitages locaux, issus d’un nombre restreint de jeux d’arcade contemporains de *Burger Time*. Le compositeur en cite trois en particulier : *Bomb jack*, *Dig-dug* et *Pac-Man*. Vingt ans après, Lanza n’a plus le souvenir exact des choix qui ont été faits, ainsi que de la raison de ces choix. Un son extrait du jeu *Pac-Man* est par exemple bien présent dans le dossier des fichiers \"Burger Time\" d’époque, mais l’analyse de la pièce démontre qu’il n’a, au final, pas été utilisé. L’œuvre connut plusieurs versions successives, ce qui peut expliquer certaines modifications ; cela sous-entend par ailleurs que le choix des sons fut assez libre, et sans organisation préalable. Dans la version terminale, huit sons de jeux vidéo distincts sont utilisés [Figure 10].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 10. Liste des extraits sonores puisés dans différents jeux d’arcade.**\r\n\r\nLanza a fait le choix de ne pas utiliser directement ces sons. À une exception près — les quartes de \"It’s Burger Time\" — tous les sons utilisés dans *Burger Time* ont été entièrement reconstitués avec Modalys. Pour expliquer le protocole employé, prenons comme exemple le son \"Death\" tiré du jeu *Bomb Jack* [Média 13]. Lanza analyse le son d’origine avec le logiciel AudioSculpt afin d’en identifier les composantes principales [Figure 11] ; il réalise alors une transcription musicale — limitée à deux ou trois voix et en utilisant des quarts de ton — puis opère une reconstitution à l’identique en recourant à un objet \"plaque\" excité par un \"strike\" (marteau) en synthèse par modèle physique [Média 14].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"55\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa1f339_13_lanza_bugertimeoulestentationsdesaintan\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 13. Jeu *Bomb Jack*, motif \"Death\".**\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 11. Analyse AudioSculpt du pattern originel utilisé dans le motif \"Death\" du jeu vidéo *Bomb Jack*.**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3abdf0_14_lanza_burgertime_death\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 14. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, retranscription du son après analyse sur AudioSculpt (à gauche) et re-synthèse par modèle physique (à droite) [© Part. Lanza, 2001, m.297 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nIl est possible d’établir des “familles” d’objets sonores selon la nature de leur(s) matériau(x) d’origine. Dans son analyse sémiologique de *Burger Time*, Valle avait déjà fait ce constat, désigné des catégories et élaboré un plan de forme selon la logique de répartition de ces familles d’objets sonores [Valle, 2019]. Toutefois il avait fait le choix de ne pas chercher à identifier les matériaux originels, dénombrant à l’écoute onze familles d’objets sonores, répartis temporellement en deux groupes. Il leur attribue des dénominations approximatives d’après le résultat sonore (*trumpet*, *cymbalum*, *voice*, *frog*, etc.). Leur répartition temporelle montre des premières familles omniprésentes dans l’œuvre, et les dernières très ponctuelles et uniquement dans les trois dernières minutes de l’œuvre.\r\n\r\nL’analyse de la partition montre nombre de similitudes avec cette analyse esthésique, mais elle permet d’affiner l’identification des familles d’objets sonores, d’étudier leur évolution au fil de la forme, et de proposer une structure globale de *Burger Time* plus précise. Cette analyse permet de confirmer la présence de 11 familles d’objets sonores. Le nombre d’occurrences de ces objets s’avère très variable puisqu’ils peuvent apparaître à travers 3 séquences comme à travers 187 séquences.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 12. Liste des familles d'objets sonores.**\r\n\r\nSi comme nous l’avons vu, la forme globale de la partie de tuba de *Burger Time* peut être résumée par un simple processus [A] → [B] (*L’Allegro Chirurgo* → *Its Burger Time*), la logique de la partition électronique montre une autre forme évolutive, par glissement progressif des familles d’objets sonores. Afin d’offrir une alternative au schéma formel de Valle, nous avons fait le choix de ne pas prendre le temps comme unité en abscisses, mais les objets sonores [Figure 13].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 13. Plan global de la partie électronique**\r\n\r\nComme l’avait constaté Valle, il existe effectivement une dichotomie entre les premières et les dernières familles de sons. On constate par exemple une logique fonctionnelle des premières familles par rapport aux données (matériaux) de la partie instrumentale (*harmonizer*, anacrouses, désinences, etc.) ; logique qui se délite au cours de l’œuvre, pour tendre vers l’aléatoire, ce qui constitue une fois encore un processus global identique à ce qui a été démontré auparavant : \r\n<center>séquences liées à l’instrumental → séquences aléatoires non liées à l’instrumental.</center>\r\nIl est à noter également une logique de répartition progressive selon la nature des matériaux, au profit des sons tirés de jeux vidéo. À cela s’ajoute une volonté probable de la part du compositeur de confronter tous ces matériaux selon différents critères (anciens et modernes, réels ou informatiques, kitch ou scientifiques, proches ou contrastés, etc.). La liberté constatée tant en ce qui concerne le choix des sons que leur disposition semble indiquer que la partie électronique n’obéit pas à un algorithme préétabli.\r\n\r\n#### Analyse des familles d’objets sonores\r\n\r\n**Famille n°1 : réécriture de *Barocco***\r\n\r\n- Modèle : séquences d’instruments jouets issus de la pièce *Barocco*\r\n- Objet : tuyau\r\n- Connexion : reed\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 12\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.1-180\r\n- Évolution : les séquences de *Barocco* ne subissent aucune transformation autre que la reconstitution avec Modalys.\r\n- Fonction : ces séquences, associées à celles de la famille n°2, constituent la principale matière du discours musical pour le début de l’œuvre.\r\n\r\nLa première famille d’objets sonores — qui ouvre la pièce — est constituée de séquences redécoupant un matériau pour instruments jouets (saxophone, clarinette et trompette de la marque *Bontempi*) issu d’une pièce antérieure de Lanza : *Barocco* (2000) pour voix et ensemble [Média 15]. Toutes ces séquences ont été intégralement reconstituées sous Modalys [Média 16]. Lanza a choisi de travailler avec des objets de type “tuyaux” ainsi que la connexion \"reed\" (anche), afin de reconstituer le plus fidèlement possible les sons des instruments jouets d’origine, en rajoutant un effet de membrane ou de mirliton afin d’obtenir un son vibré. De l’aveu même du compositeur, le résultat est presque meilleur que les sons originaux.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x622bba_15_lanza_burgertime_barocco\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 15. *Barocco* [© Part. Ricordi, 2003, m.XXX / EA CD MFA-Stradivarius, 2007].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x898593_16_lanza_burgertime_debutburgertime\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 16. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, reconstitution d’un extrait de *Barocco* [© Part. Lanza, 2001, m.1-06 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°2 : composition d’arpèges égrenés**\r\n\r\n- Modèle : aucun\r\n- Objet : plaque avec clusters d’objets, effet \"kalimba\"\r\n- Connexion : plectre + connexion \"strike\"\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 187\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.3-392\r\n- Fonction : les séquences de cette famille n°2 sont systématiquement associées aux sons de la cellule *a* de tuba [Média 8].\r\n- Évolution : boucle défective.\r\n\r\n> Le matériau musical est constitué de 4 accords/désinences : 4 groupes de 24 triples croches, que nous nommerons α, β, γ et δ [Médias 17, 18, 19 et 20]. Ces quatre gestes ont été vraisemblablement composés afin de s’opposer esthétiquement à la famille n°1 avec laquelle elle entre en dialectique (comme pour *L’Allegro Chirurgo*). Le principe d’engendrement de ces séries de sons est basé sur la métabole progressive d’un accord originel par chromatisme. Les objets de cette famille sont souvent pris en exemple par Lanza lors de ses présentations de l’œuvre : \"Parfois je ne spécifie pas tous les paramètres pour créer un objet […], je fais des *random* par exemple, je resynthétise le même son plusieurs fois, […] chaque son est composé de plusieurs couches, et je compose les couches de manière à obtenir le résultat qui me plait\" [Lanza, 2004].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x25732e_17_lanza_burgertime_elementalpha\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 17. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, élément α [© Part. Lanza, 2001, m.01 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaa6c03_18_lanza_burgertime_elementbeta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 18. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, élément β [© Part. Lanza, 2001, m.06 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x06c15a_19_lanza_burgertime_elementgamma\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 19. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, élément γ [© Part. Lanza, 2001, m.11 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"250\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x2f6f54_20_lanza_burgertime_elementdelta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 20. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, élément δ [© Part. Lanza, 2001, m.12 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nCes quatre séquences sont présentées en boucle toujours dans le même ordre (α, β, γ et δ), mais de manière défective avec une diminution généralement du nombres de valeurs pour chaque élément [Média 21]. Les premières mesures de *Burger Time* sont, encore une fois, un exemple de contraste matériel souhaité par Lanza. Dans *Barocco*, il opposait instruments jouets et \"boites à meuh\", ici il oppose instruments jouets reconstitués et séquences complexes élaborées par ordinateur qui constituent la famille n°2.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xce4b8a_21_lanza_burgertime_groupe2\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 21. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, mise en boucle des éléments α, β, γ et δ (év 12/δ6 ; év 13/α18 ; év 14/β9 ;év 15/γ15 ; év 16/δ9 ; év 17/α16 [© Part. Lanza, 2001, m.**24-26** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°3 : *sol* # de tuba +désinence **\r\n\r\n- Matériau : *sol* # de tuba (fichier son)\r\n- Objet : plaques\r\n- Connexion : Marteau + \"Force\"\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 15\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.39-435\r\n- Évolution : D’abord limités à un unique *sol* # réverbéré (évènements 38 et 70), ces objets se déploient vers le grave.\r\n- Fonction : logiquement associés à la pédale *c*, c’est-à-dire aux clausules des différents processus A-M, dont ils constituent au final un prolongement hétérophonique. Leur durée est associée à cette pédale ; la seconde pédale *do* # grave met fin à leur déroulé.\r\n\r\nLanza a choisi de travailler ici une connexion particulière de Modalys : \"Force\", connexion permettant de soumettre un fichier son à un excitateur (marteau, archet, etc.). Le fichier son comprend un *sol* # aigu du tuba, spécifique de la pédale c à qui cette famille d’objets est associée. Les évènements liés à ce *sol* # ont été entièrement créés par Lanza avec OpenMusic, et consistent en des chaînes de brefs *pattern* constituant une polyphonie complémentaire dont la vitesse est variable, selon une logique proche des canons de Wuza. Les marteaux bougent en fonction d’une fréquence audio, permettant la création d’objets hybrides. Dans le processus D [Média 22] on peut distinguer clairement le fichier son dans son état d’origine présenté sur l’apparition du *sol* # au tuba (évènement 139, m.133), puis sa transformation progressive vers le grave. Cette transformation, ainsi que toutes celles de cette famille (15 occurrences) sont toutes différentes de nature, et présentent fondamentalement des proliférations de *pattern* de quelques notes, élaborées avec OpenMusic – assez semblables au développement de la voix dans la précédente pièce de Lanza : [work:732d8097-f685-45c9-8f16-90dff75e175d][Erba nera].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x59e26c_22_lanza_burgertime_transformationfichiers\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 22. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, transformation d'un fichier son de *sol* # du tuba [© Part. Lanza, 2001, m.**103-127** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°4 : son de \"réveil\"**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Dig-dug*, \"Monster morning\".\r\n- Objet : plaques.\r\n- Connexion : \"Strike\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 10.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.41-414.\r\n- Fonction : enchaîner deux fonctions au sein de la forme en introduisant les processus de la famille n°2 [Médias 17 à 20].\r\n\r\nÀ la différence de la famille précédente, la famille n°4 expose un élément bref et aisément identifiable. Dans son analyse, Valle qualifie ce son de \"réveil\" en raison de ses caractéristiques : deux tons sol #-sol, vibrato, strident [Valle, 2019]. Cet objet sonore est plusieurs fois mis en boucle. Il s’agit d’un son extrait du jeu vidéo *Dig-dug* intitulé \"Monster morning\" [Média 23] que Lanza a reconstitué pour être très proche de l’original [Média 24]. Puis à partir de m.198, cet objet est relié à la fusée ascendante dont il sépare les occurrences [Média 25].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"65\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa3548d_23_lanza_burgertimeoulestentationsdesainta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 23. Jeu *Dig dug*, motif \"Monster morning\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x361fa4_24_lanza_burgertime_reveil\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 24. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, son de \"réveil\" (év. 71) [© Part. Lanza, 2001, m.**66-68** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7e14c5_25_lanza_burgertime_reveil2\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 25. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, alternance entre fusée ascendante et son de \"réveil\" [© Part. Lanza, 2001, m.211-212 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°5 : résonances “rouillées”**\r\n\r\n- Matériau originel : inconnu, métallique (partition : transcription spectrale).\r\n- Objet : objets divers.\r\n- Connexion : \"Force\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 11.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.83-395.\r\n- Fonction : généralement associées au motif *b* dans la première partie [Média 22].\r\n\r\nLes séquences regroupées dans la famille n°5 l’ont été en raison de leur esthétique similaire (timbre métallique, aspect frotté), ainsi que leur parenté d’écriture dans la partition. Lanza emploie ici encore la connexion \"Force\" afin d’utiliser des sons du tuba pour faire résonner des objets de type \"plaques\", sans directionnalité réelle. [Média 26]. Par la suite, ils se combinent avec d’autres objets sonores, comme ceux des familles n°10 et n°7 [Média 27].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x69688a_26_lanza_burgertime_objet5\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 26. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, résonances “rouillées” (év. 114, 115, 117 et 118) [© Part. Lanza, 2001, m.**89-92** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x08e663_27_lanza_burgertime_objet5b\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 27. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, résonances “rouillées” (év. **315-317, 319-321**) [© Part. Lanza, 2001, m.**338-343** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°6 : répercussions métalliques**\r\n\r\n- Matériau originel : montée spectrale métallique.\r\n- Objet : plaques métal.\r\n- Connexion : \"Strike\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 10.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.127-391.\r\n- Évolution : chaque séquence est différente, leur retranscription évolue dans le cours de l’œuvre, certaines en blocs harmoniques complexes, d’autres simplement monodiques (pour une simple facilité de lecture).\r\n- Fonction : toujours déclenchées par le tuba sur le *do* # grave dont elles constituent une désinence, les séquences s’enchaînent toujours à un objet de la famille n°2.\r\n\r\nLe travail porte à nouveau sur des objets de type \"plaques métalliques\" de grande taille, avec un excitateur de type \"marteau\" auquel s’ajoute un processus de compression du spectre vers l’aigu et un ralentissement [Médias 28 et 29]. Composés dans OpenMusic, les objets de cette famille sont tous différents mais répondent à une problématique commune : constituer d’un effet d’éclat à partir de la matière qui produit le son.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xca2db1_28_lanza_burgertime_objet6\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 28. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, éclats métalliques (év. 170) [© Part. Lanza, 2001, m.**161-163** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x44cd3d_29_lanza_burgertime_objet6b\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 29. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, éclats métalliques (év. 222) [© Part. Lanza, 2001, m.**242-243** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°7 : arpèges rapides descendants**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Bomb Jack*, motif \"Death\".\r\n- Objet : plaques.\r\n- Connexion : \"Strike\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 10.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.297-473.\r\n- Évolution : fixe, et non modifié au fil des occurrences, excepté le nombre d’arpèges (6 dans l’exemple suivant ; puis réduit à 4, puis légèrement transformé).\r\n- Fonction : pas de fonction spécifique.\r\n\r\nIl s’agit du motif \"Death\" extrait du jeu *Bomb Jack* que nous avons détaillons plus haut [Médias 13 et 14].\r\n\r\n**Famille n°8 : quartes**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Burger Time*, deux quartes extraites de \"It’s Burger Time\".\r\n- Objet : échantillons de *Toy piano*.\r\n- Connexion : /\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 33.\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.303-511.\r\n- Évolution : domine toute la dernière partie de l’œuvre.\r\n- Fonction : renforce les quartes identiques de la partie de tuba.\r\n\r\nIl s’agit des seules composantes de la partie électronique non travaillées, mais simplement constituées d’échantillons, en l’occurrence de *Toy piano*. Lanza a souhaité ainsi mettre en évidence un son riche, opposé aux sons recomposés par synthèse. Par ailleurs le *Toy piano* faisait partie de l’instrumentarium de *Barocco*. Lanza crée ainsi un lien entre la musique du jeu *Burger Time* et les autres instruments jouets de *Barocco* dominant tout le début de l’œuvre. Cet objet très bref sonne comme un signal au sein du discours musical. Il s’agit de l’intervalle de quarte omniprésent dans la musique de fond du jeu *Burger Time*. Il se trouve donc à la fois dans la partie instrumentale et la partie électronique. Nous avons rassemblé dans le même groupe les deux quartes utilisées : l’une descendante *fa* #-*do* # et l’autre ascendante *mi-la*, en raison de leur traitement identique [Média 30].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xea588e_30_lanza_burgertime_quartes\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 30. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*,** quartes extraites de *It’s Burger Time* **[© Part. Lanza, 2001, m.347-350 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°9 : arpèges rapides ascendants**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Dig-dug*, motif \"Shot\".\r\n- Objet : plaques.\r\n- Connexion : \"Strike\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 5 (n° 309, 333, 344, 358, 403).\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.333-482.\r\n- Évolution : présenté 5 fois de manière identique.\r\n- Fonction : interstitiel, il est utilisé sans logique apparente, mais souvent entre deux \"fusées\" de la partie instrumentale.\r\n\r\nLanza ne retient que les trois premiers arpèges ascendants initiaux [Média 31] pour constituer un objet sonore [Média 32] dont la morphologie est l’inverse de ceux issus de la famille n°7 (arpèges descendants).\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0f0c02_31_lanza_burgertime_digdugshot\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 31. Jeu *Dig-dug*, motif \"Shot\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xae7a30_32_lanza_burgertime_objet9\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 32. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, arpèges rapides ascendants [© Part. Lanza, 2001, m.354 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°10 : arpèges tonals ascendants/descendants**\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Burger Time*, motif \"Got caught\" (mort).\r\n- Objet : objet spécifique.\r\n- Connexion : \"Reed\".\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 6 (n°314, 337, 338, 350, 364, 385).\r\n- Présence temporelle au sein du discours musical : m.339-436.\r\n- Évolution : l’objet n°10 n’évolue pas, hormis sa longueur en variant le nombre d’arpèges à chaque évènement (respectivement 3, 4, 2, 3, 3, 2).\r\n- Fonction : sans logique apparente.\r\n\r\nCe son occasionnel du jeu *Burger Time* [Média 33] est présenté ici à 6 reprises. Il est facilement identifiable morphologiquement [Média 34], le timbre est caractéristique de la connexion \"Reed\" de Modalys similaire aux séquences transformées de *Barocco* constituant la famille n°1.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"200\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x1013bf_33_lanza_burgertime_burgertimegotcaught\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 33. Jeu *Burger Time*, motif \"Got caught\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x1ce99b_34_lanza_burgertime_objet10\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 34. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, objet sonore de la famille n°10 (év. 337) [© Part. Lanza, 2001, m.358-360 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n**Famille n°11 : sons isolés de *Dig-dug***\r\n\r\n- Matériau originel : jeu vidéo *Dig-dug*, motifs \"Monster touched Dig-dug\", \"Dig-dug disappearing\" (bruitages) et \"Walking\" (fond sonore).\r\n- Nombre d’évènements électroniques : 3 (n°177, 178 et 393).\r\n- Au sein du discours musical : m.167-169 et 414.\r\n\r\nNous avons regroupé dans cette onzième famille trois évènements isolés au sein du discours musical, ne comportant qu’une seule occurrence chacun, mais provenant d’une même origine : le jeu d’arcade *Dig-dug*. D’un côté, en plein milieu de la pièce (évènements 177 et 178) : deux bruitages brefs enchaînés correspondant aux deux sons enchaînés de la mort (*death*) du personnage : \"monster touched Dig-dug\" [Média 35] et \"Dig-dug disappearing\" [Média 36].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"65\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf5b4f2_35_lanza_burgertimeoulestentationsdesainta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 35. Jeu *Dig-dug*, motif \"monster touched Dig-dug\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"65\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8825e3_36_lanza_burgertimeoulestentationsdesainta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 36. Jeu *Dig-dug*, motif \"Dig-dug disappearing\".**\r\n\r\nCes deux sons s’enchaînent dans *Burger Time* et s’insèrent entre des objets sonores issus des familles n°2 et n°4. Ils ne sont pas liés à la partie de tuba, constituant une sorte de micro-interlude [Média 37].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"240\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb032f8_37_lanza_burgertime_objet11a\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 37. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, motifs \"monster touched Dig-dug\" et \"Dig-dug disappearing\" du jeu *Dig-dug* (év. 177-178) [© Part. Lanza, 2001, m.166-169 / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\nLe motif \"Walking\" [Média 38] — caractérisé par sa basse de banjo — sert de fond sonore dans le jeu *Dig-dug* et apparaît donc comme l’*alter ego* du motif générique de *It’s Burger Time* [Média 4]. En totale opposition avec les motifs précédents, cet objet sonore ne connaît qu’une seule occurrence vers la fin de l’œuvre qui n’est pas liée à la partie soliste. La séquence construite par Lanza ne reprend que les cinq premières doubles croches ; elle s’insère dans une période de silence dans le prolongement d’une séquence de tierce [Média 39]. Sa transformation est très légère, même si la représentation analytique dans la partition semble complexe et éloignée de la transcription précédente.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"270\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb5ef3e_38_lanza_burgertime_digdugwalking\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 38. Jeu *Dig-dug*, motif \"Walking\".**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"220\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7bf0b3_39_lanza_burgertime_objet11b\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 39. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, **motif \"walking\" du jeu *Dig-dug*** [© Part. Lanza, 2001, m.**414-415** / Arch. Ircam, EA 2002a].**\r\n\r\n#### La version pour électronique seule (2008)\r\n\r\nLa première version de *Burger Time* pour tuba et électronique n’a jamais été jouée depuis 2002. Elle nécessiterait, d’après le compositeur, une réécriture ainsi qu’une nouvelle implémentation de la partie électronique. Une seconde version a été réalisée en 2008 dans le cadre d’une commande d’œuvre électronique destinée à être diffusée en plein air. Elle conserve l’intégralité des données musicales (partie de tuba et séquences électroniques) mais sa durée a été ramenée à 12 minutes 54 secondes et la spatialisation réduite en stéréophonie. Le titre n’a pas été modifié (il aurait pu être par exemple *Burger Time* II). À ce jour, cette version remplace officiellement la version mixte originelle retirée du catalogue.\r\n\r\nLes deux enregistrements de la première version démontrent que s’il est possible techniquement d’exécuter l’œuvre. Le déclenchement de chaque évènement par l’instrumentiste demeure une épreuve pesante, à laquelle s’ajoute la complexité technique de la partie instrumentale, provoquant une fatigue progressive de l’exécutant perceptible dans la dernière partie de l’œuvre. Cette fatigue amène des imprécisions de jeu, mais aussi des respirations de plus en plus marquées alors que Lanza a au contraire envisagé sa fin comme une domination du tuba sur l’électronique (Saint Antoine surpassant les tentations). La fixation des données permet de supprimer cette difficulté.\r\n\r\nChaque note de la partie de tuba, isolée en un fichier son, a été traitée avec la connexion \"Force\" sous Modalys comme un objet soumis à une excitateur de type marteau, créant ainsi des sons hybrides. Ce travail est notamment évident dans les séquences de *bisbigliando* sur le sol aigu ; il permît au compositeur un contrôle du temps, de la précision des sons de la partie soliste ainsi que de la dynamique globale, le paramètre humain ayant été supprimé. Ces transformations donnent à la partie de tuba une dynamique étonnante, notamment en ce qui concerne les transitoires d’attaque. La dernière partie de l’œuvre conserve ainsi son énergie, y compris dans le détail de chaque note [Média 40].\r\n\r\nLes évènements électroniques sont en revanche identiques. Leurs enchaînements sont facilités, et donc les rapports entre eux plus évidents. Cependant, ces modifications entraînent une indifférenciation entre Saint Antoine et les tentations, entre le tuba et les évènements électroniques. Si cette nouvelle version gagne en efficacité dynamique, la problématique originelle est gommée. Le compositeur assume cependant cette version “transitoire” de la partition. La comparaison des deux versions donne un renversement de paramètres intéressant : la version I voyait la domination du tuba (Saint Antoine) sur l’électronique (Tentations) ; dans cette seconde version le tuba est désormais entièrement absorbé par l’électronique.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"65\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0c8081_40_lanza_burgertimeoulestentationsdesainta\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 40. *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, fin de la version électronique, [© Arch. **Lanza, EA 2008**].**\r\n\r\n------------\r\n\r\n### Conclusion\r\n\r\nEn 2023 Lanza n’envisageait pas d’autres versions de *Burger Time ou les tentations de Saint Antoine*, ce qui aurait été, somme toute, assez logique dans la continuité des réécritures de Flaubert ou des représentations historiques du moine anachorète. Il n’y a pas non plus de réemploi des matériaux de l’œuvre dans d’autres compositions, si ce n’est *via* le prolongement du cycle *Nessun suono d’acqua*, cycle d’après les fragments poétiques des Premières proses italiennes (*Prime prose italiane*) d’Amelia Rosselli, dont *Erba nera che cresci segnio nero tu vivi* (1999-2001) pour voix et électronique et *Barocco* (2000) pour voix et instruments-jouets ont été les premières composantes. Suivant [work:a3174a75-5b3c-4547-a4b5-9f010951ebb9][Mare] (2003-2004) pour voix, instruments-jouets, ensemble instrumental et électronique, *Cane* (2006-2007) pour voix, instruments-jouets, ensemble instrumental et électronique et [work:d258e066-253f-44be-963d-a1ae88f1b453][Vesperbild] (2007) pour instruments-jouets et ensemble instrumental.\r\n\r\nLe cycle *Nessun suono d’acqua* rencontre des similitudes avec *Burger Time*, à commencer par l’opposition/complémentarité entre voix de soprano et multiples entités d’accompagnement, permutant ces entités au cours des pièces. Un détail mérite d’être évoqué en conclusion de cette analyse. *Erba nera*, proposée dans une première version inachevée en 1999 à la fin de son cursus de composition et informatique à l’Ircam, sera achevée par Lanza en 2001, c’est-à-dire durant la conception de *Burger Time*. En septembre 2001, c’est au tour de [composer:f953997f-355f-4ad9-bbda-7e441cc5953e][Francesco Filidei], compositeur, compatriote et ami proche de Lanza, de suivre la formation de l’Ircam (2001-2002). Celui-ci choisira de poursuivre le travail sur Modalys pour son œuvre de fin de cursus, avec d’ailleurs la même bibliothèque que Lanza dans l’environnement OpenMusic (OM-Modalys, version 2.0). Sa pièce, *Programming Pinocchio* pour piano et électronique, s’inspire du roman éponyme de Carlo Collodi, et s’intéresse, comme la première pièce de Lanza, à la linguistique puisqu’une partie du texte de Collodi sera retranscrite en séquences d’accords dans une structuration assez proche de la parole, séquences orchestrées ensuite grâce à la synthèse par modélisation physique. *Burger Time* et [work:82c6d8af-9035-4fb6-81f7-fdc3e89b0d2b][Programming Pinocchio] partagent quant à elles plusieurs points communs comme l’effectif mixte instrument solo/électronique, et une partition électronique limitée au déclenchement live d’un ensemble de fichiers sons (106 pour Filidei, déclenchés grâce à une pédale). Une continuité donc assurée et assumée puisque *Programming Pinocchio* est officiellement dédiée à Mauro Lanza.\r\n\r\n### Ressources\r\n\r\n#### Textes\r\n\r\n[Baltrušaitis, 1981] – Jurgis Baltrušaitis, \"Le Moyen Age fantastique, Antiquités et exotismes dans l’art gothique\", Paris : Flammarion, 1981.\r\n\r\n[Delmar, 1998] – Olivier Delmar, *De* Modalys *au guide d’ondes numérique*, mémoire Ircam/ENSEA – Université Cergy Pontoise, 1998.\r\n\r\n[Dos Santos, 2006] Reinaldo Dos Santos, *Interface perceptive de contrôle dans un logiciel de modélisation par synthèse physique* : Modalys, mémoire de Master 2, Ircam/Université Pierre et Marie Curie, Jussieu, Paris VI, 2006.\r\n\r\n[Flaubert, 1874/2006] – Gustave Flaubert, *La Tentation de Saint Antoine*, édition de Claudine Gothot-Mersch, folio classique, n°1492, 2006.\r\n\r\n[Lanza, 2002] – Mauro Lanza, note de programme pour *Burger time ou les Tentations de Saint Antoine*, Ircam, 22 janvier 2002, [https://medias.ircam.fr/media/old_archives/programnote/LO38067-01.pdf/](https://medias.ircam.fr/media/old_archives/programnote/LO38067-01.pdf/ \"https://medias.ircam.fr/media/old_archives/programnote/LO38067-01.pdf/\") (Consulté en mars 2020).\r\n\r\n[Lanza, 2018] – Mauro Lanza, \"Entretien #16 – Mauro Lanza\", MusicAlgo, Petite introduction pratique aux musiques génératives et algorithmiques (propos recueillis en juillet 2018), http://musiquealgorithmique.fr/entretien-16-mauro-lanza/ (Consulté en février 2020).\r\n\r\n[Sciarrino, 1998] – Salvatore Sciarrino, *Les Figures de la musique, de Beethoven à aujourd'hui*, Ricordi, 1998.\r\n\r\n[Valle, 2019] – Andrea Valle, \"*Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, or Not Wanting to Say Anything About Mauro Lanza, Gustav Flaubert and Peter Pepper\", *Flaubert* [en ligne] 21/2019, mis en ligne le 01 juin 2019, http://journals.openedition.org/flaubert/3650 (Consulté en novembre 2020).\r\n\r\n#### Archives\r\n\r\n**[Arch. Ircam]**\r\n\r\n[Bensoam et Ellis, 2004] — Joël Bensoam et Nicholas Ellis, *Synthèse par modélisation physique (logiciel* Modalys *) et interprétation*, Paris, Ircam, 16 octobre 2004. Consultable à la médiathèque de l’Ircam (consulté en novembre 2020).\r\n\r\n[Lanza, 2002a] — Mauro Lanza, Présentation de *Burger time ou les Tentations de Saint Antoine*, Ircam, 22 janvier 2002. Consultable à la médiathèque de l’Ircam (consulté en novembre 2020).\r\n\r\n[Lanza, EA 2002a] — Mauro Lanza, *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, David Zambon (tuba), Ircam, 22 janvier 2002, https://medias.ircam.fr/x47b985_burger-time-ou-les-tentations-de-saint-ant (consulté en février 2021).\r\n\r\n[Lanza, EA 2002b] — Mauro Lanza, *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, David Zambon (tuba), Ircam, le 19 octobre 2002 https://medias.ircam.fr/x415d22_burger-time-ou-les-tentations-de-saint-ant (consulté en février 2021).\r\n\r\n[Lanza, 2004] — Mauro Lanza, *Point de vue de compositeurs*, Ircam, 15 novembre 2004. Consultable à la médiathèque de l’Ircam (consulté en novembre 2020).\r\n\r\n[Lanza, 2017] —& Mauro Lanza, *Objet trivial objet trouvé*, Paris, CDMC, 12 décembre 2017. Consultable sur le site Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=ebPjRF3qLwk (consulté en août 2020).\r\n\r\n[Lanza, 2018] — Mauro Lanza, *20 ans de musique entre informatique & boîte à meuh*, conférence donnée le 17 mai 2018 au Club 44, La Chaux-de-Fonds (Suisse). Consultable sur le site Vimeo : https://vimeo.com/275243022 (consulté en août 2020).\r\n\r\n**[Arch. Lanza]**\r\n\r\n[Lanza, EA 2008] — Mauro Lanza, *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine* (version électronique), https://soundcloud.com/maurolanza/burger-time-ou-les-tentations-de-st-antoine (consulté en février 2021).\r\n\r\n**[Arch. Kiyokawa]**\r\n\r\n[Kiyokawa, EA 2019] — Mauro Lanza, *L’Allegro Chirurgo*, Miho Kiyokawa (saxophone ténor), sl.n.d., https://www.youtube.com/watch?v=h2L4M4QXKqs (consulté en juillet 2020).\r\n\r\n#### Partitions\r\n\r\n[Part. UE, 1997] — Pierre Boulez,* Anthèmes 2*, Universal Edition UE 31160, 1997.\r\n\r\n[Part. Noten Roehr, 1996] — ;Mauro Lanza, *L’Allegro Chirurgo*, Noten Roehr 91243, 1996.\r\n\r\n[Part. Ricordi, 2003] — Mauro Lanza, *Barocco*, Ricordi, 139220, 2003.\r\n\r\n[Part. Lanza, 2001] — Mauro Lanza, *Burger Time ou les Tentations de Saint Antoine*, Edition du compositeur, 2001.\r\n\r\n#### Enregistrement audio\r\n\r\n[EA CD MFA-Stradivarius, 2007] — Mauro Lanza, *Barocco*, dans Neverland, Ensemble Alternance, Robert H.P. Platz (dir.), CD MFA-Stradivarius, 2007.\r\n\r\n### Remerciements et citation\r\n\r\nJe tiens à remercier très chaleureusement Mauro Lanza pour sa disponibilité ainsi que ses très précieuses informations sur sa partition et son travail avec Modalys. Un grand merci également à Andrea Valle, Francesco Filidei et Bertrand Dubedout pour leurs précieux conseils. Un grand merci enfin à François-Xavier Féron, Nicolas Donin et Grégoire Lorieux pour m’avoir permis de travailler sur les archives et documentations techniques de l’Ircam.\r\n\r\n**Pour citer cet article :**\r\n\r\nBrice Tissier, \"Mauro Lanza – *Burger Time*\", *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2023. URL : http://brahms.ircam.fr/analyses/BurgerTime/.\r\n\r\n[^NBP1]: *Multiple Arcade Machine Emulator*, désormais rattaché au site suivant : https://www.mamedev.org/ (consulté en juin 2021).\r\n\r\n[^NBP2]: Lanza entretient un rapport particulier avec ce concept. Certaines sont très détaillées quant à la genèse, la problématique ou les données techniques de la composition d’une pièce, d’autres sont intentionnellement lacunaires, facétieuses, voire inexistantes. Par exemple, la note de programme de la pièce *Mess* pour piano, https://brahms.ircam.fr/works/work/32246/ (consulté en février 2020) est réduite à une simple définition multiple de dictionnaire, évitant soigneusement de faire référence tant au dédicataire (MESSiaen), qu’au fragment d’œuvre qui sert de fondement à la pièce (deux mesures du *Regard de l’Esprit de Joie*).\r\n\r\n[^NBP3]: Pour des raisons de confort de lecture, et comme cela est sans incidence, ces transcriptions de motifs ont été ramenés dans l’ambitus d’une clé de *sol*, sans prendre en compte les octaviations réelles. De même, le rythme a été parfois simplifié, et le diapason – différent selon les banques de données – uniformisé d’après la partition de Mauro Lanza.","2023-10-10T00:00:00.000Z","analyse-de-i-burger-time-ou-les-tentations-de-saint-antoine-i-(2001)-de-mauro-lanza",{"getUrl":54},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/33d6a67a-3372-4a24-8739-e2c160018b1e-thumbnail.jpeg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=fcddc8166ff8e469f75ab5f9e6d91894e0565e5d8d31c11f5960b8751bae6480",{"url":54,"isIcon":11,"alt":47,"centered":37},[57],{"firstName":58,"lastName":59},"Brice","Tissier",{"title":61,"titleEn":62,"text":63,"textFr":64,"textEn":38,"date":65,"type":32,"slug":66,"authors":11,"toc":11,"image":67,"composer":11,"cardImage":69,"cardTitle":61,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":70},"Analyse de \u003Ci>Sculpting the Air\u003C/i> (2010-2015) de Jesper Nordin","Analysis of \u003Ci>Sculpting the Air\u003C/i> (2010-2015) by Jesper Nordin"," ","### Introduction : contexte, concept et méthode\r\n#### Le compositeur et son projet\r\n\r\n[composer:9e322a8a-a5c2-4c64-8637-8788ce903c29][Jesper Nordin] est une figure singulière dans le paysage de la musique contemporaine. Issu des musiques rock et électronique, il compose ses premiers morceaux à l’oreille en recourant à des séquenceurs, des boîtes à rythme et des claviers. Ce n’est qu’à vingt et un ans qu’il se forme à l’écriture de tradition “savante” mais il éprouve toujours le besoin d’être au contact de la matière sonore, c’est pourquoi il improvise régulièrement et de longue date avec des musiciens de différents horizons. Cette approche est une composante essentielle de son processus de création. Elle l’incite à développer à partir de 2007 ses propres outils compositionnels. Voici comment il relate cette trajectoire, entre écriture savante et interaction avec l’électronique en temps réel :\r\n\r\n> Même si j’ai l’habitude d’écrire de la musique pour orchestre ou pour ensemble, j’enregistre les musiciens pour construire avec l’ordinateur des maquettes et les transcrire. Progressivement, je mets de plus en plus d’énergie dans la maquette, et de moins en moins dans la partition [...] J’aime contrôler de façon intuitive et improvisée les ébauches de la partition, sans avoir besoin qu’elle soit entièrement écrite. J’ai observé de nombreuses personnes travailler avec des surfaces tactiles ou des tablettes pour jouer des sons de différente manière. Je me suis dit que je pourrais contrôler des messages MIDI et générer de la musique comme cela, et créer un genre d’instrument sur lequel j’aurais toujours un contrôle d’ordre compositionnel. J’ai donc créé ce patch Max en 2007. J’ai réparti les hauteurs et les durées sur un grille, mais je ne voulais pas contrôler un seul instrument : la pointe du stylet devait me permettre de contrôler un orchestre entier. [Jesper Nordin, 10 novembre 2014, Arch. Ircam – Bacot-Féron, notre traduction]\r\n\r\nCo-commandée par l’Ircam-Centre Pompidou et le Grame dans le cadre du projet INEDIT financé par l’Agence Nationale de la Recherche, avec la participation du Statens musikverk – Music development and heritage Sweden, [work:f097c3d7-df3a-4456-a757-7ff843102116][Sculpting the Air] relève autant d’un projet artistique que d’un programme de recherche scientifique. L’originalité de cette œuvre créée par l’ensemble TM+ sous la direction de Marc Desmons, le 13 juin 2015 à la Maison de la musique de Nanterre, tient au fait que les gestes du chef d’orchestre servent aussi à contrôler la partie électronique grâce à un dispositif technologique complexe imaginé par le compositeur avec le concours du Réalisateur en Informatique Musicale (désormais RIM) Manuel Poletti. Pensée à la manière d’un concerto pour chef d’orchestre, *Sculpting the Air* est le premier volet d’une trilogie dans laquelle des outils interactifs sont développés pour explorer musicalement et visuellement le concept d’exformation.\r\n\r\n#### L’exformation\r\n\r\nL’exformation est un concept introduit par l’auteur Danois de science-fiction et de vulgarisation Tor Nørretranders dans l’un de ses livres publiés en 1992 et traduit ultérieurement en anglais sous le titre *The User illusion* [Nørretranders, 1992/1998]. Dans ce livre, l’auteur explique que tout message ne transmet pas uniquement de l’information, il contient aussi une part (souvent majoritaire) d’exformation, c’est-à-dire de l’information qui n'est volontairement pas transmise de façon explicite. L’exformation réside dans le contexte dans lequel l’information est émise. Si elle n’est pas consciente, elle est omniprésente et porteuse de sens. Nørretranders, pour illustrer cette idée, cite l’exemple de Hugo, parti en vacances après la publication des *Misérables*, et envoyant une lettre à son éditeur pour s’enquérir de l’accueil du public. Le texte intégral de la missive de Hugo est le suivant : ‘?’. La réponse de son éditeur, en retour, est : ‘!’.\r\n\r\n> Le point d’interrogation de Hugo résulte d’un rejet volontaire de l’information. Il ne s’agit pas pour autant d’une omission pure et simple, comme s’il avait oublié cette information. Il fait délibérément référence à l’information non incluse, même si du point de vue épistolaire, elle est omise. Dans ce livre, nous appellerons exformation une information qui est explicitement exclue.\r\nUn message a une profondeur s’il contient beaucoup d’exformation. Si une personne donnée, pendant le processus de formulation finale d’un message, en exclut délibérément des informations de telle sorte qu’elles n’y sont pas explicitement transmises, il y a de l’exformation.\r\nIl n’est pas possible de mesurer la quantité d’exformation d’un message à partir de son seul contenu : le contexte seul peut nous le dire. L’expéditeur met en forme le message pour qu’il reflète l’information qu’il a en tête. [Nørretranders, 1998, p. 92, notre traduction]\r\n\r\nNordin citera l’exemple de la correspondance de Hugo avec son éditeur à de nombreuses reprises pour expliquer d’où vient le concept qui inspire son projet. Dans *Sculpting the Air* – sous-titrée *Gestural exformation* –, le compositeur souhaite mettre en exergue à la fois l’information et l’exformation contenues dans la gestique du chef :\r\n\r\n> L’exformation […] désigne tout ce qui n’est pas dit effectivement, mais qui est présent dans nos pensées au moment de parler, ou avant de formuler les choses – là où l’information est le discours mesurable et démontrable que nous prononçons réellement.\r\nLes gestes du chef comprennent donc de nombreuses exformations qui, bien sûr, diffèrent grandement selon la personne qui les regarde (musicien, auditeur...). Mais la quantité relativement restreinte d’informations mesurables dans ses mouvements se prête parfaitement à une première expérience fouillée des exformations du point de vue musical. On prendra par exemple les gestes ordinaires du chef pour les placer dans un contexte nouveau et étendu, dans lequel leurs effets seront différents. [Nordin, 2015]\r\n\r\nL’idée première que Nordin souhaite mettre en œuvre dans cette trilogie fondée sur le concept d’exformation consiste à “décentraliser l’électronique en jouant sur la répartition de plusieurs petits modules au lieu de n’en avoir qu’un” [Arch. Ircam – Note d’intention, 2014, « Projet Nordin STA TM + presentation », transmis par C. Béros]. Ainsi les musiciens auraient à ses yeux un meilleur contrôle sur la partie électronique, en particulier en ce qui concerne les traitements en temps réel. Dans *Sculpting the Air*, le premier volet de la trilogie, les gestes du chef d’orchestre délivrent l’information de direction habituelle aux musiciens, mais ils servent aussi à contrôler l’électronique et à activer des clochettes, rendant ainsi visible leur dimension « exformationnelle ». Tout en gardant la forme des gestes de direction, Nordin les fait littéralement sortir du cadre en les dotant d’un sens nouveau qui n’a plus pour but d’interagir avec les musiciens. Dans [work:c2909c12-87e8-4dbf-9772-a30990a8052f][Visual Exformation], le deuxième volet de la trilogie, qui a été créé le 4 octobre 2016 par le Quatuor Diotima (son dédicataire), les quatre musiciens contrôlent à travers leurs gestes la partie électronique et la structure de diodes électroluminescentes qui les entourent. Le troisième volet n’a pas été encore composé mais devrait s’appeler *Interactive Exformation* et être créé par l’Ensemble Recherche.\r\n\r\n#### Une analyse située du processus de création\r\n\r\nLa méthodologie visant à rendre compte de la démarche de création de *Sculpting the Air* s’appuie sur un corpus de données recueillies au cours de l’observation des séances de travail qui se sont déroulées par blocs entre août 2014 et juin 2015 [Bacot et Féron, 2016]. L'analyse de ce corpus, formé in situ, éclaire ainsi des pans de la créativité musicale dans un contexte technologique, au plus près des décisions qui motivent la conception des interfaces de captation du geste : il permet de retracer les étapes qui rendent la performance possible, depuis la proposition écrite du projet jusqu’à la création publique. Hormis la première séance avec le chef d’orchestre Nicolas Agullo – qui ne poursuivra pas ce projet en raison d’incompatibilités de calendrier –, les autres séances ont pu être observées et captées en vidéo, ce qui a permis de constituer un ensemble de données conséquent. Des entretiens de remise en situation ont par ailleurs été menés avec le compositeur et le chef d’orchestre afin de revenir avec eux sur les étapes du processus de création.\r\n\r\nAu-delà de l'analyse de l’œuvre elle-même (au sens classique), ce texte met l’accent sur la démarche de création collective, dans laquelle les paramètres d'exécution de la pièce sont progressivement ajustés suite aux essais et aux discussions menés au cours de la résidence. Autrement dit, cette analyse révèle comment Nordin élabore le dispositif technologique et le matériau musical en collaborant étroitement avec Poletti, Desmons et les musiciens de TM+. Le RIM a pour mission d’assurer la réalisation technique de l’œuvre et sa pérennité, de la création des programmes informatiques pour l'analyse et le traitement du son en temps réel à leur adaptation pour d’éventuelles représentations ultérieures [Zattra et Donin, 2016]. Le chef d'orchestre, du fait de son rôle central dans l’utilisation du dispositif technologique, est naturellement amené à dialoguer avec le compositeur et le RIM, à faire des propositions et à négocier les conditions dans lesquelles il appréhende et incarne la pièce. Cela est valable également, quoique dans une moindre mesure, pour les musiciens de l’ensemble. En se penchant sur la genèse et la réalisation de *Sculpting the Air* et en passant en revue les différents aspects technologiques, gestuels et notationnels, cette analyse souhaite révéler les aspects dynamique et collaboratif du processus de création.\r\n\r\n### Les applications Gestrument et ScaleGen\r\n#### Origines des outils\r\n\r\nL’une des singularités techniques de l'œuvre tient au fait qu’elle repose sur des applications mises au point par Jesper Nordin lui-même : Gestrument et ScaleGen. Elles résultent d’un processus d’adaptation matériel, logiciel et créatif s’étalant sur plusieurs années et constituent le cœur technologique de l’*Exformation trilogy*. Avant d’en détailler les fonctionnalités, il est important d’en retracer brièvement la genèse pour comprendre leurs rôles tant dans le processus compositionnel des œuvres que dans la conception des dispositifs interactifs.\r\n\r\nL’application Gestrument a initialement été conçue par Nordin comme un outil d’aide à la composition servant à générer un réservoir de matériaux, et non comme un programme prenant en charge la gestion des parties électroniques des œuvres. En 2007, il compose [work:90b79fb9-dda1-4e68-986d-874e5eeddb9d][Undercurrents] – une commande du Grame – et utilise alors une tablette graphique et son stylet pour contrôler un patch Max lui permettant d’improviser sur différentes échelles musicales. On peut en voir une démonstration ci-dessous, enregistrée au cours de la résidence de Nordin au Grame en 2011, alors qu’il travaillait sur [work:463e714a-3c2f-4ec3-8672-d693baf9e24b][Frames in Transit] [Média 1]. L’interface choisie ici pose les bases du mode d’interaction gestuelle proposée par la suite dans l’application Gestrument qui sera commercialisée à partir de 2012.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\"width=\"600\" height=\"450\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x26e9b2\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 1. Improvisation avec une tablette Wacom sur une échelle musicale microtonale. Ce dispositif a initialement été développé par Nordin en 2007 au sein du Grame (Lyon) avec le concours de Christophe Lebreton [© EV Grame, 2011].**\r\n\r\n#### Gestrument\r\n\r\nC’est donc en 2012, sur la base du code Max de son programme d’aide à la composition, que le compositeur met au point, avec le concours du développeur Jonathan Liljedahl, l’application Gestrument destinée à des appareils mobiles à interface tactile fonctionnant sous iOS. L’idée de cette application est de plonger dans l’“ADN musical” d’une chanson, d’un artiste ou d’un genre tel que le métal, la techno, la musique classique indienne, le jazz ou la trance. Il est également possible de connecter des appareils prenant en charge le protocole MIDI, par exemple pour associer d’autres timbres aux contenus informationnels générés par l’application. Il faut noter qu’en 2018, Gestrument devient un système hérité (dit aussi version “legacy” : l’application n’est plus disponible au téléchargement ni supportée) au profit de Gestrument Pro. La création de *Sculpting the Air* ayant eu lieu en juin 2015, il n’est question dans ce texte que de la première version de Gestrument, et non de Gestrument Pro.\r\n\r\nL’application présente une surface de jeu, sur laquelle un ensemble de durées est assigné en abscisse et une série de hauteurs en ordonnée. L’utilisateur génère ainsi du matériau musical en balayant l’écran du doigt; les hauteurs et les durées produites correspondent alors aux coordonnées de la trajectoire dessinée sur l’écran. La position du doigt sur l’écran déclenche la lecture de sons acoustiques ou électroniques et il est possible d'ajuster le nombre de voix jouées par l’application (de une à huit simultanément). Les instruments ont différentes plages de hauteurs, de durées et de dynamiques, qui varient en fonction de la position du doigt sur l’écran (le “multitouch” n'est pas pris en charge dans cette version de l’application). Si le doigt reste immobile sur un point de la tablette, la note ou l’accord est joué en boucle selon la durée sélectionnée et le tempo choisi. Les durées ne sont pas déclenchées si le mode “densité de pulsation” n’est pas activé, ce qui permet alors de jouer legato. Par ces moyens, l’utilisateur est en mesure d’improviser selon des combinaisons d’échelles de hauteurs, de timbres, de durées et de dynamiques définies, de conserver le résultat dans la mémoire du programme et de rappeler ces paramètres en un clic. Le matériau musical est ainsi généré en fonction du point de contact du doigt sur l’écran [Média 2].\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xebb769\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 2. Trailer officiel de Gestrument montrant les grands principes de fonctionnement cette application [© EV Gestrument, 2014]. **\r\n\r\nDans [work:463e714a-3c2f-4ec3-8672-d693baf9e24b][Frames in Transit], pièce écrite en 2012 pour orchestre et le Trio Trespassing, composé de Daniel Frankel au violon, Niklas Brommare aux percussions et Nordin lui-même à l’électronique, le compositeur contrôle pour la première fois Gestrument depuis la scène non plus à partir d’une surface tactile mais par le biais d’une caméra Kinect qui permet de capter ses gestes. Le compositeur recourt à nouveau à ce type de dispositif dans *Sculpting the Air*. Deux Kinects formeront des espaces de captation dans lesquels vont se déployer, sous forme gestuelle, les exformations de la direction d’orchestre. Cette idée maîtresse est donc le fruit d’un long processus de réflexion portant à la fois sur le travail de composition et sur la manière d’optimiser l’interaction avec l’électronique. Dès lors que Nordin s’est engagé dans la conception de son *Exformation Trilogy*, Gestrument est devenu l’un des points d’ancrage de sa démarche artistique.\r\n\r\n#### ScaleGen\r\n\r\nUne autre partie du code du programme Max conçu par Nordin a donné lieu à la création de ScaleGen, une application distincte de Gestrument dédiée spécifiquement à la création et l’édition d’échelles musicales. Elle permet de définir avec précision chaque hauteur (au centième de ton, ou en entrant manuellement une fréquence) et de construire des échelles non octaviantes [Média 3]. Les échelles ainsi générées peuvent être écoutées directement dans l’application, être exportées dans différents formats, ou bien être jouées par des instruments virtuels, eux-mêmes éventuellement contrôlés par un appareil externe via les protocoles MIDI ou OSC. De ce fait, il est aussi très simple d’importer une échelle dans Gestrument et d’improviser avec elle.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4bfd07\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 3. Vidéo de démonstration de ScaleGen montrant à la fois sa simplicité d’utilisation mais aussi sa grande complémentarité avec Gestrument [© EV ScaleGen, 2014].**\r\n\r\n### Processus de création collaboratif\r\n#### Calendrier de production\r\n\r\nLa réalisation de *Sculpting the Air* s’est étalée sur presque une année entière, entre août 2014 et juin 2015. Au cours de cette longue période, Nordin a effectué quatre séjours de recherche (d’une à deux semaines) au sein de l’Ircam où il a collaboré étroitement avec le RIM et le chef d’orchestre, de manière à concevoir un dispositif technologique unique qui repose sur la dimension aérienne sans contact du geste musical, et qui se doit d’être le plus stable et ergonomique possible [Bacot et Féron, 2016].\r\n\r\n**Première séance (août 2014) – Improviser pour générer du matériau et définir le dispositif.**\r\n\r\nNordin se rend à l’Ircam en août 2014 avec le matériel utilisé dans [work:463e714a-3c2f-4ec3-8672-d693baf9e24b][Frames in Transit] deux ans auparavant, à savoir une tablette iPad et une caméra Kinect. Il apporte aussi quelques clochettes chinoises en porcelaine. Les discussions avec le RIM se concentrent essentiellement sur les possibilités offertes par les différentes technologies de capture de mouvement et sur l’éventuelle conception d’un système “fait maison”. Mais la configuration techno-instrumentale utilisée dans Frames in Transit fonctionnant correctement, il est décidé de l’adapter dans *Sculpting the Air*. Afin de concrétiser au mieux l’idée d’un concerto pour chef d’orchestre et d’identifier les possibilités et impossibilités offertes par le dispositif, des essais sont réalisés avec le chef d’orchestre Nicolas Agullo : déclenchement de sons par le biais de clochettes qui entrent dans le champ de captation de la Kinect, mise en boucle et gel de motifs instrumentaux (sous forme de fichier MIDI), improvisation sur une gamme microtonale d’inspiration suédoise à partir de Gestrument.\r\n\r\nC’est également durant cette période que Nordin génère du matériau sous forme de fichiers MIDI en improvisant différents gestes dans le champ de la Kinect ou en utilisant les clochettes comme des pendules qui entrent périodiquement dans ce même champ. Les applications Gestrument et ScaleGen ne sont pas que des outils de performances mais servent également à générer de la matière sonore. L’improvisation fait bien partie intégrante du processus créateur car elle permet d’explorer de nouvelles voies à travers la manipulation d’une interface gestuelle intuitive, mais aussi de s’éloigner de la tentation d’imiter d’autres compositeurs ou de se répéter [Arch. Ircam – Bacot-Féron, 13/11/2014]. Avec ScaleGen, le compositeur crée d’abord des échelles microtonales uniques, dont certaines sont, d’après Nordin, issues de la musique folklorique suédoise. Il les importe ensuite dans Gestrument et improvise avec cette application pour produire un réservoir de phrases et d’harmonies. Les flux audio et MIDI résultant de ces moments d’expérimentation sont conservés afin de faciliter l’extraction et l’édition a posteriori de la matière musicale ainsi produite.\r\n\r\nC’est à la suite de cette séance préparatoire que le compositeur rédige un court texte dans lequel il pose les bases de sa trilogie et indique les actions fondamentales que le chef devra effectuer dans *Sculpting the Air* : “1) Diriger l’ensemble comme à l’accoutumée; 2) Contrôler l’électronique (par le biais d’une caméra Kinect ou Leap Motion et/ou directement sur un iPad); 3) Jouer avec des objets physiques (arbre à clochettes fait sur mesure) par le mouvement des mains. ” [Arch. Ircam – Production, 2014]. Le cadre technologique des traitements électroniques en temps réel étant maintenant entériné, Nordin peut désormais se consacrer pleinement à l’écriture de la pièce.\r\n\r\n**Deuxième séance (novembre 2014) – Tester les effets temps réel en simulant la direction d’orchestre.**\r\n\r\nC’est au cours de cette séance que le chef d’orchestre Marc Desmons rencontre pour la première fois Nordin et Poletti qui lui expliquent les enjeux du dispositif technologique et l’utilisation des clochettes qui seront tantôt orientées vers les Kinects pour être utilisées comme des pendules [Figure 1a], tantôt face à lui pour être jouées tout en assurant la battue [Figure 1b]. À cette époque, le dispositif est encore assez rudimentaire : un des arbres à clochettes est incomplet et le chef fait remarquer qu’il lui faudrait un retour visuel pour se repérer dans le champ de captation des Kinects. Si l’instrumentation, la structure formelle et temporelle de l’œuvre et les matériaux sonores sont déjà clairement définis par le compositeur, la première ébauche de la partition rend uniquement compte de la carrure temporelle (mesures, métriques et tempo) dans sa totalité avec ici et là quelques fragments musicaux partiellement composés. Plusieurs extraits MIDI de ce que joueront les musiciens ont en revanche été exportés, ce qui permet ainsi au chef d’expérimenter, en mimant la battue, les traitements électroniques qui leur seront associés. Cette pratique que l’on pourrait qualifier de “karaoké pour chef d’orchestre” a permis :\r\n\r\n- d’ajuster le positionnement des différents éléments du dispositif (pupitre, deux arbres à clochettes mobiles, deux Kinects).\r\n- d’évaluer les gestes que le chef pouvait ou ne pouvait pas accomplir pour contrôler correctement les effets électroniques tout en continuant à diriger les musiciens, et leur degré de précision.\r\n- d’aborder la question de la notation des gestes sur la partition.\r\n\r\n[image:1c31efca-a073-4757-9654-849d93a26ef4]\r\n\r\n**Figure 1. Marc Desmons (à gauche), Jesper Nordin (au milieu de dos) et Manuel Poletti (à droite) le 12 novembre 2014 dans le studio 5 de l’Ircam [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\n**Troisième séance (février-mars 2015) – Premiers essais avec des musiciens de l’ensemble TM+.**\r\n\r\nDurant la séance précédente, le chef ne pouvait se fier qu’à l’oreille pour deviner s’il interagissait bien avec l’électronique en entrant suffisamment dans le champ des deux Kinects. Un ordinateur portable à écran partagé a donc été installé pour lui permettre de voir si ses mains ou les clochettes entraient ou non dans les zones de capture de mouvement [Figures 2a et 2b]. Au lieu de développer un patch Max conséquent qui engloberait l’ensemble des traitements électroniques, il est décidé de recourir au logiciel Ableton Live pour plus de souplesse. Bien qu’incomplète, la partition est à ce moment suffisamment avancée pour que le chef puisse travailler son jeu avec l’électronique en mimant la battue sur les extraits de la partition lue au format MIDI. Des répétitions partielles sont par ailleurs organisées pour la première fois avec quelques musiciens de l’ensemble TM+, ce qui permet ainsi de faire un pas vers les conditions réelles d’exécution [Figure 2c]. Nordin a aussi travaillé en studio avec Florent Jodelet, le percussionniste de l’ensemble TM+, afin de collecter pour la partie électronique des matériaux sonores produits sur un piano à queue, un tam-tam, une grosse caisse, et divers objets tels que des ressorts, des chaînes et une poutre métallique [Figure 2d].\r\n\r\n[image:4bec06f7-4487-46b9-adac-9024d9d80e10]\r\n\r\n**Figure 2. a) et b) Marc Desmons mimant la battue tout en actionnant des effets électroniques en entrant dans les champs de captation des Kinects (Ircam – studio 5, 24 février 2015). c) Expérimentation du dispositif avec quelques musiciens de l’ensemble TM+ (Ircam – studio 5, 26 février 2015). d) Séance d’enregistrement avec le percussionniste Florent Jodelet (à gauche), Jesper Nordin et l’ingénieur du son Martin Antiphon (de dos), le 5 mars 2015 dans le studio 2 de l’Ircam [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\n**Quatrième séance (juin 2015) – Répétitions avec l’ensemble et création.**\r\n\r\nNordin finalise sa partition durant le mois d’avril et l’envoie au chef. Au cours de la dernière séance de travail, la pièce est d’abord intégralement répétée à l’Ircam par Desmons à partir de la lecture de la partition MIDI. Les premières répétitions en conditions réelles avec l’ensemble TM+ se déroulent alors au sein de la Maison de la Musique à Nanterre où sera créée la pièce le 13 juin 2015 [Figure 3]. À ce moment les discussions ne portent plus les aspects techniques et technologiques, qui sont désormais stabilisés, mais plutôt sur la manière d’aborder musicalement l’œuvre et d’assimiler au mieux les traitements électroniques.\r\n\r\n[image:522551f8-4e54-4cac-a262-ca0bc3568f97]\r\n\r\n**Figure 3. a) Répétition avec l’ensemble TM+ le 10 juin 2015 à la Maison de la Musique de Nanterre. b) Régie située en fond de salle [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\n#### Recherches gestuelles\r\n\r\nLe SDK (kit de développement logiciel) du premier modèle de caméra Kinect (1414) permet aux développeurs de traiter les données transmises par le capteur de mouvement de la caméra. Dans *Sculpting the Air*, les gestes effectués par le chef dans les espaces de captation sont détectés par les Kinects, et les données numériques résultant de ces gestes (les pixels et leurs coordonnées) sont envoyées à Gestrument. Grâce au programme GestrumentKinectConverter, développé ad hoc pour la pièce, les données des Kinects sont transformées en notes MIDI qui peuvent dès lors activer l’application. Couplée à ce programme, l’application ne permet plus seulement de contrôler les instruments virtuels qui en reçoivent les données, mais aussi d’activer et de moduler des traitements électroniques en temps réel.\r\n\r\nAu lieu de manipuler deux écrans tactiles, le dispositif met en scène deux espaces rectangulaires immatériels qui forment un espace d’interaction gestuelle avec l’électronique. Les Kinects servent ainsi de relais entre les gestes du chef d’orchestre et la position du point de jeu sur l’écran de l’application. Le chef peut donc à la fois diriger l’ensemble et entrer dans le champ des capteurs avec une similarité d’intention gestuelle, donnant au public l’impression d’une réciprocité entre l’activité de direction d’une part et le déclenchement des sons ou la modulation des effets électroniques d’autre part. La direction de l’œuvre est en quelque sorte contaminée par l’interaction avec l’électronique, et vice versa. Les deux tablettes prenant en charge les deux occurrences de Gestrument sont situées au centre de la régie. L’écran d’ordinateur placé devant le chef lui sert à visualiser son activité à l’intérieur des champs de captation des deux Kinects [Figure 2a et 2b].\r\n\r\nDeux raisons principales ont motivé les répétitions sans musicien durant la deuxième séance de travail. D’une part, cela a permis à Desmons de mieux se familiariser avec les différentes actions gestuelles qu’il devait assurer parfois simultanément car aux changements de signatures rythmiques fréquents se superposent les gestes à réaliser directement dans le champ des Kinects [Média 4] ou pour mettre en mouvement les clochettes [Média 5]. D’autre part, l’interaction avec l’électronique étant une donnée nouvelle pour le chef, ces moments de répétition lui ont permis de tester la réponse du dispositif, et au RIM, de l’adapter sur mesure pour lui assurer le meilleur confort possible. Pour que les répétitions puissent se dérouler dans un contexte musical mais en l’absence des instrumentistes, la partition numérique était donc lue par des instruments virtuels. Une piste métronomique pouvait être ajoutée de manière à clarifier les changements de mesure et de tempo.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x99886d\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 4. Marc Desmons s’entraînant à battre la mesure tout en déclenchant les effets (Ircam – studio 5, 12 novembre 2014). Le fichier MIDI de la pièce est lu en playback avec un métronome. À la fin de ce passage, le compositeur et le chef discutent d’un aspect concret de la performance : la gestion de la tourne des pages et le contrôle gestuel des effets [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x310688\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 5. En entrant dans les espaces de captation, les clochettes déclenchent des échantillons de résonances d’un piano préparé (Ircam – studio 5, 12 novembre 2014) [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\n#### Configuration finale\r\n\r\nLes musiciens forment deux groupes positionnés devant le chef à gauche et à droite de la scène. L’ensemble de gauche est composé des instruments suivants : une clarinette en si b, un cor en fa, une harpe, un violon, un alto et un violoncelle. L’ensemble de droite est composé d’une clarinette en si b (à laquelle il faut parfois substituer une clarinette basse), d’un cor en fa, d’un violon, d’un violoncelle, d’une contrebasse et de percussions : vibraphone, caisse claire et grosse caisse préparée à l’aide de trois baguettes qui pendent à des cordes accrochées à son cercle pour ajouter un effet de vibration et de résonance lors de la frappe. La nature symétrique de cette disposition instrumentale est renforcée par le dispositif technologique, le chef ayant devant lui, à gauche comme à droite, une caméra Kinect et un “arbre à clochettes” [Figure 4].\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/04_nordin_sculpting_scene.jpg\r\n\" width=\"60%\"></center>\r\n\r\n**Figure 4. Dispositif scénique [© Part. Peters, 2015].**\r\n\r\nSur chaque arbre sont suspendues six clochettes en porcelaine ou en métal. L’arbre de gauche ne bouge jamais durant la pièce. Les clochettes sont toutes alignées à la même hauteur parallèlement à l’axe des épaules du chef qui, dans la seconde partie de l’œuvre uniquement, les met en mouvement de manière à ce qu’elles s’entrechoquent et résonnent. L’arbre à clochettes de droite doit en revanche pouvoir être manipulé durant la pièce. Dans la première partie de l’œuvre, les clochettes de cet arbre ne sont pas suspendues à la même hauteur et sont orientées de trois-quarts, dans l’alignement de la Kinect de droite et du chef [Figure 5a]. Ce dernier doit leur imprimer un mouvement pendulaire et le stopper sans qu’elles s’entrechoquent afin de pénétrer, à l’extrémité de leur trajectoire parabolique, dans le champ de captation de la Kinect pour déclencher alors un échantillon sonore. Durant l’intermède électroacoustique qui sépare les deux sections de l’œuvre, le chef réaligne verticalement les clochettes de cet arbre et les positionne face à lui afin de former, avec l’arbre de gauche, un rideau de clochettes [Figure 5b]. Le chef est alors invité de temps à autre à battre la mesure dans ce rideau afin qu’elles s’entrechoquent, ajoutant ainsi à la partie orchestrale des sons aigus à résonance prolongée.\r\n\r\n[image:58225a6a-6ff6-4880-98d6-b30941bee59e]\r\n\r\n**Figure 5. Positionnement des arbres à clochettes durant la première section (a) et la deuxième section (b) de l’œuvre [© Arch. TM+].**\r\n\r\nLe dispositif technologique sur scène comprend les microphones qui servent à capter individuellement chaque instrumentiste, les deux Kinects, un écran d’ordinateur pour avoir un retour visuel des zones de captation des Kinects et un système de retour audio, ceux-ci ayant pour but d’optimiser l’équilibre entre parties électronique et instrumentale. Le reste du matériel est déporté en régie [Figure 3b] sous la surveillance attentive du compositeur et du RIM. Il se compose d’un contrôleur MIDI qui permet d’ajuster les volumes de l’électronique et de déclencher la lecture de la partie électroacoustique centrale séparant les deux sections de l’œuvre. En plus du contrôleur, la régie accueille les deux tablettes avec l’application Gestrument, et un ordinateur équipé de Live et Max, qui traite les données MIDI envoyées par GestrumentKinectConverter et renvoie le signal dans le système de diffusion de la salle. Les instruments virtuels issus de la banque Ircam Solo instruments sont mobilisés grâce la workstation UVI, un outil de lecture dédié. Il faut enfin ajouter que si les effets et les instruments virtuels sont diffusés sur les haut-parleurs de façade en stéréo, ils sont aussi projetés dans un système de diffusion spatialisé composé de huit haut-parleurs répartis sur scène et dans la salle, ce qui crée un espace sonore plus dynamique. Il est également possible d’ajouter quatre haut-parleurs supplémentaires pour accentuer le caractère immersif de la diffusion de la partie électronique.\r\n\r\n#### La notation au prisme de l’organologie\r\n\r\nLa notation instrumentale est tout à fait classique, si on fait exception des “boîtes” (parties encadrées) au cours du premier mouvement dans lesquelles sont indiqués des motifs qui doivent être répétés par les musiciens suivant un tempo fixe ou des accelerendo (“repeat box faster and faster”). Dans de tels moments, le chef se focalise moins sur la direction des musiciens et peut alors être plus attentif à ses interactions avec l’électronique. La conduite des événements électroniques depuis la régie (lancement de la lecture de fichiers audio, activation ou désactivation des effets, par exemple) est indiquée sur une ligne en bas de la partition alors que les deux lignes sur la partie supérieure indiquent les actions que doit accomplir le chef avec sa main droite (portée supérieure) et sa main gauche (portée inférieure) [Figure 6].\r\n\r\n[image:d8f797d2-c271-4ef1-be5e-0ae5dbf06f62]\r\n\r\n**Figure 6. *Sculpting the Air*, m.106-110 [© Part. Peters, 2015].**\r\n\r\nLa singularité du projet compositionnel a conduit le compositeur à interroger le chef d’orchestre sur le type de notation à adopter. Finalement, la notation gestuelle n’est pas aussi détaillée que dans d’autres œuvres du répertoire contemporain. Le compositeur s’est plutôt concentré sur des gestes simples et a encouragé le chef à se fier à ses propres sensations pour contrôler au mieux l’électronique, quitte à moins tenir compte parfois de ce qui était noté sur la partition.\r\n\r\nConcernant la mise en mouvement des clochettes, deux formes de notation sont explorées. Lorsqu’elles sont utilisées comme pendules pour déclencher des échantillons sonores, Nordin recourt en quelque sorte à ce que l’on pourrait appeler une portée hypertrophiée comprenant six lignes, chacune représentant une clochette [Figure 7]. Les notes reliées entre elles signalent le déclenchement périodique des échantillons sonores. Lorsqu’une seule note est indiquée, cela signifie que le chef doit stopper le pendule après seulement une oscillation.\r\n\r\n[image:c873e24d-4d0c-4339-89a3-db2177206e64]\r\n\r\n**Figure 7. *Sculpting the Air*, m.1 [© Part. Peters, 2015]. “Portée hypertrophiée” à 6 lignes où les notes représentent les échantillons sonores déclenchés par le mouvement pendulaire des clochettes.**\r\n\r\nLorsque les clochettes sont utilisées de manière “classique”, Nordin recourt à une convention graphique simple. Cinq petits traits verticaux parallèles, enfermés dans une boîte, font référence aux fils auxquels sont suspendues les clochettes (qui sont en réalité six par arbre). Ces boîtes sont surmontés d’un acronyme infléchissant l’amplitude des gestes que doit opérer le chef : “NSA” pour “not so active”, “A” pour “active” ou “VA” pour “very active” [Figure 8].\r\n\r\n[image:109f16ec-6987-4f98-86ad-6f7467dabcd4]\r\n\r\n**Figure 8. *Sculpting the Air*, m.128 [© Part. Peters, 2015]. Boîtes spécifiant l’activité gestuelle du chef lorsqu’il doit faire s’entrechoquer les clochettes.**\r\n\r\nLes différents traitements électroniques que nous détaillons dans la section suivante sont indiqués sur la partition par leur nom. Les gestes que doit réaliser le chef pour contrôler ces traitements sont représentés dans de petites boîtes symbolisant le champ de captation des Kinects [Figure 9].**\r\n\r\n<center>[image:9247c9c1-230d-45ef-816d-0e03390aa4f3]</center>\r\n\r\n**Figure 9. Exemples de signes employés par le compositeur pour indiquer le type de gestes que le chef d’orchestre doit accomplir dans le champ des Kinects. Les flèches indiquent le sens des mouvements à effectuer. Les points signifient qu’il faut rester immobile dans une zone du champ de captation. Le symbole ∞ indique que les gestes sont ad libitum.**\r\n\r\nCes signes n’ont qu’un caractère indicatif, le chef devant surtout se laisser guider par son oreille. La durée d’action dans les champs de captation est généralement indiquée par des traits horizontaux ou des flèches lorsque les plages temporelles s’allongent [Figure 10a]. Nordin recourt parfois à des valeurs rythmiques solfégiques pour préciser des gestes ponctuels [Figure 10b].\r\n\r\n[image:3e0b82a9-abd1-423f-aed9-b550e7a873a7]\r\n\r\n**Figure 10. *Sculpting the Air*, m.101-105 et m.163-166 [© Part. Peters, 2015]. a) Le chef opère avec sa main gauche des cercles dans le sens antihoraire. b) Le chef réalise avec ses deux mains des gestes linéaires sur chaque temps.**\r\n\r\n### Partie électronique\r\n\r\nLa partie électronique contient aussi bien des éléments pré-enregistrés que des effets en temps réel que le chef contrôle gestuellement en entrant dans le champ de captation des deux Kinects.\r\n\r\n#### Éléments pré-enregistrés\r\n\r\nComme cela a déjà été évoqué, lorsqu’elles servent de pendules, les clochettes déclenchent périodiquement des sons puisés de manière aléatoire dans un réservoir d’échantillons sonores que le compositeur à conçus en ajoutant de la saturation sur les résonances d’un piano préparé lors de la composition d’une pièce antérieure, [work:894e6edc-d731-4e8f-968f-31925e3ffe21][Aftermath] (2010). Ce type d’actions n’est pas sans difficulté car le chef doit parfois battre la mesure tout en activant ou stoppant le mouvement pendulaire des clochettes. Par ailleurs, si le mouvement est trop étendu, les clochettes sortent du champ de captation en bout de course et rentrent à nouveau dedans à la phase retour, ce qui déclenche deux échantillons au lieu d’un seul.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x937cb9\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 6. Marc Desmons répétant seul un passage où il doit à la fois diriger les musiciens tout actionnant et en arrêtant avec précision le mouvement pendulaire des clochettes qui déclenchent les échantillons sonores (Ircam, régie de l’espace de projection, 2 mars 2015) [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\nDe courtes séquences entièrement fixées ont aussi été travaillées en studio et servent d’intermèdes entre certaines sections de l’œuvre. Elles se composent généralement de plusieurs fichiers sons qui se fondent les uns dans les autres, et dont les déclenchements sont assurés depuis la régie. Un long intermède électroacoustique sépare les deux parties principales de l’œuvre. Sa présence impose une césure nette entre les deux parties contrastées, en même temps qu’elle permet au chef d'avoir le temps de repositionner dans la pénombre les clochettes de l’arbre de droite qui, dans la seconde partie, se situe face à lui pour former avec l’arbre de gauche un rideau de clochettes.\r\n\r\n#### Traitements en temps réel\r\n\r\nLes traitements en temps réel peuvent être regroupés en deux catégories : les trois effets qui portent directement sur la matière instrumentale produite par les musiciens de l’ensemble (mise en boucle, délai et gel), et le jeu avec des instruments virtuels dans l’application Gestrument. Dans tous les cas, les pixels actionnés par les gestes du chef sont convertis en données MIDI par GestrumentKinectConverter pour contrôler les traitements.\r\n\r\n**Mise en boucle**\r\n\r\nL’effet de boucle (“loop”) est activé lorsque la main pénètre dans la zone de captation des caméras Kinect : cela a pour effet de déclencher l’enregistrement de ce que jouent les musiciens en direct. Lorsque le chef retire sa main du champ de captation, l’enregistrement est stoppé et le fragment qui a été enregistré est alors diffusé en boucle sans interruption à travers le réseau de haut-parleurs, et cela jusqu’à ce que l’enregistrement d’une nouvelle boucle soit lancé [Média 7].\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd19612\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 7. Marc Desmons répétant avec un effectif réduit de musiciens un passage dans lequel il déclenche l’effet de mise en boucle (Ircam – Studio 5, 23 février 2015) [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\nLe fragment musical mis en boucle est altéré par les mouvements de la main dans la zone de captation. En effet, selon la position de la main, la balance des instruments (leur volume relatif) est modifiée au moment même de l’enregistrement. Le point central correspond à un équilibre parfait entre tous les instruments – qui peuvent par ailleurs ne pas tous jouer avec la même dynamique – et les zones périphériques correspondent à un instrument spécifique. Selon le geste opéré, les instruments sont donc tour à tour plus ou moins valorisés. Pour le dire différemment, la zone de captation correspond à une cartographie instrumentale qui, lorsqu’elle est parcourue par la main du chef, met en avant tel ou tel instrument en abaissant le volume des autres signaux enregistrés. Cette variation de volume lors de l’enregistrement est bien sûr conservée dans la boucle.\r\n\r\n**Délai**\r\n\r\nLe deuxième effet consiste à appliquer un délai (“delay”) sur ce que jouent les instrumentistes. Son fonctionnement est similaire à l’effet de boucle : l’entrée dans la zone de captation active l’enregistrement dans une mémoire tampon et sa sortie l’interrompt, alors que la balance instrumentale est là encore modulée par la trajectoire gestuelle. Cependant, deux choses diffèrent. D’une part, le signal n’est pas répété en boucle jusqu’à une nouvelle intrusion dans le champ de captation, les répétitions s’interrompant d’elles-mêmes au bout d’un certain nombre d’occurrences, défini par le compositeur. D’autre part, chaque instrument a sa propre période de répétition, comprise entre une et huit secondes, ce qui crée un déphasage entre les lignes instrumentales à mesure qu’elles sont répétées par l’effet.\r\n\r\n**Gel**\r\n\r\nLe troisième effet consiste à geler (“freeze”) ce que jouent les instrumentistes à un instant donné. C’est en fait un cas particulier de synthèse granulaire : l’effet est produit en enregistrant une très petite portion du signal sonore entrant – de l’ordre de quelques dizaines de millisecondes. Grâce à une enveloppe sur l’amplitude, il est possible de masquer les clics de la micro-boucle de cet échantillon pour donner l’impression que le son a été littéralement figé en ce moment précis. Une fois actif, l’effet ignore tous les autres signaux entrants (sans quoi la perception du gel du son serait peu convaincante), mais le chef peut néanmoins jouer à nouveau sur la balance instrumentale en déplaçant la main dans la zone de captation [Média 8].\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x688998\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 8. Marc Desmons répétant avec un effectif réduit de musiciens un passage dans lequel il opère des effets de gel de la matière instrumentale (Ircam – Studio 5, 23 février 2015) [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\n**Instruments virtuels**\r\n\r\nLes données MIDI résultant des gestes du chef dans les zones de captation sont ici transmises à la Workstation UVI qui appelle les instruments virtuels de la banque de sons “Ircam Solo Instruments”. Le jeu avec des instruments virtuels est une transposition littérale du principe de l’application Gestrument, à ceci près que les gestes du chef se déploient dans un espace tridimensionnel alors que l’application offre originellement une surface de jeu bidimensionnelle [Média 9]. Le nombre de pixels activés, relatif à la profondeur du geste dans l’espace de captation, permet de moduler ici le paramètre “pulse density” de Gestrument : plus le nombre de pixels actifs est élevé, plus le nombre de notes jouées sera important, et plus il est bas, plus le nombre de notes jouées sera faible. Comme dans la configuration classique de Gestrument, les gestes au bas de la zone de captation génèrent des sons graves, et en haut, des sons aigus. De la même manière, lorsque les mains du chef se resserrent – et vont vers les musiciens –, il produit des durées courtes et lorsqu’elles s’écartent – et vont vers le public –, il génère des durées longues. Le réservoir de notes est quant à lui basé sur une gamme microtonale folklorique créée avec ScaleGen. Les instruments virtuels sont ainsi actifs sur toute la zone de captation mais sont distribués dans l’espace de diffusion pour simuler les positions des instruments acoustiques sur scène, dans l’idée de créer une sorte de double caché.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3fa314\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 9. Marc Desmons répétant seul un passage dans lequel les instruments virtuels contrôlés par Gestrument se superposent à la partie orchestrale, ici jouée en playback. Les écrans d’ordinateur placés devant Jesper Nordin et Manuel Poletti affichent respectivement les zones de captation de la main droite et de la main gauche du chef (Ircam, 12 novembre 2014) [© Arch. Ircam – Bacot-Féron].**\r\n\r\n### Structure de l’œuvre\r\n\r\nSculpting the Air comporte deux parties musicalement très contrastées. Chaque partie se décompose en sous-sections dans lesquelles sont explorées les différents traitements électroniques en temps réel, alors que le chef dirige les musiciens [Figure 11].\r\n\r\n[image:cb8815ac-9115-4d47-8636-e53b683fba9d]\r\n\r\n**Figure 11. Actions gestuelles accomplies par la main gauche (MG) et la main droite (MD) du chef au fil des sections de l’œuvre pour contrôler la partie électronique et/ou activer les clochettes. Il arrive que des effets déclenchés dans une section se poursuivent dans la section suivante comme le déclenchement d’échantillons sonores provoqué par le mouvement (mvt) pendulaire des clochettes.**\r\n\r\n#### Première partie\r\n\r\n**Section I-0 (m.01)**\r\n\r\nAu tout début de la pièce, le plateau est plongé dans l’obscurité de sorte que le public ne voit que le chef d’orchestre qui actionne silencieusement les clochettes de l’arbre en leur imprimant un mouvement de pendule. Lorsqu’une clochette pénètre dans l’espace de captation, elle déclenche la lecture d’un échantillon sonore tiré de manière aléatoire parmi une vingtaine d’autres, repris de [work:894e6edc-d731-4e8f-968f-31925e3ffe21][Aftermath] (2010) pour quatuor de saxophone et électronique [Média 10]. Le balancement propre à chaque clochette génère tout comme dans [work:a82a874e-2788-48a1-9163-efb302856f36][Pendulum Music] de [composer:2edcb8f8-d322-455c-9e57-d6c1407b6bc4][Steve Reich], des motifs rythmiques complexes et évolutifs, l’amplitude de leur courbe décroissant au fil du temps. En ouvrant ainsi la pièce, le compositeur expose au public le principe de base du dispositif technologique : un espace de captation immatériel et interactif.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xad6311\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 10. *Sculpting the Air*, début de m.01 (Maison de la Musique à Nanterre, 13 juin 2015) [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n**Section I-1 (m.02-48)**\r\n\r\nAlors que des échantillons sonores continuent d’être périodiquement déclenchés en raison du mouvement pendulaire des clochettes toujours en cours, les musiciens de l’ensemble commencent à jouer à un tempo rapide de courtes séquences erratiques qui sont séparées par des moments de silence. Le chef doit battre la mesure tantôt avec la main gauche, tantôt avec la main droite, celle-ci continuant d’actionner ou stopper le mouvement des clochettes alors que la main gauche agit sur la mise en boucle de certains fragments instrumentaux [Média 11]. Cet effet est déclenché à cinq reprises au fil de cette section. Le compositeur recourt à des crochets sur la partition pour indiquer les motifs musicaux mis en boucle. Alors que le dernier motif disparaît progressivement à la fin de cette section, trois fichiers sons de 30 secondes, construits à partir des matériaux enregistrés avec le concours de Florent Jodelet [Figure 2d], forment une trame sonore continue.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7c2c80\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 11. *Sculpting the Air*, m.18-25 [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n**Section I-2 (m.49-77)**\r\n\r\nLes motifs erratiques instrumentaux reviennent au début de cette section sans ajout d’effets électroniques. L’effet de boucle est ensuite assuré par les musiciens eux-mêmes qui doivent répéter de courts motifs musicaux dont la superposition produit une texture polyphonique complexe. Lorsque toutes ces boucles instrumentales sont en cours d’exécution, le chef d’orchestre arrête de battre la mesure et se sert alors de ses deux mains pour mettre à nouveau en mouvement les clochettes et déclencher périodiquement les sons de l’introduction [Média 12]. Les musiciens opèrent alors indépendamment les uns des autres un decrescendo de manière à ce que les différents motifs répétés s’estompent progressivement.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x95db6f\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 12. *Sculpting the Air*, m.69-77 [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n**Section I-3 (m.78-114)**\r\n\r\nAlors que les clochettes continuent de déclencher les échantillons sonores, l’ensemble construit un canon à quatre voix, chaque voix étant interprétée par une paire d’instruments (m.78 : clarinette 1 + violon 1; m.81 : clarinette 2 + violon 2; m. 83 : alto + clarinette 2; m.84 : clarinette 2 + contrebasse). Pendant ce temps, le chef active les lignes de délai avec sa main gauche (huit fois au total) pour densifier la texture polyphonique [Média 13]. À partir de m.99, Nordin recourt à nouveau à des motifs répétitifs laissant ainsi la possibilité au chef de se concentrer davantage sur le contrôle gestuel des délais.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa7679a\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 13. *Sculpting the Air*, m.78-94 [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n**Section I-4 (m.115-126)**\r\n\r\nLe début de cette section correspond au climax de la pièce. Chaque musicien répète à un tempo rapide (noire = 204) et suivant des intensités extrêmement élevées (fff ou ffff), des motifs comprenant des sons saturés. Le chef ajoute à cela des lignes de délais ayant pour effet de densifier plus encore la texture sonore. À partir de m.119, les musiciens doivent espacer les répétitions pour faire plus de place au silence. Le matériau sonore produit par les musiciens sur scène s’estompe ainsi progressivement laissant plus de place aux échantillons sonores déclenchés par les clochettes. Il ne s’agit alors plus des sons saturés de piano du début mais de sons instrumentaux puisés dans une banque de sons – celle de la bibliothèque de l’orchestre symphonique de Vienne (VSL) lors de la création [Média 14]. Ce glissement progressif se fait collectivement pendant la performance. Le chef choisit un tempo proche de celui imposé par le mouvement pendulaire des clochettes (noire = 116-144). L’ensemble répète alors le même accord plusieurs fois de suite sur chaque premier temps, en jouant de plus en plus fort (de pppp à mp). À m.125, le chef stoppe la battue, signale aux musiciens de ralentir le tempo et de jouer moins fort pour aller vers une dislocation progressive de l’accord jusqu’à sa disparition pour laisser alors place à l’intermède électroacoustique.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb7fd6c\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 14. *Sculpting the Air*, m.115-122 [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n#### Seconde partie\r\n\r\n**Section II-0 (m.127-128)**\r\n\r\nCet intermède électroacoustique diffusé dans l’obscurité a été construit à partir des matériaux sonores collectés lors de la session de travail avec Jodelet à l’exception de sons résonants de piano, compressés et distordus entendu lors de l’introduction. Pendant cette transition acousmatique, le chef modifie le positionnement des clochettes de l’arbre de droite afin de former un rideau avec les clochettes de l’arbre de gauche. Pour que les clochettes soient toutes à la même hauteur et se percutent les unes les autres, il doit ajuster précautionneusement la longueur des ficelles. À la fin de l’intermède, il les fait s’entrechoquer plus ou moins délicatement selon les trois indications (NSA, A, VA) utilisées par le compositeur [Média 15].\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa108f2\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 15. *Sculpting the Air*, début de m.128 [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n**Section II-1 (m.129-157)**\r\n\r\nLa seconde partie de Sculpting the Air est plus douce et mélodique suivant un tempo assez lent (noire = 69) et des dynamiques qui ne dépassent jamais le piano. Deux musiciens (violon 1 et clarinette 1) entament des fragments mélodiques sur l’échelle folklorique microtonale déjà évoquée. Les autres musiciens les rejoignent un à un. Le chef bat la mesure avec la main droite tout en jouant les clochettes avec sa main gauche. Aucun traitement électronique n’intervient dans cette section [Média 16].\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe095bd\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 16. *Sculpting the Air*, m.129-143 [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n**Section II-2 (mm. 158–211)**\r\n\r\nIci, l’activité du chef se complexifie puisqu’il doit continuer à battre la mesure, activer les clochettes mais aussi entrer à nouveau dans le champ de captation des deux Kinects pour jouer avec les instruments virtuels (la banque de sons UVI) via l’application Gestrument. Le réservoir de notes est basé sur la même échelle microtonale ayant guidé l’écriture de la partie instrumentale. Les instruments virtuels sont actifs sur toute la zone de capture de mouvement. Le chef est invité à improviser une “cadence de gestes” (m.171-178 – c’est ainsi qu’elle est appelée lors des répétitions) au dessus d’une pédale de harpe couplée à un trémolo de percussions [Média 17] ce qui permet d’entendre pleinement cet orchestre virtuel sosie de la formation instrumentale sur scène. Gestrument est configuré de manière “classique” : les rythmes deviennent plus rapides lorsque les mains se dirigent vers l’intérieur et plus lents lorsqu’elles se dirigent vers l’extérieur; les hauteurs sont plus aiguës lorsque les mains vont vers le haut et plus graves quand elles vont vers le bas; comme cela a été signalé précédemment, plus le geste est profond, plus le nombre de pixels détectés croît, plus le nombre de notes jouées simultanément est important.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc23fe0\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 17. *Sculpting the Air*, m.167-184 [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n**Section II-3 (m. 212-265)**\r\n\r\nDans cette ultime section au tempo encore plus lent (noire = 58), le matériau instrumental se raréfie et les mesures de silence occupent une place de plus en plus importante. Celles-ci sont partiellement comblées par l’effet de gel que le chef déclenche à douze reprises de manière à figer le plus souvent une hauteur ou un accord spécifique joués par l’ensemble instrumental. Une fois l’effet actif, le chef peut moduler l’équilibre instrumental en déplaçant ses mains dans la zone de captation [Média 18].\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb75635\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 18. *Sculpting the Air*, m.212-224 [© Arch. TM+, 2015].**\r\n\r\n### Conclusion\r\n\r\n*Sculpting the Air* est le fruit d’une étroite collaboration entre le compositeur, le RIM et le chef d’orchestre. C’est pourquoi l’étude en situation s’est imposée pour saisir pleinement les enjeux de cette création musicale avec électronique en temps réel. L’évolution du dispositif technologique – du choix et de la position des capteurs gestuels aux paramètres régis par l’informatique (seuils, filtres, enveloppes, timbres, etc.) – repose sur les phases de test et les nombreux échanges entre Nordin, Poletti et Desmons. Cette approche collaborative du dispositif technologique et des règles conditionnant les interactions électroniques ont largement orienté le processus d’écriture et d’interprétation dans les moments-clés de l’œuvre. Ce projet se plie ainsi à un impératif de médiation constante entre idées compositionnelles, outils technologiques et direction d’orchestre, que la méthode d'analyse adoptée a permis de restituer en détail.\r\n\r\n*Sculpting the Air* est le premier volet d’une trilogie toujours en cours d’écriture et dont le centre de gravité est l’application Gestrument que Nordin a lui-même développée pour ses propres besoins compositionnels. Cet outil, aime-t-il souligner, “minimise et simplifie l’information, tout en permettant de contrôler très finement l’exformation” [Szpirglas, 2020]. Il lui permet donc d’explorer le concept d’exformation, qui se manifeste métaphoriquement dans ce triptyque à travers la médiation électronique : par le traitement du signal en temps réel, un sens additionnel et incarné se superpose à la musique instrumentale à travers un jeu d’échos et de réminiscences. Le deuxième volet de la trilogie [work:c2909c12-87e8-4dbf-9772-a30990a8052f][Visual Exformation] (2016) pour quatuor à cordes, électronique en temps réel et sculpture lumineuse interactive, a été créé au festival Musica de Strasbourg le 4 octobre 2016. Interprétée par le quatuor Diotima, l’œuvre a également été donnée à nouveau avec le concours d’Emmanuel Poletti, mais aussi de Ramy Fischler et Cyril Teste (installation interactive), ainsi que de Thomas Goepfer (réalisation en informatique visuelle).\r\n\r\nLe dispositif technologique de *Sculpting the Air* a aussi été repris dans d’autres œuvres ultérieures du compositeur, comme [work:0d384405-1c9d-40f9-b761-38c036924924][Emerge] (2017) pour clarinette, orchestre et Gestrument, ainsi que [work:12132667-653c-41ae-96f4-53d2fe246a22][Emerging from Currents and Waves] (2018) pour clarinette et chef solo, orchestre, électronique et installation visuelle interactive. *Sculpting the Air* a par ailleurs été interprété une nouvelle fois en 2020 par l’Ensemble intercontemporain, sous la direction de Lin Liao. Le dispositif technologique, par son aspect ludique et relativement accessible, suscite la curiosité des musiciens et amène le compositeur à travailler avec les gestes sans pour autant chercher à “développer de nouveaux langages gestuels” [Szpirglas, 2020]. *Sculpting the Air* représente à la fois un point d’étape décisif et l’ouverture de nouveaux horizons compositionnels pour Jesper Nordin.\r\n\r\n### Ressources\r\n#### Textes\r\n\r\n[Bacot et Féron, 2016] – Baptiste Bacot et François-Xavier Féron, “The creative process of Sculpting the Air by Jesper Nordin. Conceiving and performing a concerto for conductor with live electronics”, *Contemporary Music Review*, vol.35 n°4-5 : “Gesture-Technology Interaction in Contemporary Music”, 2016.\r\n\r\n[Nordin, 2015] – Jesper Nordin, “*Sculpting the Air* – Notice de concert”, Manifeste 2015. (en ligne : https://brahms.ircam.fr/works/work/36339/#program).\r\n\r\n[Nørretranders, 1998] – Tor Nørretranders, *The User Illusion: Cutting Consciousness Down to Size*, traduction anglaise par Jonathan Sydenham, Londres: Penguin Books, 1998.\r\n\r\n[Szpirglas, 2020] – Jérémie Szpirglas, “‘Sculpter l’air’. Entretien avec Jesper Nordin, compositeur”, 30 janvier 2020 (en ligne : https://www.ensembleintercontemporain.com/fr/2020/01/sculpter-lair-entretien-avec-jesper-nordin-compositeur/).\r\n\r\n[Zattra et Donin, 2016] Laura Zattra et Nicolas Donin, “A questionnaire-based investigation of the skills and roles of Computer Music Designers”, *Musicae Scientiae*, vol.20 n°3, p.436-456, 2016.\r\n\r\n#### Archives\r\n\r\n[Arch. TM+] – Enregistrement vidéo de la création de *Sculpting the Air* par l’ensemble TM+ sous la direction de Marc Desmons, 13 juin 2015, Maison de la musique de Nanterre.\r\n\r\n[Arch. Ircam – Bacot-Féron] – Corpus de données (écrits, audio et vidéo) établi en 2014 et 2015 par les auteurs durant la production de *Sculpting the Air*. Cette recherche s’inscrit dans le cadre du projet ANR GEMME – Geste musical : modèles et expériences (2012-2016).\r\n\r\n[Arch. Ircam – Production] – Jesper Nordin, “Projet Nordin STA TM + présentation”, 2014.\r\n\r\n[Arch. Ircam – Ressources]\r\n\r\nJesper Nordin, *Sculpting the Air*, 13 juin 2015, Maison de la musique de Nanterre\r\nEnsemble TM+ / Marc Desmons (direction), Manuel Poletti (RIM) (en ligne :\r\nhttps://medias.ircam.fr/xb4904f [concert], https://medias.ircam.fr/xb68755 [générale]).\r\n\r\nJesper Nordin, *Sculpting the Air*, 7 février 2020, Cité de la musique\r\nEnsemble intercontemporain / Lin Liao (direction), Manuel Poletti (RIM) (en ligne : https://medias.ircam.fr/xe75995 [concert]).\r\n\r\n“*Sculpting the Air*: a conversation with Jesper Nordin and Marc Desmons on building and performing gestural instruments”, journée d’étude *Inventing Gestures: New Approaches to Movement, Technology and the Body in Contemporary Composition and Performance*, 8 juin 2015, Ircam (en ligne: https://medias.ircam.fr/xe6976a).\r\n\r\n#### Partition\r\n\r\n[Part. Peters, 2015] – Jesper Nordin, *Sculpting the Air*, Henry Litolff’s Verlag C. F. PETERS Leipzig London New York, EP 14106, 2015.\r\n\r\n#### Enregistrements vidéo\r\n\r\n[EV Grame, 2011] – “wacom improvising”, vidéo mise en ligne le 20 mai 2011 sur le compte Vimeo du Grame (en ligne : https://vimeo.com/24002171).\r\n\r\n[EV Gestrument, 2014] – “GESTRUMENT - The Revolutionary Gesture Instrument for iOS”, vidéo mise en ligne le 24 février 2014 sur le compte Youtube de Gestrument (en ligne : https://youtu.be/J97Ao_3DgQQ).\r\n\r\n[EV ScaleGen, 2014] – “ScaleGen”, vidéo mise en ligne le 22 septembre 2014 sur le compte Youtube de Gestrument (en ligne : https://youtu.be/7z3oWqH3EfM).\r\n\r\n### Remerciements et citation\r\n\r\nNous tenons à remercier très chaleureusement Jesper Nordin, Marc Desmons, Manuel Poletti et Martin Antiphon pour leur disponibilité. Merci aussi aux musiciens de l’ensemble TM+ et à toute l’équipe technique qui a assuré entre autres la captation vidéo de la création.\r\n\r\n**Pour citer cet article :**\r\n\r\nBaptiste Bacot et François-Xavier Féron, “Jesper Nordin – *Sculpting the Air*”, *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2021. URL : http://brahms.ircam.fr/analyses/SculptingTheAir/.","2021-06-16T00:00:00.000Z","analyse-de-i-sculpting-the-air-i-(2010-2015)-de-jesper-nordin",{"getUrl":68},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/ef18bb2f-3614-4135-bdf4-32a11f708951-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=2624e2db284f291bc44e9434b5ff76c70dc846f960d2cf1bc2b702ce734a3db7",{"url":68,"isIcon":11,"alt":61,"centered":37},[71,74],{"firstName":72,"lastName":73},"François-Xavier","Féron",{"firstName":75,"lastName":76},"Baptiste","Bacot",{"title":78,"titleEn":79,"text":11,"textFr":80,"textEn":11,"date":81,"type":32,"slug":82,"authors":11,"toc":11,"image":83,"composer":11,"cardImage":85,"cardTitle":78,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":86},"Analyse de \u003Ci>Songes\u003C/i> (1979) de Jean-Claude Risset","Analysis of \u003Ci>Songes\u003C/i> (1979) by Jean-Claude Risset","### Introduction\r\n\r\n#### Résumé\r\n\r\n[work:ffa27b0a-5594-4ba5-ad89-6534fbf0e47e][Songes] (1979) de [composer:c978e66b-1746-4862-a8c0-ab8f2301e330][Jean-Claude Risset] est emblématique des premières années de création musicale à l’Ircam. Il s’agit d’une pièce fixée sur bande dans laquelle le compositeur associe des sons de synthèse générés par l’ordinateur, et des sons instrumentaux enregistrés puis traités. Cette analyse propose une immersion dans les matériaux génétiques de l’œuvre, en l’occurrence les codes informatiques originaux écrits en langage Music V. Il s’agit d’une analyse prospective, car le lecteur est invité, grâce aux applications web-audio en langage Faust, à jouer avec les codes de Jean-Claude Risset, en les modifiant et en se les appropriant.\r\n\r\nAprès avoir rappelé le parcours scientifique et musical du compositeur, nous proposons une analyse en détail de la pièce *Songes*. Des notions récurrentes en jeu dans la production musicale de Jean-Claude Risset sont privilégiées dans cette analyse, comme celles du simulacre de cloche, de l’illusion de l’espace, des apports de la psychoacoustique. À ces notions-phares s’ajoutent des notions propres à *Songes*, comme les relations intervalliques et l’espace de timbre. De nombreuses animations et exemples musicaux accompagnent le lecteur dans cette découverte interactive de la pièce.\r\n\r\n#### Risset, un compositeur-chercheur\r\n\r\nJean-Claude Risset est né le 13 mars 1938 au Puy-en-Velay et est décédé le 21 novembre 2016 à Marseille. Au début des années 1960, agrégé de physique à l’Ecole Normale Supérieure à Paris, il mène des recherches mêlant sa formation scientifique avec ses projets de compositeur, premières bases d’une articulation art/science aidée en cela par les progrès technologiques de l’époque. L’intérêt du compositeur pour la musique commence dès la petite enfance. Influencé par ses parents mélomanes qui possédaient un piano, Risset reçoit avant l’âge de six ans ses premières leçons particulières. À l’adolescence, son professeur Robert Trimaille (ancien élève d’Alfred Cortot) lui fait jouer des pièces de Claude Debussy (entre autres compositeurs) [EV Dars et Papillault, 1999] en orientant l’interprétation vers la recherche du phrasé et du timbre. L’écoute de “l’intérieur du son” consistait à doser les différentes intensités des notes d’un accord [Veitl, 2010, p.156]. Cette prise de conscience, dans un premier temps par le biais du travail sur le piano, l’incite à concevoir le son comme un phénomène acoustique. Ensuite, au fil de son parcours à la fois musical et scientifique, Risset entame une longue recherche artistique qui vise à explorer l’intérieur de l’objet sonore.\r\n\r\n> Au départ, ma formation scientifique et ma formation musicale ont été complètement séparées. Quand je préparais les grandes écoles, j’ai refusé d’arrêter de travailler mon piano, non pas du tout parce que je pensais faire la synthèse entre la musique et les sciences, mais parce que c’était pour moi une passion et aussi un véritable dérivatif, une activité complètement différente, et qui compensait un peu l’aridité de l’étude des sciences. [Guillot, 2008, p. 27]\r\n\r\nCette recherche de la “composition du son lui-même”, telle qu’on la retrouvera quelques années plus tard avec la musique spectrale, semble provenir de la rencontre en 1962 avec [composer:57b12a86-9430-4f19-b54d-3aaeeefeb83b][André Jolivet], lors de l’Académie d’Été du Centre Français d’Humanisme Musical à Aix-en-Provence. Ce dernier avouait d’ailleurs composer avec des sons en plus de composer avec des notes, suite à sa rencontre avec [composer:0b23d5fc-2216-44be-ad8c-3a7276fc56d2][Edgard Varèse]. On peut tirer ainsi une filiation Varèse-Jolivet-Risset dans ce rapport de la note et du son, à travers cette tension vers l’exploration de l’intérieur des sons – que l’on retrouve également chez l’anglais Jonathan Harvey, et la plupart des musiciens dits “spectraux”. À la suite de cette rencontre, une pièce orchestrale de Risset est jouée en 1963 par l’orchestre de Marseille. Le jeune compositeur poursuit alors des études d’écriture, d’harmonie et de contrepoint avec Suzanne Demarquez, et de composition et d’orchestration avec Jolivet. Il s’intéresse aussi aux innovations technologiques appliquées au son et découvre une publication de Max Mathews abordant le potentiel de l’informatique musicale [Mathews, 1963]. Grâce à sa double activité scientifique et musicale, il rejoint le père de la synthèse sonore par ordinateur aux Bell Telephone Laboratories en 1964 [EV Risset, 2016] et entame un travail de recherche sur l’imitation des sons cuivrés dont le premier résultat est l’objet de sa thèse de doctorat. À la suite de cette recherche, Risset s’intéresse davantage à la création musicale dans une perspective de l’alliage art/science/technologie.\r\n\r\n> Mon activité scientifique, commencée en physique nucléaire, s’est surtout exercée dans les champs de l’acoustique et de l’informatique musicale et de l’étude de la perception auditive. La plus grande partie de mon travail scientifique est liée à des motivations musicales: mais parfois la musique a été l’occasion, le terrain d’étude, d’une investigation purement scientifique. [Risset, 1991, p. 274]\r\n\r\nEntre 1968 et 1969, il réalise par synthèse numérique deux œuvres substantielles, [work:f484c773-5b91-468a-8674-9bb5f5dfcbe5][Computer Suite from Little Boy] (1968) et [work:184572a1-bd73-4285-b3b5-a6db4a7c62a6][Mutations] (1969), cette dernière étant une commande de l’Ina-GRM. Dans ces pièces, le compositeur propose comme matériau des sons quasi-instrumentaux (imitatifs), des sons paradoxaux et des arpèges harmoniques qui émanent d’un accord, issus très largement de ses travaux scientifiques [Risset, 1978a ; 1978b ; 1986 ; 1989]. D’une facture très voisine, ces deux pièces utilisent les mêmes matériaux, issus d’un catalogue de sons numériques écrit à la demande de [composer:83254f0c-fc3e-40b5-b75e-ad48d188ce7a][John Chowning] en 1969 pour un cours d’introduction à la synthèse par ordinateur que ce dernier donnait à l’Université Stanford en Californie. Ce catalogue historique compile les expériences de synthèse sonore réalisées par Risset au sein des Bell Telephone Laboratories [EA CD Wergo, 1995]. Il ne cessera dès lors de développer ce qui constituera l’archétype de son œuvre jusque dans les années 1980 : “la composition du son-lui même” [Risset, 1986 ; Risset, 1990]. Ses recherches proposent des concepts révolutionnaires dans le domaine de la synthèse musicale numérique, de la psychoacoustique, ainsi qu’une contribution notable pour l’articulation art, science et technologie.\r\n\r\n#### Contexte compositionnel\r\n\r\nDe retour en France en 1975, Risset intègre l’équipe du projet Ircam, à la demande de [composer:e9985cf2-64e4-4e47-aba3-ee6167cbfae0][Pierre Boulez]. Il y compose la pièce mixte [work:90d6b57b-7b70-48fb-aecb-e2694408cfe6][Inharmonique] (1977) et la pièce acousmatique *Songes* (1979) qui est l’accomplissement de son désir de “marier” la richesse et la variété des sons enregistrés par microphone avec le contrôle très précis de la musique électronique sous forme numérique [Arch. PRISM – Risset]. Songes représente l’apogée d’une théorie compositionnelle riche et multiforme déjà présente dans des pièces instrumentales de jeunesses comme [work:2ee28f8c-3bda-424e-bd7e-370f902e71dd][Fantaisie] (1963) pour orchestre, des œuvres réalisées par ordinateur telles *Computer Suite for Little Boy* (1968) et *Mutations* (1969) ainsi que des pièces mixtes comme [work:f3ef6b42-aeb2-46de-8e23-28a7d8f8b590][Dialogues] (1975), *Inharmonique* (1977), *[work:4f3d676d-fabd-4475-8355-e8e10f24f9bc][Trois moments newtoniens]* (1977) et [work:b2cd85a9-a21c-4d66-b256-4b83f700ffec][Mirages] (1978) pour ensemble instrumental mixte de 10 à 25 instruments et bande. Dans *Songes*, les avancées récentes de l’informatique musicale ont permis l’incorporation des sons de synthèse de son catalogue avec les objets sonores de sa pièce antérieure *Mirages*, créant ainsi une unité musicale unique. Risset revendique par ailleurs à cette époque l’usage des technologies dites en “temps différé”.\r\n\r\n> Il est difficile de conférer au son synthétique souplesse, vie, identité. Pourtant, l’enjeu est important, car la synthèse donne des possibilités beaucoup plus ductiles. L’analyse/synthèse nécessaire pour effectuer des modifications internes sur les sons réels est problématique, surtout en temps réel. Et la commande quasi instrumentale des sons synthétiques est peut-être plus prometteuse, en tout cas certainement plus facile dans l’immédiat. [Risset, lettre à Pierre Boulez, 29 septembre 1979, Arch. PRISM – Risset]\r\n\r\nIl faut replacer cette citation dans un contexte historique où le clivage entre le temps-réel et le temps différé était très fort. Pour autant, l’objectif essentiel de Songes est de créer de l’inouï, tout autant que des dissolutions d’identités sonores, d’aller du son, dans ses dimensions les plus infinitésimales, au monde onirique, autrement dit d’aller des “sons aux songes” [Guillot, 2008]. Par sa double appartenance disciplinaire, Risset travaille à ce que les théories scientifiques et les options compositionnelles dialoguent comme en boucle de rétroaction [Risset, 1990; 1991]. Songes, dans cette année charnière de 1979 – changement des directeurs de département à l’Ircam – est emblématique de cette fertilisation croisée. “Composer le son lui-même” pour Risset, c’est participer aux recherches en psychoacoustique sur les “espaces de timbres”. Cela passe aussi par l’apport de certaines techniques et notions d’informatique musicale comme les contours de fréquence, les illusions d’espace, le *phasing*, qui constituent les fondements d’une œuvre considérée comme centrale dans la production musicale de Risset, au point nodal des deux premières périodes créatrices du compositeur (1965-1979 et 1980-1991).\r\n\r\n#### Approche méthodologique\r\n\r\nLa mention de *Songes* dans les nombreux textes, articles ou interviews de Risset ne donne que des informations d’ordre poétique, sans jamais réellement entrer dans le détail de l’articulation entre les outils de création et les choix compositionnels. Paradoxalement – au regard de l’intérêt que suscite cette œuvre dans la communauté scientifico-artistique de l’informatique musicale – cette pièce n’a été l’objet que d’une très courte analyse [Koblyakov, 1984], d’un projet d’analyse avorté [Stroppa, 1984] et enfin d’une seule étude universitaire [Rix, 2012]. À signaler qu’une œuvre voisine, [work:3cab22c2-fa26-4a3c-b0e5-e1a26e3606bb][Contours] (1981), a fait l’objet d’analyses [Di Scipio, 2000 ; 2002]. Aussi, faute de travaux académiques en nombre, nous nous sommes tournés vers les documents de genèse disponibles pour *Songes*. Conscient des difficultés de l’analyse des “œuvres musicales dont la réalisation fait appel à l’informatique” [Risset, 2001], le compositeur s’est montré soucieux de documenter les matériaux utilisés lors du processus créatif de ses œuvres. Il a ainsi conservé les codes originaux partiels de *Songes*, ainsi que des schémas et esquisses de composition. L’accès à ces archives a permis d’aborder l’œuvre autrement que par ses enregistrements en stéréophonie et en quadriphonie. En se basant sur les codes originaux Music V de *Songes* mais aussi ceux d’*Inharmonique* dévoilés par Denis Lorrain [1980], nous proposons une analyse non pas seulement stylistique ou esthétique, mais aussi technique – au sens des “techniques de composition contemporaines” – de nature à rendre compte de la manière dont art, science et technologie s’articulent et se fertilisent mutuellement. Signalons enfin, que cette analyse est en partie issue de la thèse de João Svidzinski, visant à proposer une modélisation du répertoire de l’informatique musicale [Svidzinski, 2018], afin de l’implémenter dans un cadre créatif, dans une orientation épistémologique voisine de celle de Lorrain.\r\n\r\n### Présentation générale\r\n\r\n#### Matériaux et outils\r\n\r\n*Songes* a été composée en 1978 et 1979 au sein de l’Ircam à Paris.\r\n\r\n*Hardware* :\r\n\r\n- Ordinateur PDP10 de l’Ircam.\r\n\r\n*Software* :\r\n\r\n- Synthèse sonore par codage sur le logiciel Music V.\r\n\r\n- Logiciel Esquisses (dont l’utilisation a finalement été abandonnée).\r\n\r\nMatériaux :\r\n\r\n- Échantillons de motifs instrumentaux enregistrés à l’Ircam et ayant servi également pour l’œuvre mixte *Mirages* (1978).\r\n\r\n- Échantillons originaux de motifs instrumentaux enregistrés à l’Ircam (sons et motifs de harpe, trombone, flûte, hautbois, clarinette, cor, violon, alto, violoncelle).\r\n\r\n#### Versions stéréophonique et quadriphonique\r\n\r\n*Songes* est une musique diffusée à partir d’un support électronique qui existe suivant deux versions :\r\n\r\n- Version quadriphonique propice à restituer en situation de concert l’intégralité des illusions d’espace contenues dans la pièce [EA Inédit Ina].\r\n\r\n- Version stéréophonique correspondant est une réduction bi-piste de l’œuvre originelle et réalisée pour sa diffusion commerciale [EA CD Wergo, 1988].\r\n\r\nLa version stéréophonique est déconseillée pour une interprétation en concert, en raison de la contradiction potentielle qu’il pourrait exister entre “l’espace interne” fixé par le compositeur via le code, et “l’espace externe” résultant d’une diffusion de type multiplans via un acousmonium en concert [Chion, 1988]. La version quatre pistes qui comprend quatre fichiers audio en format aiff est donc la version de référence pour une exécution en public de *Songes* sur un dispositif a minima en quadriphonie (d’autres possibilités sont proposées par Svidzinski [2017]). Voici quelques recommandations livrées par Risset en personne et retrouvées dans ses archives :\r\n\r\n> ... avec addendum sur la spatialisation : d’abord frontal à partir de 5’ et surtout 7’11”, les quatre haut-parleurs à égalité : les mouvements illusoires doivent entourer et frôler les auditeurs. [Risset, extrait d’une lettre à Marco Stroppa, 5 juillet 1984, Arch. PRISM – Risset]\r\n\r\n> Pour la diffusion : le niveau sonore du début (0 à 1’30) doit être tel que les sons instrumentaux aient un niveau réaliste pour l’auditeur. Le niveau devrait ensuite être un peu augmenté, sans être pénible (toutefois, le crescendo vers 6’30 doit atteindre un niveau élevé de puissance). [Risset, Addendum au schéma de *Songes*, Arch. PRISM – Risset]\r\n\r\n#### Synopsis de l’œuvre\r\n\r\nLe titre *Songes* suggère un univers onirique, le passage graduel d’un monde instrumental à un monde illusoire : “Dans le cadre de *Songes*, j’ai lié cette idée à une thématique de passage au rêve: au fur et à mesure que la pièce se développe, les éléments sonores deviennent de moins en moins réalistes, de plus en plus oniriques. Non seulement ils évoquent de moins en moins clairement des instruments distincts, mais ils donnent aussi l’impression d’échapper aux limitations physiques” [Guillot, 2008, p. 128]. L’œuvre comporte trois sections intitulées “Mirages”, “Cloches” et “Coda”.\r\n\r\nLa première partie de la pièce, “Mirages”, correspond à la partie “réaliste” qui va par la suite être progressivement transformée en un monde “illusoire”. Les matériaux sonores proviennent de la pièce mixte éponyme composée l’année précédente. Ils sont ici numérisés, mixés et traités. La synthèse numérique a servi tour à tour à assembler, superposer et tuiler cinq motifs instrumentaux d’environ 2 à 5 secondes. Les motifs ont été enregistrés séparément par les instrumentistes de l’Ensemble Intercontemporain. La modification de la hauteur des échantillons a été réalisée grâce aux fonctionnalités de Music V. Le traitement numérique a rendu possible aussi les effets d’espace. Risset utilise également un système de carte de sons permettant l’exploration d’un espace de trilles avec le logiciel Esquisses conçu par David Wessel et écrit par Bennett Smith.\r\n\r\nDans la deuxième partie, “Cloches”, Risset reprend les objets sonores du catalogue de sons synthétisés pour créer un passage de cloches imaginaires avec la prédominance de sons inharmoniques. Les effets d’espace produisent un jeu de réponse entre l’avant et l’arrière. Les relations intervalliques des motifs de *Mirages* sont l’empreinte de cette partie, à la fois pour l’organisation du mixage harmonique et pour créer de nouveaux objets sonores. Dans ce passage, tout le spectre de fréquence du grave à l’aigu est rempli (contrairement au début, confiné au registre médium). Les cloches se transforment ensuite en texture fluide, où les sons inharmoniques se fondent les uns dans les autres, sous forme d’accords-gigogne “qui reproduisent entre eux les relations de fréquence existantes entre leurs composantes : cette accumulation forme un crescendo surchargeant le son de fréquences, du grave à l’aigu” [Risset, 1978c].\r\n\r\nDans la troisième partie, “Coda”, le compositeur expose un nouvel élément : une note pédale grave (*si* b / 58 Hz) enrichi par un effet de *phasing* formant une nappe sous une volute de sons aigus qui semblent voler dans l’espace. Il recourt de manière originale à la synthèse de Fourier pour composer des contours fréquentiels produisant de sons quasi-naturels. Le résultat de cette procédure ressemble à la morphologie sonore d’un oiseau imaginaire. Dans cette partie, Risset utilise les modules développés par [composer:83254f0c-fc3e-40b5-b75e-ad48d188ce7a][John Chowning] pour le traitement de l’espace. La réverbération en association avec le changement de phase (entre les canaux de la gauche et la droite) crée le déplacement spatial de la source sonore ponctuel.\r\n\r\nLes figures suivantes offrent une vue synoptique de l’œuvre : la première [Figure 1] est une partition d’écoute réalisée par le compositeur et la seconde est un schéma temporel réalisé par Florence Rix [Figure 2].\r\n\r\n[image:abdbb592-e090-4bf8-814c-e4b2a717cf59]\r\n\r\n**Figure 1. Partition d’écoute de *Songes* réalisée par Risset [© Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\n[image:bf3a16fd-bb8d-4107-a8ff-d27660a97496]\r\n\r\n**Figure 2. Schéma temporel de *Songes* [Rix, 2012, p. 10].**\r\n\r\n#### Techniques compositionnelles\r\n\r\nSi Risset poursuit ainsi l’exploration de matériaux et techniques compositionnels développés dans des œuvres antérieures, il ouvre dans *Songes* de nouvelles directions comme l’interaction entre sons de synthèse et sons acoustiques, par le biais des traitements numériques, approche qu’il poursuivra ensuite notamment dans [work:2cba38e1-b7d6-4289-92ae-67a20708bc1e][Sud] (1985) et [work:c426bc7d-67f9-42b1-af8a-331c82819a00][Invisible] (1996) [Risset, 1996]. Dans une lettre adressée à Boulez, il détaille quelques unes techniques compositionnelles mises en œuvre dans *Songes* :\r\n\r\n> A) Traitement simple de sons réels (instrumentaux) par Music V : mixage/tuilage/changement de fréquence/spatialisation/effet choral/enveloppement.\r\nB) Exploration d’un espace de timbre par Sketchpad (D. Wessel).\r\nC) Définition simple de modulations de fréquence compliquées.\r\nD) Modelage spectral et spatial par une extension du phasing (addition de sons de fréquences très voisines mais inégalement espacées).\r\n[Risset, extrait d’une lettre à Pierre Boulez, 29 septembre 1979, Arch. PRISM – Risset]\r\n\r\nÀ ces notions, nous souhaitons ajouter trois autres approches – E) Simulacre de cloche, F) Contours de fréquence, G) Textures fluides – que nous détaillerons par la suite mais qui permettent dès à présent de proposer un aperçu synthétique de la structure de l’œuvre [Figure 3].\r\n\r\n[image:fde39a9c-bbf1-4ead-af08-39066984c111]\r\n\r\n**Figure 3. Techniques compositionnelles développées dans chaque partie de *Songes* et *time code* relatifs aux versions stéréophonique et quadriphonique.**\r\n\r\n### Le langage Music V\r\n\r\n#### Principe\r\n\r\nAvant d’analyser plus en détail tous ces différents aspects de *Songes*, il est nécessaire de décrire la syntaxe du code du programme Music V, utilisée pour la composition de cette pièce. Music V est un programme issu de la série Music N, développé aux Bell Telephone Laboratories par Mathews et son équipe. L’ensemble de ces programmes fonctionne selon une syntaxe modulaire. Autrement dit, des modules (représentés par un symbole alphanumérique) réalisent des tâches données, comme par exemple la multiplication de deux signaux. La même idée est utilisée dans les programmes de syntaxe sonore plus récents comme Csound et Max, descendants directs de la série de programme Music N.\r\n\r\nLa logique de ce langage est analogue à la manière classique de faire de la musique. Le code peut être divisé en deux parties basiques : “l’orchestre” et “la partition” (*score*). La première décrit les paramètres globaux (la fréquence d’échantillonnage, par exemple) et les instruments algorithmiques. La deuxième partie décrit les notes : des instructions temporelles paramétriques qui font appel aux instruments de l’orchestre. En bref, c’est l’entité numérique qui produit le son, jouant ainsi le même rôle qu’un instrument dans un orchestre classique. Dans “la partition”, un script temporel définit les paramètres des instruments (comme la fréquence et l’amplitude) et ordonne l’exécution en suivant un script temporel de chaque instrument, ainsi que la durée de chaque instance.\r\n\r\n[image:4b90b2d0-444e-4b30-a77e-377ff742bc5a]\r\n\r\n**Figure 4. Exemple de code Music V (a) diagramme en bloc ; (b) représentation d’une enveloppe ; (c) forme d’onde ; (d) partition classique ; (e) code Music V [Mathews, 1969, p.54]. **\r\n\r\nDans l’algorithme [Figure 4e], l’instrument est construit entre les lignes 1 et 5 – l’instruction “INS 0 1” définie le début et “END” la fin. Il joue ici une seule note dont l’amplitude et la fréquence sont contrôlables grâce à deux oscillateurs “OSC” : la ligne 2 correspond au contrôle de l’amplitude, et la ligne 3, à celui de la fréquence. Ensuite, le signal de sortie du deuxième oscillateur est orienté vers la sortie audio du programme (module “OUT”, ligne 4) générant ainsi le son. Le module “GEN” (lignes 6 et 7) permet de générer les formes d’onde (b) et (c). Enfin le module “NOT” (lignes 8 et 9) permet de déclencher l’instrument 1. Décryptons par exemple la ligne 8 : “NOT 0 1 2 1000 .0128 6.70”. “0” signifie que l’action initialise à l’instant 0 seconde ; “1” signifie qu’il s’agit de l’instrument défini dans la ligne; 2 correspond à la durée en seconde ; “1000”, à l’amplitude relative ; “.0128” à la fréquence de l’oscillateur d’amplitude ; “6.70” à la fréquence de l’oscillateur de fréquence. Pour que le programme soit compilé, l’ordinateur n’a besoin que du code Music V [Figure 4e]. Mais pour une question de visualisation et aussi pédagogique, il est utile de générer la partition classique [Figure 4d] mais surtout un diagramme en bloc [Figure 4a] qui permet d’identifier aisément les modules, les entrées et sorties, ainsi que le flux complet de l’instrument système.\r\n\r\n#### Illustration : les premières secondes de *Songes*\r\n\r\n[image:848221e1-a832-47a9-93cd-c15a6a7a5b31]\r\n\r\n**Figure 5. Code Music V du début de *Songes* [© Arch. PRISM – Risset]. **\r\n\r\nCe document [Figure 5] correspond à la première page de code Music V – avec les annotations à la main en crayon de Risset – d’une réduction stéréophonique du début de *Songes* [Média 1]. La première partie du code sert à définir les paramètres globaux, comme la fréquence d’échantillonnage (25600 Hz – “SAM 25600”) et le nombre de canaux (2 – “CHA 2”). Ensuite, deux instruments jumeaux sont construits (“INS 0 8 et INS 0 7” – le premier pour la gauche et le deuxième pour la droite), ceux-ci réalisant la même tâche, à savoir la lecture de fichiers chargés dans la mémoire de l’ordinateur. “LUM” – module développé par Jean-Louis Richer, chercheur à l’Ircam entre 1977 et 1981 – permet de jouer les fichiers chargés par le module “FIC” – les fichiers sont définis comme “JCR:HP3.MSB”, par exemple. Finalement, une liste d’instances permet de jouer les fichiers temporairement. La ligne “NOT 0 7 8.9 .5 1 1”, par exemple, exécute à l’instant “0”, l’instrument “7” (l’instrument de la droite) qui jouera dans “8.9” secondes le fichier “JCR:HP3.MSB” (motif initial de la harpe) avec un facteur multiplicateur d’amplitude de “0.5” et un facteur multiplicateur de fréquence de “1” (c’est-à-dire, la moitié de l’amplitude de l’échantillon originel et la même fréquence). La ligne de code “NOT 0 8 5 .2 RE/MI 2” correspond à un changement de fréquence : le trille de clarinette (“JCR:TT1CL.MSB”) est transposé sur la note *ré*. Afin de mieux se représenter le résultat sonore, Risset a aussi établi une transcription solfégique de ce même passage [Figure 6].\r\n\r\n[image:5250f4d1-e7e7-476b-abf1-fd7fc543a2bc]\r\n\r\n**Figure 6. Esquisse musicale représentant le début de *Songes* [© Arch. PRISM – Risset]. La partition prescriptive est ici le code, alors que cette esquisse musicale est une représentation descriptive du rendu sonore.**\r\n\r\n<iframe width=\"480\" height=\"60\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x71425c\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 1. *Songes*, début de la première partie (00’00”-00’22”) [© EA CD Wergo, 1988].**\r\n\r\nDans le deuxième passage de la première partie de *Songes* [Média 2], les fichiers sont mixés en tuilages allongeant ainsi la durée du passage. L’effet de positionnement spatial est ici très présent : dans la ligne “NOT 3.2 7 4.1 .1 RE/MI 4; NOT 3.3 8 4.1 .1 RE/MI 4”, le même fichier est lu (“JCR.TR2AL.MSB”, un trille d’alto) par l’instrument de gauche et celui de droite mais avec un léger décalage de 100 millisecondes – l’instrument “7” (à gauche) est déclenché à “3.2” secondes, alors que l’instrument “8” (à droite) est déclenché à “3.3” secondes. Il est important de noter que pour charger différents fichiers au cours du code, il faut libérer l’espace dans la mémoire. Par exemple, le passage démarre avec le fichier “JCR:TR1AL.MSB” occupant la place “1” (“FIC 0 1”) ; après 12 secondes (“FIC 12 1”) à la même adresse de mémoire, le fichier “JCR:TB2.MSB” remplace l’ancien. Cela était nécessaire, car à l’époque cette procédure de chargement et de lecture des fichiers était coûteuse en termes de CPU.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"350\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8ebbce\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 2. Exemple de tuilage dans la première partie de *Songes* (00’46”-01’03”). [© EA CD Wergo, 1995]. Les surlignages en vert et en bleu correspondent respectivement aux canaux gauche et droit.**\r\n\r\n### L’espace des timbres\r\n\r\n#### Organisation du matériau instrumental\r\n\r\nFidèle à ses préoccupations constantes quant aux relations fertiles entre les sons “réel” et les sons simulés [Risset, 1988 ; 1996], le compositeur veut rapprocher dans *Songes* deux mondes sonores en apparence très différents, celui de sons acoustiques d’origine instrumentale et celui de la synthèse sonore numérique. Dans la première partie de la pièce, les sons instrumentaux sont facilement reconnaissables mais il ne s’agit pas cependant de sons bruts, sans transformation. Nous n’entendons pas la harpe au début de la pièce, mais un objet sonore résultant de traitements numériques. Ainsi, même si l’univers sonore est une représentation du réel, il résulte d’un geste de transformations numériques qui caractérise la pièce dans son intégralité.\r\n\r\nRisset repart de certains passages enregistrés de la pièce mixte *Mirages* : les trilles [Figure 7] – qui sont beaucoup exploités dans le passage de tuilage [Média 2] – et de courts motifs [Figure 8]. Les trilles ont été enregistrés par tous les instruments – violon, cello, alto, harpe, corne, basson, flûte, hautbois, trombone et clarinette – alors que les motifs ont été enregistrés seulement par quelques instruments spécifiques, notamment la flûte [Figure 9].\r\n\r\nLa logique intervallique de ces objets est le mode 2-1-2-1 [Figure 10]. Cette échelle octatonique, utilisée par des compositeurs comme Rimsky-Korsakov ou [composer:4947e788-ebf2-48da-aed2-01fffe7f8c76][Olivier Messiaen] joue sur l’alternance entre tons et demi-tons. En commençant par la note *ré*, la note suivante est un ton au-dessus soit *mi*; la note suivante un demi-ton au-dessus soit *fa*; la suivante est un ton au-dessus soit *sol*, etc. Cependant, Risset ne s’intéresse pas à cette relation d’intervalle dans une perspective mélodique, mais comme composante du timbre. On retrouve cette même idée antérieurement dans *Mutations*, où la série quasi dodécaphonique n’est pas pensée comme un système, mais plutôt une logique génératrice de timbre.\r\n\r\n[image:3ff58a42-2738-4fd2-9477-2db56eaa0a75]\r\n\r\n**Figure 7. Trilles enregistrés dans *Mirages* et utilisés dans *Songes* [© Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 8. Motifs enregistrés dans *Mirages* et utilisés dans *Songes* [© Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\n[image:36a58cf8-e083-4eb0-9cfe-f735f69fa2bf]\r\n\r\n**Figure 9. Motifs enregistrés uniquement par la flûte [© Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\n<center>[image:52deb26b-72c4-4bf5-8340-8ee624f86ceb]</center>\r\n\r\n**Figure 10. Mode 2-1-2-1 utilisé dans *Mirages* et dans *Songes* [© Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\n#### Le programme Esquisses\r\n\r\nEn 1978, alors que Risset travaille à la composition de *Mirages*, il s’intéresse aux recherches menées par John Grey et David Wessel autour du concept d’espace de timbre [Wessel, 1978]. Le programme Esquisses développé à l’Ircam par Wessel et Bennett Smith servait de “cahier de brouillon” pour classer les timbres. Initialement dénommé Sketschpad, ce programme “permet au musicien d’obtenir une représentation des relations subjectives qu’il perçoit lui-même entre éléments musicaux, et [...] se prête à être aussi un cahier d’esquisses” [Risset, 1991, p. 279]. Il était possible de représenter dans un plan cartésien plusieurs échantillons sonores (bien que la représentation dans plusieurs dimensions soit possible, deux dimensions étaient suffisantes pour la plupart de cas). Les premiers essais réalisés par Wessel, utilisaient 24 échantillons, chacun correspondant à l’enregistrement d’un même exemple sonore – avec la même note *mi* b dans le médium, la même durée et la même intensité – mais avec des instruments différents. Selon un critère auditif, il était possible de classer les échantillons, entre 0 et 10, selon une échelle subjective (0 pour des sons identiques à 10 pour des sons très différentes) et également selon une échelle de niveau d’attaque. L’axe vertical se réfèrait à la distribution d’énergie spectrale – la brillance” du son –, et l’axe horizontal, à la nature du transitoire – “l’attaque” du son.\r\n\r\n[image:e7bfc4e1-4184-40b4-9d1a-a4d5942c6e07]\r\n\r\n**Figure 11. La carte des sons utilisée dans *Songes* à l’aide du logiciel Esquisses [© Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\nLa carte de son utilisée dans *Songes* avec les motifs instrumentaux issus de *Mirages* [Figure 11] permet de repérer la place des différents échantillons de trille dans cet espace. Le point “V“ par exemple (harpe) est le plus haut suivant l’axe vertical : il s’agit donc du son le plus “brillant”. En revanche le point “K” (trille 1 trombone) qui est le plus bas est donc le moins “brillant”. Le point “L” (trille 2 trombone) est le plus en bas à droite ce qui signifie que l’objet est riche en transitoire d’attaque mais demeure relativement pauvre en brillance. On peut voir ainsi que de manière générale, les instruments à cordes (harpe, violon, alto et cello) occupent la moitié gauche de la carte et ont donc des attaques plus ténues que les instruments à vent (flûte, hautbois, clarinette, basson, hautbois) qui occupent la partie droite de l’espace.\r\n\r\nCette carte a permis au compositeur d’utiliser le timbre comme un paramètre musical discret au même titre que les hauteurs, par exemple, l’idée étant de pouvoir transposer une mélodie de timbres – une *Klangfarbenmelodie* – comme on peut transposer une mélodie de hauteur. Pour cela, il fallait tracer des “intervalles de timbre” et les transposer en gardant le même écart. On peut voir par exemple que Risset a tracé une ligne – un vecteur – entre le point “U” (harpe) et “O” (alto), ce qui correspond à un “intervalle de timbre”. Ce même intervalle se retrouve entre les points “H” (flûte) et “D” (cor). Le compositeur opère de la sorte des transpositions de timbre analogues à des transpositions de hauteur. Mais le rendu sonore de ces transpositions ne lui a pas donné entièrement satisfaction car elles n’étaient pas aussi clairement perceptibles à l’oreille que des transpositions de hauteur. Or l’écoute demeure chez Risset le moyen le plus efficace de valider n’importe quelle opération musicale [Risset, 1988]. Il n’était donc pas possible pour lui de structurer son discours en fonction de ce critère [Guillot, 2008, p. 86].\r\n\r\n### Simulacres de cloche\r\n\r\n#### Morphologie\r\n\r\nLe simulacre de cloche est sans doute l’une des images sonores les plus emblématiques de la musique de Risset. Dès ses premiers essais de synthèse sonore, il cherche à comprendre le comportement spectral des sons “réels”, en étudiant les sons de cuivre comme la trompette [Risset, 1966] mais aussi ceux produits par les cloches. Les objets sonores résultant de cette recherche reviennent sans cesse dans ses œuvres depuis *Computer Suite for Little Boy* (1968) jusqu’à [work:0f388d1b-952f-4593-ba67-05e2c6f2b8b9][Resonant Sound Spaces] (2001-02). La publication des codes originaux dans son catalogue de sons de synthèse [Risset, 1969] et dans d’autres articles ainsi que les analyses de pièces faisant appel à la documentation informatique [Lorrain, 1980] ont permis d’étudier la morphologie de ces objets, l’évolution du codage et la manière dont le compositeur se les ré-approprie au fil de ses œuvres.\r\n\r\nLa seconde partie de *Songes* met en scène des simulacres de cloches [Média 3]. L’organisation du code est divisée en deux parties basiques [Figure 12] : a) définition des objet, b) commandes pour leur déclenchement temporel. Le compositeur fait – à travers des commentaires dans le texte – via le module “COM” à deux sons de synthèse de son catalogue: “430 Bell” [Média 4] et “420 Gong” [Média 5].\r\n\r\n<iframe width=\"480\" height=\"60\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4c0f74\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 3. *Songes*, début de la deuxième partie “Cloches” (01’37’’-01’59) [© EA CD Wergo, 1988]**\r\n\r\n[image:6478d8fc-bffc-487e-bc53-5a848bbc4fe7]\r\n\r\n**Figure 12. Code Music V de la deuxième partie de *Songes* [© Arch. PRISM – Risset]**\r\n\r\n<iframe width=\"480\" height=\"60\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa9a347\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 4. Son “430 Bell” du catalogue de Risset [© EA CD Wergo, 1995]**\r\n\r\n<iframe width=\"480\" height=\"60\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x982950\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 5. Son “420 Gong” du catalogue de Risset [© EA CD Wergo, 1995] **\r\n\r\nCes objets témoignent des recherches menées par Risset dans les années 1960 tant dans le domaine de la synthèse sonore que la psychoacoustique. Tout son harmonique peut se décomposer en une somme de composantes sinusoïdales dont les valeurs d’amplitudes indépendantes déterminent le “timbre”. Cependant, cette conception est incomplète car le timbre dépend aussi de l’évolution temporelle de l’énergie sur chaque composante [Figure 13]\r\n\r\n[image:a8473637-c15c-4f3a-99c2-f016fc14b300]\r\n\r\n**Figure 13. Analyse tridimensionnelle réalisée par Patrick Sanchez sur un son de synthèse de cloche. Le temps et la fréquence sont représentés horizontalement alors que l’amplitude est représentée verticalement [Risset, 2001, p. 136].**\r\n\r\n#### “Cloche 1280”\r\n\r\nPour restituer le comportement temporel des composantes des sons de cloche, le code fait appel à des structures (module “SV1”), une fonctionnalité de Music V qui permet d’encapsuler des données pour la définition d’objets sonores complexes. La structure inharmonique “1280” de type “cloche” [Figure 14] comporte 9 composantes dont les fréquences (en Hz), durée (en secondes) et amplitude (unité arbitraire) sont indiquées dans la dernière colonne. Le son est joué par l’instrument n°3 et la hauteur perçue correspond à 349 Hz; l’amplitude globale du son est de “975”; alors que la durée totale est celle de la composante la plus longue, soit 24 s.\r\n\r\n[image:2e0f4a92-dc71-4c50-9149-c81a7f0bfeb7]\r\n\r\n**Figure 14. Code Music V de l’objet sonore “1280” utilisé dans *Inharmonique* et réalisé ici par Denis Lorrain d’après l’original [Lorrain, 1980].**\r\n\r\nDans *Songes*, c’est l’instruction “PLF 0 6” qui définit les instanciations (diversement transposées) de la structure “1280”. La ligne “PLF 0 6 2 1280 0 0 0 0 3; NOT 16 1 0 100 Sol#; NOT 16.2 1 0 100 FA” [Figure 12b] signale que deux instructions “NOT” s’opèrent sur la structure “1280” avec l’instrument “1”, à une intensité globale “100”. La première est déclenchée à l’instant “16” et la deuxième à l’instant “16.2”. Le chiffre “0” indique que la durée définie n’a pas été modifiée *i.e.* qu’aucune transposition n’a été opérée. Comme l’amplitude de référence de l’instruction “NOT” est “100”, les amplitudes des composantes, définies dans l’instruction “SV1 0 1280”, seront donc multipliées par le rapport 100/975 (100 correspond à l’amplitude de référence de “NOT” et 975 correspond à l’amplitude globale de la structure “1280”). Finalement, la première instruction est transposée sur *sol* # (415,3 Hz) et la deuxième sur *fa* (349 Hz) : toutes les fréquences des composantes sont donc multipliées dans un cas par 415,3/349, et dans l'autre par 349/349.\r\n\r\nAvec les codes originaux et avec les informations partagées par le compositeur, il est possible de programmer les mêmes fonctionnalités dans un langage informatique courant (le programme Music V est devenu obsolète dans années 1980 et a été remplacé par d’autres programmes comme CMusic et CSound). Pour la composition de *Resonant Sound Spaces*, Risset utilise par exemple un patch Max d’Antonio de Sousa Dias réalisant un portage du code original Music V et permettant ainsi la synthèse en temps réel des sons du catalogue original [Risset *et al.*, 2002]. Suivant la même perspective, nous avons conçu des applications web utilisant le langage Faust permettant la resynthèse et l’émulation des objets sonores développés par Risset [Application interactive 1].\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\" width=\"600\" height=\"750\" src=\"https://brahms.ircam.fr/media/uploads/API01_risset_songes.html\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Application interactive 1. Resynthèse et émulation de la “Cloche 1280” en langage Faust avec contrôle globale sur les amplitudes, les durées et les fréquences.**\r\n\r\nDans les premières décennies de la pratique de la synthèse numérique des sons, la création des sons s’avérait très peu confortable car les ordinateurs mainframes étaient lents et d’un maniement difficile. L’interaction homme/machine se déroulait en temps différé et il pouvait se passer beaucoup de temps entre l’ordre donné à la machine via un système de cartes perforées pour l’entrée, le chargement des données numériques et des mémoires de masse, et enfin l’écoute du résultat compilé. Cette contrainte d’utilisation a influencé la manière de travailler. Il était ainsi courant de réutiliser les mêmes cartes sans aucun changement d’une pièce à l’autre.\r\n\r\nLes objets sonores encapsulés avec les structures “SV1” ainsi que les routines algorithmiques “PLF 6”, qui permettent la lecture et la réalisation d’instances des structures, n’ont pas subi de modification considérable au cours de la production du compositeur, même quand les cartes perforées étaient devenues obsolètes. Des morceaux de code sont ainsi repris d’une pièce à l’autre comme les structures “1210”, “1250”, “1280”, “1320”, “1360” et “1400” de Songes qui étaient déjà présentes dans *Inharmonique*, notamment dans le passage “BELLSB” analysé par Lorrain [1980]. Les objets “1100” et “1150” présents dans la première partie de *Songes* et construits autour du mode 2-1-2-1 [Figure 12a] sont en revanche nouveaux. Nous les avons nommés “Cloche Mirage 1” et “Cloche Mirage 2”.\r\n\r\n#### “Cloche Mirage 1 et 2”\r\n\r\nDans le code original [Figure 12a], la “Cloche Mirage 1” [Figure 15] correspond à la structure “SV1 0 1100” qui comporte 8 composantes mais dont seules les quatre premières sont indiquées. Après analyse de la “Cloche Mirage 2” [Figure 16] qui correspond à la structure “SV1 0 1150”, il a été possible de restituer les composantes manquantes de la “Cloche Mirage 1” puisque celles-ci s’inscrivent aussi dans le mode 2-1-2-1 complet. La structure globale de ces objets cloche a été re-synthétisée avec le langage Faust. Grâce au contrôle individuel de chaque composante spectrale, il est possible de reproduire les sons de Risset mais aussi de tester de nouvelles variantes [Application interactive 2].\r\n\r\n[image:92d70d71-0c0f-4c87-8bef-576b0dc39ea3]\r\n\r\n**Figure 15. Objet “Cloche Mirage 1”. La partie surlignée en jaune a été complétée à partir de l’analyse de l’objet “Cloche Mirage 2”.**\r\n\r\n[image:3f8c69fd-20f3-46c0-8c30-bf019b10ef6a]\r\n\r\n**Figure 16. Objet “Cloche Mirage 2”.**\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\" width=\"600\" height=\"750\" src=\"https://brahms.ircam.fr/media/uploads/API02_risset_songes.html\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Application interactive 2. Resynthèse et émulation des objets “Cloche Mirage” en langage Faust avec contrôle individuel de la fréquence et de l’amplitude des 8 composantes spectrales.**\r\n\r\n#### Transposition et mutation\r\n\r\nLe mode 2-1-2-1 ne sert pas uniquement à construire des timbres. Risset l’utilise aussi pour transposer les objets sonores et créer des liens entre différentes morphologies. C’est ainsi que s’organise, au début de la deuxième partie de *Songes*, le tuilage entre les motifs mélodiques instrumentaux et les simulacres de cloche [Média 6]. La sous-routine “PLF 6” décrite auparavant permet d’effectuer une transposition globale. En changeant la fréquence de l’objet, toutes les composantes spectrales vont être à leur tour modifiées de manière proportionnelle.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"460\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe22a75\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 6. *Songes*, début de la deuxième partie (01’37”-01’59”) en suivant la transposition des objets sonores à travers la première page de code Music V. Chaque objet stocké dans les structures “SV1” est appelé par “PLF 6” et joué par l’un des instruments, tantôt à gauche (en vert), tantôt à droite (en bleu) [© EA CD Wergo, 1995 / Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\nLa synthèse additive permet au compositeur de transformer les simulacres de cloche en texture mouvante en contrôlant individuellement la répartition de l’énergie dans le temps de chaque composante spectrale. Dans la deuxième partie de l’œuvre, les sons de synthèse imitative de gong et de cloche vont progressivement se dissoudre par le biais d’enveloppes non synchrones permettant d’entendre les partiels sous forme d’arpèges [Risset, 1989]. *Mutations* met en scène de telles transformations et préfigure ainsi le courant spectral qui émergera dans les années 1970. Au début de cette pièce, le motif mélodique est repris sous forme harmonique, comme un accord, puis sous forme de timbre, comme un pseudo coup de gong dont les composantes spectrales correspondent aux notes de l’accord [Média 7].\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"460\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x798983\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 7. Début de *Mutations* (00’00”-00’10”) [© EA CD Ina/GRM, 1987].**\r\n\r\nCe principe emblématique de mutation est repris dans *Songes*. Des composantes de cloches, Risset conserve les partiels en les tirant de la morphologie initiale et en les transformant en textures. Ensuite, les composantes fréquentielles de la texture sont transformées en contours harmoniques, c’est-à-dire des profils fréquentiels qui glissent vers l’aigu (cette technique sera reprise et développée dans la “Coda”). Les relations intervalliques des textures conservent la mêmes liens internes que les objets issus de *Mirages*, la première partie de *Songes*. L’analyse spectrale ci-dessous [Média 8] souligne ce processus : l’interpolation entre les moments des cloches et les textures fluides, tout en conservant à nouveau les mêmes relations intervallaires du mode 2-1-2-1.\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"460\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe14560\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 8. Mutation sonore dans la seconde partie de *Songes* (03’08”-03’32”) : cloche → cloche-textures → textures-contour harmonique → contour harmonique → texture-mode 2-1-2-1 [© EA CD Wergo, 1995].**\r\n\r\n### Unité stylistique de la “Coda”\r\n\r\n#### Contour de fréquence\r\n\r\nSeules deux techniques – contour de fréquence et *phasing* – sont utilisées par Risset dans la troisième partie de *Songes* ce qui confère à cette “Coda” une forte unité stylistique. Construire des contours de fréquence revient à créer des profils fréquentiels montants et descendants, technique que le compositeur explorera davantage dans *Contours* [Risset, 1990, p.6]. Le code développé pour cela est un des algorithmes les plus singuliers de *Songes*. Le compositeur se sert de la synthèse additive d’une manière totalement originale, non plus pour créer des objets sonores, mais pour créer des profils fréquentiels suivant des formes d’ondes périodiques. L’algorithme “BDS4” met en scène deux instruments jumeaux (“INS 2” et “INS 3”) et un instrument destiné à la réverbération (“INS 50”) [Figure 17]. Un diagramme en bloc a été produit afin de faciliter la compréhension de ce réseau algorithmique [Figure 18].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 17. Code Music V contrôlant le contour de fréquence [© Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 18. Diagramme en bloc de l’algorithme “BDS4”.**\r\n\r\nL’oscillateur (a) opère avec une fréquence “p8” et avec une forme d’onde qui est ensuite multipliée par elle-même (b). Le fait d’élever une forme d’onde au carré permet de n’avoir que des valeurs positives [Figure 19]. À la sortie de (b), un signal périodique donne des valeurs entre 0 et 1 multipliées par une valeur fixe “p6” qui définira l’axe de la forme d’onde. Dans la première instance de l’algorithme BDS4, elle est égale à 7500 Hz ce qui correspond à la note *si* b<sub>7</sub>. L’oscillateur (d) et l’*offset* (e) – une valeur qui délimite la profondeur de l’oscillateur – peuvent moduler cette valeur “p6”. Cependant, Risset n’utilise pas cette procédure ici préférant laisser la fréquence “p10” toujours à 0 Hz. L’oscillateur génère ainsi une sinusoïde avec la fréquence du module “MLT” (c) [Figure 17]. Cet algorithme génère un contour de fréquence proche de celui d’un chant d’oiseau.\r\n\r\n<center>[image:92b709ef-5d65-4108-afe4-e66e6eea6c5b]</center>\r\n\r\n**Figure 19. Création d’une forme d’onde unipolaire en multipliant la forme d’onde originale par elle-même.**\r\n\r\nLa complexité de l’algorithme décrit ci-dessus est due aux limitations du programme Music V. Avec les outils disponibles aujourd’hui, le même résultat est obtenu avec une procédure relativement simple [Application interactive 3]. À l’époque de la création de *Songes*, les possibilités de stockage des mémoires étaient très faibles, et les opérations mathématiques étaient limitées aux fonctions basiques. Le recours à la synthèse additive pour l’obtention de contours de fréquence s’est donc avéré une solution satisfaisante et optimale pour les moyens technologiques de l’époque. Dans le code original “BDS4”, cinq formes d’ondes servent à dessiner des contours de fréquence [Figures 20 et 21]. Dans la “Coda” de *Songes*, Risset n’utilise que la première.\r\n\r\n<iframe scrolling=\"no\" width=\"600\" height=\"680\" src=\"https://brahms.ircam.fr/media/uploads/API03_risset_songes.html\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Application interactive 3. Resynthèse et émulation des contours de fréquence en langage Faust avec contrôle individuel de la fréquence et de l’amplitude de chaque oscillateur, de l’*offset* de fréquence, du *panning* et de la réverbération.**\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 20. Code des formes d’onde de l’oscillateur (a) [© Arch. PRISM – Risset].**\r\n\r\n[image:724d062f-1d35-4b1e-823d-3e99ff74c0e7]\r\n\r\n**Figure 21. Les cinq formes d’onde associées à l’oscillateur (a).**\r\n\r\n#### Pédale grave avec *phasing*\r\n\r\nLe *phasing* explore les battements résultant de la superposition de fréquences très rapprochées. La note pédale de la “Coda” – *si* b grave de 58 Hz – met en scène un effet de *phasing* “assez raffiné obtenu relativement simplement et aisément grâce à la seule précision – bien contrôlée – de la synthèse numérique” [Lorrain, 1980]. Malheureusement il n’existe aucune trace du code original Music V concernant la réalisation de cet effet dans cette “Coda”. Nous nous sommes donc tournés à nouveau vers la pièce *Inharmonique* dans laquelle Risset recourt à une procédure similaire, nommée “PHASE6” [Lorrain, 1980]. Le code utilisé aboutit à la même note qui, dans *Songes*, est enrichie grâce à l’ajout de huit fréquences voisines étagées par intervalles variant entre 0,01 et 0,04 Hz. Dans *Inharmonique*, Risset recourt à neuf oscillateurs en parallèle pour générer les neuf composantes de chaque événement [Figure 22]. La fréquence du premier oscillateur correspond à la note *si* b (58 Hz), alors que les autres ont des fréquences au-dessus et en-dessous de cette fréquence centrale suivant le même écart fréquentiel. Par exemple, si l’intervalle est de 0,01 Hz, les fréquences des autres oscillateurs seront 58,01 Hz, 57,99 Hz, 58,02 Hz, 57,98 Hz et ainsi de suite. Cette procédure produit une “cascade d’harmoniques” rapprochés qui entrent en phase et en opposition de phase ce qui a pour effet de les amplifier et de les atténuer [Application interactive 4].\r\n\r\n[image:2d963e2b-f82e-4262-aa5d-63c03e8d3dff]\r\n\r\n**Figure 22. Diagramme en bloc de “PHASE6” dans *Inharmonique* [Lorrain, 1980].**\r\n\r\n<center><iframe scrolling=\"no\" width=\"400\" height=\"580\" src=\"https://brahms.ircam.fr/media/uploads/API04_risset_songes.html\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe></center>\r\n\r\n**Application interactive 4. Émulation de l’effet *phasing* en langage Faust avec contrôle de la fréquence de référence et de l’intervalle fréquentiel.**\r\n\r\n### Écriture de l’espace\r\n\r\nNonobstant le fait que la dimension de l’espace est au cœur de toute œuvre électronique et électroacoustique, le traitement de l’espace joue dans *Songes* un rôle essentiel pour son unité, tant son usage est présent tout au long de la pièce. Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, pour confectionner des effets stéréophoniques, Risset recourt à des instruments jumeaux dont il contrôle l’amplitude afin de positionner et déplacer les sources virtuelles dans l’espace. Revenons au premier exemple sonore de cette analyse [Média 1] qui dévoilait les premières secondes de *Songes*. Afin de souligner le travail de spatialisation opéré sur chaque objet sonore, positionné tantôt vers la gauche, tantôt vers la droite, un code couleur apparaît sur le code Music V et la représentation solfégique du rendu sonore [Média 9].\r\n\r\n<iframe width=\"600\" height=\"455\" src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3379ec\" frameborder=\"0\" allowfullscreen></iframe>\r\n\r\n**Média 9. *Songes*, retour au début de la première partie (00’00”-00’22”) [© EA CD Wergo, 1988 / Arch. PRISM – Risset] avec, en animation, le code Music V et la représentation solfégique du rendu sonore. Les parties surlignées en vert et en bleu correspondent respectivement aux instruments diffusés à gauche et à droite.**\r\n\r\nDans la “Coda”, Risset recourt à des effets panoramiques pour créer des trajectoires spatiales bien plus développées que dans la première partie de la pièce. Il s’inspire notamment des recherches pionnières de son collègue et ami [composer:83254f0c-fc3e-40b5-b75e-ad48d188ce7a][John Chowning] qui avait conçu au début des années 1970 un algorithme de spatialisation produisant des illusions spatiales extrêmement robustes [Chowning, 1971]. Dans le code servant à synthétiser les contours de fréquence [Figure 17] et sa représentation en bloc [Figure 18], deux instruments fonctionnent simultanément (ligne 10 “INS 0 2” et ligne 15 “INS 0 3”). Le premier envoie le signal à gauche, alors que le deuxième envoie le signal à droite. Le premier instrument utilise la forme d’onde “f7” [Figure 23, en haut] dans l'oscillateur (j). Le deuxième, quant à lui utilise la forme d’onde “f8” [Figure 23, en bas] dans l’oscillateur (k). Comme il s’agit de deux formes d’onde opposées, lorsque l’énergie du signal augmente dans un oscillateur, elle est nulle dans l’autre oscillateur. Ainsi, il en résulte un passage progressif du son de la gauche vers la droite. Avant d’entrer dans (j) et (k), un signal identique sort de (h) et prend une route de contournement vers (i), deux modules de réverbération.\r\n\r\n<center>[image:b342b36a-1f8c-49fe-a3d4-63794a2b5083]</center>\r\n\r\n**Figure 23. Formes d’onde approximatives illustrant l’effet de *panning* produits par les oscillateurs (j) et (k) dans l’algorithme “BDS4”.**\r\n\r\nÀ la fin de *Songes*, les trajectoires sonores deviennent de plus en plus complexes creusant un espace illusoire qui fait écho aux illusions de hauteur que Risset avait développées à travers ses recherches scientifiques et musicales [Risset, 1978a ; 1978b]. D’un monde réaliste à un monde totalement illusoire, tel est le voyage musical que propose l'écoute de *Songes*.\r\n\r\n### Conclusion\r\n\r\n*Songes* correspond à l’apogée de la première période compositionnelle de Risset qui s’étend de 1964 à 1979. Cette pièce résume à elle-seule l’ensemble les partis pris du compositeur à cette époque: son refus des technologies temps-réel, la reprise de codes écrits dans des pièces antérieures, la recherche d’effets psychoacoustiques liés à l’ambiguïté harmonie/timbre par l’usage de relations intervalliques génératrices de timbres, la création de simulacres de cloches et leur transformation en textures fluides, l’exploration des illusions d’espace de Chowning. Mais *Songes* est également initiatrice de la seconde période compositionnelle de Risset qui s’étend de 1980 à 1991 et durant laquelle le compositeur ne s’interdira pas d’utiliser des sons enregistrés pour concevoir de nouveaux mondes oniriques. Risset épouse la position du physiologiste Purkinje pour qui l’illusion est une erreur des sens mais aussi une vérité de la perception. L’illusion est omniprésente dans son œuvre musicale et scientifique mais elle s’inscrit dans *Songes* sans le truchement des technologies temps-réel comme le Disklavier couplé au logiciel Max que l’on retrouve dans sa troisième et dernière période compositionnelle qui s’étend de 1991 à 2016.\r\n\r\nL’accès aux codes informatiques est essentiel pour analyser des pièces comme *Songes* et entrer pleinement dans le processus de création de l'œuvre. L’émulation avec le langage Faust des objets synthétisés par Risset sert non seulement à rendre compte des processus compositionnels mais aussi à promouvoir l’accès aux opérations effectuées avec le langage Music V [Svidzinski et Bonardi, 2018]. Cette approche répond aux vœux de Risset qui a toujours œuvré pour une fertilisation croisée entre art, science et technologie.\r\n\r\n### Ressources\r\n\r\n#### Textes\r\n\r\n[Chion, 1988] – Michel Chion, “Les deux espaces de la musique concrète”, dans Francis Dhomont (éd.), *Lien – revue d’esthétique musicale*, “L’espace du son I”, Ohain : Éditions Musiques et Recherches, 1988, p. 31-33.\r\n\r\n[Chowning, 1971] – John Chowning, “The Simulation of Moving Sound Sources”, *Journal of Audio Engineering Society*, vol.10, 1971, p. 2-6. (Republié dans *Computer Music Journal*, vol.1 n°3, 1977, p. 48-52).\r\n\r\n[Di Scipio, 2000] – Agostino Di Scipio, “An analysis of Jean-Claude Risset’s *Contours*”, *Journal of New Music Research*, vol.29 n°1, 2000, p. 1-21.\r\n\r\n[Di Scipio, 2002] – Agostino Di Scipio, “A Story of emergence and Dissolution: Analytical Sketches of Jean-Claude Risset’s *Contours*”, dans Thomas Licata (éd.), *Electroacoustic Music Analytical Perspectives*, Westport : Greenwood Press, 2002, p. 151-186.\r\n\r\n[Guillot, 2008] – Mathieu Guillot, *Jean-Claude Risset : Du Songe au son*, Paris : L’Harmattan, 2008.\r\n\r\n[Koblyakov, 1984] – Lev Koblyakov, “Jean-Claude Risset : *Songes*, 1979”, *Contemporary Music Review*, vol.1 n°1, 1984, p. 183-185. (Traduit en français par Marie-Stella Pari et publié dans *L’Ircam, une pensée musicale*, Paris : Éditions des Archives Contemporaines, p. 183-185.\r\n\r\n[Lorrain, 1980] – Denis Lorrain, “*Inharmonique* : analyse de la bande magnétique de l’œuvre de J.-C. Risset”, *Rapport Ircam*, n°26, Paris – Centre Georges Pompidou, 1980 (en ligne : <http://articles.ircam.fr/textes/Lorrain80a/>).\r\n\r\n[Mathews, 1963] – Max Mathews, “The Digital Computer as a Musical instrument”, *Science – New Series*, vol.142 n°3592, 1963, p. 553-557. (Republié dans le livret du CD *Computer Music Currents 13 – The Historical CD of Digital Sound Synthesis*, Wergo 282 033-2, 1995).\r\n\r\n[Mathews, 1969] – Max Mathews (éd.), *The Technology of Computer Music*, Cambridge : M.I.T. Press, 1969.\r\n\r\n[Risset, 1966] – Jean-Claude Risset, *Computer Study of Trumpet Tones*, New Jersey : Prentice Hall / Englewood Cliffs, 1966.\r\n\r\n[Risset, 1969] – Jean-Claude Risset, *An Introductory Catalogue of Computer Synthesized Sounds*, New Jersey : Murray Hill, 1969. (Republié dans le livret du CD *Computer Music Currents 13 – The Historical CD of Digital Sound Synthesis*, Wergo WER 282 033-2, 1995).\r\n\r\n[Risset, 1978a] – Jean-Claude Risset, “Paradoxes de hauteur”, *Rapport Ircam*, n°10, 1978 (en ligne : <http://articles.ircam.fr/textes/Risset78a/index.html>).\r\n\r\n[Risset, 1978b] – Jean-Claude Risset, “Hauteur et timbre de sons”, *Rapport Ircam*, n°11, 1978 (en ligne : <http://articles.ircam.fr/textes/Risset78a/index.html>).\r\n\r\n[Risset, 1978c] – Notice de *Mirages* (en ligne : <https://brahms.ircam.fr/works/work/11500/#program>).\r\n\r\n[Risset, 1986] – Jean-Claude Risset, “Timbre et synthèse des sons”, *Analyse Musicale*, n°3, 1986, p. 9-20.\r\n\r\n[Risset, 1988] – Jean-Claude Risset, “Perception, environnement, musiques”, *InHarmoniques*, n°3 “Musique et perception”, Paris : Ircam / Christian Bourgois, 1988, p. 10-42.\r\n\r\n[Risset, 1989] – Jean-Claude Risset, “Paradoxical Sounds / Additive Synthesis of Inharmonic Tones”, dans Max Mathews et John Pierce (éd.), *Current Directions in Computer Music Research*, M.I.T. Press, 1989, p. 149-163.\r\n\r\n[Risset, 1990] – Jean-Claude Risset, “Composer le son : expériences avec l’ordinateur, 1964-1989”, *Contrechamps*, n°11, 1990, p. 107-126.\r\n\r\n[Risset, 1991] – Jean-Claude Risset, “Musique, recherche, théorie, espace, chaos”, *InHarmoniques*, n°8/9, 1991, p. 272-316.\r\n\r\n[Risset, 1996] – Jean-Claude Risset, “Realworld Sounds and Simulacra in my Computer Music”, *Contemporary Music Review*, vol.15 n°1-2, 1996, p. 29-48.\r\n\r\n[Risset, 2001] – Jean-Claude Risset, “Problèmes posés par l’analyse d’œuvres musicales dont la réalisation fait appel à l’informatique”, dans *Analyse et création musicale* (Actes du 3e Congrès européen d’analyse musicale, Montpellier, 1995), Paris : L’Harmattan, 2001, p. 131-160.\r\n\r\n[Risset *et al.*, 2002] – Jean-Claude Risset, Daniel Arfib, António de Sousa Dias, Denis Lorrain et Laurent Pottier. “De *Inharmonique* à *Resonant Sound Space* : temps réel et mise en espace”, Actes des 19e *Journées d’Informatique Musicale*, Marseille, 29-31 mai 2002 (en ligne : <http://jim.afim-asso.org/jim2002/articles/L10_Risset.pdf>).\r\n\r\n[Stroppa, 1984] – Marco Stroppa, “Sur l’analyse de la musique électronique”, dans *L’Ircam, une pensée musicale*, Paris : Éditions des Archives Contemporaines, 1984, p. 187-93. (Traduit en anglais : “The Analysis of Electronic Music”, *Contemporary Music Review*, vol.1 n°1 “Musical Thought at Ircam”, 1994, p. 175-180).\r\n\r\n[Svidzinski et Bonardi, 2018] – João Svidzinski et Alain Bonardi, “Héritage et appropriation analytiques de Jean-Claude Risset : un exemple de modélisation en langage Faust des codes Music V de *Songes* (1979)”, Résumé des *Rencontres internationales du Collegium Musicæ – Jean-Claude Risset Interdisciplinarités*, Paris : Ircam, 2018 (vidéo en ligne : <https://medias.ircam.fr/embed/media/x5f02f2>).\r\n\r\n[Svidzinski, 2018] – João Svidzinski, *Modélisation orientée objet-opératoire pour l’analyse et la composition du répertoire musical numérique*, Thèse de doctorat, Université Paris 8, 2018 (en ligne : <https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02045765>).\r\n\r\n[Rix, 2012] – Florence Rix, *Songes (1979) de Jean-Claude Risset – Analyse de la pièce et étude des techniques DSP*, Mémoire de Master I, Université Jean Monnet - Saint Etienne, juin 2012.\r\n\r\n[Wessel, 1978] – David Wessel, “Timbre Space as a Musical Control Structure”, *Rapport Ircam*, n°12, 1978 (en ligne : <http://articles.ircam.fr/textes/Wessel78a/>).\r\n\r\n[Veitl, 2010] – Anne Veitl, *Falling notes / La chute des notes*, Delatour : Sampzon, 2010.\r\n\r\n#### Archives\r\n[Arch. PRISM – Risset] – Fonds Jean-Claude Risset, Laboratoire PRISM (UMR 7061 – France). Le copyright s’applique aux documents numérisés par le laboratoire PRISM.\r\n\r\n#### Enregistrements audio\r\n\r\n[EA CD Ina/GRM, 1987] – Jean-Claude Risset, *Sud ; Dialogues ; Inharmonique; Mutations*, Ina C 1003, 1987]\r\n\r\n[EA CD Wergo, 1988] – Jean-Claude Risset, *Songes ; Passages ; Little Boy ; Sud*, Wergo WER 2013-50, 1988.\r\n\r\n[EA CD Wergo, 1995] – Jean-Claude Risset, *An introductory Catalogue of Computer Synthesized Sounds*, Wergo WER 2033-2, 1995.\r\n\r\n[EA Inédit Ina] – Jean-Claude Risset, *Songes* (version 4 pistes au format aiff, 44,1kHz, 16bit).\r\n\r\n#### Enregistrements vidéo\r\n\r\n[EV Risset, 2016] – Jean-Claude Risset, interview à l’occasion du Concert Multiphonies (Ina-GRM) du 24 janvier 2016 (en ligne : <https://www.youtube.com/watch?v=-pkTEdxKfRg>).\r\n\r\n[EV Dars et Papillault, 1999] – Jean-François Dars et Anne Papillault, *Jean-Claude Risset, médaille d’Or du CNRS 1999*, DVD CNRS (en ligne : <https://images.cnrs.fr/video/394>).\r\n\r\n### Remerciements et citations\r\nRemerciements à Jean-Claude Risset *in memoriam*, qui avait mis à notre disposition ses archives sur l’œuvre *Songes* avant son décès en 2016.\r\n\r\n**Pour citer cet article:**\r\n\r\nJoão Svidzinski et Vincent Tiffon, “Jean-Claude Risset – *Songes*”, *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2021. URL : https://brahms.ircam.fr/analyses/Songes/","2020-12-08T00:00:00.000Z","analyse-de-i-songes-i-(1979)-de-jean-claude-risset",{"getUrl":84},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/1f73ef6f-d734-4e8a-85b1-9ce54779efe8-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=cbe50fc551e8018f164f2a3c7b74f3cda0f6e0dd07a87dca569d02beae1d04ee",{"url":84,"isIcon":11,"alt":78,"centered":37},[87,90],{"firstName":88,"lastName":89},"Vincent","Tiffon",{"firstName":91,"lastName":92},"João","Svidzinski",{"title":94,"titleEn":95,"text":96,"textFr":96,"textEn":11,"date":97,"type":32,"slug":98,"authors":11,"toc":11,"image":99,"composer":11,"cardImage":101,"cardTitle":94,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":102},"Analyse de \u003Ci>Cassandre\u003C/i> (1993-1994) de Michael Jarrell","Analysis of \u003Ci>Cassandre\u003C/i> (1993-1994) by Michael Jarrell","### Introduction\r\n\r\n#### Présentation générale\r\n\r\nŒuvre sollicitée par la comédienne Marthe Keller, *[work:ad588405-4396-404b-96fe-caf915d5aa3d][Cassandre]* aborde le rapport de la musique avec un texte récité porteur d’une narration. [composer:503059fe-7c9b-47d1-8d5a-fb53f6f6efaa][Michael Jarrell] ne vise pas une simple musique d’accompagnement d’une prose bien articulée, mais dessine une véritable dramaturgie musicale qui s’entremêle avec la narration et l’expressivité particulière de la voix de comédienne. À cela s’ajoute l’idée d’une musique où les sons électroniques sont intégrés dans l’orchestre, non seulement du point de vue des timbres en association avec les instruments acoustiques, mais aussi au niveau du jeu instrumental. En effet, deux claviers Midi permettent soit de lire des échantillons stockés sur un ordinateur, soit d’activer et éventuellement transposer ces contenus à travers un [definition:54]. La flexibilité nécessaire au jeu de la comédienne (qui n’est pas un simple récitant ou narrateur) touche donc tous les niveaux de l’écriture de l’œuvre. A côté de cette recherche de fondu instrumental entre sources acoustiques et informatiques, l’électronique joue un rôle de premier plan pour des raisons dramaturgiques.\r\n\r\n#### Le texte\r\n\r\n_Cassandre_ a été composé à partir d’une adaptation du livre _Kassandra_ de l’écrivaine d’Allemagne de l’est Christa Wolf [Wolf, 1983]. Cette adaptation réalisée sous la forme d’un monologue par Gerhard Wolf a été traduite en français par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein. L’action se situe à Mycènes, après la guerre de Troie, alors que la divinatrice dans sa situation d’esclave est sur le point d’être exécutée. Cassandre avait prédit la catastrophe de Troie et ensuite l’assassinat du roi grec Agamemnon par sa femme Clytemnestre, non pas grâce à ses pouvoirs divinatoires, mais en lisant des faits qui se produisaient autour d’elle, sous les yeux de tout le monde, et que personne ne voulait vraiment voir. Cassandre dit à voix haute ce que personne ne veut entendre et elle est mise à l’écart, humiliée, également parce qu’elle est une femme dans une société patriarcale.\r\n\r\nDeux éléments traversent en filigrane le texte de Christa Wolf : la situation de la guerre froide vue du côté Est du mur de Berlin (la constante menace d’une guerre et les présages de la fin d’un régime), et la situation de la femme dans la société. Cassandre, au moment d’affronter la mort, regarde derrière elle, dans son passé. Elle y voit les signes de la préparation d’une guerre où le peuple sera perdant, et surtout elle se voit y assister dans l’impuissance : d’emblée considérée comme folle, elle est même soupçonnée de soutenir l’ennemi. Enfin, elle est condamnée à mort par les Grecs vainqueurs car les vérités qu’elle affirme font peur à tout le monde. Jarrell a attribué à Cassandre une voix parlée : le personnage ne peut ni chanter ni évoquer la musique. Déjà dans son “opéra de chambre” [_Dérives_](https://brahms.ircam.fr/works/work/9486/) (1980-1985) – où il revisitait le mythe de Don Juan –, Jarrell associait le personnage de D. J. à la voix parlée pour des raisons dramaturgiques.\r\n\r\n#### La voix\r\n\r\nLa comédienne dispose d’un grand degré de liberté quant à l’interprétation du texte, tant au niveau de la métrique que de la diction. La musique donne les directions générales des tensions, place des “décors” sonores, valorise, souligne les contenus de certaines phrases et de certaines paroles. Le rapport avec le contenu du texte est au cœur des attentions du compositeur. Il ne s’agit aucunement d’un travail sur le son de la voix parlée : les intentions de la récitation sont plus importantes que le potentiel sonore de chaque mot. À ce sujet, il est important de rappeler que l’œuvre prévoyait dès sa commande deux versions, une en français et l’autre en allemand (langues maîtrisées par Marthe Keller) et que depuis 2006, il existe aussi des versions en anglais, en espagnol, en finlandais et en italien. L’amplification de la voix n’a pas comme finalité d’ouvrir une palette d’effets vocaux, mais de mettre la comédienne à l’aise par rapport au son de l’ensemble instrumental.\r\n\r\n#### La technologie\r\n\r\nLe rôle de la technologie est d’enrichir le son orchestral par des sons échantillonnés. Certains sons électroniques sont issus d’enregistrements de percussions, d’autres du piano. Le compositeur cherche à obtenir une continuité sonore entre instruments acoustiques et électroniques et non pas un contraste entre ces deux univers. L’ensemble instrumental est lui aussi amplifié (18 microphones pour la prise de son) et diffusé dans les mêmes haut-parleurs que la voix et les sons échantillonnés. Cette homogénéité fait oublier la présence de la partie électronique pendant presque l’ensemble de la pièce. Il y a seulement deux moments où les sons de synthèse sont clairement identifiés en tant que tels : ces passages sont particulièrement significatifs au niveau de la dramaturgie.\r\n\r\nL’ensemble des sons pré-conçus, synthétisés et enregistrés par le compositeur et le Réalisateur en Informatique Musicale (RIM) Pierre Charvet sont, soit stockés sur un ordinateur et directement déclenchés tels quels, soit chargés dans un _sampler_ et joués suivant différentes transpositions. Aucun son n’est généré ou traité en [definition:11]. Jarrell et Charvet sont partis le plus souvent de sons enregistrés (gongs, tam tams, cymbales, verres, piano, harpe) qu’ils ont manipulés avec des logiciels de traitement sonore fréquemment utilisés pendant les années 1990 tels que Audiosculpt (via le moteur SVP), GRM Tools, SoundHack, et Modalys (qui s’appelait à l’époque Mosaïc). Aux traitements réalisés avec ces logiciels sur ordinateur s’ajoutent ceux issus de boîtiers hardware, comme par exemple les boîtiers de [definition:43] Lexicon (LXP 15 ou PCM70).\r\n\r\n#### Évolution du dispositif\r\n\r\nIl a été fait le choix d’une configuration simple, robuste et portable de l’électronique, pour que l’œuvre puisse être montée facilement. La partie d’informatique musicale n’utilise que des fichiers sonores pré-composés, joués sur deux dispositifs différents :\r\n\r\n* Un système _DirectToDisk_ permettant de déclencher les sons tels quels.\r\n\r\n* Un système de _sampler_ permettant de charger des sons en mémoire, de les jouer et de les transposer.\r\n\r\nAvant 2015, chaque système était piloté par son clavier Midi de 88 touches mais un seul claviériste était en charge de ces deux claviers, donnant ainsi une dimension instrumentale à l’informatique musicale. L’électronique faisait appel alors à deux dispositifs différents : 1 ordinateur Macintosh avec le logiciel Max pour déclencher les sons en _DirectToDisk_, et 1 _sampler_ Akai (modèle S5000 ou supérieur) pour la partie _sampling_ [Figure 1].\r\n\r\n[image:93800945-0cb8-4de4-98ae-346bdfaea9c3]\r\n\r\n**Figure 1\\. _Cassandre_, schéma du dispositif gérant la partie électronique [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\nDepuis la version de 2015, réalisée par le RIM Augustin Muller, ces systèmes sont programmés sous la forme de patchs Max exécutés sur un même ordinateur Macintosh [Figures 2 et 3].\r\n\r\n[image:9c1f9f04-cdf4-4e4b-a88a-3bef41c1941e]\r\n\r\n**Figure 2\\. _Cassandre_, copie d’écran du patch Max gérant le *Direct-to-disk* dans la version “Genève 2015” [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\n[image:91c882ce-ce3e-403c-b00b-ed8f617800bb]\r\n\r\n**Figure 3\\. _Cassandre_, copie d’écran du patch Max gérant le _sampler_ dans la version “Genève 2015” [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\n### Analyse\r\n\r\n#### Articulation formelle\r\n\r\nL’œuvre articule une série de séquences narratives, sortes de tableaux représentant des souvenirs recomposés par Cassandre juste avant d’être mise à mort par les Grecs. Le terme “séquence” – emprunté au langage cinématographique – nous semble adéquat car il représente bien l’idée d’une succession d’images reconstruites par la mémoire de la narratrice, auxquelles Jarrell donne corps avec des situations musicales bien caractérisées à chaque séquence. La forme du texte suggère donc la forme musicale. Le tableau ci-dessous [Figure 4] résume l’articulation de l’œuvre suivant son découpage en séquences (première colonne) ; le sujet exposé (deuxième colonne) ; les annotations textuelles et musicales marquantes (troisième colonne) ; temps de la narration (quatrième colonne).\r\n\r\n[image:e527430d-968f-46b6-b5d3-2de3b7355d80]\r\n\r\n**Figure 4\\. Articulation formelle de l’œuvre.**\r\n\r\nOn peut observer que les trois interludes orchestraux marquent des repères formels de la narration. En effet, le premier et le troisième interlude entourent la partie consacrée à la narration de la guerre, à “l’action” proprement dite à l’intérieur des souvenirs évoqués par Cassandre. D’abord les causes de la guerre, avec les mensonges autour du rapt d’Hélène (qui en réalité a été capturée par le roi d’Égypte), pour inciter le peuple de Troie à prendre les armes contre les Grecs. Ensuite, le deuxième interlude marque le moment de l’entrée en guerre (introduite par la discussion de Cassandre avec son père Priam sur les vrais motifs qui ont mené au conflit). Et puis le conflit lui-même, avec la mort de son frère Troïlos tué par Achille, puis le piège pour éliminer ce dernier avec comme appât Polyxène – la sœur de Cassandre – et, enfin, l’épisode conclusif du Cheval de Troie. Avant et après, les souvenirs se concentrent sur l’univers intime de Cassandre : ses rapports avec Priam et Hécube, comment et pourquoi elle est devenue divinatrice au temple d’Apollon, l’amour avec Enée, ses émotions et ses peurs. La narration accomplit donc une sorte de boucle en arrivant au point de départ, au présent, à Cassandre face à la mort. Les sons de synthèse jouent pleinement leur rôle sémantique de sons “non-instrumentaux” uniquement dans quelques passages placés hors du temps narratif (des moments de suspension ou des apartés atemporels).\r\n\r\n#### Séquence 1\\. “Apollon crache dans ta bouche”\r\n\r\nL’œuvre s’ouvre et s’achève avec la même phrase : “Apollon te crache dans la bouche, cela signifie que tu as le don de prédire l’avenir. Mais personne ne te croira” [Média 1]. Une phrase qui présente en même temps à l’auditeur le pouvoir attribué à Cassandre et le malheur lié à ce pouvoir : une sorte d’exergue à la narration qui, au moment de sa réitération à la fin du récit, se transforme en écho d’une destinée inexorable. Un destin figé, déjà écrit, hors du temps, dans le respect de caractéristiques de la tragédie grecque. À chaque reprise Jarrell respecte ce caractère d’étrangeté au temps du récit et ceci par le biais du son électronique. L’œuvre s’ouvre par un coup de tam-tams et de cloches-plaques superposés à l’accord _si b_1 – _ré_1 – _fa_1 – _fa_ #1 – _la b_1 – _la_1 joué par la contrebasse, le violoncelle, le piano, le trombone, les deux cors et le clavier. Reste en écho, une pédale constituée sur la superposition du _la_ – _la b_ à la contrebasse, violoncelle, clarinette et, surtout aux sons échantillonnés du clavier. Ces derniers – enrichis par les cymbales sur la note _sol_1 – sont de fait prédominants à la deuxième mesure, au moment où la phrase est récitée par la comédienne. L’effet obtenu est celui d’un son grave et instable [Médias 2 et 3].\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x1eafb4\" width=\"600\" height=\"800\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 1\\. Extrait de _Cassandre_, m.01-03 [© Part. Lemoine, 1993 / EA CD Kairos / Ircam, 2009].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x2b8ff0\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 2\\. Son “GGRILLC2” utilisé par le _sampler_ lors des 3 premières mesures de la partition. Ce son synthétique a été produit par le logiciel de** [definition:44] **Modalys sur la base de la modélisation d’une très grande plaque métallique [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb6b951\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 3\\. Le son “1s.wav” utilisé par le _DirectToDisk_ provient de divers enregistrements de Gongs et Tam tams sur lesquels sont appliquées plusieurs couches de traitements : un filtrage évolutif avec le logiciel Audiosculpt pour creuser le spectre ; puis du time stretching et enfin de la réverbération [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\nA l’autre bout de la partition, en conclusion de l’œuvre, la phrase “Apollon te crache dans ta bouche” est répétée en boucle par des voix d’hommes enregistrées jusqu’à disparaître, accompagnées par les résonances des tam-tams : comme si la narration restait figée sur un point de suspension [Média 4].\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x58ed41\" width=\"600\" height=\"800\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 4\\. Extrait de _Cassandre_, m.751 [© Part. Lemoine, 1993 / EA CD Kairos / Ircam, 2009].**\r\n\r\n#### Séquence 5\\. “Quand je remonte aujourd’hui le fil de ma vie” (voix et sons de synthèse)\r\n\r\nIl y a un seul passage où l’électronique accompagne la voix en solo, dans la séquence 5 à la fin de la première partie qui introduit à l’univers de Cassandre, juste avant le premier Interlude (m. 208-209). Cassandre traverse le temps dans son esprit : “Quand je remonte aujourd’hui le fil de ma vie : je passe la guerre, un bloc noir : lentement je parviens jusqu’aux années qui ont précédé la guerre : ce temps où j’étais prêtresse, un bloc blanc plus encore : la fillette – là je m’arrête à ce mot, la fillette et combien plus encore à sa forme. A cette image.” Cette traversée du temps possède un côté presque concret (l’idée des “blocs”) et symbolique (“un bloc noir”, la guerre; “un bloc blanc” la jeunesse), et ramène l’auditeur à l’image d’une Cassandre fillette, à l’âge où elle prétend avoir rêvé d’Apollon. C’est-à-dire au début de l’histoire. Et le concept d’image fait le lien avec celui de mort : “Les mots meurent avant les images.” Après une petite pause: “Peur de la mort. Comment ce sera. La faiblesse devient-elle toute puissante. Le corps va-t-il dicter sa loi à ma pensée. Je veux demeurer consciente, jusqu’au dernier moment (...)” Avant de plonger définitivement dans ses souvenirs, elle touche alors à l’idée de la mort imminente qui habite le présent de son esprit. Une idée qui d’un point de vue musical se lie tout naturellement à la présence du son électronique, à son potentiel d’abstraction, car elle se situe en dehors du déploiement du temps : la narration n’est au fond rien d’autre qu’un détournement d’une fin inéluctable. Ensuite, sur un silence rompu seulement par quelques accords, il y a l’évocation de l’entretien avec Panthoos, avec la reprise du rêve d’Apollon.\r\n\r\nLes sons de synthèse de la mesure 209 sont une ligne de notes tenues qui traverse l’espace de plusieurs registres [Médias 5 et 6]. Elles sont déclenchées sur le _DirectToDisk_ mais le _sampler_ n’est pas utilisé aux mesures 209 et 209a. On remarque la présence de couples de sons espacés par une septième majeure ou une octave diminuée. Il s’agit donc d’un retournement des demi-tons du [début](https://brahms.ircam.fr/analyses/Cassandre/#sequence-146-apollon-crache-dans-ta-bouche). Grâce à cet espacement du matériau harmonique et à un développement non confiné au registre grave, l’effet est celui d’un son plus clair, plus “lisible” qu’en ouverture de l’œuvre. Enfin, il y a une identification plus nette du timbre en tant que son de synthèse. Même la dissolution progressive de cet aparté électronique – en partant d’une seconde majeur (_si_ – _do #_) écartée dans les registres extrêmes – accroît cette perception d’un son épuré et “hors du temps”.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xfebd5e\" width=\"600\" height=\"450\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 5\\. Extrait de _Cassandre_, m.208-209a [© Part. Lemoine, 1993 / EA CD Kairos / Ircam, 2009].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x1c2631\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 6\\. Le son “TTPART-corr2-LF”, joué par le _DirectToDisk_, est composé de deux parties distinctes. Les 20 premières secondes proposent des traitements (filtrage, time stretching, réverbération) d’enregistrements de gongs et tam-tams comme pour le son “1s.wav” auxquels s’ajoute un son de synthèse additive. Puis les 2’10’’ qui suivent proviennent de sons de piano enregistrés en studio à l’Ircam et traités avec du time stretching et de la réverbération infinie [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\n#### Séquence 11\\. “C’était une journée pareille à celle-ci” (électronique et verres à vin)\r\n\r\nCassandre découvre qu’Hélène n’est pas leur prisonnière et – après une discussion sur les véritables raisons du conflit – Priam l’oblige au silence (“Celui qui maintenant n’est pas avec nous travaille contre nous”, m. 511-512). Toute cette section [Média 7] voit l’affirmation progressive des sons de synthèse associés au son délicat de verres à vin joués par différentes instrumentistes de l’ensemble (m. 498-522). Le contexte harmonique est encore celui de superpositions d’octaves diminuées ou de septièmes majeures. Dans cette atmosphère délicate et “irréelle” (les verres à vin ne sont pas une source sonore identifiable par l’auditeur), se déroule le dialogue de Cassandre avec son père, qui est en effet le dernier appel à la raison avant la guerre et la succession des batailles. Cassandre, encore sur les vestiges de cette atmosphère introduit la description de la première bataille (“la guerre commença... Quand la flotte grecque se dressa contre l’horizon, un spectacle atroce”, m.517-519). Les sons échantillonnés – enrichis jusqu’à la mesure 501 des trilles des violons, flûte et clarinette – se “stabilisent” graduellement sur des sons fixes. Et l’annonce du début de la guerre se fait sur une harmonie tenue qui se construit à partir du _mi b_3 d’un son échantillonné (m. 515). En d’autres termes, d’une part nous avons encore une suspension du temps, comme un dernier et intime appel de Cassandre avant la catastrophe, et d’autre part la même atmosphère sonore qui se transforme légèrement pour accompagner l’annonce du début de l’horreur et de la destruction.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6b6413\" width=\"600\" height=\"800\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 7\\. Extrait de _Cassandre_, m.495-523 [© Part. Lemoine, 1993 / EA CD Kairos / Ircam, 2009].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x19628e\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 8\\. Dans ce fichier joué par le _DirectToDisk_ se superposent plusieurs couches successives de traitements sur divers échantillons (sons d’orchestre, de cymbale, de verre ou cristal frotté). Bien souvent, ces échantillons sont plus ou moins creusés, c’est-à-dire filtrés spectralement avec le logiciel Audiosculpt, étirés temporellement avec Audiosculpt ou SoundHack, réverbérés, encore filtrés avec SVP et ensuite passés dans l’outil Shuffle des GRM Tools (on reconnaît le rendu saccadé typique de cet outil) avant d’être réverbérés à nouveau [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\n### L’articulation musicale autour du récit\r\n\r\n#### Espace-temps: jeux d’abstraction\r\n\r\nLe rapport espace-temps à l’intérieur du récit est géré par le narrateur (auteur du récit), selon sa volonté de souligner telle chose particulière ou d’en survoler une autre. Le décor est celui qui se dessine dans l’imaginaire de l’auditeur, donc lié à la suggestion et donc, encore une fois, à l’art de la susciter par celui qui raconte. La représentation de l’espace et du temps reste alors un jeu qui se déroule dans le domaine de l’abstraction. Le narrateur, qui exprime la voix intérieure de Cassandre, peut oublier les éléments qui constituent le réel pour en retenir seulement quelques traits, des sensations, des couleurs et des images. La scène n’est donc pas celle du théâtre, avec sa profondeur, mais celle construite autour du récit. Cela explique le choix de fusionner toutes les sources sonores vers les deux canaux des haut-parleurs : voix amplifiée, sons échantillonnés, instruments amplifiés.\r\n\r\nIl n’y a pas besoin d’un espace physique de la représentation, ni d’évocations descriptives qui ramèneraient à la réalité des situations évoquées, mais seulement de “couleurs” et de rythmes qui suggèrent des climats, des états psychologiques, des successions temporelles. C’est dans cet esprit que dans la plupart des situations les sons de synthèses fusionnent dans l’écriture instrumentale, en élargissant ainsi considérablement ses possibilités expressives. Par exemple, à la mesure 119 [Média 9], l’accompagnement de la réflexion de Cassandre sur le fait que l’annonce d’un événement est plus déstabilisante que le fait lui-même, se construit sur des harmonies tenues (en trémolo) par les cordes et des sons enregistrés sur disque [Média 10], ainsi que des gestes articulés par les percussions, le célesta, le piano et le clavier. Des gestes “réguliers”, sur les temps forts des mesures, reconnaissables mais toujours différentes, en transformation. Une situation sonore qui ne commente pas la narration par le biais des thèmes ou des motifs musicaux, mais qui donne des “couleurs” et rythme le récit. La narration est ainsi rendue plus efficace.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4fb184\" width=\"600\" height=\"800\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 9\\. Extrait de _Cassandre_, m.119-122 [© Part. Lemoine, 1993 / EA CD Kairos / Ircam, 2009].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x932d8d\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 10\\. Son de synthèse croisée entre un son de harpe et de cymbale, réalisée avec le logiciel Audiosculpt et jouée au _sampler_ [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\n#### Le récit et son “aura”\r\n\r\nSi la couleur des sons de synthèse mène hors du temps narratif, l’enrichissement du son orchestral par des sons échantillonnés possède aussi une dimension symbolique à l’intérieur de la dramaturgie car ils sont toujours associés au déroulement du récit telle une “aura”. L’orchestre joue sans électronique pendant les deux premiers interludes durant lesquels Cassandre reste totalement silencieuse. Le troisième interlude fait naturellement exception : très court, il suit la fin de la description sans voile de la dernière bataille (épisode du cheval de Troie), pour introduire, comme une sorte de coda narrative, le souvenir du dernier rendez-vous avec Enée. Il s’agit alors d’une atmosphère soudainement statique, faite de petits sons isolés, presque des résidus des véritables gestes musicaux, comme si rien de plus n’était possible après la violence destructrice de la guerre.\r\n\r\nLes harmonies tenues sont encore une fois construites sur des secondes mineures éclatées dans les registres (par exemple aux m. 713-714: _si_ – _si b_ – _la_ distribués sur cinq octaves aux claviers, piano et les sons enregistrés sur disque, _si_ – _si b_ – _do_ sur trois octaves aux cordes, _ré_ – _mi b_ aux instruments à vents). Le tout dans la sonorité du pianissimo. Dans l’ensemble de ce passage, les sons échantillonnés enregistrés sur disque jouent les noyaux de ces harmonies dans le registre grave (_la_ – _si_, m. 713-15 ; _la_ – _do_, m. 716-18 ; _la_ – _mi_, m. 719-21 ; _do_ – _mi_, m. 722-24) ; “coloriées” par les cordes et les instruments à vent. Par contre, les petites “ponctuations”, les “résidus” des gestes musicaux, sont confiés aux percussions et au clavier [Média 11]. De fait, cet interlude apparaît comme une transition nécessaire au récit et non pas une véritable pause comme les précédents. Son rôle n’est pas celui de crée une coupure, mais de nourrir le mécanisme narratif en suggérant un état psychologique, autrement dit, d’alimenter son “aura”.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x2c402a\" width=\"600\" height=\"800\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 11\\. Extrait de _Cassandre_, m. 718-725 [© Part. Lemoine, 1993 / EA CD Kairos / Ircam, 2009]<span style=\"font-size:11.0pt\"><span style=\"font-family:\"Times New Roman\"\">].</span></span>**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x62844a\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 12\\. Échantillon de harpe joué au _sampler_ dans ce même passage [Arch. Ircam – Sidney].**\r\n\r\n#### Silences, paroles et récit\r\n\r\nDans _Cassandre_, les mots sont pleinement des gestes sémantiques : la seule modulation possible est celle de la récitation, de l’intonation due à l’interprétation de la phrase. De ce point de vue Jarrell travaille le texte en profondeur. Cela se voit surtout dans la gestion des silences. Déjà “des silences” et non pas “du silence”. En effet, on trouve plusieurs typologies de silence dans _Cassandre_, d’un point de vue de la fonction dramaturgique et de la facture “musicale”. En effet, outre les silences verbaux des interludes, il y a les silences qui marquent les séparations entre les séquences de la partition, comme aux mesures 90, 118, 196, 207, 255, 444, 454, 612-613, 628, 726 et 750\\. Dans certains cas, la voix se tait, avec un simple son tenu en arrière fond, comme aux mesures 296, 421, 522 et 668\\. Parfois, ces silences sont brisés par la voix qui introduit le personnage au centre de la séquence (“Polyxène, ma sœur...” m. 257, “Oui, Pâris”, m. 296), un événement la caractérisant (“Enée vint à la nouvelle lune”, m. 612) ou met en valeur un concept, une idée centrale.\r\n\r\nEn ce qui concerne ce dernier cas de figure, il y a nombreux exemples. Dans la séquence 8 – consacrée au banquet de la veille du départ de Ménélas (où entre “sur scène” Pâris) – les silences jouent un rôle central dans l’articulation du sens [Média 13]. En effet, ici Jarrell compose un “panneau” rythmique (qui concerne l’ensemble des instruments et l’échantillonneur), comme un _ostinato_ sur la narration de plus en plus serrée de Cassandre. Dans ce contexte il y a des arrêts soudains, des silences de quelques secondes avant que l’_ostinato_ reprenne où il s’était arrêté. Le premier arrêt est à la mesure 312\\. Ce silence suit la phrase “Depuis qu’ils l’avaient entouré d’un réseau de sécurité. Un mot nouveau.” Quelques mesures plus tard (m. 327) restent seulement les maracas en _ppp_ sur le deuxième arrêt, cette fois plus long (6-7 s), pour accompagner la phrase : “Aucun de nous, aucune prophétesse, aucun augure n’eut ce soir-là l’ombre d’un pressentiment”. Le troisième arrêt, suit la phrase “Ménélas répondait poliment au fils de son hôte, jusqu’au moment où les questions se firent si insolentes qu’Hécube se laissant emporter par une colère inhabituelle intima à son fils l’ordre de se taire”. Ce moment de suspension présente la particularité de garder – en trémolo dans le _ppp_ – la flûte, la clarinette et un cor : une “couleur” sur laquelle la voix prononce “Un silence de mort s’installa dans la salle” avant la reprise de l’_ostinato_.\r\n\r\nDans cette séquence Jarrell crée une sorte de _crescendo_ d’attention sur les petits éléments qui ont permis à Cassandre d’imaginer ce qui était en train de se préparer bien que personne n’ait eu “l’ombre d’un pressentiment”. _Crescendo_ qui a été aussi construit par des paroles (encadrée dans la partition) soulignées grâce à des petits gestes musicaux aux percussions : c’est le cas lorsqu’elle nomme Eumélos, le membre du conseil de la garde de la sécurité du roi (“Eumélos” m. 304 et 318 ; “qui est cet Eumélos ?” m. 305) ; du mot “espion” (m. 309) ; “ennemi” (m. 310) ; “moi” (m. 131), qui rappelle le fait qu’elle aussi était victime du climat de suspicion ; “cheval” (m. 324), évocateur de l’épisode qui mettra fin à la guerre ; “l’ombre” (m. 326); ou encore “taire” (m. 336), ce que l’on demandera constamment à Cassandre. À l’arrivée il y a donc l’image du silence, “silence de mort”, associé à l’arrêt de la pulsation, donc de la vie, qui annonce la fin de la ville de Troie et de Cassandre. De fait, dans ce passage il y a le noyau de l’œuvre, sa dynamique tragique, avec la mort comme point d’arrivée. C’est aussi une démonstration de comment Cassandre “voit” l’avenir : tout est déjà dans le discours et les paroles des Troyens. C’est une question de déchiffrage, comme celui que Jarrell propose à l’auditeur avec ces petits signaux associés à certains mots, certaines phrases. D’un point de vue plus technique, ce passage montre donc très bien la nature du rapport qui lie la parole à la musique dans la construction de la narration : les silences, les gestes et les arrières fonds musicaux permettent une analyse du texte, une lecture entre les lignes du soliloque.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8d9e29\" width=\"600\" height=\"800\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 13\\. Extrait de _Cassandre_, m. 297-338 [© Part. Lemoine, 1993 ; © EA CD Kairos / Ircam, 2009]. Dans cet extrait, apparaissent de petites différences entre la partition et l’enregistrement utilisé, plus récent : le compositeur a procédé à quelques adaptations du texte et de la partition, non encore édités.**\r\n\r\nLe fait que le troisième silence soit un point culminant est confirmé également par le caractère descriptif de l’interruption suivante de l’_ostinato_ (m. 345), c’est-à-dire le quatrième silence : elle suit l'évocation d'une phrase de Pâris, où ce dernier fait allusion, et sans gêne, à ses desseins sur Hélène. En effet, ce silence incarne bien la gêne des présents : “Jamais auparavant un pareil silence n’avait régné au palais de Troie.” La symbolique est désormais installée, l’image intrinsèque au silence est claire. Suit la prédiction de Cassandre qui est prise pour folle : le “panneau rythmique” se dissout graduellement jusqu’à l’aparté de Cassandre où elle se demande comment et quand “commence l’avant-guerre” (m. 381-389). Un aparté où la voix est laissée presque seule (des sons de percussions, tremolo et quelques sons pizzicato aux cordes, trois sons de l’échantillonneur). Une véritable parenthèse, car le “panneau rythmique” recommence [Média 14] avec la narration du retour de Pâris avec la fausse Hélène présentée au peuple : l’acte qui va déclencher la guerre est ainsi lié aux signes prémonitoires par le même contexte musical.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa60fd6\" width=\"600\" height=\"800\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 14\\. Extrait de _Cassandre_, m. 391-394 [© Part. Lemoine, 1993 / EA CD Kairos / Ircam, 2009].**\r\n\r\n### Conclusion\r\n\r\nDans _Cassandre_, la musique s’approprie la rhétorique du récit en déterminant des rapports actes-conséquences, des rappels continuels d’images pendant toute l’œuvre (la mort, le cheval de Troie, l’amour, etc.), des parenthèses hors du temps narratif qui, lui, se balance entre le présent et le passé. Le compositeur parvient à créer un univers musical et sonore raffiné et cohérent, où voix, instruments et sons électroniques donnent vie d’un seul geste à l’imaginaire implicite dans la narration, ses expressions et ses émotions. Il n’y a pas de technologie qui s’affirme pour elle-même, mais une technologie qui s’intègre dans une écriture musicale qui vise à l’intimité d’une écriture littéraire. Cassandre n’est donc pas simplement un texte avec l’accompagnement d’une musique, mais bien une œuvre de dramaturgie musicale à plein titre malgré l’absence de la voix chantée.\r\n\r\n### Ressources\r\n\r\n#### Textes\r\n\r\n[Wolf, 1998] – Christa Wolf, _Cassandre_, traduction française d’Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, Paris : Éditions Stock, 1998\\. Publication originale en allemand : _Kassandra. Erzählung und voraussetzungen einer erzählung: Kassandra_, Hamburg : Luchterhand Literaturverlag, 1983.\r\n\r\n#### Archives\r\n\r\n[Arch. Ircam – Sidney] – Technical Documentation Server for Ircam Musical Works. Les sons électroniques proviennent du dépôt de la version “Genève 2015” effectué par le RIM Augustin Muller dans la base [Sidney de l’Ircam](https://brahms.ircam.fr/sidney/work/61/).\r\n\r\n#### Partition\r\n\r\n[Part. Lemoine, 1993] – Michael Jarrell, *Cassandre*, Henry Lemoine, 26125, 1993.\r\nLes extraits de partition sont reproduits avec l’aimable autorisation des éditions Henry Lemoine.\r\n\r\n#### Enregistrement audio\r\n\r\n[EA CD Kairos / Ircam, 2009] – Michael Jarrell, _Cassandre_\r\nAstrid Bas (comédienne), Ensemble InterContemporain / Susanna Mälkki (direction)\r\nKairos / Ircam, 12912, 2009.\r\nTous les extraits sonores de l'œuvre proviennent de ce CD. Ils sont reproduits avec l’aimable autorisation de paladino media gmbh, Vienne, Autriche. Toute reproduction, publication, distribution ultérieure ou diffusion publique de cet enregistrement, intégralement ou en partie, est strictement interdite (Music samples licensed by paladino media gmbh, Vienna, Austria. Any reproduction, publication of this recording, in whole or in part, is strictly prohibited).\r\n\r\n### Remerciements et citation\r\n\r\nJe tiens à remercier chaleureusement Pierre Charvet, RIM lors de la création de Cassandre, pour son aide dans l’investigation des sons électroniques de l’œuvre.\r\n\r\n**Pour citer cet article:**\r\n\r\nGiordano Ferrari, “Michael Jarrell – *Cassandre*”, *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2020. URL : https://brahms.ircam.fr/analyses/Cassandre/.","2019-07-09T00:00:00.000Z","analyse-de-i-cassandre-i-(1993-1994)-de-michael-jarrell",{"getUrl":100},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/5aea937e-3e96-413b-8895-efe70b8976a6-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=65b27b0b86840df51f9adf62adc78ee8a13563432bbec9f66fd1d7551b022c50",{"url":100,"isIcon":11,"alt":94,"centered":37},[103],{"firstName":104,"lastName":105},"Giordano","Ferrari",{"title":107,"titleEn":108,"text":109,"textFr":110,"textEn":111,"date":97,"type":32,"slug":112,"authors":11,"toc":11,"image":113,"composer":11,"cardImage":115,"cardTitle":107,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":116},"Analyse de \u003Ci>EnTrance\u003C/i> (1995) de Fausto Romitelli","Analysis of \u003Ci>EnTrance\u003C/i> (1995) by Fausto Romitelli","### Introduction\r\n\r\n#### Résumé\r\n\r\n[composer:47aea9e5-4a17-4427-98c4-8ef1f2adf6da][Fausto Romitelli] est un compositeur à part de sa génération, qui a su développer un langage musical sophistiqué d’inspiration spectrale, intégrant le son et l’énergie des musiques populaires (rock, rock progressif) aux possibilités expressives et timbrales des instruments électriques et des techniques de synthèse sonore. Réalisée à l’Ircam en 1995, [work:46524693-52d3-4efd-8dd2-7a02a2bd1751][EnTrance] est écrite pour soprano, ensemble et électronique et a été créée le 26 janvier 1996 à l’Espace de projection de l’Ircam par Françoise Kubler et l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Ed Spanjaard. Dans cette analyse, nous souhaitons mettre en évidence le *modus operandi* de Fausto Romitelli en nous appuyant notamment sur l’étude des avant-textes (croquis, esquisses de composition) et des patchs informatiques utilisés pour la synthèse sonore ou comme aide à la composition. Ce travail a été réalisé à partir de sources hétérogènes conservées à la *Fondazione Giorgio Cini - Istituto per la musica* de Venise [Arch. Fondation Cini], dans les archives Ricordi de Milan, de l’Ircam [Arch. Ircam] et de Laurent Pottier [Arch. Pottier], le Réalisateur en Informatique Musical (RIM) qui avait travaillé avec le compositeur pour la partie électronique de cette œuvre.\r\n\r\n#### Contexte\r\n\r\nDans les années 1980 et 1990, une partie des recherches effectuées à l’Ircam portait sur la Composition Assistée par Ordinateur (CAO). Divers langages de programmation et systèmes pour le contrôle de la synthèse sonore y ont été développés afin d’offrir aux compositeurs des outils et des environnements propices à l’expérimentation d’une nouvelle organologie, élargissant ainsi les frontières de l’écriture musicale.\r\n\r\nConfronté au monde de la synthèse sonore numérique et à son contrôle informatique, Romitelli a développé une approche personnelle du timbre dans le cadre d’un débat qui dans ces années animait la scène musicale européenne [Boulez, 1987 ; Barrière, 1991]. Dans les œuvres qu’il a composées durant cette période (1990-1996), on observe une influence indéniable des théories spectrales, notamment celles de [composer:79dc57c6-52c1-4e38-9f96-f4bbe8d2d331][Tristan Murail], qui semblent créer un pont entre le spectralisme processuel théorisé par [composer:de82cc8f-5a38-4f47-95b4-868f2621f4d1][Gérard Grisey] et le spectralisme fonctionnel [Orcalli, 2013]. Grâce aux nouvelles formes d’écriture et de représentation du son, ainsi qu’à l’opportunité offerte par l’informatique d’extraire par analyse les paramètres des phénomènes acoustiques, il est devenu possible aux compositeurs de traiter les spectres non seulement dans leur dimension qualitative, mais aussi selon une perspective paramétrique discrète. Romitelli a donc rassemblé des règles combinatoires, issues de ses études avec [composer:9b064dcc-0a7f-4b0d-a94d-4acd978608df][Franco Donatoni], et des techniques spectrales proposées par les compositeurs du collectif L’Itinéraire.\r\n\r\nRomitelli a suivi le cursus de Composition et d’Informatique musicale de l’Ircam (1990-1991) lors duquel il a appris les bases de la programmation informatique et s’est intéressé à la création de sons de synthèse par ordinateur. Il a ensuite bénéficié d’une bourse pour collaborer, comme compositeur en recherche (1993-1995), avec l’équipe Représentations musicales de l’Ircam autour des utilisations du programme PatchWork. À cette occasion, il a formalisé – et mis en pratique dans la plupart de ses œuvres – une réflexion sur les rapports pouvant exister entre les outils utilisés par les linguistes et ceux des compositeurs. Cette collaboration a débouché en 1995 sur une commande de l’Ircam qui s’est concrétisée par une résidence dans les studios du centre pendant six mois – de juillet 1995 jusqu’à janvier 1996 – où il travailla avec Pottier pour la réalisation de la partie électronique de l’œuvre [Olto, 2017a ; Pottier, 2001].\r\n\r\nPendant ses séjours à l’Ircam, Romitelli a mis au point des outils logiciels qui lui ont permis de construire des espaces de timbre établissant des relations entre les divers agrégats et spectres:\r\n\r\n> À partir des paramètres fixés de l’un ou de l’autre type, le système construit un réseau de contraintes qu’il cherche à résoudre en produisant tous les objets compatibles (*i.e.* moments spectraux contenant les bons intervalles). Une interface PatchWork permet de diriger les solutions vers une représentation en notation musicale ou vers la génération de script de synthèse pour Csound.\r\n[Romitelli, 1993, p. 46]\r\n\r\n_EnTrance_ est le résultat le plus significatif de ses recherches durant cette période.\r\n\r\n#### Influence des musiques pop-rock\r\n\r\nRomitelli est un des très rares compositeurs à avoir voulu et réussi le renouvellement du langage et celui des timbres, en s’inspirant notamment des expérimentations effectuées dans le domaine du rock, du rock progressif et de la techno.\r\n\r\n> Ce qui m’intéresse depuis toujours dans la musique rock, et aujourd’hui dans la techno, c’est le traitement de la matière sonore. Prenons par exemple le cas de Jimi Hendrix : son intérêt était uniquement dans le traitement de la matière, mais il était énorme. Dans sa musique, on entend une modulation de l’épaisseur, du grain, de l’espace du son qui était bien sûr intuitif mais néanmoins toujours très subtil, inventif, énergétique […] Mais mon intérêt pour le rock n’est qu’un versant d’un intérêt plus général pour la synthèse, la fusion instrumentale, et plus généralement l’idée de créer des sons très granuleux, très distordus, de faire naître un matériau musical tellurique, violent. J’ai ressenti depuis longtemps cette corrélation très forte entre le rock et les domaines d’intérêt du spectralisme.\r\n[Romitelli, 2001b, p. 76]\r\n\r\nLes instruments électroniques et notamment la guitare, avec tout son arsenal de dispositifs de traitements, permettent de produire des sons saturés, sur des bandes de fréquences extrêmement denses, qui par le biais de l’amplification produisent une énergie inouïe. L’informatique permet quant à elle de dompter, contrôler et maîtriser cette énergie pour expérimenter et intégrer ces sons nouveaux à la composition.\r\n\r\n> Si nous voulons éviter la sécheresse académique, nous devons réfléchir à trois cent soixante degrés sur l’univers qui nous entoure et intégrer dans l’écriture des sollicitations provenant de mondes sonores différents. En dehors tant de ‘l’avant-garde’ que des circuits commerciaux, il existe un univers de l’expérimentation musicale qui, depuis les années soixante jusqu’à nos jours, dans le domaine du rock ou de la techno, a essayé avec acharnement, mais sans dogmes, de nouvelles solutions sonores, réussissant parfois à conjuguer la recherche sur le son et sur la modulation du bruit et un grand impact perceptif. La révolution musicale des prochaines années ne viendra peut-être pas de la musique écrite et des compositeurs cultivés, mais de la foule anonyme des jeunes, qui possèdent aujourd’hui un ordinateur avec lequel ils échantillonnent et traitent des sons: justement parce qu’ils n’ont pas de prétentions artistiques, qu’ils développent un nouveau savoir artisanal, une nouvelle sensibilité et peut-être, demain, une nouvelle musique.\r\n[Romitelli, 2001a, p. 133]\r\n\r\n> Aujourd’hui, une musique doit être violente et énigmatique, car elle ne peut que refléter la violence de l’aliénation massive et du processus de normalisation qui nous entoure.\r\n[Romitelli, 2001b, p. 74]\r\n\r\nDans la plupart des œuvres de Romitelli, on trouve des mélanges de timbres, comportant les sons des instruments de l’orchestre et les sons des instruments électriques, électroniques, ainsi que des sons produits par synthèse. Il n’a par contre jamais été particulièrement intéressé par les sons concrets, sinon comme une matière à modeler, à la base de la synthèse.\r\n\r\n### Présentation de l'œuvre\r\n\r\n#### Instrumentation\r\n\r\n_EnTrance_ est une œuvre mixte dans laquelle les différents instruments acoustiques de l’ensemble sont complétés par des appareils électroniques : un synthétiseur, un échantillonneur et des enregistrements numériques quadriphoniques réalisés en studio. La nature hétérogène de l’instrumentarium renvoie à l’idée même d’une “organologie étendue”.\r\n\r\n* Bois : flûte (dont flûte basse), hautbois (et cor anglais), clarinette en *si* b (et clarinette basse), basson\r\n* Harmonica (3,5 cm long modèle diatonique) joué par le bassoniste, le tromboniste et un corniste\r\n* Cuivres : deux cors, trompette en *do*, trombone\r\n* Cordes : deux violons, alto, violoncelle, contrebasse à cinq cordes\r\n* Chant : soprano\r\n* Percussions à hauteurs déterminées : vibraphone, marimba, glockenspiel, trois gongs\r\n* Percussions à hauteurs indéterminées : grosse caisse, tam tam, steelpan, deux congas, trois cymbales china, cymbale splash, petite cymbale ride\r\n* Piano\r\n* Électronique :\r\n * Clavier 1 (joué par le pianiste) : synthétiseur Yamaha SY99 avec deux *presets*.\r\n * Clavier 2 : synthétiseur Yamaha KX88 contrôlant un échantillonneur Digidesign SampleCell avec cinq *presets*.\r\n * Clavier 3 : synthétiseur Yamaha KX76 déclenchant la bande quadriphonique réalisée en studio, comportant onze segments, synchronisée pour le chef avec un *click-track* joué en MIDI par un synthétiseur Yamaha TX802.\r\n\r\nDeux claviéristes sont en charge de la partie électronique de la pièce. Le premier joue les parties de piano et de synthétiseur, le second contrôle deux claviers-maîtres MIDI dont l’un sert à déclencher les sons contenus dans l’échantillonneur et l’autre sert à déclencher les fichiers-sons quadriphoniques stockés sur ordinateur. Les deux interprètes disposent de deux pédales, l’une pour contrôler le volume du son et l’autre pour le maintien du son alors que des molettes de *pitch-bend* permettent de réaliser des variations continues de hauteur.\r\n\r\nLe support quadriphonique comporte onze segments et est synchronisé avec un *click-track* pour que le chef puisse assurer une parfaite synchronisation entre la partie électronique fixée et les parties jouées par les musiciens. Les instruments de l’orchestre sont sonorisés en façade en sorte d’assurer une meilleure fusion avec l’électronique alors que les fichiers-sons sont diffusés sur six haut-parleurs situés autour du public. La chanteuse est également sonorisée par le biais de deux micros, l’un servant à une amplification classique en façade, l’autre servant à traiter le son en lui ajoutant de la réverbération diffusée depuis l’arrière de la salle.\r\n\r\n[image:91448fa4-85ce-4f81-af75-a9cdab508491]\r\n\r\n**Figure 1. *EnTrance*, schéma du dispositif de câblage audio et MIDI [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n#### Structure et Matériau\r\n\r\nLa composition suit une forme cyclique impliquant la répétition de trois états A, B et C :\r\n\r\n- A) Respiration lente et régulière, polarisation harmonique, registres instrumentaux gelés, fusion (situation homéostatique, immobile, suspendue), souffle.\r\n\r\n- B) Respiration accélérée, temps d’inspiration toujours plus bref, crescendo dynamique et agogique, croissance exponentielle de la densité et des volumes, accélération du rythme harmonique et de distorsion, accentuation des transitoires d’attaque au point de produire une perturbation et une distorsion dans la perception des hauteurs.\r\n\r\n- C) Articulation rapide et violente, fin du mouvement inspiration/expiration dans la voix, nouvelle polarisation et régularité extrême du rythme harmonique devenant presque hypnotique, aucune fusion des instruments mais un unique geste furieux.\r\n\r\nCes trois états sont décrits par Romitelli comme correspondant à des situations statique (A), en accélération (B), avec des articulations “rapides et violentes” (C) [Romitelli, 1996, p. 5].\r\n\r\n**Sections de type A**\r\n\r\nLes sections de type A sont divisées en deux sous-sections, la première, telle un prélude en forme de stase, s’articule autour d’un matériau harmonique restreint et des registres instrumentaux immobiles [Figure 2 / Média 1]. L’introduction de la partie électronique marque le début de la seconde sous-section dans laquelle s’amorce progressivement un processus de transformation du timbre sur des agrégats de hauteurs perceptivement très proches, ce qui prolonge la sensation d’immobilité [Figure 3 / Média 2].\r\n\r\n[image:49c3d04b-4e01-472d-b825-3a64f3d847f6]\r\n\r\n**Figure 2. _EnTrance_, m. 1-10 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe0e094\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 1. _EnTrance_, m. 1-8 [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n[image:3ce36f3d-4767-4e22-ab6b-188b77d3b559]\r\n\r\n**Figure 3. _EnTrance_, m. 11-20, p.2 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x2d4f16\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 2. _EnTrance_, m. 9-40 [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n**Sections de type B**\r\n\r\nDans les sections de type B, les phases d'inspiration, très courtes, sont suivies d’une forte articulation vocale, affirmée, qui déclenche des mouvements rapides dans l’ensemble instrumental, tels que des arpèges et des _glissandi_. Ces phases alternent avec d’autres où les sons individuels, sans transition d’attaque, fusionnent avec des dynamiques plus contenues. La dynamique globale se situe donc entre _sforzato_ et *pianissimo* ; la densité des sons est élevée. Les agrégats harmoniques sont clairement différenciés et insérés dans un processus de compression temporelle. La distorsion est systématiquement utilisée, considérée à la fois d’un point de vue harmonique et comme synonyme de saturation (dans la partie électronique il y a en fait des sons transformés de guitare et de basse électriques) [Figure 4 / Média 3].\r\n\r\n[image:245e1a90-f15b-42a8-8c08-5f6170ad9cc9]\r\n\r\n**Figure 4. *EnTrance*, m. 91-100 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9961f9\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 3. _EnTrance_, m. 40-108 [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n**Sections de type C**\r\n\r\nLes articulations “rapides et violentes” mentionnées par Romitelli deviennent évidentes dans les sections de type C. La composante rythmique est mise en évidence au détriment de la densité sonore qui tend à se raréfier. Il n’y a plus de progressions harmoniques, les timbres des instruments individuels émergent clairement tandis que la voix répète de manière presque “compulsive” des cellules mélodiques. Face aux articulations rapides de l’ensemble, on entend des sons de synthèse complexes (partie enregistrée) et le son d’une guitare électrique saturée reproduit par l’échantillonneur. Le caractère violent des sections C est indiqué au moyen d’indications telles que “furioso”, “con estrema violenza”, “molto ritmato”, “martellato”, “sempre f”, “brutale” [Figure 5 / Média 4].\r\n\r\n[image:5b56de31-5494-4eb7-980d-d8122d0e19fa]\r\n\r\n**Figure 5. _EnTrance_, m. 131-140 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x50b994\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 4. _EnTrance_, m. 114-163 [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n**Forme globale**\r\n\r\n_EnTrance_ comprend trois parties correspondant à autant de cycles respiratoires. Les trois états inhérents à ces cycles sont clairement reconnaissables dans les deux premières parties où la linéarité du processus A (A’+A”) → B → C est parfaitement perceptible. La linéarité du processus est en revanche brouillée dans la troisième partie en raison de l’introduction de nouvelles sections d’essence hybride (de type A/B) et de la fragmentation de la section de type C [Figure 6]. L’alternance entre ces deux types de sections est perturbante, du fait des changements brutaux qu’elle introduit. Et c’est dans ce cadre que les mots de Romitelli deviennent particulièrement significatifs :\r\n\r\n> On cherche en vain dans cette pièce l’élégance et l’harmonie des proportions, l’équilibre formel et les transformations graduelles et linéaires. En revanche, j’ai exhibé l’aspect obsessionnel et violent, répétitif et visionnaire, oscillant entre une extrême densité et une extrême raréfaction.\r\n[Romitelli, 1996, p. 7]\r\n\r\nLa composition se termine par une coda avec une dynamique comprise entre _p_ et _ppppp_ lors de laquelle l’ensemble et les parties électroniques fusionnent totalement. Une séquence d’accords descend progressivement vers l’extrême grave, conduisant les deux dernières cordes de la contrebasse à être désaccordées, dans un processus qui conduit au silence à la mesure finale.\r\n\r\n[image:8aec3d5e-75c0-4a7f-9a1f-ae9cce0c76ff]\r\n\r\n**Figure 6. Structure de la pièce _EnTrance_ montrant la répartition des parties électroniques que le compositeur a choisi de représenter par des lettres. Le minutage est issu de l’enregistrement réalisé lors de la création [Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n#### Texte\r\n\r\nL’idée sous-jacente de l’œuvre, comme le suggère le titre, est un rituel dont le but est d’induire un état de transe. Le texte de référence pour la partie chantée est un mantra de quinze syllabes provenant de Bardo Thödöl (_Le Livre des Morts Tibétains_) “om a yu še sa ra ha ra ka ra re sva re hûm p’at” [Tucci, 1972, p. 217 ; Iglesias, 2003]. Dans les notes de programme, Romitelli explique clairement l’utilisation de ce mantra selon les différentes parties du l’œuvre : du point de vue phonologique, le passage d’une section de type A à une section de type C “correspond à une évolution non linéaire qui, d’une situation caractérisée par des voyelles diffuses, graves (les u, e, o italiens), associées à des consonnes nasalisées (m) et fricatives (s, š), amène à une situation dans laquelle apparaît une voyelle compacte (a), associée à des consonnes occlusives (k, p) et vibrantes (r)” [Romitelli, 1996, p. 5].\r\n\r\nLe processus décrit par Romitelli est respecté dans la première et la troisième partie de l’œuvre. En revanche, dans la deuxième partie, la voix entonne des consonnes occlusives et vibrantes (syllabes ha ra ka re, etc.) dans la section de type A, répète le mantra dans son intégralité dans la section de type B et disparaît dans la section de type C [Figure 7].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 7. Structuration du texte dans _EnTrance_. Le mantra est énoncé dans son intégralité dans les sections 2B et 3C.**\r\n\r\nLa soprano chante tantôt en inspirant, tantôt en expirant tout en réalisant des mouvements de la tête de manière à envoyer le son dans différents microphones [Figure 8]. La voix lyrique “expirée” est simplement amplifiée et diffusée depuis la scène. La voix bruitée “inspirée” est dirigée vers les unités de réverbération et d’écho pour être projetée depuis le fond de la salle de concert. La voix est l’élément pivot et la force motrice de la composition, car son rythme respiratoire marque le rythme harmonique de la partie instrumentale, ainsi que les transformations en termes de densité et de volume.\r\n\r\nCe mouvement, inspiration-expiration de paroles sacrées monosyllabiques, son accélération et les rotations de la tête dont il s'accompagne, rappellent les rites de certaines musiques traditionnelles qui favorisent l'entrée en transe en s'appuyant aussi sur des facteurs d'ordre physiologique, telle l'hyper ventilation durant l'accélération de la respiration, autrement dit une oxygénation maximale du cerveau [Romitelli, 1996, p. 5].\r\n\r\n[image:943b5836-1781-406f-84c0-a51c0add1a08]\r\n\r\n**Figure 8. _EnTrance_, soprano, m. 1-10 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n### Description de la partie électronique\r\n\r\n#### Clavier 1 – synthétiseur\r\n\r\nDans la version originale, le clavier 1 est un synthétiseur Yamaha SY99 comprenant deux _presets_:\r\n\r\n- Son de type “cordes filtrées”.\r\n\r\n- Même son transposé ¼ de ton plus haut.\r\n\r\nLe musicien utilise la molette de _pitch-bend_, programmée sur deux demi-tons afin de produire des variations de hauteur continues. Il contrôle aussi les variations d’intensité indiquées sur la partition grâce à une pédale de volume alors que la pédale de sustain lui permet de maintenir le son sans avoir besoin de tenir les touches enfoncées [Figure 9].\r\n\r\n[image:07f17dfb-ba44-4396-b8e4-1269b9521540]\r\n\r\n**Figure 9. _EnTrance_, clavier n°1 indiqué tast I, m. 1-7 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n#### Clavier 2 – échantillonneur\r\n\r\nLe clavier 2 – un Yamaha KX88 – sert à piloter un échantillonneur qui dispose de cinq *presets*. Le _pitch-bend_ doit être réglé sur sept demi-tons vers le bas et vers le haut:\r\n\r\n* Son de type “cordes filtrées” (une note unique *do* 5 = 84 en MIDI) [Média 5].\r\n\r\n* Même son transposé ¼ de ton plus haut.\r\n\r\n* Note de guitare électrique avec distorsion (échantillon sur la note *mi* 1, durée de 4 s) [Média 6].\r\n\r\n* Accord majeur de guitare électrique avec distorsion (échantillon : triades sur la note *mi* 1, durée de 4 s) [Média 7].\r\n\r\n* Son de piano (multi-échantillonné, deux nuances _p_ et _mf_, huit hauteurs de *la* 0 à *si* 4).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xbba2e7\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 5. Cordes filtrées [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7adc41\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 6. Guitare électrique avec distorsion (note) [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4ad1c2\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 7. Guitare électrique avec distorsion (accord majeur) [© Arch. Pottier].**\r\n\r\nLes échantillons de cordes filtrées sont joués en boucle et peuvent donc être maintenus par l’instrumentiste suivant la durée indiquée dans la partition [Figure 10]. Les sons de guitare électrique sont joués sans boucle [Figure 11]. Diffusés à partir d’une sortie audio différente (gauche) de celle du son de piano (droite) les sons de corde et de guitare électrique sont agrémentés d’une réverbération assez marquée, réglée par l’ingénieur du son.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 10. _EnTrance_, clavier n°2 indiqué tast II, m. 71 [© Part. Ricordi, 1996]. Diffusion d’un son de type cordes, avec contrôle continu de la hauteur et du volume grâce à la molette de pitch bend et la pédale d’expression.**\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 11. _EnTrance_, clavier n°2, m. 133 [© Part. Ricordi, 1996]. Diffusion d’un son de guitare électrique saturé et maintenu pendant que l’orchestre joue.**\r\n\r\n#### Support quadriphonique\r\n\r\nLa partie électronique fixée est formée de onze fichiers audio quadriphoniques, référencés respectivement S, T, Y, Q, W, AB, G, Ca, Cb, X et K sur la partition. Présente durant les trois quarts de l’œuvre [Figure 12], cette partie électronique fixée doit être diffusée à une intensité comparable à celle de l’orchestre. Elle met en jeu plusieurs familles de sons homogènes construites selon différentes méthodes de synthèse et de traitement. On peut notamment distinguer des sons de synthèse purement artificiels, des sons de synthèse générés à partir de modèles instrumentaux, et des sons instrumentaux échantillonnés, ayant ou non subi des transformations.\r\n\r\n[image:395ac14e-0789-4953-a43e-f8bcd111a523]\r\n\r\n**Figure 12. Enregistrement de la pièce (fond bleu) et partie électronique fixée (sur fond noir).**\r\n\r\n**Les sons instrumentaux sources**\r\n\r\nLes sons instrumentaux échantillonnés étaient de deux types, selon qu’ils étaient destinés à servir de modèles pour la synthèse ou à être utilisés pour le montage de la partie électronique. Ceux destinés au montage – des sons très riches et bruités – avaient été produits par trois instrumentistes:\r\n\r\n* Un joueur de flûte à bec contrebasse pour des sons aspirés, du souffle circulaire, des multiphoniques, des balayages harmoniques ou des notes très graves [Média 8].\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x35c534\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 8. Son de flûte à bec contrebasse [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n* Un joueur de guitare électrique (Fred Bigot) pour des sons saturés joués à l’archet électronique, avec des froissements de cordes [Média 9].\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcfd087\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 9. Son de guitare électrique [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n* Un joueur de basse électrique (Kasper T. Toeplitz) pour des sons joués à l’archet, saturés et très bruités [Média 10].\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb73464\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 10. Son de guitare basse électrique [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\nLes sons servant de modèle de synthèse ou utilisés pour les synthèses croisées provenaient quant à eux de banques d’échantillons commerciales (guitare électrique, percussion, violoncelle, cuivres).\r\n\r\n**La CAO pour le contrôle de la synthèse sonore**\r\n\r\nSelon les données issues de l’analyse d’un modèle instrumental, Romitelli et Pottier ont choisi des techniques de synthèse leur permettant de produire un son élémentaire, dont certains comportements s’inspirent de ce modèle [Pottier, 1997a]. Puis, par prolifération de sons élémentaires, ils ont produit des textures plus complexes. Des algorithmes d’interpolation, de déformation ou de progression harmonique ont ensuite permis de construire toute une série de sons homogènes dans une section donnée de l’œuvre. Toutes ces opérations étaient générées automatiquement à travers un programme réalisé par le RIM dans l’environnement PatchWork (PW) [Figure 13]. Les données étaient ensuite transmises au programme Csound [^Csound] qui synthétisait tous les sons au sein d’une même famille.\r\n\r\n[image:922cdae2-a463-4569-b7bc-a605c70da2c2]\r\n\r\n**Figure 13. Les trois niveaux d’un patch PW pour le contrôle de la synthèse.**\r\n\r\nEnfin, d’autres séries de sons ont été produits selon ce même schéma en utilisant différentes techniques de synthèse ou de traitements. Ils ont ensuite été combinés, mixés entre eux générant des organismes sophistiqués ayant une vie propre et pouvant rivaliser et dialoguer avec l’orchestre. Si on considère par exemple la section 1B, la partie électronique T [Figure 14 / Média 11] est formée de la superposition de sons échantillonnés (basse électrique avec distorsion) et d’un assemblage de sons produits par quatre techniques de synthèse différentes que nous détaillons plus [loin](https://brahms.ircam.fr/analyses/EnTrance/#partie-electronique).\r\n\r\n[image:4875ca24-81ae-4411-aa64-0566b48a3895]\r\n\r\n**Figure 14. Schéma du mixage de la partie électronique T (section 1B). La progression harmonique s’accélère progressivement suivant neuf étapes successives et recourt à des sons de synthèse (“V04”, “V91”, “Celldist”, “datachantfof”) et des sons échantillonnés non traités de basse électrique (“KP”).**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x201469\" width=\"600\" height=\"285\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 11. Partie électronique T de la section 1B [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n**Traitements sonores**\r\n\r\nEn plus des sons échantillonnés utilisés tels quels dans le montage et des sons de synthèse, le support quadriphonique comprend des sons issus deux types de traitements : la synthèse croisée et le filtrage. Le logiciel Audiosculpt a été utilisé pour réaliser des synthèses croisées généralisées. En croisant deux sons aux spectres riches (comme par exemple une cymbale jouée à l’archet et une note de guitare électrique saturée), il est possible d’obtenir des sons ayant des caractéristiques spectrales intermédiaires entre les deux sons d’origine [Figure 15].\r\n\r\n[image:4c5d26ab-b904-4a6c-b163-02db793f4534]\r\n\r\n**Figure 15. Exemple de réglages pour la synthèse croisée dans Audiosculpt. Croisement entre le son “BowedCymbale” [Média 12] et “MetalSingleNoteA1” [Média 13] afin de produire le son “BowCym3GCSMetalA1” [Média 14].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x2f41be\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 12. Son “BowedCymbale” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xca5b73\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 13. Son “MetalSingleNoteA1” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcc57fa\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 14. Son “BowCym3GCSMetalA1” résultant du croisement entre les deux sons précédents [© Arch. Pottier].**\r\n\r\nTrois techniques de filtrage ont aussi été utilisées pour transformer des sons :\r\n\r\n* Le filtrage formantique, permettant de donner à certains sons bruités un aspect vocal.\r\n\r\n* Le filtrage résonant sur modèles de résonances [Médias 15 à 17], sorte de synthèse croisée dans laquelle un son riche et complexe est soumis à la résonance d’un modèle instrumental (obtenu par une analyse préalable).\r\n\r\n* Le filtrage résonant harmonique, destiné à faire apparaître dans des sons sources certaines hauteurs sélectionnées de manière à les harmoniser avec les sons de l’orchestre.\r\n\r\n[image:fbda3bec-167c-4f8e-9172-06eb78680068]\r\n\r\n**Figure 16. Tableau récapitulatif des types de sons électroniques utilisés pour construire la partie électronique quadriphonique dans chaque section de la pièce**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x16ec06\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 15. Son “attssaarv1b” produit par synthèse par modèle de résonance [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5936e8\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 16. Son “asectQ-filF00” produit par filtrage [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd36e1b\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 17. Son “asectQ-fil00” produit par filtrage [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x77e394\" width=\"600\" height=\"360\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 18. Montage dans Protools de la partie électronique W [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n### Analyse de la section 1B\r\n\r\n#### Relation entre agrégats et spectres\r\n\r\nOn observe dans la section 1B l’alternance de deux situations harmoniques de nature différente : une liste de neuf agrégats T [Figure 19] et une liste de spectres S construits sur une mélodie de neuf fondamentales [Figure 20]. La section 1B est composée de neuf sous-sections, chacune étant à son tour divisée en deux (agrégat T suivi du spectre S). Le matériau harmonique ainsi que le rythme respiratoire de la voix font partie d’un processus de compression du temps et donc d’accélération. Après ces neuf sous-sections, on observe une _codetta_ finale [Figure 17].\r\n\r\n[image:f87bf0a7-67fe-4dd6-9432-1977bb41f442]\r\n\r\n**Figure 17. Structure de la section 1B.**\r\n\r\nLa partie de soprano suit également cette répartition: dans chaque sous-section, des inspirations très courtes déclenchent des articulations qui, du registre aigu (*fa* 5), vont en expirant vers le grave [Kaltenecker, 2015, p.134-137) [Figure 18].\r\n\r\n[image:d1993ea6-db37-47eb-b45f-c9197b1f0100]\r\n\r\n**Figure 18. _EnTrance_, partie de soprano dans la première sous-section, m.41-50 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n**Agrégats T**\r\n\r\nL’analyse de la liste des agrégats fait ressortir la nature des relations entre des objets sonores adjacents, connectés entre eux à travers deux règles de transition : des intervalles communs et des notes communes [Figure 19][^timbre]. Il en résulte un parcours harmonique cohérent entraînant un élargissement progressif du registre sonore.\r\n\r\n[image:3b258677-975f-4e00-a21a-df73f0596812]\r\n\r\n**Figure 19. Liste des agrégats T et leurs connexions (notes communes et intervalles communs).**\r\n\r\n**Spectres S**\r\n\r\nLe calcul du spectre est conforme avec la procédure décrite par Murail pour souligner l’idée “d’harmonie fréquentielle” [Murail, 1984 ; Murail, 2000] : chaque note de la ligne mélodique devient essentielle dans le spectre composé de 30 partiels. Les spectres, toutefois, ne sont pas harmoniques car ils sont distordus par le biais de différents coefficients [Figures 20 à 22].\r\n\r\n[image:9f1b5d64-ad3b-4f35-87d4-48a6b3f3cbda]\r\n\r\n**Figure 20. Liste des fondamentales pour les spectres S et des coefficients de distorsion associés.**\r\n\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 21. Facteurs de multiplication des fréquences pour trois coefficients de distorsion différents (0.85, 1, 1.1).**\r\n\r\n[image:99cb91d1-2e5d-4168-9881-0a2595fb5148]\r\n\r\n**Figure 22. Patch OpenMusic pour la production des neuf spectres (dix premiers partiels).**\r\n\r\nD’après les esquisses du compositeur, les fréquences fondamentales des spectres S sont associées à plusieurs coefficients de distorsion : pour S1, par exemple, nous trouvons les valeurs 0.95, 0.8 et 0.7. Romitelli semble alors opérer un choix arbitraire, en encerclant le coefficient 0.8. Il reste cependant à comprendre l’origine de ces différents coefficients. Une librairie de fonctions, écrite en langage Lisp et développée par Romitelli à cette époque laisse supposer qu’il a utilisé certaines de ces fonctions afin de créer un lien entre chaque agrégat T et le spectre S respectif. Une fois les neuf agrégats et la liste des fréquences fondamentales de S définis, il restait alors à identifier les coefficients de distorsion qui permettraient “d’intégrer” l’agrégat dans le spectre. En particulier, on trouve deux fonctions en Lisp adaptées, “HH” et “finddist-contr”. La première donne une liste de spectres, avec une fondamentale fixe, dans laquelle l’agrégat peut être intégré (approximation au demi-ton) ; la seconde en identifie les coefficients de distorsion. Les coefficients obtenus par l’évaluation de ce système de fonctions correspondent aux valeurs trouvées dans les esquisses.\r\n\r\n#### Partie électronique\r\n\r\nLa partie électronique T correspondant à la section est formée de deux couches superposées [Figure 14] : une piste de sons échantillonnés de basse électrique jouée à l’archet, avec distorsion, et une piste comprenant une succession de neuf agrégats complexes obtenus par mixage de quatre groupes de fichiers audio synthétisés de différentes façons.\r\n\r\nLes sons de synthèse sont de plusieurs types [Figure 23] :\r\n\r\n* Sons “V04” : synthèse par forme d’onde\r\n\r\n* Sons “datachantfof” : synthèse par fonction d'ondes formatiques (FOF) percussives sur un modèle de contrebasse\r\n\r\n* Sons “celldist”\r\n\r\n* Sons “V91” : synthèse par forme d’onde\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 23. Schéma d’assemblage des agrégats sonores à partir des divers types de sons de synthèse.**\r\n\r\nLe schéma ci-dessous montre à la fois le rôle des différents types de sons de synthèse utilisés (“V04” : ascension, “V91” : écho, “celldist” : résonance, “datachantfof” : percussion) et les liens avec les rôles des différentes familles instrumentales dans l’orchestration [Figure 24].\r\n\r\n[image:8034c7f8-e9f0-4dac-bd92-a873c419d4f0]\r\n\r\n**Figure 24. Les trois modèles compositionnels à la base de l’écriture de la section 1B [Arch. Pottier].**\r\n\r\n**Les sons “datachantfof”**\r\n\r\nCes sons ont été produits par synthèse percussive par FOF, technique développée dans les années 80 autour du programme Chant à l’Ircam [Barrière et *al.*, 1985b]. Ici, la synthèse FOF est réalisée à partir d’une modélisation de la résonance d’un son de contrebasse, analyse effectuée par Jean-Baptiste Barrière et utilisée dans sa pièce _Hybris_ en 1988. Ce modèle a été modifié en ne gardant que les partiels ayant les plus longues résonances (bw < 1,5 Hz) et en multipliant par trois la durée de ces résonances. Chaque partiel a par ailleurs été doublé au quart de ton supérieur pour enrichir le modèle [Pottier, 2009, p. 188]. La synthèse a été réalisée directement dans l’environnement PatchWork-Chant [Figure 25 / Médias 19 et 20].\r\n\r\n[image:17a58ed2-5ce0-4b37-850f-8a1a0b76cdf2]\r\n\r\n**Figure 25. Le patch de synthèse dans PW-Chant. À gauche le patch principal, contenant les accords à synthétiser, à droite le module de synthèse (reson-synth) faisant appel au modèle de résonance de contrebasse [Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3c8f1e\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 19. Son “datachantfof-CB-0” [© Arch. Pottier]. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xed365e\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 20. Son “datachantfof-CB-1” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n**Synthèse par forme d’onde variable**\r\n\r\nUn des grands principes de la synthèse sonore, pour obtenir des sons musicaux, consiste à faire varier en permanence tous les paramètres (fréquence, amplitude, spectre, etc.). La synthèse par forme d’onde variable permet d’interpoler progressivement plusieurs oscillateurs ayant des formes d’ondes différentes de façon à faire varier le spectre de façon continue. L’amplitude et la fréquence suivent également des courbes variant de façon continue. À cela s’ajoutent des modulations périodiques et aléatoires de ces paramètres. La synthèse est produite par Csound, mais l’environnement PatchWork est utilisé pour contrôler les différents paramètres de synthèse avec les bibliothèques SpData [Pottier, 1997b] et Csound/Edit-sco [Malt et Pottier, 1993]. Trois types de sons ont été générés de la sorte: [“celldist”](brahms.ircam.fr/media/uploads/T-celldist-V8Mi1-0.8.csd), [“V91”](brahms.ircam.fr/media/uploads/T-V91_1accd1.csd) et [“V04”](brahms.ircam.fr/media/uploads/T-V04-accd0.csd).\r\n\r\nLes sons “celldist” sont réalisés à partir de l’analyse d’un son acoustique de violoncelle [Média 21]. Les formes d’onde utilisées pour la synthèse proviennent des analyses des dix premiers partiels réalisées toutes les secondes. L’objectif n’était pas de synthétiser des sons de violoncelle, mais de générer un son complexe dont les variations de timbre s’inspirent du monde instrumental. Chaque son synthétisé [Média 22] est alors utilisé comme un son partiel faisant partie d’un son plus complexe [Pottier, 2009, p. 186]. Le son final est obtenu en faisant jouer à ce synthétiseur l’ensemble des trente notes du spectre S [Média 23]. Contrairement à la synthèse additive qui se contente de superposer des sons purs, ce procédé permet de créer un spectre bien plus complexe et s’apparente à la technique spectrale de synthèse instrumentale.\r\n\r\n[image:d2841b4e-644a-4f94-b720-1460bb3ab38b]\r\n\r\n**Figure 26. Amplitudes des premiers harmoniques d’un son de violoncelle et formes d’onde associées, lors de l’attaque (en haut) et de l’extinction du son (en bas) [Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa0b46c\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 21. Son de violoncelle d’origine [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x43f17b\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 22. Un son partiel produit par synthèse [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7b9bde\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 23. Un des sons définitifs [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n[image:e280728b-1ebf-44c1-94b4-231a1b7c8dc8]\r\n\r\n**Figure 27. Patch PatchWork pour la synthèse des sons “celldist” utilisant les bibliothèques SpData et Csound/Edit-sco. La case n°1 montre la variable “_distchds_”, qui contient la liste des hauteurs de chacun des accords distordus. La case n°2 permet la lecture des analyses additives du son de violoncelle, réalisées au préalable avec le logiciel Diphone. La case n°3 contient le module “edit-sco-obj”, dont la fonction est d’agréger tous les paramètres calculés et d’écrire le fichier de score pour Csound.**\r\n\r\nLes sons “V91” [Médias 24 et 25] et “V04” [Médias 26 et 27] ont également été produits par synthèse par forme d’onde variable dans l’environnement PatchWork-Csound, mais sans l’utilisation d’un modèle instrumental. Les sons de type “V91” utilisent les fréquences définies par les agrégats T [Figure 19] alors que les sons de type “V04” utilisent les fréquences définies par les spectres S [Figure 20].\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xfbd439\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 24. Son “V91 secT-V91_1accd1” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcefc7b\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 25. Son “V91 secT-V91_1accd2” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7d5b9a\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 26. Son ”V04 secTB-V04-accd0” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xed24b7\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 27. Son ”V04 secTB-V04-accd1” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n#### Première sous-section\r\n\r\nLes mesures 41 à 50 correspondent à la première sous-section [Figure 28]. Ici, l’orchestration de T<sub>1</sub> est montrée en rouge alors que celle de S<sub>1</sub> est montrée en bleu. La transition entre ces deux situations harmoniques est rendue plus douce par des notes communes, dont la plupart sont jouées par des cuivres. D’autres aspects restent à clarifier. L’articulation dans les mesures 44-47 du marimba, du clavier II et des violons, mise en évidence en vert, est produite par l’inversion de la structure intervallique de l’agrégat T<sub>1</sub> [Figure 29].\r\n\r\n[image:6c1c6b96-e7f6-4e23-8339-5ea561e60106]\r\n\r\n**Figure 28. _EnTrance_, m. 41-50 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x25234b\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 28. _EnTrance_, m. 41-50 [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 29. Inversion de la structure intervallique de l’agrégat T<sub>1</sub>.**\r\n\r\nNous pouvons aussi mentionner spécifiquement les arpèges et glissandi trouvés dans les mesures 41 et 43, surlignés en jaune. Ici, les matériaux de base, provenant également de l’agrégat T<sub>1</sub>, subissent une procédure combinatoire supplémentaire : en plaçant un axe de symétrie sur l’intervalle *si* – *sol*, Romitelli a produit par inversion une nouvelle réserve de sons [Figure 30]. Dans la mesure 43, les arpèges joués par les bois proviennent directement de ce matériau ; les cuivres et les cordes jouent des *glissandi* dont l’origine et la destination se trouvent dans les notes que l’on vient de sélectionner. La procédure choisie pour la composition des arpèges dans la mesure 41 est similaire, sauf lors d’une transposition d’une sixte mineure vers l’aigu (hautbois et violon I) et d’une seconde majeure vers le grave (basson et violoncelle). Ceci est fait de manière à atteindre le *fa* sur la dernière note des arpèges.\r\n\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 30. Réserve de sons pour mesures 41 et 43.**\r\n\r\nLa partie de la soprano qui amorce la section 1B est également liée à une transformation de l’agrégat T<sub>1</sub>. En éliminant la note grave de l’agrégat T<sub>1</sub>, le *si*<sub>3</sub>, et en transposant les deux notes plus élevées d'une octave plus bas, *sol #*<sub>5</sub> et *la*<sub>5</sub> – c’est-à-dire en compactant le matériau mélodique dans l’octave – le résultat est exactement la partie de la soprano [Figure 31]\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 31. _EnTrance_, soprano, m. 40-41.**\r\n\r\n### Analyse de la section 2A”\r\n\r\n#### Progression harmonique\r\n\r\nLa structure de toute la section 2A\" est guidée par la partie de soprano qui, comme le suggère Kaltenecker, “est constitué[e] de trois phrases caractérisées par une triple anaphore descendante sur la tierce *ré*<sub>4</sub> – *si*<sub>4</sub>, suivie à chaque fois de trois montées chromatiques […] vers *mi* b, qui sera le point de départ de la période suivante” [Kaltenecker, 2015, p. 138]. La montée chromatique, réalisée en neuf étapes (notées E), est introduite et entrecoupée par l’anaphore *ré* – *si* (notée A) [Figure 32]. L’anaphore (syllabes “p’at om”) fait partie d’un agrégat [Figure 33] orchestré dans la partition et inchangé à chaque répétition. À la troisième répétition, l’indication de métronome passe de 66 à 76.\r\n\r\n[image:ca5dc9b3-2355-4bdb-a498-77b5a90e12b3]\r\n\r\n**Figure 32. Structure de la section 2A” identifiée sur la partie de soprano, m. 181-212.**\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 33. Agrégat de base orchestré dans la partition.**\r\n\r\nÀ chaque étape de la montée chromatique de la voix (E) correspond une nouvelle situation harmonique. La technique compositionnelle utilisée est la simulation de la synthèse par modulation de fréquence [Murail, 1984], dans laquelle les fréquences porteuses sont définies par la triade de *si* b mineur, “filtrée” en isolant les trois notes les plus graves de l’agrégat de base. Pour le calcul des fréquences, Romitelli a créé et utilisé un ensemble de fonctions écrites en Lisp. L’environnement graphique PatchWork a permis également de traduire les fréquences en notation traditionnelle et donc de faciliter l’écriture de la partition. Deux fonctions, notamment, ont été utilisées :\r\n\r\n* “fmmodplus” détermine la modulation de fréquence avec une fréquence porteuse fixe, une liste de fréquences de modulation et un index de modulation fixe.\r\n\r\n* “jinterpol” donne une liste de valeurs qui interpolent deux extrêmes donnés, avec la possibilité de définir le nombre d’états intermédiaires et un coefficient de distorsion. Cette fonction est utilisée par obtenir la liste des fréquences de modulation utilisée par “fmmodplus”.\r\n\r\nDans le détail, les fréquences porteuses p sont celles de la triade de *si* b mineur (233 Hz, 277,18 Hz, 349 Hz) et il y a neuf fréquences de modulation *m*[^mod] [Figure 34]. L’augmentation de la fréquence de modulation produit un élargissement progressif de l’ambitus à chaque étape. L’indice de modulation *i* est fixé à 2. Pour chaque fréquence porteuse, on peut obtenir de cette manière au moins quatre partiels : p ± m et p ± 2m [Figure 35]. Le matériel ainsi obtenu est ensuite doublé et transposé vers le grave (- ¼ de ton) afin de créer un effet de chœur.\r\n\r\n[image:95acbe06-a4a6-4c22-831a-f2c85454a0e6]\r\n\r\n**Figure 34. Liste des fréquences de modulation _m_ pour chaque étape [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n[image:0c23a03f-aeb6-40c4-bd58-9502dfd9a7ff]\r\n\r\n**Figure 35. Exemple de reconstruction du patch dans le langage PWGL. La fonction “fmmodplus” réalise une modulation de fréquence d’indice 2 sur la porteuse 233 Hz (*si* b<sub>3</sub>). Liste de neuf fréquences de modulation définies par la fonction “jinterpol”.**\r\n\r\n#### Organisation temporelle\r\n\r\nÀ chaque étape E, Romitelli utilise une grille structurelle, formée de douze “instants”, qui définit la distribution des entrées, des sorties et des pics d’intensité des sons [Figure 36]. La distance entre les impacts n’est pas constante, mais diminue dans un processus de densification rythmique [Figure 37].\r\n\r\n[image:35f71d13-2082-4a14-9296-eed7c592f082]\r\n\r\n**Figure 36. Distribution des entrées, des sorties et des pics d’intensité des sons pour chaque étape.**\r\n\r\n[image:def74187-6f7a-4831-820d-8fee6d47c533]\r\n\r\n**Figure 37. Schéma rythmique établi à partir d’une esquisse du compositeur [Arch. Fondation Cini].**\r\n\r\n#### Partie électronique\r\n\r\nLa partie électronique de la section 2A” (notée Q) est réalisée à partir de sons filtrés de flûte à bec contrebasse [Média 29], de sons de guitare basse électrique frottée très légèrement avec un archet [Média 31], de sons de guitare électrique saturés [Média 33] et de sons de cloches. Différents filtrages [Médias 30 et 32] ont été réalisés pour chacune des trois notes de référence de cette section; *si* b, *ré* b et *fa*. Les sons ainsi produits sont alors mixés entre eux. Le résultat sonore, très proche de celui obtenu dans la section 1A, évoque à nouveau le bruit du vent, le souffle mais de manière plus mystérieuse car moins facilement identifiable [Média 34].\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcb0948\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 29. Son original “1-flutbass4m” de flûte basse [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc1b801\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 30. Son filtré “2-asectQ-filF00” de flûte basse [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb3375a\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 31. Son “3-KPbruitArcPTm” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9569c4\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 32. Son “4-asectQ-fil00” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0dcfc9\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 33. Son de guitare électrique saturé, final de la partie Q [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf04ebf\" width=\"600\" height=\"465\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 34. Montage dans Protools de la partie électronique Q.**\r\n\r\n#### Les deux premières étapes\r\n\r\nLes figures suivantes récapitulent les faits énoncés précédemment pour la section 2A”, à propos des deux premières étapes [Figures 38 et 39].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 38. Matériau harmonique des deux premières étapes (E1 et E2). *p* représente les fréquences porteuses sur la triade de *si* b mineure; FM, le résultat de la modulation de fréquence sur chaque note p; FM - ¼T, sa transposition un quart de ton plus bas.**\r\n\r\n[image:242c0dc3-ad0e-4415-ad70-349fe1f2564b]\r\n\r\n**Figure 39. *EnTrance* m. 181-190, [© Part. Ricordi, 1996]. Analyse des deux premières étapes, E1 et E2. Les couleurs suivent le schéma présenté dans la figure 28 avec, en bleu les fréquences porteuses, en rouge et en violet la modulation de fréquence, en jaune et en vert sa transposition vers le grave (- ¼ de ton). **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa3d3b0\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 35. _EnTrance_, m. 181-190 [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n### Analyse de la section 2C\r\n\r\nLa section 2C comprend une introduction, un noyau divisé en six sous-sections de mêmes durées et une *codetta*, divisée en deux sous-sections de durée similaire. Le caractère “violent”, “brutal”, typique des sections de type C est évident dès les premières mesures introductives [Média 36] : violoncelle “arco al tallone” et contrebasse “pizz. slap” jouent sur un rythme incisif de matrice rock sur l’intervalle d’une tierce mineure *mi* b – *sol* b, alors que l’échantillonneur déclenche un son “Metal” tenu de guitare électrique très puissant.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7c5e35\" width=\"600\" height=\"270\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 36. _EnTrance_, début de la section 2C, m. 271-282 [© Part. Ricordi, 1996 / Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n#### Construction harmonique\r\n\r\nD’un point de vue harmonique, les sections s’articulent en alternant deux groupes d’accords, que Romitelli, dans ses esquisses, appelle respectivement AA et AB. Le compositeur commence par une concaténation d’accords qu’il nomme “contrepoint” [Figure 40]. Seuls les deux premiers accords (AA et AB) vont être utilisés pour générer du matériel harmonique. Le mécanisme utilisé dans la construction des groupes d’accords est de nature intervallique : les notes les plus graves (respectivement *do*<sub>3</sub> et *si*<sub>2</sub> sont exclues du processus de construction même si elles peuvent être présentes dans la partition en guise de “fondamentales” des groupes d’accords. Les trois notes supérieures deviennent des notes de base auxquelles le compositeur adjoint deux nouvelles notes afin de construire des intervalles spécifiques telles que des neuvième mineure, triton, sixte majeure, tierce majeure (AA1) et neuvième mineure, tierce mineure, quinte juste, triton (AB1). Romitelli s’impose la contrainte suivante : les nouveaux accords doivent comporter deux intervalles égaux. Ainsi AA2 comportent deux tierces majeures, AA3, deux sixtes majeures, AA4, deux tritons, AB2, deux tritons, AB3, deux tierces mineures, AB4, deux quintes justes. La note de base la plus grave (*mi* b<sub>4</sub> dans AA1 et *fa*<sub>4</sub> dans AB1) est systématiquement intégrée dans les nouveaux accords [Figure 41].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 40. Sélection des deux premiers accords pour établir le “contrepoint”.**\r\n\r\n[image:85c7f1dc-e473-4e1d-bc85-1044e9628f5c]\r\n\r\n**Figure 41. Génération des accords de la section 2C avec en rouge les intervalles identiques.**\r\n\r\nLes différentes sous-sections s’articulent autour de ces accords : AA2, AB2, AA3, AB3, AA4, AB4 pour la partie principale, AA1 et AB1 pour la *codetta* [Figure 42]. D’autres notes viennent enrichir ces accords afin de fournir davantage de matériel aux instruments de l’ensemble et de construire une structure harmonique symétrique [Figure 43].\r\n\r\n[image:dc3242ac-c64b-4c6b-88dc-a885cdeceda2]\r\n\r\n**Figure 42. Structure de la section 2C.**\r\n\r\n[image:610618d6-61d7-4053-b511-9d4c09229f8c]\r\n\r\n**Figure 43. Enrichissement des accords avec le détail de la structuration intervallique.**\r\n\r\n#### Partie électronique\r\n\r\nComme indiqué plus haut, les accords AA et AB sont joués en alternance tout en subissant quatre variations harmoniques successives. Ici les sons électroniques sont construits par le mixage d’échantillons de guitare électrique, de basse électrique, de cymbales ou du croisement entre ces sons. Ces sons, dont la plupart ont été filtrés par les accords AA et AB pour être en harmonie avec les parties instrumentales, présentent des comportements dynamiques variés : enveloppes percussives, enveloppes croissantes/décroissantes, enveloppes stationnaires. Le mixage de cette section a été réalisé sur une soixantaine de sons électroniques, dont parfois une douzaine sont simultanés, en jouant sur les variations de dynamiques pour produire une sorte de continuum sonore dans la partie électronique. Dans la mesure où les accords AA et AB ne couvrent pas l’étendue du spectre audible, les filtres ont été démultipliés en produisant pour chaque hauteur une série harmonique défective (rangs 1, 3, 6, 10, 15, 20, 26, 32, 39, 46) [Figure 44].\r\n\r\n[image:e37bee7e-752e-4ad4-8ad7-5766ca14cbdb]\r\n\r\n**Figure 44. Les 27 hauteurs des filtres obtenus à partir de l’accord AA1. Pour chacun des cinq arpèges, la première note est la fondamentale (ici *mi*<sub>4</sub>, *la* #<sub>4</sub>, *si*<sub>5</sub>, *ré* #<sub>3</sub> et *sol*<sub>5</sub>, soit l’accord AA1).**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd1521e\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 37. Son “BowCym3GCSMetalA1” [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x302d62\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 38. Son “AA-C2Lb-BCGM-0” obtenu en filtrant le précédent son à travers les 27 filtres [© Arch. Pottier].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc9eac7\" width=\"600\" height=\"350\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 39. Montage dans Protools de la partie électronique de la section AB [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n#### La deuxième sous-section (accord AB2)\r\n\r\nLe matériel harmonique de la deuxième sous-section [Figure 45] est celui défini par AB2. Il faut souligner l’utilisation spectrale du son fondamental *si*<sub>2</sub>, qui est renforcé avec le sous-harmonique *si*<sub>1</sub> et le troisième partiel de ce dernier, *fa* #<sub>3</sub> (cf. par exemple le basson, le trombone, l’échantillonneur et le violoncelle dans la première mesure). L’instrumentation suit une nette division selon les familles traditionnelles: les bois alternent des mouvements parallèles vers l’aigu, souvent à l’unisson, avec des arabesques ondulatoires par mouvement contraire ; les cuivres alternent articulations rapides et accentuées, avec des sons tenus et en évolution dynamique; la soprano est absente dans cette section ; l’écriture des percussions – glockenspiel et vibraphone – présente des incises brèves très rapides, fragmentées et diversifiées ; les articulations rapides des vents ont leur contrepartie dans les *glissandi* des cordes.\r\n\r\nL’extrême articulation de l’ensemble acoustique contraste avec l’échantillonneur, qui joue des notes tenues de guitare électrique avec distorsion, et avec la partie électronique qui ajoute d’autres sons tenus suivant une enveloppe *crescendo*-*diminuendo*. Du point de vue rythmique, il n’y a pas d’ancrage sur une pulsation identifiable : l’utilisation de groupes irréguliers, comme des triolets, quintolets et septolets, en même temps que la variété rythmique interne à chaque instrument, ne permettent pas de percevoir un rythme défini. De la même façon, la périodicité globale de la section est évidente : les sous-sections ont la même durée (~7 s) et l’ordre d’apparition des figures musicales est similaire. Le matériel harmonique, comme nous avons vu, oscille régulièrement entre le groupe AA et le groupe AB.\r\n\r\n[image:11fc1083-24f2-4540-bf22-977c468d9977]\r\n\r\n**Figure 45. _EnTrance_, section 2C (deuxième sous-section), m. 291-298 [© Part. Ricordi, 1996].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xbc91f7\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 40. _EnTrance_, m. 291-298 [© Arch. Ircam – Production].**\r\n\r\n### Préservation et re-création\r\n\r\nLes musiques mixtes interactives utilisent des technologies, programmes et données dont la préservation pose des problèmes complexes. De nouvelles versions des logiciels de synthèse, traitement et contrôle audio en temps réel, se succèdent rapidement, rarement compatibles avec les versions antérieures rendant les précédents formats obsolescents. La reprise d’une œuvre dans un environnement technologique différent de celui dans lequel elle a été créée est toujours difficile : les dispositifs doivent être documentés, conservés, mais aussi mis à jour pour pouvoir être utilisés dans de nouveaux contextes technologiques. L’Ircam a mis en œuvre depuis longtemps des moyens pour la documentation, la conservation et la préservation des œuvres qui y ont été créées, mais malgré tous les efforts entrepris, des problèmes peuvent persister. Si une communauté plus large de compositeurs, de musiciens et d’informaticiens ne se constitue pas pour prendre en charge ce travail nécessaire de révision permanente pour faire face à la menace de l’obsolescence technologique, le risque est grand qu’*EnTrance* et tout l’héritage musical issu du numérique ne soient plus rejouables et sombrent dans l’oubli. Plusieurs opérations de maintenance et de préservation ont été menées sur *EnTrance* après sa création.\r\n\r\n#### Version 1996\r\n\r\nLa version initiale a nécessité un ensemble technique complexe, puisque la pièce utilisait deux ordinateurs Macintosh, un TX802, un SY99, deux claviers maîtres, un séquenceur *direct-to-disk*, un échantillonneur et un dispositif de sonorisation multipoints [Battier, 1998]. La question de la sauvegarde est tout autant technique que musicologique. Il s’agit de reprendre les programmes qui ont servi à élaborer les sons, afin de ré-instancier les processus qui ont permis de produire les sons de la partie électronique.\r\n\r\n**La composition et la synthèse**\r\n\r\nDans *Natura morta con fiamme*, il est possible aujourd’hui de re-créer tous les sons produits par le compositeur dans cette pièce puisqu'il y faisait appel au langage Lisp pur pour une synthèse en Csound et que ces deux langages sont restés pérennes depuis plus de vingt ans [Maestri, 2015]. En revanche pour *EnTrance*, s'il est possible de re-créer les sons synthétisés avec Csound, tout ce qui était réalisé avec PatchWork n’est plus accessible. Une des possibilités, proposée par Alessandro Olto à l’Ircam, est d’installer un système Mac OS9 sur un PowerMac-G4 et trouver une version de PatchWork compatible avec celle utilisée pour *EnTrance*, avec ses bibliothèques associées, dont certaines comme PW-Chant pour la synthèse de la voix ou de modèles de résonance, ont disparu avec les ordinateurs Macintosh 68k [Olto, 2017b].\r\n\r\n**Le temps réel**\r\n\r\nLes synthétiseurs et l’échantillonneur utilisés dans la version originale de la pièce sont difficiles à trouver en bon état de fonctionnement aujourd’hui, mais des outils existent pour les remplacer. Pour l’échantillonneur, on dispose des sons d’origine et Olto a pu extraire du programme les détails des enveloppes et des points de boucles de ces sons [Figure 46]. Il est ainsi possible de réécrire les presets avec un nouvel échantillonneur.\r\n\r\n[image:ef360334-4c71-4402-8932-8491a7fb01c0]\r\n\r\n**Figure 46. Quelques informations sur le réglage “Metal triad” dans le Logiciel SampleCell.**\r\n\r\nEn ce qui concerne le SY99, le compositeur attachait peu d’importance à la création d’un son complexe, il souhaitait simplement un son de type “cordes filtrées”, qui ne soit pas trop proche d’un véritable son d’orchestre à corde, mais pas trop synthétique non plus, c’est-à-dire un son intermédiaire, que l’on peut trouver sur beaucoup de modules de synthèse standard. Néanmoins, en ayant noté les réglages des paramètres du SY99, il est possible de programmer à nouveau les sons du SY99 manuellement, sans aucun patch, sans disquettes obsolètes et sans aucun système d’interfaçage.\r\n\r\n**Le support**\r\n\r\nLa version initiale a été montée dans Digital Performer, et les onze parties électroniques étaient déclenchées par des notes MIDI sur un clavier maître. Un *click* MIDI était envoyé sur un synthétiseur TX802 à destination du chef d’orchestre.\r\n\r\n#### Version ADAT 1996\r\n\r\nLors de la production initiale, l’Ircam a réalisé une bande au format ADAT (Alesis) cinq pistes comprenant l’ensemble des sons électroniques quadriphoniques de l’œuvre et le *click-track*. Ce dispositif simplifié permet de ne plus utiliser d’ordinateurs. Dans ce cas, le dispositif gagne en simplicité, mais on perd les respirations de durées variables entre les sections.\r\n\r\n#### Version CD 2005\r\n\r\nEn 2005, Denis Lorrain a réalisé une nouvelle version à titre posthume du dispositif électronique d’*EnTrance* [Figure 47], consistant notamment à remplacer l’échantillonneur logiciel SampleCell par un sampleur Akai S5000 [Lorrain, 2005]. À cette occasion, le dispositif de déclenchement des fichiers quadriphoniques a été programmé en Max/MSP pour être déclenché par un RIM en concert. C’est ce dispositif qui a été utilisé pour l’enregistrement commercial de l’œuvre [EA CD Stradivarius, 2007] et lors du festival Manca du CIRM à Nice en 2008 [Arch. CIRM].\r\n\r\n[image:135b375d-d1b5-4412-976b-185c4d30812c]\r\n\r\n**Figure 47. Fiche technique de la version d’_EnTrance_ de Denis Lorrain [2005].**\r\n\r\n#### Comparaison entre différents enregistrements\r\n\r\nSi les technologies utilisées dans l’œuvre arrivent à être facilement préservées (peu de dispositifs temps réel complexes, pas de traitement électronique non standard en direct), il n’en reste pas moins que des interprétations de l’œuvre [Figure 48] peuvent lui donner un aspect extrêmement contradictoire, si l’on se fonde sur les choix opérés sur les nuances et les modes de jeux. À ce titre nous effectuerons quelques comparaisons entre les premières versions enregistrées de l’œuvre en 1996 et 1997 [Arch. Ircam – Production et Ressources] et l'unique enregistrement commercial publié à ce jour [EA CD Stradivarius, 2007].\r\n\r\n[image:c8005c20-2f58-4b3e-89dc-c4beb5f5ffb4]\r\n\r\n**Figure 48. Différents enregistrements de l’œuvre.**\r\n\r\nDans la version 1996 [Arch. Ircam – Production], il était indiqué que les parties jouées sur l’échantillonneur devaient être réverbérées par l’ingénieur du son. Cette information a disparu de la notice de 2005. Deux passages sont comparés ici [Pottier, 2019], avec des rendus sonores très différents sur les trois versions [Média 41]. Le premier (début de la section 2A”) se situe entre 4’15” et 4’30” (m.151-161), à la fin d’un passage intense lors duquel la soprano émet des onomatopées rapides et très animées dans les aigus, soulignées par un *crescendo* de cymbale, puis est remplacée par un son de guitare saturée, comme en fondu enchaîné, suivi par un second son similaire plus grave, avant un *decrescendo* qui aboutit à un silence. Dans la version 2005 [EA CD Stradivarius, 2007], la voix est beaucoup plus présente, les cymbales ont un timbre nettement plus aigu, et lorsque la voix s’arrête le son de guitare électrique qui prenait le relais dans la version 1996 est absent : on entend alors seulement la partie électronique fixée. On perçoit alors un arrêt brutal là où, dans la version initiale, on entendait au contraire une violente saturation du timbre précédant un *decrescendo*. Dans la version 1997 [Arch. Ircam – Ressources], la guitare est bien présente comme dans la version 1996.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x195e08\" width=\"600\" height=\"495\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 41. _EnTrance_, m. 151-161, versions 1996, 2005 et 1997 [© Arch. Ircam – Production; EA Stradivarius, 2007 ; Arch. Ircam – Ressources].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb8280d\" width=\"600\" height=\"475\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 42. _EnTrance_, m. 273-335, versions 1996, 2005 et 1997 [© Arch. Ircam – Production ; EA Stradivarius, 2007 ; Arch. Ircam – Ressources].**\r\n\r\nLe second passage débute à 8’48” (m. 273) et va jusqu’à 9’52” (m. 335) [Média 41 à partir de 1’20”]. Dans la version initiale, on est dans une esthétique très rock[^rock], avec une contrebasse jouant en slap dans les premières mesures, selon un jeu très rythmique, binaire, soutenu par un son de guitare saturé puissant sur la note mi b. La guitare alterne ensuite les notes tenues do et si qui couvrent pratiquement l’orchestre. Dans la version 2005, les sons de guitare électrique saturée qui accompagnaient la contrebasse puis masquaient ensuite l’orchestre sont absents. On commence donc par un solo de contrebasse dont le sens échappe à l’auditeur, puis quand l’orchestre reprend, le timbre est beaucoup moins dense que dans la version avec guitare. Là où le compositeur avait prévu un timbre électrique très dense, on entend des sons d’ensemble instrumental acoustique.\r\n\r\nLes sons produits sur le synthétiseur et sur l’échantillonneur occupent une place aussi importante que ceux produits par les instruments acoustiques. Certains sons de guitare de forte intensité viennent même jusqu’à couvrir l’orchestre comme on peut l’entendre dans la version 1996. Pour un mixage de concert, la disparition des sons saturés aurait pu être interprétée comme un problème technique, mais dans la version 2005 qui a été gravée sur un CD, il s’agit manifestement d’un choix artistique, ou d’une incompréhension de l’œuvre, dont il faut noter que certaines indications sur la partition ne reflètent pas toujours clairement ce qui doit être entendu. Une simple note sur la partition de clavier jouant l’échantillonneur avec les sons de guitare saturée peut à elle seule couvrir tout ce qui est joué par l’orchestre. Les musiciens de formation classique sont parfois réticents à mélanger le timbre fin de leurs instruments au timbre “grossier et sale” des sons provenant de l’univers rock. La version de 2005 ayant été produite après la mort du compositeur, il est difficile de savoir si un tel parti pris esthétique lui aurait vraiment convenu tant il accordait une grande importance à la place des sons saturés dans sa musique. Comme le souligne Arbo, “la musique de Romitelli est fondée sur une sélection, elle tire du rock psychédélique, du métal ou de la techno l’énergie d’un *sound*, le frottement spécifique ou l’épaisseur d’un ‘grain’ (comme dans le cas de la guitare électrique)” [Arbo, 2005, p. 25]. L’aspect saturé, les références au monde rock, et à son timbre, son énergie, sont très fortement atténués dans la version de 2005. Ces erreurs d’appréciation de la musique de Romitelli peuvent s’expliquer aussi partiellement par des problèmes d’édition la disparition de liaisons qui indique le prolongement des sons de la guitare saturée [Figure 49].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 49. *EnTrance*, m. 271-273, version éditée [© Part. Ricordi, 1996] et version annotée utilisée lors de la création [© Arch. Pottier].**\r\n\r\nDans la version manuscrite de Pottier, on peut lire une indication au crayon sous la liaison du *mi* b: “tenuto fino alla fine del suono” (tenu jusqu’à la fin du son). Les enregistrements d’*EnTrance* effectués en présence du compositeur tiennent compte de cette mention contrairement aux autres versions.\r\n\r\n### Conclusion\r\n\r\n*EnTrance* constitue un aboutissement du travail de Romitelli à l’Ircam, une pièce dans laquelle les différentes techniques de composition, utilisées lors de pièces antérieures, comme par exemple _Natura morta con fiamme_, _Mediterraneo I_ ou _Les idoles du soleil_, ont acquis une pleine maturité, tout en trouvant la possibilité de coexister dans une approche musicale organisée et originale.\r\n\r\nÀ l’Ircam, Romitelli a tenté d’atténuer l’opposition que l’on observe souvent dans les musiques mixtes et électroniques : d’une part, la concurrence d’entités simultanées et continues de timbre fondée sur un processus de catégorisation et de projection dans l’espace acoustique, de l’autre côté le séquencement d’éléments caractérisés par la discrétisation et l’organisation hiérarchique du discours. Romitelli démontre ici comment son approche esthétique rejette cette dichotomie. Grâce aux systèmes de CAO, il trouve des solutions pour s’assurer que les deux univers conceptuels peuvent coexister. En développant un code informatique original, il parvient également à créer son propre “jeu d’outils”, combinant l’analyse, la manipulation de paramètres et la synthèse dans un environnement modulaire unique, qui peut transmettre directement des solutions affichées en notation musicale ou des données pour la synthèse sonore. Romitelli a produit un système à la fois conceptuel et opérationnel : le timbre est défini d’une part par des procédures spectrales, d’autre part par le jeu sur des intervalles et leurs transformations. Ce système construit un réseau de contraintes permettant de déterminer la compatibilité des éléments du timbre, leur “proximité” mesurée également en termes de continuité ou de rupture (interprétation contemporaine des concepts classiques de tension et de résolution). Associant ces deux types de procédures, les techniques spectrales adoptées font partie du discours musical à part entière. Intégrées de manière cohérente dans le système de composition, elles n’en représentent qu’une possibilité supplémentaire, parmi d’autres.\r\n\r\n### Ressources\r\n\r\n#### Textes\r\n\r\n[Arbo, 2005] – Alessandro Arbo, “En-trance”, dans Alessandro Arbo (éd.), _Le corps électrique. Voyage dans le son de Fausto Romitelli_, Paris : L’Harmattan, 2005, p. 17-50.\r\n\r\n[Barrière, 1991] – Jean-Baptiste Barrière (éd.), _Le timbre, métaphore pour la composition_, Paris : Christian Bourgois, 1991.\r\n\r\n[Barrière *et al.*, 1985] – Jean-Baptiste Barrière, Yves Potard et Pierre-François Baisnée, \"Models of continuity between synthesis and processing for the elaboration and control of timbre structures\", Proceedings of the 1985 International Computer Music Conference, Vancouver, 1985, p. 193-198.\r\n\r\n[Battier, 1998] – Marc Battier, _Cahier d’exploitation – EnTrance (1995) de Fausto Romitelli_, Paris : Ircam, 1998.\r\n\r\n[Boulez, 1987] – Pierre Boulez, “Timbre and composition – timbre and language”, _Contemporary Music Review_, vol.2 n°1, 1987, p. 161-171.\r\n\r\n[Iglesias, 2003] Sara Iglesias, _Fausto Romitelli – EnTrance_, Mémoire de Licence (dir. M. Battier), UFR Musique, Université Paris IV/Sorbonne, 2003.\r\n\r\n[Ircam, 1996] – _EnTrance_ – Notice de la partie électronique, Documentation Ircam, [1996.\r\n\r\n[Kaltenecker, 2015] – Martin Kaltenecker, “À propos de l’écriture mélodique dans _EnTrance_”, dans Allessandro Arbo (éd.), _Anamorphoses. Études sur l’œuvre de Fausto Romitelli_, Paris : Hermann, 2015, p. 127-149.\r\n\r\n[Lorrain, 2005] – Denis Lorrain, _Fausto Romitelli – EnTrance_2005 Performance Handbook_, Document Ircam, Paris : Ircam, 2005.\r\n\r\n[Maestri, 2015] – Eric Maestri, “Le son mixte dans les premières œuvres de Fausto Romitelli”, dans Allessandro Arbo (éd.), _Anamorphoses. Études sur l’œuvre de Fausto Romitelli_, Paris : Hermann, 2015, p. 81-96.\r\n\r\n[Malt et Pottier, 1993] – Mikhaïl Malt et Laurent Pottier, _PW-Csound/Editsco, librairie de modules pour l’édition de partitions Csound-Référence_, Document Ircam, Paris : Ircam, 1993.\r\n\r\n[Murail, 1984] – Tristan Murail, “Spectra and pixies”, _Contemporary Music Review_, vol.1 n°1, 1984, p. 157-170.\r\n\r\n[Murail, 2000] – Tristan Murail, “After-thoughts”, _Contemporary Music Review_, vol.19 n°3, 2000, p. 5-9.\r\n\r\n[Olto, 2017a] – Alessandro Olto, _EnTrance. Spettralismo e composizione assistita all’elaboratore in Fausto Romitelli_, thèse de doctorat (dir. A. Orcalli), Università degli Studi di Udine, 2017.\r\n\r\n[Olto, 2017b] – Alessandro Olto, “Between spectrum and musical discourse. Computer Assisted Composition and new musical thoughts in _EnTrance_ by Fausto Romitelli”, dans Luca Cossettini et Angelo Orcalli (éd.), _Sounds, Voices and Codes from the Twentieth Century. The critical editing of music at Mirage_, Udine : Mirage – Department of Languages and Literatures, Communication, Education and Society, 2017, p. 419-452.\r\n\r\n[Orcalli, 2013] – Angelo Orcalli, “La pensée spectrale”, dans Nicolas Donin et Laurent Feneyrou (éd.), _Théories de la composition musicale au XXe siècle_, vol.2, Lyon : Symetrie, 2013, p. 1511-1573.\r\n\r\n[Pottier, 1997a] – Laurent Pottier, “Exemples d’utilisation de la CAO pour la synthèse sonore, _EnTrance_ de Fausto Romitelli pour soprano, ensemble et dispositif électronique”, Actes des Journées d’Informatique Musicale (JIM 97), Lyon : Grame, 1997, p. 22-29.\r\n\r\n[Pottier, 1997b] – Laurent Pottier, _PW-SpData : vue d’ensemble, référence, tutorial_, Document Ircam, Paris : Ircam, 1997.\r\n\r\n[Pottier, 2001] – Laurent Pottier, _Le contrôle de la synthèse sonore, le cas particulier du programme PatchWork_, thèse de doctorat (dir. M. Battier), EHESS, 2001.\r\n\r\n[Pottier, 2019] – Laurent Pottier, “Vers des musiques électroacoustiques vivantes”, dans Pierre Fargeton et Béatrice Ramaut-Chevassus (éd.), _Écoute multiple, écoute des multiples_, Paris : Hermann, 2019, p. 215-233.\r\n\r\n[Romitelli, 1993] – _Ircam: Rapport d’activité 1993_, Paris : Ircam, 1993.\r\n\r\n[Romitelli, 1996] – Programme du concert de création d’_EnTrance_, en _Concert création : vendredi 26, samedi 27 janvier 1996, Ircam, Espace de projection_, Paris : Ircam-Centre Pompidou, 1996, p. 5-7.\r\n\r\n[Romitelli, 2000] – “L’insurgé” [entretien avec Omer Corlaix], _Musica Falsa_, n°11, 2000, p. 84-85.\r\n\r\n[Romitelli, 2001a] – “Il compositore come virus”, dans _Milano Musica. Percorsi di musica d’oggi – Il pensiero e l’espressione. Aspetti del secondo Novecento musicale in Italia_, Milan, 2001, p. 148-149. Traduit en français: “Le compositeur comme virus”, dans Alessandro Arbo (éd.), _Le corps électrique. Voyage dans le son de Fausto Romitelli_, Paris : L’Harmattan, 2005, p. 131-134.\r\n\r\n[Romitelli, 2001b] – “Produire un écart” [entretien avec Eric Denut], dans Eric Denut (éd.), _Musiques actuelles, musiques savantes, quelles interactions ?_, Paris : L’Harmattan, 2001, p. 73-77.\r\n\r\n[Tucci, 1972] – Giuseppe Tucci (éd.), _Il libro tibetano dei morti (Bardo Tödöl)_, Turin : UTET, 1972.\r\n\r\n#### Archives\r\n\r\n[Arch. Fondation Cini] – Collection Fausto Romitelli, Fondazione Giorgio Cini - Istituto per la musica, Venise.\r\n\r\n[Arch. CIRM] – Fausto Romitelli, _EnTrance_ (enregistrement numérique sur 22 pistes non mixées), concert, 22 novembre 2008, Opéra de Monaco\r\nFrançoise Kubler (soprano), Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo / Jean Deroyer (direction).\r\n\r\n[Arch. Ircam] – Archives du département production et des ressources de l’Ircam, Paris.\r\n\r\n- Fausto Romitelli, documents de travail relatif à *EnTrance*\r\n\r\n- Fausto Romitelli, _EnTrance_, création, 26 janvier 1996, Ircam (Espace de projection)\r\n\r\nFrançoise Kubler (soprano), Ensemble Intercontemporain / Ed Spanjaard (direction).\r\n\r\n- Fausto Romitelli, _EnTrance_, concert, 2 février 1997, Ircam (Espace de projection)\r\n\r\nDonatienne Michel-Dansac (soprano), Ensemble Intercontemporain / Pascal Rophé (direction).\r\n\r\n[Arch. Pottier] – Archives personnelles de Laurent Pottier.\r\n\r\n\r\n#### Partition\r\n\r\n[Part. Ricordi, 1996] – Fausto Romitelli, _EnTrance_ per soprano, sedici esecutori ed elettronica (1995), Ricordi – Paris R. 2744, 1996.\r\nLes extraits de partition sont reproduits avec l’aimable autorisation des Sté Ame des Éditions Ricordi, Paris pour tous Pays.\r\n\r\n#### Enregistrement audio\r\n\r\n[EA CD Stradivarius, 2007] – Fausto Romitelli, *Audiodrome – Orchestral Works*\r\nDonatienne Michel-Dansac (soprano), Orchestre symphonique national de la RAI / Peter Rundell (direction)\r\nStradivarius, STR 33723, 2007.\r\n\r\n[^Csound] : Lors de la production d’_EnTrance_, à mi-parcours (automne 1995), nous sommes passés de la génération des ordinateurs Macintosh 68X aux ordinateurs PowerPC. Pour la synthèse sonore avec Csound, cela s’est traduit par une multiplication de la vitesse de calcul par un facteur 50 à 100 ! Produire 10 secondes de son prenait au préalable 10 à 20 minutes de calcul, et en changeant d’ordinateur, nous sommes quasiment passés dans le domaine du temps réel ! Il était alors possible de modifier des paramètres et écouter presque instantanément le résultat.\r\n\r\n### Citation\r\n\r\n**Pour citer cet article:**\r\n\r\nAlessandro Olto et Laurent Pottier, “Fausto Romitelli – *EnTrance*”, *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2020. URL : https://brahms.ircam.fr/analyses/EnTrance/.\r\n\r\n\r\n[^timbre] : Dans le texte inédit “Pertinence du timbre” [Arch. Pottier], l’attention que Romitelli a portée aux relations entre les objets sonores est évidente : “Le compositeur peut imaginer de gérer les connexions par transition réglée, contraste, ou bien par les étapes intermédiaires entre l'un et l'autre, pour réaliser une ‘courbe de tension’ dans le domaine harmonique”.\r\n\r\n[^mod] : On peut trouver les paramètres dans une esquisse conservée à la Fondazione Cini et ils sont confirmés par les patchs transmis par Pottier. En Lisp, une fois chargé le set de fonctions développé par Romitelli, on peut évaluer les fonctions suivantes :\r\nPorteuse *si* b : (fmmodplus 233 (jinterpol 7 7 0.7 116.5) 2).\r\nPorteuse *ré* b : (fmmodplus 277.18 (jinterpol 7 7 0.7 116.5) 2).\r\nPorteuse *fa* : (fmmodplus 349 (jinterpol 7 7 0.7 116.5) 2).\r\n\r\n[^rock]: Parmi les esquisses conservées dans le dossier d'_EnTrance_ [Arch. Fondation Cini], il n'est pas rare de rencontrer des noms d'artistes cités tels que Nirvana et Jimi Hendrix.","### Introduction\n\n#### Résumé\n\n[composer:47aea9e5-4a17-4427-98c4-8ef1f2adf6da][Fausto Romitelli] est un compositeur à part de sa génération, qui a su développer un langage musical sophistiqué d’inspiration spectrale, intégrant le son et l’énergie des musiques populaires (rock, rock progressif) aux possibilités expressives et timbrales des instruments électriques et des techniques de synthèse sonore. Réalisée à l’Ircam en 1995, [work:46524693-52d3-4efd-8dd2-7a02a2bd1751][EnTrance] est écrite pour soprano, ensemble et électronique et a été créée le 26 janvier 1996 à l’Espace de projection de l’Ircam par Françoise Kubler et l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Ed Spanjaard. Dans cette analyse, nous souhaitons mettre en évidence le *modus operandi* de Fausto Romitelli en nous appuyant notamment sur l’étude des avant-textes (croquis, esquisses de composition) et des patchs informatiques utilisés pour la synthèse sonore ou comme aide à la composition. Ce travail a été réalisé à partir de sources hétérogènes conservées à la *Fondazione Giorgio Cini - Istituto per la musica* de Venise [Arch. Fondation Cini], dans les archives Ricordi de Milan, de l’Ircam [Arch. Ircam] et de Laurent Pottier [Arch. Pottier], le Réalisateur en Informatique Musical (RIM) qui avait travaillé avec le compositeur pour la partie électronique de cette œuvre.\n\n#### Contexte\n\nDans les années 1980 et 1990, une partie des recherches effectuées à l’Ircam portait sur la Composition Assistée par Ordinateur (CAO). Divers langages de programmation et systèmes pour le contrôle de la synthèse sonore y ont été développés afin d’offrir aux compositeurs des outils et des environnements propices à l’expérimentation d’une nouvelle organologie, élargissant ainsi les frontières de l’écriture musicale.\n\nConfronté au monde de la synthèse sonore numérique et à son contrôle informatique, Romitelli a développé une approche personnelle du timbre dans le cadre d’un débat qui dans ces années animait la scène musicale européenne [Boulez, 1987 ; Barrière, 1991]. Dans les œuvres qu’il a composées durant cette période (1990-1996), on observe une influence indéniable des théories spectrales, notamment celles de [composer:79dc57c6-52c1-4e38-9f96-f4bbe8d2d331][Tristan Murail], qui semblent créer un pont entre le spectralisme processuel théorisé par [composer:de82cc8f-5a38-4f47-95b4-868f2621f4d1][Gérard Grisey] et le spectralisme fonctionnel [Orcalli, 2013]. Grâce aux nouvelles formes d’écriture et de représentation du son, ainsi qu’à l’opportunité offerte par l’informatique d’extraire par analyse les paramètres des phénomènes acoustiques, il est devenu possible aux compositeurs de traiter les spectres non seulement dans leur dimension qualitative, mais aussi selon une perspective paramétrique discrète. Romitelli a donc rassemblé des règles combinatoires, issues de ses études avec [composer:9b064dcc-0a7f-4b0d-a94d-4acd978608df][Franco Donatoni], et des techniques spectrales proposées par les compositeurs du collectif L’Itinéraire.\n\nRomitelli a suivi le cursus de Composition et d’Informatique musicale de l’Ircam (1990-1991) lors duquel il a appris les bases de la programmation informatique et s’est intéressé à la création de sons de synthèse par ordinateur. Il a ensuite bénéficié d’une bourse pour collaborer, comme compositeur en recherche (1993-1995), avec l’équipe Représentations musicales de l’Ircam autour des utilisations du programme PatchWork. À cette occasion, il a formalisé – et mis en pratique dans la plupart de ses œuvres – une réflexion sur les rapports pouvant exister entre les outils utilisés par les linguistes et ceux des compositeurs. Cette collaboration a débouché en 1995 sur une commande de l’Ircam qui s’est concrétisée par une résidence dans les studios du centre pendant six mois – de juillet 1995 jusqu’à janvier 1996 – où il travailla avec Pottier pour la réalisation de la partie électronique de l’œuvre [Olto, 2017a ; Pottier, 2001].\n\nPendant ses séjours à l’Ircam, Romitelli a mis au point des outils logiciels qui lui ont permis de construire des espaces de timbre établissant des relations entre les divers agrégats et spectres:\n\n> À partir des paramètres fixés de l’un ou de l’autre type, le système construit un réseau de contraintes qu’il cherche à résoudre en produisant tous les objets compatibles (*i.e.* moments spectraux contenant les bons intervalles). Une interface PatchWork permet de diriger les solutions vers une représentation en notation musicale ou vers la génération de script de synthèse pour Csound.\n[Romitelli, 1993, p. 46]\n\n_EnTrance_ est le résultat le plus significatif de ses recherches durant cette période.\n\n#### Influence des musiques pop-rock\n\nRomitelli est un des très rares compositeurs à avoir voulu et réussi le renouvellement du langage et celui des timbres, en s’inspirant notamment des expérimentations effectuées dans le domaine du rock, du rock progressif et de la techno.\n\n> Ce qui m’intéresse depuis toujours dans la musique rock, et aujourd’hui dans la techno, c’est le traitement de la matière sonore. Prenons par exemple le cas de Jimi Hendrix : son intérêt était uniquement dans le traitement de la matière, mais il était énorme. Dans sa musique, on entend une modulation de l’épaisseur, du grain, de l’espace du son qui était bien sûr intuitif mais néanmoins toujours très subtil, inventif, énergétique […] Mais mon intérêt pour le rock n’est qu’un versant d’un intérêt plus général pour la synthèse, la fusion instrumentale, et plus généralement l’idée de créer des sons très granuleux, très distordus, de faire naître un matériau musical tellurique, violent. J’ai ressenti depuis longtemps cette corrélation très forte entre le rock et les domaines d’intérêt du spectralisme.\n[Romitelli, 2001b, p. 76]\n\nLes instruments électroniques et notamment la guitare, avec tout son arsenal de dispositifs de traitements, permettent de produire des sons saturés, sur des bandes de fréquences extrêmement denses, qui par le biais de l’amplification produisent une énergie inouïe. L’informatique permet quant à elle de dompter, contrôler et maîtriser cette énergie pour expérimenter et intégrer ces sons nouveaux à la composition.\n\n> Si nous voulons éviter la sécheresse académique, nous devons réfléchir à trois cent soixante degrés sur l’univers qui nous entoure et intégrer dans l’écriture des sollicitations provenant de mondes sonores différents. En dehors tant de ‘l’avant-garde’ que des circuits commerciaux, il existe un univers de l’expérimentation musicale qui, depuis les années soixante jusqu’à nos jours, dans le domaine du rock ou de la techno, a essayé avec acharnement, mais sans dogmes, de nouvelles solutions sonores, réussissant parfois à conjuguer la recherche sur le son et sur la modulation du bruit et un grand impact perceptif. La révolution musicale des prochaines années ne viendra peut-être pas de la musique écrite et des compositeurs cultivés, mais de la foule anonyme des jeunes, qui possèdent aujourd’hui un ordinateur avec lequel ils échantillonnent et traitent des sons: justement parce qu’ils n’ont pas de prétentions artistiques, qu’ils développent un nouveau savoir artisanal, une nouvelle sensibilité et peut-être, demain, une nouvelle musique.\n[Romitelli, 2001a, p. 133]\n\n> Aujourd’hui, une musique doit être violente et énigmatique, car elle ne peut que refléter la violence de l’aliénation massive et du processus de normalisation qui nous entoure.\n[Romitelli, 2001b, p. 74]\n\nDans la plupart des œuvres de Romitelli, on trouve des mélanges de timbres, comportant les sons des instruments de l’orchestre et les sons des instruments électriques, électroniques, ainsi que des sons produits par synthèse. Il n’a par contre jamais été particulièrement intéressé par les sons concrets, sinon comme une matière à modeler, à la base de la synthèse.\n\n### Présentation de l'œuvre\n\n#### Instrumentation\n\n_EnTrance_ est une œuvre mixte dans laquelle les différents instruments acoustiques de l’ensemble sont complétés par des appareils électroniques : un synthétiseur, un échantillonneur et des enregistrements numériques quadriphoniques réalisés en studio. La nature hétérogène de l’instrumentarium renvoie à l’idée même d’une “organologie étendue”.\n\n* Bois : flûte (dont flûte basse), hautbois (et cor anglais), clarinette en *si* b (et clarinette basse), basson\n* Harmonica (3,5 cm long modèle diatonique) joué par le bassoniste, le tromboniste et un corniste\n* Cuivres : deux cors, trompette en *do*, trombone\n* Cordes : deux violons, alto, violoncelle, contrebasse à cinq cordes\n* Chant : soprano\n* Percussions à hauteurs déterminées : vibraphone, marimba, glockenspiel, trois gongs\n* Percussions à hauteurs indéterminées : grosse caisse, tam tam, steelpan, deux congas, trois cymbales china, cymbale splash, petite cymbale ride\n* Piano\n* Électronique :\n * Clavier 1 (joué par le pianiste) : synthétiseur Yamaha SY99 avec deux *presets*.\n * Clavier 2 : synthétiseur Yamaha KX88 contrôlant un échantillonneur Digidesign SampleCell avec cinq *presets*.\n * Clavier 3 : synthétiseur Yamaha KX76 déclenchant la bande quadriphonique réalisée en studio, comportant onze segments, synchronisée pour le chef avec un *click-track* joué en MIDI par un synthétiseur Yamaha TX802.\n\nDeux claviéristes sont en charge de la partie électronique de la pièce. Le premier joue les parties de piano et de synthétiseur, le second contrôle deux claviers-maîtres MIDI dont l’un sert à déclencher les sons contenus dans l’échantillonneur et l’autre sert à déclencher les fichiers-sons quadriphoniques stockés sur ordinateur. Les deux interprètes disposent de deux pédales, l’une pour contrôler le volume du son et l’autre pour le maintien du son alors que des molettes de *pitch-bend* permettent de réaliser des variations continues de hauteur.\n\nLe support quadriphonique comporte onze segments et est synchronisé avec un *click-track* pour que le chef puisse assurer une parfaite synchronisation entre la partie électronique fixée et les parties jouées par les musiciens. Les instruments de l’orchestre sont sonorisés en façade en sorte d’assurer une meilleure fusion avec l’électronique alors que les fichiers-sons sont diffusés sur six haut-parleurs situés autour du public. La chanteuse est également sonorisée par le biais de deux micros, l’un servant à une amplification classique en façade, l’autre servant à traiter le son en lui ajoutant de la réverbération diffusée depuis l’arrière de la salle.\n\n[image:91448fa4-85ce-4f81-af75-a9cdab508491]\n\n**Figure 1. *EnTrance*, schéma du dispositif de câblage audio et MIDI [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n#### Structure et Matériau\n\nLa composition suit une forme cyclique impliquant la répétition de trois états A, B et C :\n\n- A) Respiration lente et régulière, polarisation harmonique, registres instrumentaux gelés, fusion (situation homéostatique, immobile, suspendue), souffle.\n\n- B) Respiration accélérée, temps d’inspiration toujours plus bref, crescendo dynamique et agogique, croissance exponentielle de la densité et des volumes, accélération du rythme harmonique et de distorsion, accentuation des transitoires d’attaque au point de produire une perturbation et une distorsion dans la perception des hauteurs.\n\n- C) Articulation rapide et violente, fin du mouvement inspiration/expiration dans la voix, nouvelle polarisation et régularité extrême du rythme harmonique devenant presque hypnotique, aucune fusion des instruments mais un unique geste furieux.\n\nCes trois états sont décrits par Romitelli comme correspondant à des situations statique (A), en accélération (B), avec des articulations “rapides et violentes” (C) [Romitelli, 1996, p. 5].\n\n**Sections de type A**\n\nLes sections de type A sont divisées en deux sous-sections, la première, telle un prélude en forme de stase, s’articule autour d’un matériau harmonique restreint et des registres instrumentaux immobiles [Figure 2 / Média 1]. L’introduction de la partie électronique marque le début de la seconde sous-section dans laquelle s’amorce progressivement un processus de transformation du timbre sur des agrégats de hauteurs perceptivement très proches, ce qui prolonge la sensation d’immobilité [Figure 3 / Média 2].\n\n[image:49c3d04b-4e01-472d-b825-3a64f3d847f6]\n\n**Figure 2. _EnTrance_, m. 1-10 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe0e094\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 1. _EnTrance_, m. 1-8 [© Arch. Ircam – Production].**\n\n[image:3ce36f3d-4767-4e22-ab6b-188b77d3b559]\n\n**Figure 3. _EnTrance_, m. 11-20, p.2 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x2d4f16\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 2. _EnTrance_, m. 9-40 [© Arch. Ircam – Production].**\n\n**Sections de type B**\n\nDans les sections de type B, les phases d'inspiration, très courtes, sont suivies d’une forte articulation vocale, affirmée, qui déclenche des mouvements rapides dans l’ensemble instrumental, tels que des arpèges et des _glissandi_. Ces phases alternent avec d’autres où les sons individuels, sans transition d’attaque, fusionnent avec des dynamiques plus contenues. La dynamique globale se situe donc entre _sforzato_ et *pianissimo* ; la densité des sons est élevée. Les agrégats harmoniques sont clairement différenciés et insérés dans un processus de compression temporelle. La distorsion est systématiquement utilisée, considérée à la fois d’un point de vue harmonique et comme synonyme de saturation (dans la partie électronique il y a en fait des sons transformés de guitare et de basse électriques) [Figure 4 / Média 3].\n\n[image:245e1a90-f15b-42a8-8c08-5f6170ad9cc9]\n\n**Figure 4. *EnTrance*, m. 91-100 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9961f9\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 3. _EnTrance_, m. 40-108 [© Arch. Ircam – Production].**\n\n**Sections de type C**\n\nLes articulations “rapides et violentes” mentionnées par Romitelli deviennent évidentes dans les sections de type C. La composante rythmique est mise en évidence au détriment de la densité sonore qui tend à se raréfier. Il n’y a plus de progressions harmoniques, les timbres des instruments individuels émergent clairement tandis que la voix répète de manière presque “compulsive” des cellules mélodiques. Face aux articulations rapides de l’ensemble, on entend des sons de synthèse complexes (partie enregistrée) et le son d’une guitare électrique saturée reproduit par l’échantillonneur. Le caractère violent des sections C est indiqué au moyen d’indications telles que “furioso”, “con estrema violenza”, “molto ritmato”, “martellato”, “sempre f”, “brutale” [Figure 5 / Média 4].\n\n[image:5b56de31-5494-4eb7-980d-d8122d0e19fa]\n\n**Figure 5. _EnTrance_, m. 131-140 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x50b994\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 4. _EnTrance_, m. 114-163 [© Arch. Ircam – Production].**\n\n**Forme globale**\n\n_EnTrance_ comprend trois parties correspondant à autant de cycles respiratoires. Les trois états inhérents à ces cycles sont clairement reconnaissables dans les deux premières parties où la linéarité du processus A (A’+A”) → B → C est parfaitement perceptible. La linéarité du processus est en revanche brouillée dans la troisième partie en raison de l’introduction de nouvelles sections d’essence hybride (de type A/B) et de la fragmentation de la section de type C [Figure 6]. L’alternance entre ces deux types de sections est perturbante, du fait des changements brutaux qu’elle introduit. Et c’est dans ce cadre que les mots de Romitelli deviennent particulièrement significatifs :\n\n> On cherche en vain dans cette pièce l’élégance et l’harmonie des proportions, l’équilibre formel et les transformations graduelles et linéaires. En revanche, j’ai exhibé l’aspect obsessionnel et violent, répétitif et visionnaire, oscillant entre une extrême densité et une extrême raréfaction.\n[Romitelli, 1996, p. 7]\n\nLa composition se termine par une coda avec une dynamique comprise entre _p_ et _ppppp_ lors de laquelle l’ensemble et les parties électroniques fusionnent totalement. Une séquence d’accords descend progressivement vers l’extrême grave, conduisant les deux dernières cordes de la contrebasse à être désaccordées, dans un processus qui conduit au silence à la mesure finale.\n\n[image:8aec3d5e-75c0-4a7f-9a1f-ae9cce0c76ff]\n\n**Figure 6. Structure de la pièce _EnTrance_ montrant la répartition des parties électroniques que le compositeur a choisi de représenter par des lettres. Le minutage est issu de l’enregistrement réalisé lors de la création [Arch. Ircam – Production].**\n\n#### Texte\n\nL’idée sous-jacente de l’œuvre, comme le suggère le titre, est un rituel dont le but est d’induire un état de transe. Le texte de référence pour la partie chantée est un mantra de quinze syllabes provenant de Bardo Thödöl (_Le Livre des Morts Tibétains_) “om a yu še sa ra ha ra ka ra re sva re hûm p’at” [Tucci, 1972, p. 217 ; Iglesias, 2003]. Dans les notes de programme, Romitelli explique clairement l’utilisation de ce mantra selon les différentes parties du l’œuvre : du point de vue phonologique, le passage d’une section de type A à une section de type C “correspond à une évolution non linéaire qui, d’une situation caractérisée par des voyelles diffuses, graves (les u, e, o italiens), associées à des consonnes nasalisées (m) et fricatives (s, š), amène à une situation dans laquelle apparaît une voyelle compacte (a), associée à des consonnes occlusives (k, p) et vibrantes (r)” [Romitelli, 1996, p. 5].\n\nLe processus décrit par Romitelli est respecté dans la première et la troisième partie de l’œuvre. En revanche, dans la deuxième partie, la voix entonne des consonnes occlusives et vibrantes (syllabes ha ra ka re, etc.) dans la section de type A, répète le mantra dans son intégralité dans la section de type B et disparaît dans la section de type C [Figure 7].\n\n<center></center>\n\n**Figure 7. Structuration du texte dans _EnTrance_. Le mantra est énoncé dans son intégralité dans les sections 2B et 3C.**\n\nLa soprano chante tantôt en inspirant, tantôt en expirant tout en réalisant des mouvements de la tête de manière à envoyer le son dans différents microphones [Figure 8]. La voix lyrique “expirée” est simplement amplifiée et diffusée depuis la scène. La voix bruitée “inspirée” est dirigée vers les unités de réverbération et d’écho pour être projetée depuis le fond de la salle de concert. La voix est l’élément pivot et la force motrice de la composition, car son rythme respiratoire marque le rythme harmonique de la partie instrumentale, ainsi que les transformations en termes de densité et de volume.\n\nCe mouvement, inspiration-expiration de paroles sacrées monosyllabiques, son accélération et les rotations de la tête dont il s'accompagne, rappellent les rites de certaines musiques traditionnelles qui favorisent l'entrée en transe en s'appuyant aussi sur des facteurs d'ordre physiologique, telle l'hyper ventilation durant l'accélération de la respiration, autrement dit une oxygénation maximale du cerveau [Romitelli, 1996, p. 5].\n\n[image:943b5836-1781-406f-84c0-a51c0add1a08]\n\n**Figure 8. _EnTrance_, soprano, m. 1-10 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n### Description de la partie électronique\n\n#### Clavier 1 – synthétiseur\n\nDans la version originale, le clavier 1 est un synthétiseur Yamaha SY99 comprenant deux _presets_:\n\n- Son de type “cordes filtrées”.\n\n- Même son transposé ¼ de ton plus haut.\n\nLe musicien utilise la molette de _pitch-bend_, programmée sur deux demi-tons afin de produire des variations de hauteur continues. Il contrôle aussi les variations d’intensité indiquées sur la partition grâce à une pédale de volume alors que la pédale de sustain lui permet de maintenir le son sans avoir besoin de tenir les touches enfoncées [Figure 9].\n\n[image:07f17dfb-ba44-4396-b8e4-1269b9521540]\n\n**Figure 9. _EnTrance_, clavier n°1 indiqué tast I, m. 1-7 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n#### Clavier 2 – échantillonneur\n\nLe clavier 2 – un Yamaha KX88 – sert à piloter un échantillonneur qui dispose de cinq *presets*. Le _pitch-bend_ doit être réglé sur sept demi-tons vers le bas et vers le haut:\n\n* Son de type “cordes filtrées” (une note unique *do* 5 = 84 en MIDI) [Média 5].\n\n* Même son transposé ¼ de ton plus haut.\n\n* Note de guitare électrique avec distorsion (échantillon sur la note *mi* 1, durée de 4 s) [Média 6].\n\n* Accord majeur de guitare électrique avec distorsion (échantillon : triades sur la note *mi* 1, durée de 4 s) [Média 7].\n\n* Son de piano (multi-échantillonné, deux nuances _p_ et _mf_, huit hauteurs de *la* 0 à *si* 4).\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xbba2e7\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 5. Cordes filtrées [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7adc41\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 6. Guitare électrique avec distorsion (note) [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4ad1c2\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 7. Guitare électrique avec distorsion (accord majeur) [© Arch. Pottier].**\n\nLes échantillons de cordes filtrées sont joués en boucle et peuvent donc être maintenus par l’instrumentiste suivant la durée indiquée dans la partition [Figure 10]. Les sons de guitare électrique sont joués sans boucle [Figure 11]. Diffusés à partir d’une sortie audio différente (gauche) de celle du son de piano (droite) les sons de corde et de guitare électrique sont agrémentés d’une réverbération assez marquée, réglée par l’ingénieur du son.\n\n<center></center>\n\n**Figure 10. _EnTrance_, clavier n°2 indiqué tast II, m. 71 [© Part. Ricordi, 1996]. Diffusion d’un son de type cordes, avec contrôle continu de la hauteur et du volume grâce à la molette de pitch bend et la pédale d’expression.**\n\n<center></center>\n\n**Figure 11. _EnTrance_, clavier n°2, m. 133 [© Part. Ricordi, 1996]. Diffusion d’un son de guitare électrique saturé et maintenu pendant que l’orchestre joue.**\n\n#### Support quadriphonique\n\nLa partie électronique fixée est formée de onze fichiers audio quadriphoniques, référencés respectivement S, T, Y, Q, W, AB, G, Ca, Cb, X et K sur la partition. Présente durant les trois quarts de l’œuvre [Figure 12], cette partie électronique fixée doit être diffusée à une intensité comparable à celle de l’orchestre. Elle met en jeu plusieurs familles de sons homogènes construites selon différentes méthodes de synthèse et de traitement. On peut notamment distinguer des sons de synthèse purement artificiels, des sons de synthèse générés à partir de modèles instrumentaux, et des sons instrumentaux échantillonnés, ayant ou non subi des transformations.\n\n[image:395ac14e-0789-4953-a43e-f8bcd111a523]\n\n**Figure 12. Enregistrement de la pièce (fond bleu) et partie électronique fixée (sur fond noir).**\n\n**Les sons instrumentaux sources**\n\nLes sons instrumentaux échantillonnés étaient de deux types, selon qu’ils étaient destinés à servir de modèles pour la synthèse ou à être utilisés pour le montage de la partie électronique. Ceux destinés au montage – des sons très riches et bruités – avaient été produits par trois instrumentistes:\n\n* Un joueur de flûte à bec contrebasse pour des sons aspirés, du souffle circulaire, des multiphoniques, des balayages harmoniques ou des notes très graves [Média 8].\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x35c534\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 8. Son de flûte à bec contrebasse [© Arch. Ircam – Production].**\n\n* Un joueur de guitare électrique (Fred Bigot) pour des sons saturés joués à l’archet électronique, avec des froissements de cordes [Média 9].\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcfd087\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 9. Son de guitare électrique [© Arch. Ircam – Production].**\n\n* Un joueur de basse électrique (Kasper T. Toeplitz) pour des sons joués à l’archet, saturés et très bruités [Média 10].\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb73464\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 10. Son de guitare basse électrique [© Arch. Ircam – Production].**\n\nLes sons servant de modèle de synthèse ou utilisés pour les synthèses croisées provenaient quant à eux de banques d’échantillons commerciales (guitare électrique, percussion, violoncelle, cuivres).\n\n**La CAO pour le contrôle de la synthèse sonore**\n\nSelon les données issues de l’analyse d’un modèle instrumental, Romitelli et Pottier ont choisi des techniques de synthèse leur permettant de produire un son élémentaire, dont certains comportements s’inspirent de ce modèle [Pottier, 1997a]. Puis, par prolifération de sons élémentaires, ils ont produit des textures plus complexes. Des algorithmes d’interpolation, de déformation ou de progression harmonique ont ensuite permis de construire toute une série de sons homogènes dans une section donnée de l’œuvre. Toutes ces opérations étaient générées automatiquement à travers un programme réalisé par le RIM dans l’environnement PatchWork (PW) [Figure 13]. Les données étaient ensuite transmises au programme Csound [^Csound] qui synthétisait tous les sons au sein d’une même famille.\n\n[image:922cdae2-a463-4569-b7bc-a605c70da2c2]\n\n**Figure 13. Les trois niveaux d’un patch PW pour le contrôle de la synthèse.**\n\nEnfin, d’autres séries de sons ont été produits selon ce même schéma en utilisant différentes techniques de synthèse ou de traitements. Ils ont ensuite été combinés, mixés entre eux générant des organismes sophistiqués ayant une vie propre et pouvant rivaliser et dialoguer avec l’orchestre. Si on considère par exemple la section 1B, la partie électronique T [Figure 14 / Média 11] est formée de la superposition de sons échantillonnés (basse électrique avec distorsion) et d’un assemblage de sons produits par quatre techniques de synthèse différentes que nous détaillons plus [loin](https://brahms.ircam.fr/analyses/EnTrance/#partie-electronique).\n\n[image:4875ca24-81ae-4411-aa64-0566b48a3895]\n\n**Figure 14. Schéma du mixage de la partie électronique T (section 1B). La progression harmonique s’accélère progressivement suivant neuf étapes successives et recourt à des sons de synthèse (“V04”, “V91”, “Celldist”, “datachantfof”) et des sons échantillonnés non traités de basse électrique (“KP”).**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x201469\" width=\"600\" height=\"285\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 11. Partie électronique T de la section 1B [© Arch. Ircam – Production].**\n\n**Traitements sonores**\n\nEn plus des sons échantillonnés utilisés tels quels dans le montage et des sons de synthèse, le support quadriphonique comprend des sons issus deux types de traitements : la synthèse croisée et le filtrage. Le logiciel Audiosculpt a été utilisé pour réaliser des synthèses croisées généralisées. En croisant deux sons aux spectres riches (comme par exemple une cymbale jouée à l’archet et une note de guitare électrique saturée), il est possible d’obtenir des sons ayant des caractéristiques spectrales intermédiaires entre les deux sons d’origine [Figure 15].\n\n[image:4c5d26ab-b904-4a6c-b163-02db793f4534]\n\n**Figure 15. Exemple de réglages pour la synthèse croisée dans Audiosculpt. Croisement entre le son “BowedCymbale” [Média 12] et “MetalSingleNoteA1” [Média 13] afin de produire le son “BowCym3GCSMetalA1” [Média 14].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x2f41be\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 12. Son “BowedCymbale” [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xca5b73\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 13. Son “MetalSingleNoteA1” [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcc57fa\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 14. Son “BowCym3GCSMetalA1” résultant du croisement entre les deux sons précédents [© Arch. Pottier].**\n\nTrois techniques de filtrage ont aussi été utilisées pour transformer des sons :\n\n* Le filtrage formantique, permettant de donner à certains sons bruités un aspect vocal.\n\n* Le filtrage résonant sur modèles de résonances [Médias 15 à 17], sorte de synthèse croisée dans laquelle un son riche et complexe est soumis à la résonance d’un modèle instrumental (obtenu par une analyse préalable).\n\n* Le filtrage résonant harmonique, destiné à faire apparaître dans des sons sources certaines hauteurs sélectionnées de manière à les harmoniser avec les sons de l’orchestre.\n\n[image:fbda3bec-167c-4f8e-9172-06eb78680068]\n\n**Figure 16. Tableau récapitulatif des types de sons électroniques utilisés pour construire la partie électronique quadriphonique dans chaque section de la pièce**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x16ec06\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 15. Son “attssaarv1b” produit par synthèse par modèle de résonance [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5936e8\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 16. Son “asectQ-filF00” produit par filtrage [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd36e1b\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 17. Son “asectQ-fil00” produit par filtrage [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x77e394\" width=\"600\" height=\"360\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 18. Montage dans Protools de la partie électronique W [© Arch. Ircam – Production].**\n\n### Analyse de la section 1B\n\n#### Relation entre agrégats et spectres\n\nOn observe dans la section 1B l’alternance de deux situations harmoniques de nature différente : une liste de neuf agrégats T [Figure 19] et une liste de spectres S construits sur une mélodie de neuf fondamentales [Figure 20]. La section 1B est composée de neuf sous-sections, chacune étant à son tour divisée en deux (agrégat T suivi du spectre S). Le matériau harmonique ainsi que le rythme respiratoire de la voix font partie d’un processus de compression du temps et donc d’accélération. Après ces neuf sous-sections, on observe une _codetta_ finale [Figure 17].\n\n[image:f87bf0a7-67fe-4dd6-9432-1977bb41f442]\n\n**Figure 17. Structure de la section 1B.**\n\nLa partie de soprano suit également cette répartition: dans chaque sous-section, des inspirations très courtes déclenchent des articulations qui, du registre aigu (*fa* 5), vont en expirant vers le grave [Kaltenecker, 2015, p.134-137) [Figure 18].\n\n[image:d1993ea6-db37-47eb-b45f-c9197b1f0100]\n\n**Figure 18. _EnTrance_, partie de soprano dans la première sous-section, m.41-50 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n**Agrégats T**\n\nL’analyse de la liste des agrégats fait ressortir la nature des relations entre des objets sonores adjacents, connectés entre eux à travers deux règles de transition : des intervalles communs et des notes communes [Figure 19][^timbre]. Il en résulte un parcours harmonique cohérent entraînant un élargissement progressif du registre sonore.\n\n[image:3b258677-975f-4e00-a21a-df73f0596812]\n\n**Figure 19. Liste des agrégats T et leurs connexions (notes communes et intervalles communs).**\n\n**Spectres S**\n\nLe calcul du spectre est conforme avec la procédure décrite par Murail pour souligner l’idée “d’harmonie fréquentielle” [Murail, 1984 ; Murail, 2000] : chaque note de la ligne mélodique devient essentielle dans le spectre composé de 30 partiels. Les spectres, toutefois, ne sont pas harmoniques car ils sont distordus par le biais de différents coefficients [Figures 20 à 22].\n\n[image:9f1b5d64-ad3b-4f35-87d4-48a6b3f3cbda]\n\n**Figure 20. Liste des fondamentales pour les spectres S et des coefficients de distorsion associés.**\n\n\n<center></center>\n\n**Figure 21. Facteurs de multiplication des fréquences pour trois coefficients de distorsion différents (0.85, 1, 1.1).**\n\n[image:99cb91d1-2e5d-4168-9881-0a2595fb5148]\n\n**Figure 22. Patch OpenMusic pour la production des neuf spectres (dix premiers partiels).**\n\nD’après les esquisses du compositeur, les fréquences fondamentales des spectres S sont associées à plusieurs coefficients de distorsion : pour S1, par exemple, nous trouvons les valeurs 0.95, 0.8 et 0.7. Romitelli semble alors opérer un choix arbitraire, en encerclant le coefficient 0.8. Il reste cependant à comprendre l’origine de ces différents coefficients. Une librairie de fonctions, écrite en langage Lisp et développée par Romitelli à cette époque laisse supposer qu’il a utilisé certaines de ces fonctions afin de créer un lien entre chaque agrégat T et le spectre S respectif. Une fois les neuf agrégats et la liste des fréquences fondamentales de S définis, il restait alors à identifier les coefficients de distorsion qui permettraient “d’intégrer” l’agrégat dans le spectre. En particulier, on trouve deux fonctions en Lisp adaptées, “HH” et “finddist-contr”. La première donne une liste de spectres, avec une fondamentale fixe, dans laquelle l’agrégat peut être intégré (approximation au demi-ton) ; la seconde en identifie les coefficients de distorsion. Les coefficients obtenus par l’évaluation de ce système de fonctions correspondent aux valeurs trouvées dans les esquisses.\n\n#### Partie électronique\n\nLa partie électronique T correspondant à la section est formée de deux couches superposées [Figure 14] : une piste de sons échantillonnés de basse électrique jouée à l’archet, avec distorsion, et une piste comprenant une succession de neuf agrégats complexes obtenus par mixage de quatre groupes de fichiers audio synthétisés de différentes façons.\n\nLes sons de synthèse sont de plusieurs types [Figure 23] :\n\n* Sons “V04” : synthèse par forme d’onde\n\n* Sons “datachantfof” : synthèse par fonction d'ondes formatiques (FOF) percussives sur un modèle de contrebasse\n\n* Sons “celldist”\n\n* Sons “V91” : synthèse par forme d’onde\n\n<center></center>\n\n**Figure 23. Schéma d’assemblage des agrégats sonores à partir des divers types de sons de synthèse.**\n\nLe schéma ci-dessous montre à la fois le rôle des différents types de sons de synthèse utilisés (“V04” : ascension, “V91” : écho, “celldist” : résonance, “datachantfof” : percussion) et les liens avec les rôles des différentes familles instrumentales dans l’orchestration [Figure 24].\n\n[image:8034c7f8-e9f0-4dac-bd92-a873c419d4f0]\n\n**Figure 24. Les trois modèles compositionnels à la base de l’écriture de la section 1B [Arch. Pottier].**\n\n**Les sons “datachantfof”**\n\nCes sons ont été produits par synthèse percussive par FOF, technique développée dans les années 80 autour du programme Chant à l’Ircam [Barrière et *al.*, 1985b]. Ici, la synthèse FOF est réalisée à partir d’une modélisation de la résonance d’un son de contrebasse, analyse effectuée par Jean-Baptiste Barrière et utilisée dans sa pièce _Hybris_ en 1988. Ce modèle a été modifié en ne gardant que les partiels ayant les plus longues résonances (bw < 1,5 Hz) et en multipliant par trois la durée de ces résonances. Chaque partiel a par ailleurs été doublé au quart de ton supérieur pour enrichir le modèle [Pottier, 2009, p. 188]. La synthèse a été réalisée directement dans l’environnement PatchWork-Chant [Figure 25 / Médias 19 et 20].\n\n[image:17a58ed2-5ce0-4b37-850f-8a1a0b76cdf2]\n\n**Figure 25. Le patch de synthèse dans PW-Chant. À gauche le patch principal, contenant les accords à synthétiser, à droite le module de synthèse (reson-synth) faisant appel au modèle de résonance de contrebasse [Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3c8f1e\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 19. Son “datachantfof-CB-0” [© Arch. Pottier]. **\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xed365e\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 20. Son “datachantfof-CB-1” [© Arch. Pottier].**\n\n**Synthèse par forme d’onde variable**\n\nUn des grands principes de la synthèse sonore, pour obtenir des sons musicaux, consiste à faire varier en permanence tous les paramètres (fréquence, amplitude, spectre, etc.). La synthèse par forme d’onde variable permet d’interpoler progressivement plusieurs oscillateurs ayant des formes d’ondes différentes de façon à faire varier le spectre de façon continue. L’amplitude et la fréquence suivent également des courbes variant de façon continue. À cela s’ajoutent des modulations périodiques et aléatoires de ces paramètres. La synthèse est produite par Csound, mais l’environnement PatchWork est utilisé pour contrôler les différents paramètres de synthèse avec les bibliothèques SpData [Pottier, 1997b] et Csound/Edit-sco [Malt et Pottier, 1993]. Trois types de sons ont été générés de la sorte: [“celldist”](brahms.ircam.fr/media/uploads/T-celldist-V8Mi1-0.8.csd), [“V91”](brahms.ircam.fr/media/uploads/T-V91_1accd1.csd) et [“V04”](brahms.ircam.fr/media/uploads/T-V04-accd0.csd).\n\nLes sons “celldist” sont réalisés à partir de l’analyse d’un son acoustique de violoncelle [Média 21]. Les formes d’onde utilisées pour la synthèse proviennent des analyses des dix premiers partiels réalisées toutes les secondes. L’objectif n’était pas de synthétiser des sons de violoncelle, mais de générer un son complexe dont les variations de timbre s’inspirent du monde instrumental. Chaque son synthétisé [Média 22] est alors utilisé comme un son partiel faisant partie d’un son plus complexe [Pottier, 2009, p. 186]. Le son final est obtenu en faisant jouer à ce synthétiseur l’ensemble des trente notes du spectre S [Média 23]. Contrairement à la synthèse additive qui se contente de superposer des sons purs, ce procédé permet de créer un spectre bien plus complexe et s’apparente à la technique spectrale de synthèse instrumentale.\n\n[image:d2841b4e-644a-4f94-b720-1460bb3ab38b]\n\n**Figure 26. Amplitudes des premiers harmoniques d’un son de violoncelle et formes d’onde associées, lors de l’attaque (en haut) et de l’extinction du son (en bas) [Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa0b46c\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 21. Son de violoncelle d’origine [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x43f17b\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 22. Un son partiel produit par synthèse [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7b9bde\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 23. Un des sons définitifs [© Arch. Pottier].**\n\n[image:e280728b-1ebf-44c1-94b4-231a1b7c8dc8]\n\n**Figure 27. Patch PatchWork pour la synthèse des sons “celldist” utilisant les bibliothèques SpData et Csound/Edit-sco. La case n°1 montre la variable “_distchds_”, qui contient la liste des hauteurs de chacun des accords distordus. La case n°2 permet la lecture des analyses additives du son de violoncelle, réalisées au préalable avec le logiciel Diphone. La case n°3 contient le module “edit-sco-obj”, dont la fonction est d’agréger tous les paramètres calculés et d’écrire le fichier de score pour Csound.**\n\nLes sons “V91” [Médias 24 et 25] et “V04” [Médias 26 et 27] ont également été produits par synthèse par forme d’onde variable dans l’environnement PatchWork-Csound, mais sans l’utilisation d’un modèle instrumental. Les sons de type “V91” utilisent les fréquences définies par les agrégats T [Figure 19] alors que les sons de type “V04” utilisent les fréquences définies par les spectres S [Figure 20].\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xfbd439\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 24. Son “V91 secT-V91_1accd1” [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcefc7b\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 25. Son “V91 secT-V91_1accd2” [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7d5b9a\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 26. Son ”V04 secTB-V04-accd0” [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xed24b7\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 27. Son ”V04 secTB-V04-accd1” [© Arch. Pottier].**\n\n#### Première sous-section\n\nLes mesures 41 à 50 correspondent à la première sous-section [Figure 28]. Ici, l’orchestration de T<sub>1</sub> est montrée en rouge alors que celle de S<sub>1</sub> est montrée en bleu. La transition entre ces deux situations harmoniques est rendue plus douce par des notes communes, dont la plupart sont jouées par des cuivres. D’autres aspects restent à clarifier. L’articulation dans les mesures 44-47 du marimba, du clavier II et des violons, mise en évidence en vert, est produite par l’inversion de la structure intervallique de l’agrégat T<sub>1</sub> [Figure 29].\n\n[image:6c1c6b96-e7f6-4e23-8339-5ea561e60106]\n\n**Figure 28. _EnTrance_, m. 41-50 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x25234b\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 28. _EnTrance_, m. 41-50 [© Arch. Ircam – Production].**\n\n<center></center>\n\n**Figure 29. Inversion de la structure intervallique de l’agrégat T<sub>1</sub>.**\n\nNous pouvons aussi mentionner spécifiquement les arpèges et glissandi trouvés dans les mesures 41 et 43, surlignés en jaune. Ici, les matériaux de base, provenant également de l’agrégat T<sub>1</sub>, subissent une procédure combinatoire supplémentaire : en plaçant un axe de symétrie sur l’intervalle *si* – *sol*, Romitelli a produit par inversion une nouvelle réserve de sons [Figure 30]. Dans la mesure 43, les arpèges joués par les bois proviennent directement de ce matériau ; les cuivres et les cordes jouent des *glissandi* dont l’origine et la destination se trouvent dans les notes que l’on vient de sélectionner. La procédure choisie pour la composition des arpèges dans la mesure 41 est similaire, sauf lors d’une transposition d’une sixte mineure vers l’aigu (hautbois et violon I) et d’une seconde majeure vers le grave (basson et violoncelle). Ceci est fait de manière à atteindre le *fa* sur la dernière note des arpèges.\n\n\n<center></center>\n\n**Figure 30. Réserve de sons pour mesures 41 et 43.**\n\nLa partie de la soprano qui amorce la section 1B est également liée à une transformation de l’agrégat T<sub>1</sub>. En éliminant la note grave de l’agrégat T<sub>1</sub>, le *si*<sub>3</sub>, et en transposant les deux notes plus élevées d'une octave plus bas, *sol #*<sub>5</sub> et *la*<sub>5</sub> – c’est-à-dire en compactant le matériau mélodique dans l’octave – le résultat est exactement la partie de la soprano [Figure 31]\n\n<center></center>\n\n**Figure 31. _EnTrance_, soprano, m. 40-41.**\n\n### Analyse de la section 2A”\n\n#### Progression harmonique\n\nLa structure de toute la section 2A\" est guidée par la partie de soprano qui, comme le suggère Kaltenecker, “est constitué[e] de trois phrases caractérisées par une triple anaphore descendante sur la tierce *ré*<sub>4</sub> – *si*<sub>4</sub>, suivie à chaque fois de trois montées chromatiques […] vers *mi* b, qui sera le point de départ de la période suivante” [Kaltenecker, 2015, p. 138]. La montée chromatique, réalisée en neuf étapes (notées E), est introduite et entrecoupée par l’anaphore *ré* – *si* (notée A) [Figure 32]. L’anaphore (syllabes “p’at om”) fait partie d’un agrégat [Figure 33] orchestré dans la partition et inchangé à chaque répétition. À la troisième répétition, l’indication de métronome passe de 66 à 76.\n\n[image:ca5dc9b3-2355-4bdb-a498-77b5a90e12b3]\n\n**Figure 32. Structure de la section 2A” identifiée sur la partie de soprano, m. 181-212.**\n\n<center></center>\n\n**Figure 33. Agrégat de base orchestré dans la partition.**\n\nÀ chaque étape de la montée chromatique de la voix (E) correspond une nouvelle situation harmonique. La technique compositionnelle utilisée est la simulation de la synthèse par modulation de fréquence [Murail, 1984], dans laquelle les fréquences porteuses sont définies par la triade de *si* b mineur, “filtrée” en isolant les trois notes les plus graves de l’agrégat de base. Pour le calcul des fréquences, Romitelli a créé et utilisé un ensemble de fonctions écrites en Lisp. L’environnement graphique PatchWork a permis également de traduire les fréquences en notation traditionnelle et donc de faciliter l’écriture de la partition. Deux fonctions, notamment, ont été utilisées :\n\n* “fmmodplus” détermine la modulation de fréquence avec une fréquence porteuse fixe, une liste de fréquences de modulation et un index de modulation fixe.\n\n* “jinterpol” donne une liste de valeurs qui interpolent deux extrêmes donnés, avec la possibilité de définir le nombre d’états intermédiaires et un coefficient de distorsion. Cette fonction est utilisée par obtenir la liste des fréquences de modulation utilisée par “fmmodplus”.\n\nDans le détail, les fréquences porteuses p sont celles de la triade de *si* b mineur (233 Hz, 277,18 Hz, 349 Hz) et il y a neuf fréquences de modulation *m*[^mod] [Figure 34]. L’augmentation de la fréquence de modulation produit un élargissement progressif de l’ambitus à chaque étape. L’indice de modulation *i* est fixé à 2. Pour chaque fréquence porteuse, on peut obtenir de cette manière au moins quatre partiels : p ± m et p ± 2m [Figure 35]. Le matériel ainsi obtenu est ensuite doublé et transposé vers le grave (- ¼ de ton) afin de créer un effet de chœur.\n\n[image:95acbe06-a4a6-4c22-831a-f2c85454a0e6]\n\n**Figure 34. Liste des fréquences de modulation _m_ pour chaque étape [© Arch. Ircam – Production].**\n\n[image:0c23a03f-aeb6-40c4-bd58-9502dfd9a7ff]\n\n**Figure 35. Exemple de reconstruction du patch dans le langage PWGL. La fonction “fmmodplus” réalise une modulation de fréquence d’indice 2 sur la porteuse 233 Hz (*si* b<sub>3</sub>). Liste de neuf fréquences de modulation définies par la fonction “jinterpol”.**\n\n#### Organisation temporelle\n\nÀ chaque étape E, Romitelli utilise une grille structurelle, formée de douze “instants”, qui définit la distribution des entrées, des sorties et des pics d’intensité des sons [Figure 36]. La distance entre les impacts n’est pas constante, mais diminue dans un processus de densification rythmique [Figure 37].\n\n[image:35f71d13-2082-4a14-9296-eed7c592f082]\n\n**Figure 36. Distribution des entrées, des sorties et des pics d’intensité des sons pour chaque étape.**\n\n[image:def74187-6f7a-4831-820d-8fee6d47c533]\n\n**Figure 37. Schéma rythmique établi à partir d’une esquisse du compositeur [Arch. Fondation Cini].**\n\n#### Partie électronique\n\nLa partie électronique de la section 2A” (notée Q) est réalisée à partir de sons filtrés de flûte à bec contrebasse [Média 29], de sons de guitare basse électrique frottée très légèrement avec un archet [Média 31], de sons de guitare électrique saturés [Média 33] et de sons de cloches. Différents filtrages [Médias 30 et 32] ont été réalisés pour chacune des trois notes de référence de cette section; *si* b, *ré* b et *fa*. Les sons ainsi produits sont alors mixés entre eux. Le résultat sonore, très proche de celui obtenu dans la section 1A, évoque à nouveau le bruit du vent, le souffle mais de manière plus mystérieuse car moins facilement identifiable [Média 34].\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcb0948\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 29. Son original “1-flutbass4m” de flûte basse [© Arch. Ircam – Production].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc1b801\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 30. Son filtré “2-asectQ-filF00” de flûte basse [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb3375a\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 31. Son “3-KPbruitArcPTm” [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9569c4\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 32. Son “4-asectQ-fil00” [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0dcfc9\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 33. Son de guitare électrique saturé, final de la partie Q [© Arch. Ircam – Production].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf04ebf\" width=\"600\" height=\"465\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 34. Montage dans Protools de la partie électronique Q.**\n\n#### Les deux premières étapes\n\nLes figures suivantes récapitulent les faits énoncés précédemment pour la section 2A”, à propos des deux premières étapes [Figures 38 et 39].\n\n<center></center>\n\n**Figure 38. Matériau harmonique des deux premières étapes (E1 et E2). *p* représente les fréquences porteuses sur la triade de *si* b mineure; FM, le résultat de la modulation de fréquence sur chaque note p; FM - ¼T, sa transposition un quart de ton plus bas.**\n\n[image:242c0dc3-ad0e-4415-ad70-349fe1f2564b]\n\n**Figure 39. *EnTrance* m. 181-190, [© Part. Ricordi, 1996]. Analyse des deux premières étapes, E1 et E2. Les couleurs suivent le schéma présenté dans la figure 28 avec, en bleu les fréquences porteuses, en rouge et en violet la modulation de fréquence, en jaune et en vert sa transposition vers le grave (- ¼ de ton). **\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa3d3b0\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 35. _EnTrance_, m. 181-190 [© Arch. Ircam – Production].**\n\n### Analyse de la section 2C\n\nLa section 2C comprend une introduction, un noyau divisé en six sous-sections de mêmes durées et une *codetta*, divisée en deux sous-sections de durée similaire. Le caractère “violent”, “brutal”, typique des sections de type C est évident dès les premières mesures introductives [Média 36] : violoncelle “arco al tallone” et contrebasse “pizz. slap” jouent sur un rythme incisif de matrice rock sur l’intervalle d’une tierce mineure *mi* b – *sol* b, alors que l’échantillonneur déclenche un son “Metal” tenu de guitare électrique très puissant.\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7c5e35\" width=\"600\" height=\"270\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 36. _EnTrance_, début de la section 2C, m. 271-282 [© Part. Ricordi, 1996 / Arch. Ircam – Production].**\n\n#### Construction harmonique\n\nD’un point de vue harmonique, les sections s’articulent en alternant deux groupes d’accords, que Romitelli, dans ses esquisses, appelle respectivement AA et AB. Le compositeur commence par une concaténation d’accords qu’il nomme “contrepoint” [Figure 40]. Seuls les deux premiers accords (AA et AB) vont être utilisés pour générer du matériel harmonique. Le mécanisme utilisé dans la construction des groupes d’accords est de nature intervallique : les notes les plus graves (respectivement *do*<sub>3</sub> et *si*<sub>2</sub> sont exclues du processus de construction même si elles peuvent être présentes dans la partition en guise de “fondamentales” des groupes d’accords. Les trois notes supérieures deviennent des notes de base auxquelles le compositeur adjoint deux nouvelles notes afin de construire des intervalles spécifiques telles que des neuvième mineure, triton, sixte majeure, tierce majeure (AA1) et neuvième mineure, tierce mineure, quinte juste, triton (AB1). Romitelli s’impose la contrainte suivante : les nouveaux accords doivent comporter deux intervalles égaux. Ainsi AA2 comportent deux tierces majeures, AA3, deux sixtes majeures, AA4, deux tritons, AB2, deux tritons, AB3, deux tierces mineures, AB4, deux quintes justes. La note de base la plus grave (*mi* b<sub>4</sub> dans AA1 et *fa*<sub>4</sub> dans AB1) est systématiquement intégrée dans les nouveaux accords [Figure 41].\n\n<center></center>\n\n**Figure 40. Sélection des deux premiers accords pour établir le “contrepoint”.**\n\n[image:85c7f1dc-e473-4e1d-bc85-1044e9628f5c]\n\n**Figure 41. Génération des accords de la section 2C avec en rouge les intervalles identiques.**\n\nLes différentes sous-sections s’articulent autour de ces accords : AA2, AB2, AA3, AB3, AA4, AB4 pour la partie principale, AA1 et AB1 pour la *codetta* [Figure 42]. D’autres notes viennent enrichir ces accords afin de fournir davantage de matériel aux instruments de l’ensemble et de construire une structure harmonique symétrique [Figure 43].\n\n[image:dc3242ac-c64b-4c6b-88dc-a885cdeceda2]\n\n**Figure 42. Structure de la section 2C.**\n\n[image:610618d6-61d7-4053-b511-9d4c09229f8c]\n\n**Figure 43. Enrichissement des accords avec le détail de la structuration intervallique.**\n\n#### Partie électronique\n\nComme indiqué plus haut, les accords AA et AB sont joués en alternance tout en subissant quatre variations harmoniques successives. Ici les sons électroniques sont construits par le mixage d’échantillons de guitare électrique, de basse électrique, de cymbales ou du croisement entre ces sons. Ces sons, dont la plupart ont été filtrés par les accords AA et AB pour être en harmonie avec les parties instrumentales, présentent des comportements dynamiques variés : enveloppes percussives, enveloppes croissantes/décroissantes, enveloppes stationnaires. Le mixage de cette section a été réalisé sur une soixantaine de sons électroniques, dont parfois une douzaine sont simultanés, en jouant sur les variations de dynamiques pour produire une sorte de continuum sonore dans la partie électronique. Dans la mesure où les accords AA et AB ne couvrent pas l’étendue du spectre audible, les filtres ont été démultipliés en produisant pour chaque hauteur une série harmonique défective (rangs 1, 3, 6, 10, 15, 20, 26, 32, 39, 46) [Figure 44].\n\n[image:e37bee7e-752e-4ad4-8ad7-5766ca14cbdb]\n\n**Figure 44. Les 27 hauteurs des filtres obtenus à partir de l’accord AA1. Pour chacun des cinq arpèges, la première note est la fondamentale (ici *mi*<sub>4</sub>, *la* #<sub>4</sub>, *si*<sub>5</sub>, *ré* #<sub>3</sub> et *sol*<sub>5</sub>, soit l’accord AA1).**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd1521e\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 37. Son “BowCym3GCSMetalA1” [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x302d62\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 38. Son “AA-C2Lb-BCGM-0” obtenu en filtrant le précédent son à travers les 27 filtres [© Arch. Pottier].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc9eac7\" width=\"600\" height=\"350\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 39. Montage dans Protools de la partie électronique de la section AB [© Arch. Ircam – Production].**\n\n#### La deuxième sous-section (accord AB2)\n\nLe matériel harmonique de la deuxième sous-section [Figure 45] est celui défini par AB2. Il faut souligner l’utilisation spectrale du son fondamental *si*<sub>2</sub>, qui est renforcé avec le sous-harmonique *si*<sub>1</sub> et le troisième partiel de ce dernier, *fa* #<sub>3</sub> (cf. par exemple le basson, le trombone, l’échantillonneur et le violoncelle dans la première mesure). L’instrumentation suit une nette division selon les familles traditionnelles: les bois alternent des mouvements parallèles vers l’aigu, souvent à l’unisson, avec des arabesques ondulatoires par mouvement contraire ; les cuivres alternent articulations rapides et accentuées, avec des sons tenus et en évolution dynamique; la soprano est absente dans cette section ; l’écriture des percussions – glockenspiel et vibraphone – présente des incises brèves très rapides, fragmentées et diversifiées ; les articulations rapides des vents ont leur contrepartie dans les *glissandi* des cordes.\n\nL’extrême articulation de l’ensemble acoustique contraste avec l’échantillonneur, qui joue des notes tenues de guitare électrique avec distorsion, et avec la partie électronique qui ajoute d’autres sons tenus suivant une enveloppe *crescendo*-*diminuendo*. Du point de vue rythmique, il n’y a pas d’ancrage sur une pulsation identifiable : l’utilisation de groupes irréguliers, comme des triolets, quintolets et septolets, en même temps que la variété rythmique interne à chaque instrument, ne permettent pas de percevoir un rythme défini. De la même façon, la périodicité globale de la section est évidente : les sous-sections ont la même durée (~7 s) et l’ordre d’apparition des figures musicales est similaire. Le matériel harmonique, comme nous avons vu, oscille régulièrement entre le groupe AA et le groupe AB.\n\n[image:11fc1083-24f2-4540-bf22-977c468d9977]\n\n**Figure 45. _EnTrance_, section 2C (deuxième sous-section), m. 291-298 [© Part. Ricordi, 1996].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xbc91f7\" width=\"480\" height=\"60\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 40. _EnTrance_, m. 291-298 [© Arch. Ircam – Production].**\n\n### Préservation et re-création\n\nLes musiques mixtes interactives utilisent des technologies, programmes et données dont la préservation pose des problèmes complexes. De nouvelles versions des logiciels de synthèse, traitement et contrôle audio en temps réel, se succèdent rapidement, rarement compatibles avec les versions antérieures rendant les précédents formats obsolescents. La reprise d’une œuvre dans un environnement technologique différent de celui dans lequel elle a été créée est toujours difficile : les dispositifs doivent être documentés, conservés, mais aussi mis à jour pour pouvoir être utilisés dans de nouveaux contextes technologiques. L’Ircam a mis en œuvre depuis longtemps des moyens pour la documentation, la conservation et la préservation des œuvres qui y ont été créées, mais malgré tous les efforts entrepris, des problèmes peuvent persister. Si une communauté plus large de compositeurs, de musiciens et d’informaticiens ne se constitue pas pour prendre en charge ce travail nécessaire de révision permanente pour faire face à la menace de l’obsolescence technologique, le risque est grand qu’*EnTrance* et tout l’héritage musical issu du numérique ne soient plus rejouables et sombrent dans l’oubli. Plusieurs opérations de maintenance et de préservation ont été menées sur *EnTrance* après sa création.\n\n#### Version 1996\n\nLa version initiale a nécessité un ensemble technique complexe, puisque la pièce utilisait deux ordinateurs Macintosh, un TX802, un SY99, deux claviers maîtres, un séquenceur *direct-to-disk*, un échantillonneur et un dispositif de sonorisation multipoints [Battier, 1998]. La question de la sauvegarde est tout autant technique que musicologique. Il s’agit de reprendre les programmes qui ont servi à élaborer les sons, afin de ré-instancier les processus qui ont permis de produire les sons de la partie électronique.\n\n**La composition et la synthèse**\n\nDans *Natura morta con fiamme*, il est possible aujourd’hui de re-créer tous les sons produits par le compositeur dans cette pièce puisqu'il y faisait appel au langage Lisp pur pour une synthèse en Csound et que ces deux langages sont restés pérennes depuis plus de vingt ans [Maestri, 2015]. En revanche pour *EnTrance*, s'il est possible de re-créer les sons synthétisés avec Csound, tout ce qui était réalisé avec PatchWork n’est plus accessible. Une des possibilités, proposée par Alessandro Olto à l’Ircam, est d’installer un système Mac OS9 sur un PowerMac-G4 et trouver une version de PatchWork compatible avec celle utilisée pour *EnTrance*, avec ses bibliothèques associées, dont certaines comme PW-Chant pour la synthèse de la voix ou de modèles de résonance, ont disparu avec les ordinateurs Macintosh 68k [Olto, 2017b].\n\n**Le temps réel**\n\nLes synthétiseurs et l’échantillonneur utilisés dans la version originale de la pièce sont difficiles à trouver en bon état de fonctionnement aujourd’hui, mais des outils existent pour les remplacer. Pour l’échantillonneur, on dispose des sons d’origine et Olto a pu extraire du programme les détails des enveloppes et des points de boucles de ces sons [Figure 46]. Il est ainsi possible de réécrire les presets avec un nouvel échantillonneur.\n\n[image:ef360334-4c71-4402-8932-8491a7fb01c0]\n\n**Figure 46. Quelques informations sur le réglage “Metal triad” dans le Logiciel SampleCell.**\n\nEn ce qui concerne le SY99, le compositeur attachait peu d’importance à la création d’un son complexe, il souhaitait simplement un son de type “cordes filtrées”, qui ne soit pas trop proche d’un véritable son d’orchestre à corde, mais pas trop synthétique non plus, c’est-à-dire un son intermédiaire, que l’on peut trouver sur beaucoup de modules de synthèse standard. Néanmoins, en ayant noté les réglages des paramètres du SY99, il est possible de programmer à nouveau les sons du SY99 manuellement, sans aucun patch, sans disquettes obsolètes et sans aucun système d’interfaçage.\n\n**Le support**\n\nLa version initiale a été montée dans Digital Performer, et les onze parties électroniques étaient déclenchées par des notes MIDI sur un clavier maître. Un *click* MIDI était envoyé sur un synthétiseur TX802 à destination du chef d’orchestre.\n\n#### Version ADAT 1996\n\nLors de la production initiale, l’Ircam a réalisé une bande au format ADAT (Alesis) cinq pistes comprenant l’ensemble des sons électroniques quadriphoniques de l’œuvre et le *click-track*. Ce dispositif simplifié permet de ne plus utiliser d’ordinateurs. Dans ce cas, le dispositif gagne en simplicité, mais on perd les respirations de durées variables entre les sections.\n\n#### Version CD 2005\n\nEn 2005, Denis Lorrain a réalisé une nouvelle version à titre posthume du dispositif électronique d’*EnTrance* [Figure 47], consistant notamment à remplacer l’échantillonneur logiciel SampleCell par un sampleur Akai S5000 [Lorrain, 2005]. À cette occasion, le dispositif de déclenchement des fichiers quadriphoniques a été programmé en Max/MSP pour être déclenché par un RIM en concert. C’est ce dispositif qui a été utilisé pour l’enregistrement commercial de l’œuvre [EA CD Stradivarius, 2007] et lors du festival Manca du CIRM à Nice en 2008 [Arch. CIRM].\n\n[image:135b375d-d1b5-4412-976b-185c4d30812c]\n\n**Figure 47. Fiche technique de la version d’_EnTrance_ de Denis Lorrain [2005].**\n\n#### Comparaison entre différents enregistrements\n\nSi les technologies utilisées dans l’œuvre arrivent à être facilement préservées (peu de dispositifs temps réel complexes, pas de traitement électronique non standard en direct), il n’en reste pas moins que des interprétations de l’œuvre [Figure 48] peuvent lui donner un aspect extrêmement contradictoire, si l’on se fonde sur les choix opérés sur les nuances et les modes de jeux. À ce titre nous effectuerons quelques comparaisons entre les premières versions enregistrées de l’œuvre en 1996 et 1997 [Arch. Ircam – Production et Ressources] et l'unique enregistrement commercial publié à ce jour [EA CD Stradivarius, 2007].\n\n[image:c8005c20-2f58-4b3e-89dc-c4beb5f5ffb4]\n\n**Figure 48. Différents enregistrements de l’œuvre.**\n\nDans la version 1996 [Arch. Ircam – Production], il était indiqué que les parties jouées sur l’échantillonneur devaient être réverbérées par l’ingénieur du son. Cette information a disparu de la notice de 2005. Deux passages sont comparés ici [Pottier, 2019], avec des rendus sonores très différents sur les trois versions [Média 41]. Le premier (début de la section 2A”) se situe entre 4’15” et 4’30” (m.151-161), à la fin d’un passage intense lors duquel la soprano émet des onomatopées rapides et très animées dans les aigus, soulignées par un *crescendo* de cymbale, puis est remplacée par un son de guitare saturée, comme en fondu enchaîné, suivi par un second son similaire plus grave, avant un *decrescendo* qui aboutit à un silence. Dans la version 2005 [EA CD Stradivarius, 2007], la voix est beaucoup plus présente, les cymbales ont un timbre nettement plus aigu, et lorsque la voix s’arrête le son de guitare électrique qui prenait le relais dans la version 1996 est absent : on entend alors seulement la partie électronique fixée. On perçoit alors un arrêt brutal là où, dans la version initiale, on entendait au contraire une violente saturation du timbre précédant un *decrescendo*. Dans la version 1997 [Arch. Ircam – Ressources], la guitare est bien présente comme dans la version 1996.\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x195e08\" width=\"600\" height=\"495\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 41. _EnTrance_, m. 151-161, versions 1996, 2005 et 1997 [© Arch. Ircam – Production; EA Stradivarius, 2007 ; Arch. Ircam – Ressources].**\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb8280d\" width=\"600\" height=\"475\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n**Média 42. _EnTrance_, m. 273-335, versions 1996, 2005 et 1997 [© Arch. Ircam – Production ; EA Stradivarius, 2007 ; Arch. Ircam – Ressources].**\n\nLe second passage débute à 8’48” (m. 273) et va jusqu’à 9’52” (m. 335) [Média 41 à partir de 1’20”]. Dans la version initiale, on est dans une esthétique très rock[^rock], avec une contrebasse jouant en slap dans les premières mesures, selon un jeu très rythmique, binaire, soutenu par un son de guitare saturé puissant sur la note mi b. La guitare alterne ensuite les notes tenues do et si qui couvrent pratiquement l’orchestre. Dans la version 2005, les sons de guitare électrique saturée qui accompagnaient la contrebasse puis masquaient ensuite l’orchestre sont absents. On commence donc par un solo de contrebasse dont le sens échappe à l’auditeur, puis quand l’orchestre reprend, le timbre est beaucoup moins dense que dans la version avec guitare. Là où le compositeur avait prévu un timbre électrique très dense, on entend des sons d’ensemble instrumental acoustique.\n\nLes sons produits sur le synthétiseur et sur l’échantillonneur occupent une place aussi importante que ceux produits par les instruments acoustiques. Certains sons de guitare de forte intensité viennent même jusqu’à couvrir l’orchestre comme on peut l’entendre dans la version 1996. Pour un mixage de concert, la disparition des sons saturés aurait pu être interprétée comme un problème technique, mais dans la version 2005 qui a été gravée sur un CD, il s’agit manifestement d’un choix artistique, ou d’une incompréhension de l’œuvre, dont il faut noter que certaines indications sur la partition ne reflètent pas toujours clairement ce qui doit être entendu. Une simple note sur la partition de clavier jouant l’échantillonneur avec les sons de guitare saturée peut à elle seule couvrir tout ce qui est joué par l’orchestre. Les musiciens de formation classique sont parfois réticents à mélanger le timbre fin de leurs instruments au timbre “grossier et sale” des sons provenant de l’univers rock. La version de 2005 ayant été produite après la mort du compositeur, il est difficile de savoir si un tel parti pris esthétique lui aurait vraiment convenu tant il accordait une grande importance à la place des sons saturés dans sa musique. Comme le souligne Arbo, “la musique de Romitelli est fondée sur une sélection, elle tire du rock psychédélique, du métal ou de la techno l’énergie d’un *sound*, le frottement spécifique ou l’épaisseur d’un ‘grain’ (comme dans le cas de la guitare électrique)” [Arbo, 2005, p. 25]. L’aspect saturé, les références au monde rock, et à son timbre, son énergie, sont très fortement atténués dans la version de 2005. Ces erreurs d’appréciation de la musique de Romitelli peuvent s’expliquer aussi partiellement par des problèmes d’édition la disparition de liaisons qui indique le prolongement des sons de la guitare saturée [Figure 49].\n\n<center></center>\n\n**Figure 49. *EnTrance*, m. 271-273, version éditée [© Part. Ricordi, 1996] et version annotée utilisée lors de la création [© Arch. Pottier].**\n\nDans la version manuscrite de Pottier, on peut lire une indication au crayon sous la liaison du *mi* b: “tenuto fino alla fine del suono” (tenu jusqu’à la fin du son). Les enregistrements d’*EnTrance* effectués en présence du compositeur tiennent compte de cette mention contrairement aux autres versions.\n\n### Conclusion\n\n*EnTrance* constitue un aboutissement du travail de Romitelli à l’Ircam, une pièce dans laquelle les différentes techniques de composition, utilisées lors de pièces antérieures, comme par exemple _Natura morta con fiamme_, _Mediterraneo I_ ou _Les idoles du soleil_, ont acquis une pleine maturité, tout en trouvant la possibilité de coexister dans une approche musicale organisée et originale.\n\nÀ l’Ircam, Romitelli a tenté d’atténuer l’opposition que l’on observe souvent dans les musiques mixtes et électroniques : d’une part, la concurrence d’entités simultanées et continues de timbre fondée sur un processus de catégorisation et de projection dans l’espace acoustique, de l’autre côté le séquencement d’éléments caractérisés par la discrétisation et l’organisation hiérarchique du discours. Romitelli démontre ici comment son approche esthétique rejette cette dichotomie. Grâce aux systèmes de CAO, il trouve des solutions pour s’assurer que les deux univers conceptuels peuvent coexister. En développant un code informatique original, il parvient également à créer son propre “jeu d’outils”, combinant l’analyse, la manipulation de paramètres et la synthèse dans un environnement modulaire unique, qui peut transmettre directement des solutions affichées en notation musicale ou des données pour la synthèse sonore. Romitelli a produit un système à la fois conceptuel et opérationnel : le timbre est défini d’une part par des procédures spectrales, d’autre part par le jeu sur des intervalles et leurs transformations. Ce système construit un réseau de contraintes permettant de déterminer la compatibilité des éléments du timbre, leur “proximité” mesurée également en termes de continuité ou de rupture (interprétation contemporaine des concepts classiques de tension et de résolution). Associant ces deux types de procédures, les techniques spectrales adoptées font partie du discours musical à part entière. Intégrées de manière cohérente dans le système de composition, elles n’en représentent qu’une possibilité supplémentaire, parmi d’autres.\n\n### Ressources\n\n#### Textes\n\n[Arbo, 2005] – Alessandro Arbo, “En-trance”, dans Alessandro Arbo (éd.), _Le corps électrique. Voyage dans le son de Fausto Romitelli_, Paris : L’Harmattan, 2005, p. 17-50.\n\n[Barrière, 1991] – Jean-Baptiste Barrière (éd.), _Le timbre, métaphore pour la composition_, Paris : Christian Bourgois, 1991.\n\n[Barrière *et al.*, 1985] – Jean-Baptiste Barrière, Yves Potard et Pierre-François Baisnée, \"Models of continuity between synthesis and processing for the elaboration and control of timbre structures\", Proceedings of the 1985 International Computer Music Conference, Vancouver, 1985, p. 193-198.\n\n[Battier, 1998] – Marc Battier, _Cahier d’exploitation – EnTrance (1995) de Fausto Romitelli_, Paris : Ircam, 1998.\n\n[Boulez, 1987] – Pierre Boulez, “Timbre and composition – timbre and language”, _Contemporary Music Review_, vol.2 n°1, 1987, p. 161-171.\n\n[Iglesias, 2003] Sara Iglesias, _Fausto Romitelli – EnTrance_, Mémoire de Licence (dir. M. Battier), UFR Musique, Université Paris IV/Sorbonne, 2003.\n\n[Ircam, 1996] – _EnTrance_ – Notice de la partie électronique, Documentation Ircam, [1996.\n\n[Kaltenecker, 2015] – Martin Kaltenecker, “À propos de l’écriture mélodique dans _EnTrance_”, dans Allessandro Arbo (éd.), _Anamorphoses. Études sur l’œuvre de Fausto Romitelli_, Paris : Hermann, 2015, p. 127-149.\n\n[Lorrain, 2005] – Denis Lorrain, _Fausto Romitelli – EnTrance_2005 Performance Handbook_, Document Ircam, Paris : Ircam, 2005.\n\n[Maestri, 2015] – Eric Maestri, “Le son mixte dans les premières œuvres de Fausto Romitelli”, dans Allessandro Arbo (éd.), _Anamorphoses. Études sur l’œuvre de Fausto Romitelli_, Paris : Hermann, 2015, p. 81-96.\n\n[Malt et Pottier, 1993] – Mikhaïl Malt et Laurent Pottier, _PW-Csound/Editsco, librairie de modules pour l’édition de partitions Csound-Référence_, Document Ircam, Paris : Ircam, 1993.\n\n[Murail, 1984] – Tristan Murail, “Spectra and pixies”, _Contemporary Music Review_, vol.1 n°1, 1984, p. 157-170.\n\n[Murail, 2000] – Tristan Murail, “After-thoughts”, _Contemporary Music Review_, vol.19 n°3, 2000, p. 5-9.\n\n[Olto, 2017a] – Alessandro Olto, _EnTrance. Spettralismo e composizione assistita all’elaboratore in Fausto Romitelli_, thèse de doctorat (dir. A. Orcalli), Università degli Studi di Udine, 2017.\n\n[Olto, 2017b] – Alessandro Olto, “Between spectrum and musical discourse. Computer Assisted Composition and new musical thoughts in _EnTrance_ by Fausto Romitelli”, dans Luca Cossettini et Angelo Orcalli (éd.), _Sounds, Voices and Codes from the Twentieth Century. The critical editing of music at Mirage_, Udine : Mirage – Department of Languages and Literatures, Communication, Education and Society, 2017, p. 419-452.\n\n[Orcalli, 2013] – Angelo Orcalli, “La pensée spectrale”, dans Nicolas Donin et Laurent Feneyrou (éd.), _Théories de la composition musicale au XXe siècle_, vol.2, Lyon : Symetrie, 2013, p. 1511-1573.\n\n[Pottier, 1997a] – Laurent Pottier, “Exemples d’utilisation de la CAO pour la synthèse sonore, _EnTrance_ de Fausto Romitelli pour soprano, ensemble et dispositif électronique”, Actes des Journées d’Informatique Musicale (JIM 97), Lyon : Grame, 1997, p. 22-29.\n\n[Pottier, 1997b] – Laurent Pottier, _PW-SpData : vue d’ensemble, référence, tutorial_, Document Ircam, Paris : Ircam, 1997.\n\n[Pottier, 2001] – Laurent Pottier, _Le contrôle de la synthèse sonore, le cas particulier du programme PatchWork_, thèse de doctorat (dir. M. Battier), EHESS, 2001.\n\n[Pottier, 2019] – Laurent Pottier, “Vers des musiques électroacoustiques vivantes”, dans Pierre Fargeton et Béatrice Ramaut-Chevassus (éd.), _Écoute multiple, écoute des multiples_, Paris : Hermann, 2019, p. 215-233.\n\n[Romitelli, 1993] – _Ircam: Rapport d’activité 1993_, Paris : Ircam, 1993.\n\n[Romitelli, 1996] – Programme du concert de création d’_EnTrance_, en _Concert création : vendredi 26, samedi 27 janvier 1996, Ircam, Espace de projection_, Paris : Ircam-Centre Pompidou, 1996, p. 5-7.\n\n[Romitelli, 2000] – “L’insurgé” [entretien avec Omer Corlaix], _Musica Falsa_, n°11, 2000, p. 84-85.\n\n[Romitelli, 2001a] – “Il compositore come virus”, dans _Milano Musica. Percorsi di musica d’oggi – Il pensiero e l’espressione. Aspetti del secondo Novecento musicale in Italia_, Milan, 2001, p. 148-149. Traduit en français: “Le compositeur comme virus”, dans Alessandro Arbo (éd.), _Le corps électrique. Voyage dans le son de Fausto Romitelli_, Paris : L’Harmattan, 2005, p. 131-134.\n\n[Romitelli, 2001b] – “Produire un écart” [entretien avec Eric Denut], dans Eric Denut (éd.), _Musiques actuelles, musiques savantes, quelles interactions ?_, Paris : L’Harmattan, 2001, p. 73-77.\n\n[Tucci, 1972] – Giuseppe Tucci (éd.), _Il libro tibetano dei morti (Bardo Tödöl)_, Turin : UTET, 1972.\n\n#### Archives\n\n[Arch. Fondation Cini] – Collection Fausto Romitelli, Fondazione Giorgio Cini - Istituto per la musica, Venise.\n\n[Arch. CIRM] – Fausto Romitelli, _EnTrance_ (enregistrement numérique sur 22 pistes non mixées), concert, 22 novembre 2008, Opéra de Monaco\nFrançoise Kubler (soprano), Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo / Jean Deroyer (direction).\n\n[Arch. Ircam] – Archives du département production et des ressources de l’Ircam, Paris.\n\n- Fausto Romitelli, documents de travail relatif à *EnTrance*\n\n- Fausto Romitelli, _EnTrance_, création, 26 janvier 1996, Ircam (Espace de projection)\n\nFrançoise Kubler (soprano), Ensemble Intercontemporain / Ed Spanjaard (direction).\n\n- Fausto Romitelli, _EnTrance_, concert, 2 février 1997, Ircam (Espace de projection)\n\nDonatienne Michel-Dansac (soprano), Ensemble Intercontemporain / Pascal Rophé (direction).\n\n[Arch. Pottier] – Archives personnelles de Laurent Pottier.\n\n\n#### Partition\n\n[Part. Ricordi, 1996] – Fausto Romitelli, _EnTrance_ per soprano, sedici esecutori ed elettronica (1995), Ricordi – Paris R. 2744, 1996.\nLes extraits de partition sont reproduits avec l’aimable autorisation des Sté Ame des Éditions Ricordi, Paris pour tous Pays.\n\n#### Enregistrement audio\n\n[EA CD Stradivarius, 2007] – Fausto Romitelli, *Audiodrome – Orchestral Works*\nDonatienne Michel-Dansac (soprano), Orchestre symphonique national de la RAI / Peter Rundell (direction)\nStradivarius, STR 33723, 2007.\n\n[^Csound] : Lors de la production d’_EnTrance_, à mi-parcours (automne 1995), nous sommes passés de la génération des ordinateurs Macintosh 68X aux ordinateurs PowerPC. Pour la synthèse sonore avec Csound, cela s’est traduit par une multiplication de la vitesse de calcul par un facteur 50 à 100 ! Produire 10 secondes de son prenait au préalable 10 à 20 minutes de calcul, et en changeant d’ordinateur, nous sommes quasiment passés dans le domaine du temps réel ! Il était alors possible de modifier des paramètres et écouter presque instantanément le résultat.\n\n### Citation\n\n**Pour citer cet article:**\n\nAlessandro Olto et Laurent Pottier, “Fausto Romitelli – *EnTrance*”, *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2020. URL : https://brahms.ircam.fr/analyses/EnTrance/.\n\n\n[^timbre] : Dans le texte inédit “Pertinence du timbre” [Arch. Pottier], l’attention que Romitelli a portée aux relations entre les objets sonores est évidente : “Le compositeur peut imaginer de gérer les connexions par transition réglée, contraste, ou bien par les étapes intermédiaires entre l'un et l'autre, pour réaliser une ‘courbe de tension’ dans le domaine harmonique”.\n\n[^mod] : On peut trouver les paramètres dans une esquisse conservée à la Fondazione Cini et ils sont confirmés par les patchs transmis par Pottier. En Lisp, une fois chargé le set de fonctions développé par Romitelli, on peut évaluer les fonctions suivantes :\nPorteuse *si* b : (fmmodplus 233 (jinterpol 7 7 0.7 116.5) 2).\nPorteuse *ré* b : (fmmodplus 277.18 (jinterpol 7 7 0.7 116.5) 2).\nPorteuse *fa* : (fmmodplus 349 (jinterpol 7 7 0.7 116.5) 2).\n\n[^rock]: Parmi les esquisses conservées dans le dossier d'_EnTrance_ [Arch. Fondation Cini], il n'est pas rare de rencontrer des noms d'artistes cités tels que Nirvana et Jimi Hendrix.","![image:8ed641c1-e5f4-420b-81f9-5891e79799c6][events.jpg]","analyse-de-i-entrance-i-(1995)-de-fausto-romitelli",{"getUrl":114},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/5f13ba49-c987-4f8d-8609-2ad0a1b2638d-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=e834681b78aa468c0ac6582ee5a4671ec05396078c7146245889c905b9b7ea36",{"url":114,"isIcon":11,"alt":107,"centered":37},[117,120],{"firstName":118,"lastName":119},"Laurent","Pottier",{"firstName":121,"lastName":122},"Alessandro","Olto",{"title":124,"titleEn":125,"text":126,"textFr":127,"textEn":11,"date":128,"type":32,"slug":129,"authors":11,"toc":11,"image":130,"composer":11,"cardImage":132,"cardTitle":124,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":133},"Analyse de \u003Ci>Prologue\u003C/i> (1976) de Gérard Grisey","Analysis of \u003Ci>Prologue\u003C/i> (1976) by Gérard Grisey","### Introduction\r\n\r\n#### Les différentes versions de l’œuvre\r\n\r\n_Prologue_ pour alto solo a été composée par Gérard Grisey entre avril et juillet 1976. Dédiée à l’altiste Gérard Caussé, cette œuvre fait office, comme son nom l’indique, de prologue au cycle *Les* [work:3bf9412e-f7d1-4c6d-bb29-1f7198b8e36a][Espaces acoustiques] que le compositeur a débuté –sans penser à l’époque réaliser un cycle – avec [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes] (1974) pour 7 instruments suivie de, [work:86f1e0a0-50ce-4b0c-aa2e-1b4fa5265a57][Partiels] (1975) pour 16 ou 18 musiciens. Viendront ensuite par ordre chronologique de composition, [work:d968fdf1-307a-485a-80e3-2a8d1b997fed][Prologue] (1976) pour alto seul, [work:b6c60615-ce07-431e-a4a7-d4ce040ea578][Modulations] (1977-78) pour 33 musiciens, [work:20a78ed3-3e87-4d3f-a7f0-260b829a49aa][Transitoires] (1980-81) pour grand orchestre et, enfin, [work:f0a95b2a-d241-431e-a9b6-4a80467b1c59][Épilogue] (1985) pour 4 cors solos et grand orchestre.\r\n\r\nD’une durée approximative de 15 minutes, *Prologue* a été conçue de manière à pouvoir s’enchaîner parfaitement avec [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes], la jonction s’opérant un peu avant la fin de l’œuvre, au niveau de la 7ème mesure du 5ème système de la dernière page de la partition. Sinon l’œuvre peut aussi être interprétée intégralement comme une pièce autonome, et cela suivant trois versions, toutes basées sur la même partition instrumentale: [work:d968fdf1-307a-485a-80e3-2a8d1b997fed][Prologue] pour alto seul, *Prologue* pour alto et résonateurs acoustiques et [work:b4b42194-b56c-420a-8374-9a6503b0c7bb][Prologue] pour alto et électronique temps réel. Les deux premières versions ont été créées en 1978 par Gérard Caussé. Dans la version pour alto et résonateurs acoustiques, l’interprète partage la scène avec plusieurs instruments-résonateurs qui, au son de l’alto, vibrent par sympathie grâce à un système complexe de sonorisation. Envisagée du vivant de Grisey mais réalisée après sa disparition prématurée en 1998, l’ultime version de *Prologue* avec électronique temps réel a été conçue dans les années 2000 à l’Ircam par le réalisateur en informatique musicale [composer:29a89d73-e0c6-44e0-8030-e1ec15b02c4c][Éric Daubresse] et créée par l’altiste Garth Knox: dans cette version, l’ordinateur simule en direct les résonances par sympathie qui sont diffusées à travers des haut-parleurs. Dans la suite de cette analyse, nous ferons référence à ces deux versions mixtes de *Prologue* en parlant de résonances naturelles, lorsqu’il est question de résonateurs acoustiques – c’est-à-dire d’éléments matériels physiques – qui vibrent par sympathie ou de résonances virtuelles, lorsque celles-ci sont simulées grâce au dispositif électronique temps réel.\r\n\r\n* Version pour alto seul\r\n\r\nCréation : 16 janvier 1978 à Paris\r\nGérard Caussé (alto)\r\n\r\n* Version pour alto et résonateurs acoustiques\r\n\r\nCréation : 7 Août 1978 au festival de Darmstadt\r\nGérard Caussé (alto), Gérard Grisey (régie sonore)\r\n\r\n* Version pour alto et électronique temps réel\r\n\r\nCréation : 3 avril 2001 à l’espace de projection de l’Ircam, Paris\r\nGarth Knox (alto), Éric Daubresse (réalisateur en informatique musicale, régie sonore)\r\n\r\n#### Notes de programme\r\n\r\n** *Prologue* (1976) **\r\n\r\n> Essentiellement mélodique, *Prologue* se détache lentement et progressivement de la pesanteur et de l’hypnose de la répétition. Une cellule mélodique unique jouant sur les hauteurs d’un spectre d’harmoniques sert d’axe et de point de repère à une sorte de spirale. Tout provient de cette cellule, tout y retourne, mais jamais exactement au même niveau. La mélodie est ici travaillée dans son essence même, dans sa Gestalt, dans sa silhouette mais jamais au niveau de la note, car les hauteurs qui la composent vont s’éloigner peu à peu du spectre originel pour atteindre le bruit en passant par différents degrés d’inharmonicité.\r\nCette silhouette mélodique gère également la grande forme, les tempi et l’apparition de deux types d’insert : le battement de cœur (brève-longue) et l’écho. Non tempéré, *Prologue* pose d’énormes problèmes d’interprétation (il est déjà si difficile de jouer juste sur un alto !).\r\nÀ ce rêve mélodique, s’ajoute cette réponse de l’inerte, cette vibration par sympathie des différents instruments qui entourent l’alto et qui jouent exactement le même rôle passif que les cordes sympathiques du sitar ou de la sarangui, à cette différence près que ces instruments couvrent ici un champ acoustique beaucoup plus large et qu’ils peuvent, grâce aux moyens électroniques, être modulés.\r\nVoix seule, réponse fantomatique d’instruments inhabités mais aussi structure abstraite et sans concession, j’espère être parvenu ici à balbutier ce que je crois être la musique : une dialectique entre le délire et la forme.\r\nGérard Grisey [Notes en blocs 1, 2001]\r\n\r\n** *Prologue* (2001) **\r\n\r\n> La réalisation de la partie électronique de *Prologue* par des moyens analogiques a toujours été lourde à mettre en œuvre : difficultés pour réunir les meilleurs instruments utilisés comme résonateurs acoustiques ; réglages extrêmement longs et délicats, nécessitant la présence continue de l’altiste ; problèmes d'équilibre sonore ; imprécision, fragilité et dérive des paramètres du dispositif. C’est pour ces raisons que cette version était très rarement interprétée depuis sa création. J’avais plusieurs fois évoqué l’intérêt que pouvait représenter un ‘portage’ des résonateurs sur ordinateur, et Gérard Grisey était très enthousiaste à l’idée de parvenir enfin aux résultats qu’il avait imaginés. Connaissant bien l’œuvre pour l’avoir plusieurs fois exécutée et enregistrée, considérant que les conditions technologiques étaient aujourd’hui réunies pour permettre l’intégration des résonateurs dans un seul ordinateur, il me paraissait indispensable d’en faire une nouvelle version plus simple à monter parce qu’affranchie des instruments acoustiques. L’objectif était d’en garantir la pérennité, et, sans la présence de Gérard, de respecter la version de référence. Les cinq résonateurs ont été modélisés à partir de l’analyse des instruments d’origine : palme d’onde Martenot, piano, tam-tam, gong métallique d’onde Martenot, caisse claire. Garth Knox a enregistré la partie d’alto pour le travail en studio, puis nous avons expérimenté le dispositif entièrement reconstitué, en le comparant à la version analogique et en suivant scrupuleusement les indications du compositeur. L’interprétation de la partie électronique est faite sur la dernière version de la partition annotée.\r\nÉric Daubresse [Notes en blocs 1, 2001]\r\n\r\n> Alto seul, alto avec résonateurs, alto avec résonateurs virtuels – chaque version de *Prologue* explore à sa façon un jeu de résonances du geste initial qui crée son propre espace acoustique. L’instrumentiste lui-même, chaque fois confronté à un nouvel instrument est influencé à son tour dans son interprétation : la longueur des points d’orgue est modifiée par la résonance, certaines notes sont mises en valeur par la sympathie, les nuances doivent prendre en compte le partenaire virtuel, etc...\r\nMes propres recherches et expériences avec la viole d’amour m’ayant conduit à m’intéresser de près au phénomène de résonance des cordes sympathiques, j’ai suivi avec fascination le travail de modélisation des résonateurs d’Éric Daubresse. De longues heures d’analyses et de tests ont permis de créer toute une gamme de résonances virtuelles, lumineuses, chatoyantes, sombres ou bruiteuses.\r\nIl me semble important que grâce à cette nouvelle version, *Prologue* puisse désormais être interprétée et entendue plus souvent, et que cette pièce, si belle et novatrice, puisse ainsi occuper la place qu’elle mérite dans la musique d’aujourd’hui.\r\nGarth Knox [Notes en blocs 1, 2001]\r\n\r\n### Analyse des dispositifs technologiques\r\n\r\nLes deux versions de *Prologue* avec résonateurs témoignent de l’évolution des pratiques *live* dans le domaine des musiques mixtes. Dans la première version, le son de l’alto, capté par des microphones, est diffusé par des haut-parleurs afin de faire résonner par sympathie différents instruments positionnés derrière l’interprète. Ces résonances naturelles sont à leur tour captées par des microphones, amplifiées puis diffusées par d’autres haut-parleurs de manière à les rendre perceptibles. Le dispositif requis dans cette version – outre les instruments servant de résonateurs – est donc celui d’une sonorisation traditionnelle impliquant microphones, haut-parleurs, table de mixage et éventuellement des modules de réverbération. La version avec électronique temps réel permet de s’affranchir physiquement des résonateurs acoustiques et d’éviter ainsi un certain nombre de problèmes techniques inhérents à la captation et diffusion des résonances par sympathie. Le dispositif de sonorisation est plus simple mais il faut recourir en contrepartie à un ordinateur comportant un logiciel de traitement du signal en temps réel permettant de produire les résonances virtuelles, et d’ajouter, si besoin, de la réverbération artificielle.\r\n\r\n#### Configuration de la version avec résonateurs acoustiques\r\n\r\n**Résonances par sympathie**\r\n\r\nOn parle de résonance par sympathie lorsqu’un instrument – ou tout autre objet susceptible d’entrer en vibration – se met à résonner sous l’action d’une vibration transmise par voix aérienne. Pour apprécier un tel phénomène, il suffit par exemple d’enfoncer la pédale forte d’un piano et d’émettre avec sa voix ou tout autre instrument un son relativement puissant : les cordes du piano entreront alors naturellement en résonance par sympathie produisant un léger halo sonore chargé de mystère. Ce procédé auquel [composer:5f91818e-a41c-4a4b-aa58-68e9d301a9eb][Berio] et [composer:e9985cf2-64e4-4e47-aba3-ee6167cbfae0][Boulez] recourent respectivement dans la [work:b3d7d017-228e-42f3-8bee-0645b6a5a1ec][Sequenza X] (1984) pour trompette et [work:f9febd8f-a6d8-4573-ae52-038bd1cd7e76][Dialogue de l’ombre double] (1985) pour clarinette et bande permet de renforcer et prolonger certaines fréquences émises par la source sonore principale ce qui enrichit le son et suscite aussi une impression de réverbération. Plusieurs instruments anciens, – comme la viole d’amour – ainsi que des instruments extra-européens – comme le sarangui auquel Grisey fait référence dans sa note de programme – sont dotés de cordes supplémentaires que l’interprète n’actionnent pas directement mais qui résonnent par sympathie afin d’enrichir le son émis par les cordes principales. “J’ai toujours pensé, explique Grisey, que la disparition des cordes sympathiques dans la musique occidentale était due à un excès de polyphonie. Il n’y a donc aucune raison de ne pas les réinventer lorsque nous écrivons des pièces monodiques” [Grisey, 2008, p. 136].\r\n\r\nPlusieurs indices figurant dans les esquisses du compositeur [Arch. Fondation Paul Sacher] nous laissent penser que Grisey a dès le début imaginé que le matériau instrumental de *Prologue* pourrait être auréolé de ces résonances par sympathie. Cette idée était dans l’air du temps puisque [composer:fa9d1797-b58c-4a35-b6fb-fb2213999b74][Levinas], notamment, l’avait explorée peu de temps auparavant dans [work:22614d3f-51de-46f7-8caf-ee048d4c7a3c][Appels] (1974) pour 11 instrumentistes, œuvre dans laquelle les cuivres jouent à plusieurs reprises dans des caisses claires qui se mettent ainsi à résonner, suggérant, selon Levinas, “un ébranlement dramatique” [Levinas, 2002, p. 69]. Chez Grisey, le recours aux résonances par sympathie est tout autre puisqu’il vise à éclairer le son suivant différentes colorations en adéquation avec le cheminement harmonique de l’œuvre.\r\n\r\n**Représentations de l’œuvre**\r\n\r\nAfin d’obtenir des résonances de plus en plus inharmoniques au fil de l’œuvre, Grisey a dû tester plusieurs résonateurs en studio, tout d’abord avec Patrick Lenfant, puis avec Éric Daubresse, qui ont respectivement travaillé au sein de L’Itinéraire en tant qu’assistants techniques, dans les années 1970 pour le premier, et dans les années 1980 pour le second. Le choix des cinq résonateurs acoustiques a quelque peu évolué au fil des tests et des représentations de l’œuvre sachant que certains instruments étaient plus aptes que d’autres à résonner par sympathie et que le niveau sonore des résonances devaient être suffisamment élevé pour que celles-ci puissent être correctement captées et amplifiées.\r\n\r\nSur une des esquisses de Grisey vraisemblablement réalisée avant que la partie instrumentale de *Prologue* ne soit achevée – le compositeur indique les cinq groupes de résonateurs suivants : violoncelle/alto/contrebasse, harpe, piano avec “pédale maintenue par un poids”, tam-tam “profond” et caisse claire [Arch. Fondation Paul Sacher]. Mais lors de la création à Darmstadt, le 7 août 1978, les résonateurs étaient, selon Gérard Caussé , un sitar [Figure 1], une harpe, un piano, un tam-tam et une caisse claire. Le trio à cordes, envisagé un temps par Grisey, semble donc avoir été remplacé par l’instrument indien, sûrement pour des raisons pratiques (il est plus facile de sonoriser un unique instrument plutôt qu’un groupe de trois instruments) et sonores (les résonances par sympathie du violoncelle, de l’alto et de la contrebasse n’étant pas très puissantes). Durant cette première, Grisey dosait en direct à la console le niveau sonore des résonances par sympathie pendant que l’altiste jouait la partie instrumentale. Il s’avère que le dispositif technologique posa de nombreux problèmes lors de son installation et que le résultat sonore n’était pas celui escompté en raison justement de l’instabilité du dispositif et de son manque de précision [Arch. Féron – Entretien avec Caussé].\r\n\r\n[image:7860cf0b-c9dc-4cdd-9273-69705e324e6d]\r\n\r\n**Figure 1\\. Gérard Caussé (à gauche) et Gérard Grisey (à droite) accordant le sitar, un des cinq résonateurs utilisés dans la première version mixte de *Prologue* pour alto et résonateurs acoustiques à Darmstadt, le 7 août 1978 [© Grisey, 2008].**\r\n\r\nLa pièce a néanmoins été rejouée à Paris le 15 mars 1980\\. La note de programme ne précise pas quels étaient les résonateurs et Patrick Lenfant, en charge alors du dispositif technique à cette époque, ne s’en souvient plus [Arch. Féron – Entretien avec Lenfant]. Cinq années plus tard, le 11 février 1985, *Prologue* est à nouveau donnée dans sa version avec résonateurs acoustiques. Le concert se déroule dans la salle philharmonique du Conservatoire Royal de Liège et les cinq résonateurs sont alors la palme et le diffuseur métallique – tous deux conçus par Maurice Martenot pour enrichir et prolonger les sons des ondes Martenot –, un piano, un tam-tam et une caisse claire. Cet ensemble de résonateurs ne sera alors plus modifié et correspond ainsi à la version définitive de l’œuvre qui ne sera alors reprise qu’à deux occasions, avec Éric Daubresse en charge du dispositif technologique : la première, en concert à Berlin en novembre 1989 et la seconde, pour l’enregistrement effectué à Radio France le 20 décembre 1991 [EA CD Accord, 1993]. Daubresse se souvient néanmoins avoir expérimenté avec Grisey d’autres résonateurs, notamment une grosse caisse sur laquelle étaient disposées des billes mais cette option a finalement été écartée un peu avant le concert de Berlin [Arch Féron – Entretien avec Daubresse]. Les différentes performances de *Prologue* avec résonateurs acoustiques sont résumées dans le tableau ci dessous [Figure 2].\r\n\r\n[image:d16eaf26-f5f1-4ccb-b7a2-9e07568a19ef]\r\n\r\n**Figure 2\\. Tableau récapitulatif des différentes représentations de *Prologue* dans sa version avec résonateurs acoustiques, les résonateurs étant indiqués suivant leur ordre d’apparition dans l’œuvre (recoupement des informations découlant des entretiens avec Daubresse, Caussé et Lenfant [Arch. Féron]).**\r\n\r\n**Caractéristiques des cinq résonateurs dans la version finale**\r\n\r\nLa palme des ondes Martenot, le piano, le tam-tam, le diffuseur métallique des ondes Martenot – que nous nommerons simplement métallique – et la caisse claire sont donc les cinq résonateurs utilisés dans la version définitive de l’œuvre.\r\n\r\nPour que le piano puisse résonner par sympathie, la pédale tonale doit rester en permanence enfoncée : il suffit pour cela de la bloquer avec un poids ou un système de cale. Le haut-parleur qui diffuse le son de l’alto est positionné sous la table d’harmonie du piano alors que les microphones servant à capter les résonances sont placés juste au dessus des cordes. Le dispositif est similaire pour le tam-tam avec le haut-parleur ‘excitateur’ placé d’un côté de l’instrument (généralement derrière) et le microphone ‘capteur de résonance’, de l’autre. Pour la caisse claire, il faut actionner le timbre afin d’obtenir l’effet bruitiste recherché par le compositeur : le haut-parleur et le microphone sont respectivement positionnés en dessous et au dessus de la caisse.\r\n\r\nIl n’est pas besoin de recourir à des haut-parleurs supplémentaires avec les diffuseurs des ondes Martenot puisqu’ils sont déjà équipés de transducteurs. La palme est une caisse de résonance comportant deux jeux identiques de douze cordes [Figure 3]. Le transducteur est directement fixé à la caisse de résonance de manière à ce que la vibration soit transmise par contact ce qui améliore le rapport entre l’intensité du son excitateur et celle de la résonance. Les cordes de la palme peuvent être accordées suivant n’importe quelle gamme. L’accord choisi par Grisey vise à reproduire les fréquences naturelles du spectre harmonique de fondamentale *mi*<sub>0</sub> (41,2 Hz). La tessiture de la palme étant néanmoins relativement restreinte, certaines fréquences, ici les harmoniques 7, 9 et 11, doivent être transposées une octave plus bas. Les second et troisième harmonique du spectre qui correspondent à l’octave (*mi*<sub>1</sub>) et l’octave + quinte (*si*<sub>1</sub>) sont quant à eux démultipliés afin d’augmenter leur poids perceptif.\r\n\r\n[image:e9436c1a-2f96-4d91-8564-6ac371595fdd]\r\n\r\n**Figure 3\\. Palme des ondes Martenot et gamme suivant laquelle elle doit être accordée dans *Prologue*: les hauteurs coïncident avec les harmoniques 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9 et 11 du spectre de fondamentale *mi*<sub>0</sub> (les harmoniques 7, 9 et 11 sont transposés à l’octave inférieure comme l’indiquent les flèches descendantes).**\r\n\r\nLe métallique [Figure 4] est composé d’un gong – instrument dont la résonance est, par nature, extrêmement riche –, et d’un transducteur électro-magnétique qui est directement vissé dessus, le point de contact devant être le plus petit possible afin de ne pas entraver la résonance. “Il fallait aussi trouver la zone privilégiée à partir de laquelle le gong vibrerait au maximum, et percer là le trou permettant à la vis d’entrer”, rappelle Laurendeau [1990, p.102].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 4\\. Métallique des ondes Martenot. **\r\n\r\nLes différents résonateurs sont plus ou moins facilement excités par une source extérieure selon la distribution et la densité des fréquences de résonance. En raison de son accord particulier, la résonance de la palme est parfaitement harmonique. Les résonances du piano sont en revanche très légèrement inharmoniques. L’instrument étant accordé suivant le tempérament égal, toute hauteur tempérée jouée par l’altiste est donc susceptible d’exciter l’instrument. Le métallique et le tam-tam produisent des résonances beaucoup plus inharmoniques créant un halo de distorsion autour du son de l’alto. Quant à la caisse claire, dont le timbre est actionné, elle génère un grésillement très riche du point de vue spectral. Le choix des résonateurs et leur ordre d’apparition dans la première partie de l’œuvre sont calqués sur le processus de transformation du matériau instrumental qui, harmonique au départ, devient de plus en plus inharmonique puis complètement bruitiste [Figure 5].\r\n\r\n[image:40201143-3702-4a93-b50a-489fe6c31963]\r\n\r\n**Figure 5\\. Forme d’onde et sonagramme [Fréquence : 0-7 kHz ; Temps : 0-14 min] de la première partie de *Prologue* pour alto et résonateurs acoustiques [EA CD Accord, 1993]. Outre l’augmentation globale du niveau sonore et de la brillance, on peut aussi apprécier le processus d’inharmonisation du matériau instrumental. Au début, l’équidistance entre les points alignés verticalement révèle l’harmonicité de ce matériau. Très vite, ces points s’étendent pour se rejoindre et former des lignes verticales révélant l’inharmonicité progressive des sons qui, à la fin, sont complètement saturés. **\r\n\r\n**Problèmes d’ordre technique**\r\n\r\nS’il y a eu si peu de représentations de l’œuvre, dans sa version avec résonateurs acoustiques, c’est en raison de la lourdeur et fragilité du dispositif technique. Le son de l’alto, capté par des microphones, doit être instantanément diffusé par un ou plusieurs haut-parleurs positionnés très près des instruments ou être envoyé directement aux transducteurs, dans le cas de la palme et du métallique des ondes Martenot. Les résonances par sympathie ‘colorent’ ainsi, chacune à leur manière, le son de l’alto. Le choix des résonateurs a été guidé en fonction de leur aptitude à entrer facilement en résonance. Lors de la création à Darmstadt, le trio de cordes a été remplacé par un sitar puis, cet instrument, tout comme la harpe, ont ensuite été exclus du dispositif, les résonances étant trop faibles pour pouvoir être correctement amplifiées. Pour que les résonateurs puissent entrer en vibration, le signal excitateur doit être par ailleurs suffisamment puissant mais, en contrepartie, si ce signal est trop puissant, la résonance risque d’être masquée ou bien un effet de *feed-back* peut avoir lieu et produire un larsen. L’équilibre au niveau de la sonorisation est donc très délicat. Voici un résumé des problèmes d’ordre technique et logistique que pose donc l’interprétation de *Prologue* avec résonateurs acoustiques :\r\n\r\n* Obtention des résonateurs.\r\n\r\nComme toute pièce mixte, *Prologue* ne peut se passer évidemment d’un matériel audio de qualité. Mais il est aussi nécessaire de réunir les cinq résonateurs. Or il n’est pas forcément aisé de récupérer de nos jours les deux diffuseurs des ondes Martenot.\r\n\r\n* Captation du son de l’alto.\r\n\r\nÀ l’époque où l’œuvre était encore interprétée dans sa version avec résonateurs acoustiques, les microphones à contact ou de type DPA [Figure 7] existaient mais ne pouvaient pas être attachés directement sur l’instrument sans risquer de l’abîmer puisque les systèmes d’accroche impliquaient l’utilisation d’adhésif double face. La captation se faisait donc par le biais de plusieurs microphones aériens qu’il fallait positionner au dessus des quatre pupitres nécessaires pour disposer les quatre pages de très grand format (62 cm de longueur sur 49 cm de hauteur) qui constituent la partition.\r\n\r\n* Excitation des résonateurs et diffusion des résonances.\r\n\r\nLes réglages au niveau de la sonorisation nécessitent la présence de l’altiste et peuvent s’avérer extrêmement longs car il n’est pas facile, comme nous l’avons mentionné, de contrôler le niveau des résonances en fonction des indications prescrites par le compositeur. Les mouvements naturels effectués par l’interprète pendant qu’il joue ou les changements de position nécessaires pour passer d’un pupitre à l’autre influent automatiquement sur la dynamique du son envoyé dans les résonateurs. Par ailleurs, il est impératif d’amplifier les dynamiques faibles et, au contraire, de compresser les dynamiques élevées, avant d’envoyer le signal dans les résonateurs. Enfin, il faut capter les résonances par sympathie en réduisant au maximum le niveau du signal excitateur afin d’éviter les phénomènes de masquage ou de larsen.\r\n\r\n* Stabilité du dispositif.\r\n\r\nUne fois tous ces réglages effectués, le dispositif sur scène doit rester en place car le moindre déplacement opéré sur un microphone ou un haut-parleur altèrera l’équilibre fragile entre l’alto et les résonances par sympathie. L’œuvre doit donc être idéalement programmée en début de concert.\r\n\r\n####Configuration de la version avec électronique temps réel\r\n\r\n**Genèse**\r\n\r\nC’est pour pallier ces problèmes techniques et faire en sorte que l’œuvre puisse être plus souvent interprétée dans sa version mixte qu’Éric Daubresse imagine dans les années 1990 utiliser un dispositif électronique temps réel pour simuler les résonances par sympathie. Il suggère l’idée à Gérard Grisey en 1996, suite aux récentes améliorations apportées aux logiciels de synthèse par modèle physique qui permettent, entre autres, de reproduire des sons instrumentaux en dissociant l’attaque de la résonance [Arch. Féron – Entretien avec Daubresse]. Mais ce n’est qu’en 2001, quelques années après la disparition prématurée du compositeur, que Daubresse concrétise le projet au sein de l’Ircam. Les conditions technologiques étaient réunies pour permettre l’intégration des résonateurs dans un seul ordinateur et de proposer ainsi une nouvelle version beaucoup plus simple à monter.\r\n\r\n**Modélisation des résonances**\r\n\r\nLa synthèse par modèle physique “privilégie la vision d’un objet sonore comme le résultat de la dissipation par un système physique de l’énergie apportée par des ‘excitateurs’ physiques, et modélise avec les outils de la science physique la transmission de l’énergie à l’intérieur du système” [Potard *et al.*, 1990, p. 136]. Elle est la plus adaptée pour simuler des sons. Le logiciel Modalys qui a été conçu à l’Ircam suivant ce principe, permet ainsi de restituer virtuellement des instruments – ou d’en créer de nouveaux – à partir d’objets physiques simples. Le logiciel a été par la suite amélioré et étendu de manière à dissocier le son source – correspondant à la mise en vibration d’une structure acoustique spécifique par une excitation – à une structure acoustique différente ou un modèle de résonance, permettant ainsi de construire un instrument virtuel et de décider de la manière dont il sera excité.\r\n\r\nDaubresse a tout d’abord réuni les cinq résonateurs acoustiques de *Prologue* afin d’enregistrer et analyser leurs résonances suivant différentes excitations, le plus souvent de type impulsionnel.\r\n\r\n* Excitation directe des instruments : frappe sur le corps de l’instrument, coup de baguette en bois [Média 1] ou acier [Média 2], coup de mailloche, clusters...\r\n* Excitation par sympathie en envoyant des signaux électroacoustiques : bruit blanc, Dirac (excitation idéale théoriquement infiniment courte et d’amplitude infinie). Pour une excitation de type Dirac, la puissance est uniformément répartie dans le domaine des fréquences. “On comprend que toutes les résonances élémentaires potentielles d’un résonateur soient excitées par un Dirac, et se ‘révèlent’ avec leur taux d’amortissement propre dans le son résonant, qui constitue alors une réponse impulsionnelle.” [Potard *et al.*, 1990, p. 145]\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xba2677\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 1\\. Excitation du métallique des Ondes Martenot avec une baguette en bois [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x88e801\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 2\\. Excitation du métallique des Ondes Martenot avec une tige en acier [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\nTous ces échantillons sonores ont été produits et enregistrés dans la chambre anéchoïque de l’Ircam, à l’exception de ceux du grand piano, instrument qui, de par sa taille, ne peut entrer dans cette salle. Les échantillons ont ensuite été analysés suivant la méthode des modèles de résonance avec l’outil Resan du logiciel Diphone. Le principe consiste à repérer les pics d’amplitude sur des spectres calculés à deux instants différents de manière à calculer ensuite, pour chaque fréquence de résonance, leur taux de décroissance. La résonance de chaque instrument peut ainsi être décrite suivant une multitude de pics de résonance, chacun étant caractérisé par sa fréquence centrale, son amplitude et son taux de décroissance.\r\n\r\nUne fois établis, ces modèles de résonance ont alors été méthodiquement examinés. Daubresse les a tout d’abord testés en utilisant la même excitation que celle qui avait permis de les établir : lorsque le rendu sonore était similaire au son originel, le modèle était conservé. Après cette première sélection il fallait vérifier comment les modèles réagissaient au son de l’alto. Pour cela la partie instrumentale de *Prologue* a était intégralement enregistrée par l’altiste Garth Knox dans un studio à acoustique très sèche. Grâce à cet enregistrement témoin [Média 3], il est apparu que certains modèles pouvaient être extrêmement réalistes par rapport aux résonances originelles mais réagissaient en revanche très mal lorsqu’ils étaient excités par le son de l’alto. C’est en fonction de cette réactivité qu’une seconde sélection a été opérée, les meilleurs modèles étant ceux obtenus avec des attaques très courtes ou à partir de signaux ayant une large bande fréquentielle.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 6\\. Motif initial de *Prologue* [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x201d54\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 3\\. Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n**Traitements informatiques**\r\n\r\nLe logiciel informatique réalise deux types de traitement sonore : les résonances virtuelles et la réverbération artificielle.\r\n\r\n* Résonances virtuelles\r\n\r\nLes modèles de résonance sont intégrés au logiciel Max – en utilisant l’objet resonators~ conçu au *Center for New Music and Audio Technologies* (CNMAT, University of California – Berkeley) – de sorte à ce qu’ils soient excités en direct par l’alto. Il est conseillé de fixer sur l’instrument un microphone à contact ou de proximité de type DPA [Figure 7] pour minimiser les risques de *feed-back* avec les résonances virtuelles. Le son de l’alto passe alors dans un limiteur-compresseur dont la fonction est d’amplifier les niveaux trop faibles et de réduire les niveaux trop élevés. Il est ensuite envoyé à la carte d’entrée de l’ordinateur puis traité en temps réel par le logiciel.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 7\\. Microphone de proximité (DPA 4099) pour violon ou alto. **\r\n\r\nLe niveau des résonances est, comme dans la version originelle de l’œuvre, entièrement assuré par une tierce personne – que nous qualifierons de musicien en charge de l’électronique *live* (MEL)[^NBP1] – au moment de l’exécution de l’œuvre. Le rôle de ce musicien ne se restreint pas à s’assurer du bon fonctionnement du dispositif technique puisqu’il doit contrôler en direct, par le biais des curseurs d’une table de mixage, le dosage des résonances en suivant les indications prescrites par le compositeur tout en tenant compte de l’instrumentiste et de l’acoustique de la salle. Il apparaît en ce sens comme un authentique partenaire de musique de chambre [Féron et Boutard, 2017] qui doit travailler et interpréter sa partie, le jeu des résonances pouvant être, dans certains passages, extrêmement complexe comme nous le verrons par la suite. L’altiste, quant à lui, n’a aucun déclenchement à effectuer et peut se concentrer pleinement sur l’exécution de la partie instrumentale tout en adaptant lui aussi son jeu en fonction des résonances contrôlées par son partenaire.\r\n\r\nIl n’y a, à proprement parler, que quatre modèles de résonance qui correspondent respectivement à la palme, au piano, au tam-tam et au métallique : les résonances virtuelles qui en découlent dépendent directement du son de l’alto et leur niveau sonore est contrôlé avec les curseurs 1 à 4 de la table de mixage [Figure 8]. La caisse claire n’a pas pu être simulée de la même manière car il est impossible de dissocier correctement l’excitation de la résonance puisque celle-ci est extrêmement brève. La résonance virtuelle n’est pas issue d’un modèle qui entre résonance mais correspond à une série de plusieurs échantillons sonores qui se superposent les uns aux autres en fonction du volume de l’alto, et cela grâce à un suiveur d’enveloppe dynamique en temps réel. Cinq seuils de sensibilité ont été définis : à chaque fois que le niveau sonore de l’alto dépasse un de ces seuils, un nouvel échantillon de caisse claire [Média 4] est ajouté. Les deux curseurs associés à la caisse claire servent respectivement à contrôler les seuils de déclenchement des échantillons sonores (curseur 5) et le niveau sonore global de ces échantillons (curseur 6).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5d55e1\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 4\\. Un des cinq échantillons sonores de caisse claire avec son timbre actionné (*direct to disc*). Il a été obtenu en faisant résonner l’instrument par sympathie via un son d’alto [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\n* Réverbération artificielle\r\n\r\nUn module de réverbération artificielle permet de s’adapter au mieux à l’acoustique de la salle de concert, l’idée n’étant pas de jouer avec la réverbération comme avec les résonances mais de favoriser la fusion du son de l’alto avec celui des résonances. Grisey n’a d’ailleurs laissé aucune indication spécifique au sujet de cet effet. Si la salle est jugée suffisamment réverbérante, il n’y pas à lieu d’en ajouter.\r\n\r\n####Disposition spatiale\r\n\r\nLors de la représentation à Liège de la version avec résonateurs acoustiques, l’altiste, positionné au milieu de la salle, était entouré par le public si bien que les résonateurs avaient été placés en périphérie de la salle [Arch. Féron – Entretien avec Lenfant]. Sinon dans une configuration habituelle de type frontal, les résonateurs et les haut-parleurs sont positionnés derrière l’interprète suivant un arc de cercle. Leur agencement spatial respecte la progression (in)harmonique en allant, de gauche à droite, du plus harmonique (la palme) au plus inharmonique (la caisse claire).\r\n\r\nDans la version avec électronique temps réel, il n’y a que quatre haut-parleurs situés derrière le musicien [Figure 8], diffusant respectivement les résonances virtuelles de la palme, du piano, du tam-tam et du métallique ; le son de caisse claire étant pas nature extrêmement diffus, il est diffusé simultanément à travers ces quatre haut-parleurs au lieu d’être associé à un haut-parleur spécifique. La réverbération artificielle est aussi diffusée sur les quatre haut-parleurs arrière.\r\n\r\nQuelle que soit la version mixte de *Prologue*, un couple de haut-parleurs est généralement placé sur le devant de la scène pour diffuser le son de l’alto très légèrement amplifié et parfaire ainsi la fusion avec les résonances provenant de l’arrière-scène. Alors que dans la version avec électronique temps réel, ce couple de haut-parleurs sert de ‘cluster’ en grossissant uniquement l’image acoustique de l’alto, dans la version avec résonateurs acoustiques, il diffuse aussi le son des résonances naturelles.\r\n\r\n[image:a031dc77-2130-4297-8546-b252d0a17024]\r\n\r\n**Figure 8\\. Dispositif technique de *Prologue* dans sa version avec électronique temps réel. **\r\n\r\n####À l’écoute des résonances naturelles et virtuelles\r\n\r\nLes extraits suivants permettent d’apprécier et de comparer les résonances naturelles et virtuelles produites respectivement par les résonateurs acoustiques [EA CD Accord, 1993] et le dispositif électronique temps réel [EA CD zeitklang, 2002]. Ce n’est surtout qu’au début de l’œuvre qu’on peut entendre quelques uns des résonateurs isolément (en l’occurrence les résonateurs 1 et 2). Il est assez rare qu’une résonance soit par la suite présentée seule, Grisey opérant le plus souvent des interpolations ou des superpositions sur lesquelles nous reviendrons dans la dernière partie de cette analyse.\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/09_grisey_prologue_Prologuep1s2palme.jpg\r\n\" width=\"90%\"></center>\r\n\r\n**Figure 9\\. Extrait de *Prologue* avec la résonance de la palme des ondes Martenot [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x64c979\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 5\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x391fcc\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 6\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/10_grisey_prologue_Prologuep1s5piano.jpg\r\n\" width=\"70%\"></center>\r\n\r\n**Figure 10\\. Extrait de *Prologue* avec la résonance du grand piano [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x391942\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 7\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x96e1fb\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 8\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n[image:a03a7bc9-460d-4f2c-970b-fb530c0245ce]\r\n\r\n**Figure 11\\. Extrait de *Prologue* avec la résonance du tam-tam [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3ab2c2\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 9\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9a4f13\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 10\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/12_grisey_prologue_Prologuep3s2metallique.jpg\r\n\" width=\"30%\"></center>\r\n\r\n**Figure 12\\. Extrait de *Prologue* avec la résonance du métallique des ondes Martenot [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4bf890\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 11\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xeb1eaa\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 12\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n[image:b493951c-a40e-4138-965f-6c546d1ed200]\r\n\r\n**Figure 13\\. Extrait de *Prologue* avec l’apparition de la caisse claire alors que sont déjà présentes les résonances de la palme, du tam-tam et du métallique à cet instant [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x1bc641\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 13\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5f8564\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 14\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n###Analyse de la partie instrumentale\r\n\r\nLe projet compositionnel de *Prologue* repose sur la transformation progressive de cellules musicales suivant l’axe harmonicité-inharmonicité-bruit, un archétype de l’esthétique spectrale que de nombreux compositeurs exploreront par la suite, dont [composer:f9c67431-3ed9-4762-8fef-99c1f5ec3b55][Saariaho] pour qui cet ‘axe timbral’ deviendra une caractéristique essentielle de son langage musical [Saariaho, 1991] (se référer aussi à l’analyse de [work:27474383-b037-4eb1-84c4-0b07dd79433e][NoaNoa] [Lorieux, 2015]). Dans la première partie de *Prologue*, le matériau musical, parfaitement harmonique au début, devient progressivement inharmonique puis totalement bruitiste. La seconde partie de l’œuvre, plus calme, signe un retour vers l’harmonicité.\r\n\r\n####Matériaux compositionnels\r\n\r\n**Spectre originel**\r\n\r\nSi *Prologue* ouvre le cycle *Les* [work:3bf9412e-f7d1-4c6d-bb29-1f7198b8e36a][Espaces acoustiques], l’œuvre n’a été composée qu’après [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes] (1974) et [work:86f1e0a0-50ce-4b0c-aa2e-1b4fa5265a57][Partiels] (1975). Elle réifie l’idée d’un cycle ambitieux allant de l’instrument soliste au grand orchestre. La construction de chaque pièce pe ce cycle repose sur un spectre harmonique de fondamentale *mi*<sub>0</sub> (41,2 Hz) que Grisey a établi comme modèle dès *Périodes* (pour comprendre la genèse de ce modèle se référer à Féron, 2010). Les douze hauteurs retenues par le compositeur sont les onze premiers harmoniques impairs (de la fondamentale [^NBP2] au 21e harmonique compris) auxquels s’ajoute l’harmonique 2\\. Cet ensemble de notes constitue le spectre originel de *Périodes* [Figure 14]. De sorte à “approcher la réalité acoustique” [Part. Ricordi, 1974] c’est-à-dire faire coïncider au mieux la note avec la fréquence, Grisey emploie des quarts de dièse pour restituer les harmoniques 11 et 13 et des déviations d’environ un sixième de ton pour les harmoniques 7 et 21\\. Dans *Prologue*, la 4ème corde de l’alto est justement désaccordée un demi-ton plus bas afin qu'elle produise à vide, non pas la note *do*<sub>2</sub> mais *si*<sub>1</sub> qui correspond au troisième harmonique du spectre originel.\r\n\r\n[image:4fe61187-528b-49cd-8eef-2b9558789b9f]\r\n\r\n**Figure 14\\. Spectre originel figurant dans la notice de *Périodes* et servant de modèle pour l’ensemble des pièces du cycle *Les Espaces acoustiques* [© Part. Ricordi, 1974]\\. **\r\n\r\nLe spectre ne se présente pas uniquement comme un simple réservoir de notes. Les onze nombres figurant en dessous du modèle spectral entre chaque harmonique correspondent aux intervalles – exprimés ici en quarts de ton – entre les composantes. Ces nombres, ainsi que ceux indiquant le rang des harmoniques et indiqués au dessus de la portée jouent un rôle structurel dans l’ensemble des œuvres du cycle. De ce spectre originel, Grisey extrait donc en réalité trois séries structurelles : une série de hauteurs et deux séries numériques. Pour éviter toute confusion, nous avons attribué un nom et une abréviation à chacune de ces séries.\r\n\r\n* La série des hauteurs (S<sub>h</sub>) correspond aux douze partiels harmoniques sélectionnés par Grisey et réparties entre *mi*<sub>0</sub> (fondamentale) et *la*<span>↓</span><sub>4</sub> (approximation du 21e partiel harmonique). Pour s’approcher des fréquences non tempérées des partiels harmoniques, le compositeur emploie des quarts et sixièmes de tons.\r\n\r\nS<sub>h</sub> = [*mi*<sub>0</sub>, *mi*<sub>1</sub>, *si*<sub>1</sub>, *sol#*<sub>2</sub>, *ré*<span>↓</span><sub>3</sub>, *fa#*<sub>3</sub>, *la*<span>𝄲</span><sub>3</sub>, *do*<span>𝄲</span><sub>4</sub>, *ré#*<sub>4</sub>, *fa*<sub>4</sub>, *sol*<sub>4</sub>, *la*<span>↓</span><sub>4</sub>]\r\n\r\n* La série des numéros des partiels harmoniques (S<sub>n</sub>) correspond aux douze nombres auxquels se réfère chaque harmonique.\r\n\r\nS<sub>n</sub> = [1, 2, 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15, 17, 19, 21]\r\n\r\n* La série des intervalles entre les partiels harmoniques (S<sub>i</sub>) comprend onze nombres correspondant aux intervalles exprimés ici en quarts de ton entre deux harmoniques conjoints.[^NBP3]\r\n\r\nS<sub>i</sub> = [22, 14, 18, 12, 8, 7, 6, 5, 4, 4, 4]\r\n\r\n**Neumes originels**\r\n\r\nLes neumes sont des silhouettes mélodiques caractérisées par leur forme (gestalt) et non par leurs notes : l’emplacement relatif des hauteurs les unes par rapport aux autres confère à chaque neume une forme particulière. Ce terme fait référence aux signes de notation musicale en usage au Moyen-Âge, qui servaient à décrire de petites formules mélodiques appliquées à une syllabe – chaque type de neume correspondant à une figure mélodique et rythmique particulière. D’ailleurs, dans plusieurs de ses esquisses [Arch. Fondation Paul Sacher], Grisey identifie certaines parties de ses neumes à des formes classiques en usage au Moyen-Âge tels que le *clivis* (groupe de deux notes descendantes), le *scandicus* (groupe de trois notes ascendantes) ou encore le *climacus* (groupe de trois notes ou plus descendantes).\r\n\r\nGrisey confectionne huit neumes comportant entre un et treize sons et reposant tous en réalité sur une unique gestalt : celle-ci revêt une importance capitale, tant pour la construction des neumes, que dans la structuration formelle de l’œuvre entière. Le nombre de sons (1, 2, 3, 5, 7, 9, 11 et 13) au sein de chaque neume correspond aux premiers éléments de la série des numéros des harmoniques du spectre originel (S<sub>n</sub>). Comme le fait Grisey dans ses esquisses, nous identifierons dorénavant les huit neumes par des chiffres romains correspondant au nombre de sons qui les composent.\r\n\r\nLes différents neumes imaginés par Grisey sont tous issus du neume VII comme le laisse comprendre ce fragment d’esquisse sur lequel figurent les huit “neumes originels” [Figure 15]. En supprimant les deux, quatre, cinq et six derniers sons de ce neume, on retrouve respectivement les neumes V, III, II et I. Quant aux neumes IX et XI, ils sont construits de la même façon mais en partant du neume XIII qui est lui-même entièrement déduit du neume VII : en effet, comme le montre explicitement l’esquisse, les six derniers sons du neume XIII (H, I, J, K, L et M) correspondent au renversement suivant un “miroir déformant” des six premiers sons (A, B, C, D, E, F et G) calqués sur le neume VII (le huitième son (G) servant de pivot).\r\n\r\n[image:0c3d008b-a042-42fe-89fb-c10ff93f9dc9]\r\n\r\n**Figure 15\\. Fragment d’une esquisse de *Prologue* dans laquelle Grisey inscrit les huit neumes originels [© Arch. Fondation Paul Sacher]. **\r\n\r\nVoyons maintenant comment la forme de ces neumes vise aussi à reproduire les modèles naturalistes que représentent le battement du cœur, l’écho et le cycle respiratoire.\r\n\r\n* Les neumes d’ordre supérieur (III à XIII) ou la métaphore du cycle respiratoire [Figure 16]\r\n\r\nLe neume VII représente un point névralgique dans le processus de composition puisque c’est à partir de celui-ci qu’ont été déduits tous les autres neumes comme nous venons de le voir. Il est donc légitime de se demander comment il a été construit et quelles sont ses caractéristiques.\r\n\r\nLe neume VII résulte de l’association d’un *clivis* (deux notes descendantes), d’un *scandicus flexus* (deux notes ascendantes et la dernière descendante) et de nouveau d’un *clivis* (deux notes descendantes). L’idée est de retranscrire la forme ternaire du cycle respiratoire qui comprend trois phases successives : inspiration, expiration et repos. Grisey a déjà recouru à un tel modèle, notamment dans [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes] où celui-ci régit la structure formelle de l’œuvre (lire à ce sujet Féron, 2011). Dans *Prologue*, la phase d’inspiration est traduite par un mouvement mélodique globalement ascendant (les trois premières notes du neume) et la phase d’expiration par un mouvement mélodique globalement descendant (les quatre dernières notes du neume). Les soufflets montant et descendant exacerbent les effets de tension et détente respectivement associés aux phases d’inspiration et d’expiration. Quant à la phase de repos, elle est logiquement associée à une césure qui arrive après l’énoncé du neume.\r\n\r\nLe neume V est le seul qui a exactement la même silhouette et le même profil dynamique que le neume VII. Il symbolise en quelque sorte le même cycle respiratoire pris sur un durée plus restreinte. En revanche, si les autres neumes d’ordre supérieur s’inspirent aussi du cycle respiratoire, ils tendent néanmoins à s’éloigner de ce modèle archétypal. Ainsi le neume III apparaît-il comme une brève inspiration et le neume IX comme la succession d’une inspiration, d’une expiration et à nouveau d’une inspiration. Les neumes XI et XIII quant à eux brouillent complètement la perception du modèle respiratoire, tant par la succession de courtes phases d’inspiration et d’expiration, que par les dynamiques qui s’opposent au mouvement des hauteurs (à un mouvement mélodique ascendant est généralement associé un soufflet descendant et inversement).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xbcaf2d\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 15\\. Neume III – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3f3614\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 16\\. Neume V – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb24e47\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 17\\. Neume VII – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n[image:c99f40c9-10cf-4a69-bb85-80ccf37d5eda]\r\n\r\n**Figure 16\\. Les neumes III, V, VII, IX, XI et XIII de *Prologue* [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xacb119\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 18\\. Neume IX – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf16c29\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 19\\. Neume XI – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0c6d62\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 20\\. Neume XIII – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n* Les neumes I et II ou la métaphore du battement du cœur et de l’écho [Figure 17]\r\n\r\nLe neume I comprend un seul et unique son qui est répété pour former une structure ïambique (court-long), l’idée étant d’imiter le rythme cardiaque et de symboliser ainsi le battement du cœur. Ce motif rythmique est joué sur la 4ème corde à vide qui correspond, comme nous l’avons déjà signalé, au troisième harmonique du spectre originel (*si*<sub>1</sub>). Il peut être répété plusieurs fois d’affilée.\r\n\r\nLe neume II est un *clivis* (intervalle de deux notes descendantes) qui est systématiquement greffé à un neume d’ordre supérieur : deux des dernières notes de ce neume sont ainsi répétées plusieurs fois de sorte à produire un battement binaire symbolisant l’écho.\r\n\r\n[image:daedc1f6-f18d-4922-8a54-88ada79128e8]\r\n\r\n**Figure 17\\. Neume I (battement de cœur) et neume II (écho) greffé ici sur le neume XI [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe7c92e\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 21\\. Neume I – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x527e37\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 22\\. Neume II greffé à la fin du neume XI – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n####Structure de l’œuvre\r\n\r\n_Prologue_ comprend deux parties principales. La première, par essence mélodique, occupe les trois quarts de l’œuvre et compte sept sections (sections 1-1 à 1-7). Les six premières s’articulent autour d’un des neumes d’ordre supérieur (respectivement par ordre d’apparition les neumes V, III, VII, XI, IX et XIII). La septième section met en scène des glissandi joués avec une surpression de l’archet. Comme le laisse entendre l’inscription “(VIII fin)” sur une des esquisses du compositeur [Figure 15], cette section s’articulerait théoriquement autour d’un neume à huit sons qui aurait été en quelque sorte aplati selon Baillet [2000, p. 105].\r\n\r\nLa deuxième partie de l’œuvre, caractérisée par un retour au calme, se divise en deux sections. La section 2-1 s’articule autour de notes maintenues précédées de brefs motifs mélodiques – indiqués sous forme d’appogiatures – qui s’allongent et se complexifient progressivement. Dans la section 2-2, ces motifs deviennent des glissandi qui sont superposés au *ré*<sub>1</sub> qui fait office de son pédale. Cette ultime section ne doit pas être jouée lorsque *Périodes* est jouée à la suite de *Prologue*, la jonction entre les deux œuvres se faisant naturellement, sans hiatus à la fin de la section 2-1 [Figure 20].\r\n\r\n**Première partie**\r\n\r\n* Disposition des sections\r\n\r\nLes neumes décrits précédemment sont traités soit comme des figures mélodiques (neumes d’ordre supérieur) sujettes à un long et complexe processus d’inharmonisation qui s’étale tout au long de cette première partie, soit comme des inserts (neumes I et II) qui apparaissent à certains moments spécifiques et cela indépendamment de l’organisation des figures mélodiques. Ces deux éléments (neumes mélodiques et inserts) sont soumis à des processus compositionnels très stricts dont nous ne donnons ici qu’un très bref aperçu. Chaque section s’articule donc autour d’un neume spécifique mais au lieu de traiter ces neumes par ordre croissant, Grisey préfère les agencer de la manière suivante : V, III, VII, XI, IX, XIII (et VIII). Cette configuration n’est pas aléatoire puisqu’elle vise à reproduire la forme globale du neume VII [Figure 15] qui rappelons-le représente le noyau formel de l’œuvre. Chaque section est aussi associée à un tempo évolutif qui croît (V, VII, XI, XIII) ou décroît (III, IX) progressivement à l’échelle de la section entière [Figure 16].\r\n\r\n* Transformation des neumes mélodiques\r\n\r\nDans chaque section – à l’exception de la dernière –, les neumes sont répétés un certain nombre de fois suivant des modifications progressives opérées tant sur leur forme (silhouette) que leur contenu (hauteurs). Pour cela, Grisey recourt à deux processus indépendants l’un de l’autre. D’une part, il effectue des permutations limitées qui ont pour effet d’altérer la silhouette originale du neume en retombant systématiquement sur la silhouette de départ (pour comprendre les processus de permutation opérés par Grisey, se référer à l’analyse de Baillet, 2000, p. 99-112). D’autre part, le choix des hauteurs est régi suivant des réservoirs de notes préétablis et visant à s’éloigner progressivement du spectre harmonique originel. Au processus de transformation locale (permutations à l’échelle de chaque section) se superpose donc un processus de transformation globale (inharmonisation des hauteurs à l’échelle de la première partie).\r\n\r\n* Organisation des inserts\r\n\r\nLes figures respiratoires que représentent les neumes d’ordre supérieur ne sont pas enchaînées uniformément, ce qui pourrait susciter une certaine monotonie malgré les processus de transformation décrits ci-dessus. Grisey intercale à divers instants les deux inserts que représentent le battement de cœur et l’écho : ceux-ci apparaissent au sein du déroulement musical de manière irrégulière mais répondent néanmoins à une logique compositionnelle. Le battement de cœur est omniprésent au début de l’œuvre, apparaissant toutes les une, deux ou trois occurrences du neume V dans la section 1-1\\. Soit il est soit joué de manière isolée, soit il est répété plusieurs fois de suite. La position et le nombre de répétition de cet insert sont en réalité déduits de la silhouette des neumes originels, généralement le neume V ou XI. Pour illustrer ce procédé compositionnel arrêtons-nous sur la section 1-3 [Figure 18] dans laquelle le neume VII apparaît à quinze reprises et le battement de cœur à cinq reprises, respectivement après deux, une, trois, cinq et quatre occurrences du neume VII. Cette suite de nombre (2, 1, 3, 5 et 4) n’est pas aléatoire puisqu’elle correspond une fois de plus à la gestalt du neume V.\r\n\r\n[image:3e50ef3e-a97f-4652-bfbe-69275a830b17]\r\n\r\n**Figure 18\\. Section 1-3 de *Prologue* construite autour du neume VII. La position de l’insert “battement de cœur” (en rouge) après 2, 1, 3, 5 et 4 occurrences du neume VII vise à reproduire la gestalt du neume V. L’insert “écho” (en bleu) n’apparaît qu’une seule fois dans cette section [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x700ea4\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 23\\. Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\nAu fil de la première partie de l’œuvre, le battement de cœur se fait de plus en plus rare alors que l’écho, lui, devient au contraire de plus en plus présent. Si cette figure est traitée à la manière d’un insert, elle n’est néanmoins pas intercalée entre différentes occurrences d’un neume – comme le battement de cœur – mais greffée à celui-ci de manière à le prolonger : deux des notes situées à la fin du neume sont dans ce cas répétées plusieurs fois de manière régulière mais suivant une intensité décroissante “en écho”, comme le mentionne Grisey sur la partition. La position de ce nouvel insert et sa densité (nombre de répétitions) sont régies suivant des principes similaires à ceux employés pour le battement de cœur.\r\n\r\n* Métaboles\r\n\r\nGrisey recourt aussi à deux reprises à des métaboles, terme que son professeur Olivier Messiaen utilisait pour décrire des modulations rythmiques ou transformations d’un rythme en un autre rythme et qu’il comparaissait à un fondu enchaîné cinématographique [Messiaen, 1949-1992/1995, p. 513-526]. Ce procédé vise à altérer la structure rythmique des neumes qui sont, de manière générale, joués suivant un processus linéaire d’accélération ou de ralentissement. Les métaboles apparaissent ici comme des interpolations locales visant à contaminer un neume par le rythme du battement de cœur [Baillet, 2000, p. 111] [Figure 19].\r\n\r\n[image:552f408f-ade7-47d5-9a77-7b62bbebfe3b]\r\n\r\n**Figure 19\\. Deux occurrences successives du neume XI dans la section 1-4 de *Prologue*. La première est parfaitement régulière d’un point de vue rythmique alors que et la seconde est beaucoup plus instable en raison de l’effet de métabole qui vise à s’approcher progressivement du rythme ïambique décrivant le battement de cœur [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x224912\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 24\\. Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\n**Seconde partie**\r\n\r\nComme la première partie de l’œuvre, la seconde débute sur une cellule à répéter *ad libitum*. L’interprète effectue très calmement un glissando partant de la note ré 1 pour atteindre le ton supérieur : *mi*<sub>1</sub>\\. À chaque répétition la durée du glissando devient plus courte alors que celle de *mi*<sub>1</sub> s’allonge. La première section de cette seconde partie [Figure 20] s’articule ainsi autour de notes tenues dont les positions relatives dans l’espace des hauteurs sont calquées sur la silhouette des neumes VII (*sol* #<sub>2</sub>, *mi*<sub>2</sub>, *si*<sub>2</sub>, *la*<span>𝄲</span><sub>3</sub>, *fa* #<sub>2</sub>, *do*<span>𝄲</span><sub>4</sub> + *fa*<sub>4</sub>, *mi* b<sub>3</sub>), puis V (*mi*<sub>3</sub>, *ré*<sub>3</sub>, *sol* #<sub>3</sub>, *sol*<sub>4</sub> + *la*<sub>4</sub>, *ré* #<sub>4</sub>), et enfin III (*ré* #<sub>4</sub>, *si*<sub>3</sub>, *la*<span>𝄰</span><sub>4</sub> + *do*<sub>4</sub>) avant deux ultimes intervalles ascendants en double cordes (*la*<span>𝄰</span><sub>4</sub> + *do*<sub>4</sub>, *ré*<sub>5</sub> + *do* #<sub>6</sub>). Les durées associées à chaque cellule et indiquées en secondes sur la partition, tout comme le nombre de notes au sein des appogiatures qui précèdent les notes tenues sont une fois de plus déduits des neumes originels pris, soit dans leur forme originale, soit en mouvement contraire (rétrograde) ou en miroir (inversé).\r\n\r\n [image:c03e43f8-ac05-4d03-8e81-107f783c912a]\r\n\r\n**Figure 20\\. Section 2-1 de *Prologue*. La flèche inscrite sur la partition à la fin de cette section indique le point de jonction entre *Prologue* et *Périodes* dans le cas où les deux œuvres seraient jouées l’une à la suite de l’autre [© Part. Ricordi, 1978/1992].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc750de\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 25\\. Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\nDans l’ultime section de l’œuvre, Grisey superpose la note polaire *ré*3 (celle qui formait le battement de cœur) aux neumes qui sont présentés sous forme de glissandi d’harmoniques et cela de manière entrecoupée ce qui les rend difficilement reconnaissables. La note polaire est répétée onze fois, toujours suivant le même profil dynamique en decrescendo. Les durées de ces onze occurrences – toujours exprimées en seconde sur la partition – sont calquées sur la gestalt du neume XI. Les neumes sont quant à eux réexposés tour à tour une ultime fois par ordre décroissant et en miroir. L’œuvre s’achève alors sur la répétition *ad libitum* et quasi périodique d’une cellule musicale construite autour du *ré* : l’altiste maintient la note *ré*<sub>3</sub> sur la quatrième corde à vide et alterne sur la troisième corde *ré*<sub>3</sub> et *ré*<sub>4</sub> (en harmonique), ultimes battements de cœur après un long cheminement musical.\r\n\r\n### Analyse des traitements dans la version avec électronique temps réel\r\n\r\n#### Présentation de la partition et du patch\r\n\r\nPour indiquer le jeu des résonances au fil de l’œuvre, Grisey se servait à l’époque de quatre grands calques qu’il superposait à la partition instrumentale. C’est en reprenant les indications inscrites sur ces calques – aujourd’hui conservés au sein de la Fondation Paul Sacher à Bâle – et en repartant de la partition instrumentale existante [Part. Ricordi, 1978/1992] qu’Éric Daubresse réalise, en 2005, une version inédite de la partition [Part. Ricordi, 2005], intégrant les différents effets électroniques. Daubresse n'effectue aucun changement à l’exception des trois passages répétés *ad libitum* qui délimitent les deux parties de l’œuvre et dont il décide de fixer le nombre de répétitions de sorte à ce que le musicien en charge de l’électronique *live* et l’altiste soient toujours parfaitement coordonnés [Arch. Féron – Entretien avec Daubresse]. Cette nouvelle version de la partition [Figures 23 à 29] est indispensable pour interpréter l’œuvre dans sa version mixte. Les cinq résonateurs et la réverbération (facultative) sont associés à des numéros et couleurs différents qui correspondent aux curseurs à manipuler en direct lors de la performance [Figures 21 et 23].\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/21_grisey_prologue_CouleurResonateur.jpg\r\n\" width=\"40%\"></center>\r\n\r\n**Figure 21\\. Couleurs et numéros associés aux cinq résonateurs et à la réverbération. Le curseur 6, non représenté ici, est utilisé pour régler le volume sonore de la caisse claire. **\r\n\r\n[image:093ef4a2-75be-49a7-870c-e40a3fc28b1e]\r\n\r\n**Figure 22\\. Fenêtre principale du patch Max développé par Éric Daubresse au sein de l’Ircam en 2001 [Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n#### Amplification et réverbération artificielle\r\n\r\nCe n’est qu’après avoir joué la cellule initiale qui est répétée deux fois dans la nouvelle version de la partition réalisée par Daubresse, que le musicien en charge de l’électronique *live* doit commencer à amplifier très progressivement – et réverbérer si besoin est – le son de l’alto [Figure 23]. Comme nous l’avons signalé auparavant, l’amplification sert uniquement à grossir légèrement l’image acoustique de l’alto et favoriser sa fusion avec les résonances virtuelles provenant de l’arrière-scène. À la fin de la pièce, l’amplification doit être très progressivement supprimée – tout comme la réverbération – de sorte à revenir dans un contexte purement acoustique.\r\n\r\n[image:d4633fea-1e6e-4335-b9fb-80f667de110f]\r\n\r\n**Figure 23\\. Début de *Prologue*: après deux occurrences du neume V suivi du battement de cœur, le musicien en charge de l’électronique *live* augmente très progressivement l’amplification et la réverbération [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd84c06\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 26\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n#### Résonances virtuelles\r\n\r\nLes curseurs 1 à 5 contrôlent les niveaux d’entrée de l’alto dans les résonateurs virtuels. Il ne faut surtout pas penser que les résonances apparaissent juste à tour de rôle, l’une après l’autre suivant leur degré d’inharmonicité ; Grisey conçoit un jeu de résonances extrêmement complexe – pour ne pas dire virtuose à certains moments – impliquant la manipulation simultanée de plusieurs curseurs.\r\n\r\nEn déplaçant ces curseurs, il est possible ‘d’allumer’ ou ‘d’éteindre’ progressivement les résonateurs, manipulation indiquée sur la partition par des flèches horizontales ascendantes ou descendantes. Lorsqu’un numéro apparaît directement, cela signifie qu’il faut pousser le curseur d’un coup sec à sa position maximale. Lorsqu’une nouvelle résonance est ajoutée – en présence des précédentes –, le signe “+” est généralement indiqué. L’extinction d’un ou plusieurs résonateurs en marche est sous-entendue dès lors que l’indication “solo” apparaît, celle-ci signalant explicitement qu’il ne doit y avoir plus qu’une seule résonance à cet instant précis [Figure 24].\r\n\r\n[image:208d0ac7-d436-449f-9d48-5813d8d9d714]\r\n\r\n**Figure 24\\. Superposition et alternance des résonateurs 1 (palme) et 2 (piano) dans la section 1-3 de *Prologue* construite autour du neume VII. Les indications sous cet extrait et les suivants ont été ajoutées par nos soins pour mieux visualiser la superposition et juxtaposition des différentes résonances [© Part. Ricordi, 2005].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x17bd93\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 27\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\nL’extinction d’un résonateur particulier est spécifiée par un numéro barré [Figure 25]. Néanmoins, pour ne pas surcharger la partition, il arrive que des instructions textuelles soient données pour un passage entier.\r\n\r\n[image:6e063bff-fab0-48f2-8fc0-e1dde468652b]\r\n\r\n**Figure 25\\. Superposition et alternance des résonateurs 1 (palme), 2 (piano) et 3 (tam-tam) dans la section 1-4 de *Prologue* construite autour du neume IX [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xabc244\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 28\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\nGrisey conçoit à plusieurs reprises des interpolations entre couples de résonateurs. Ces manipulations, indiquées sur la partition par le truchement de gradients de couleur, consistent à pousser et tirer progressivement et simultanément plusieurs curseurs de manière à opérer une métamorphose au niveau des résonances. Les interpolations peuvent aussi bien s’opérer sur deux résonateurs [Figure 26] que, simultanément, sur deux paires de résonateurs [Figure 27] ce qui, dans ce dernier cas, n’est pas forcément évident à réaliser, les doigts des deux mains pouvant s’entremêler.\r\n\r\n[image:7308a452-ab5c-4e0a-82c3-5cebb2bb5776]\r\n\r\n**Figure 26\\. Interpolation simple entre les résonateurs 2 (piano) et 1 (palme) et inversement dans la section 1-5 de *Prologue* construite autour du neume XI [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xeeb1dc\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 29\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/27_grisey_prologue_InterpolationDouble_1.jpg\r\n\" width=\"80%\"></center>\r\n\r\n**Figure 27\\. Interpolation double entre les couples de résonateurs 1–3 (palme – tam-tam) et 2–4 (piano – métallique) dans la section 1-6 de *Prologue* construite autour du neume XIII [© Part. Ricordi, 2005].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3f380e\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 30\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\nComme nous l’avons mentionné précédemment la résonance virtuelle de la caisse claire est en réalité une série d’échantillons sonores *direct-to-disc* qui sont superposés les uns aux autres en fonction du niveau sonore de l’alto. Les deux curseurs associés à la caisse claire permettent de contrôler respectivement la sensibilité du détecteur d’amplitude de l’alto (curseur 5) – c’est-à-dire le seuil limite au delà duquel les échantillons sonores se déclenchent – et le niveau sonore de ces échantillons (curseur 6). Outre des apparitions succinctes dans les sections 1-5 et 2-2, la caisse claire est surtout présente à la fin de la première partie de l’œuvre. Alors que les quatre autres résonateurs sont en marche, la sensibilité du détecteur d’amplitude est à ce moment graduellement augmentée de manière à atteindre son niveau maximale au tout début de la section 1-7 qui correspond au climax bruitiste de l’œuvre avec ses glissandi écrasés en double cordes [Figure 28].\r\n\r\n[image:457cca76-af36-4afd-a12b-1e2d52384275]\r\n\r\n**Figure 28\\. À la fin de la section 1-6 de *Prologue*, le musicien en charge de l’électronique *live* augmente peu à peu la sensibilité (*snare drum sensitivity*) puis le niveau sonore (*out level*) de la caisse claire jusqu’au climax de l’œuvre que représente le début de la section 1-7 avec des sons écrasés extrêmement bruitistes [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc0b376\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 31\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n### Conclusion\r\n\r\nLe catalogue de Gérard Grisey ne compte que trois œuvres pour instrument seul. [work:2ee38223-88fa-4cc3-84e2-c39d2ce89c53][Charme] (1969) pour clarinette, *Prologue* (1976) pour alto et le diptyque [work:e1a8c660-8bb5-4ca5-bb62-e716e5de37f7][Anubis-Nout] (1983) pour clarinette contrebasse, arrangé par la suite pour saxophone basse ou baryton (1990). [work:2ee38223-88fa-4cc3-84e2-c39d2ce89c53][Charme] est aux yeux du compositeur “une œuvre de jeunesse” [Grisey, 2008, p.127] recourant à des procédés d’écriture de type sériel dont il s’éloignera très vite. En revanche, comme toutes les œuvres de Grisey composées depuis 1972, *Prologue* ainsi que *Anubis-Nout* mettent en jeu des techniques d’écriture spectrales. Devenues des ‘classiques’ des répertoires solo pour alto d’une part, et clarinette ou saxophone d’autre part, ces deux œuvres témoignent de la manière dont le compositeur a réintroduit dans sa musique, à cette époque, l’élément mélodique. Si *Prologue* renoue avec l’écriture mélodique, elle signe par ailleurs l’acte de naissance officiel du cycle *Les* [work:3bf9412e-f7d1-4c6d-bb29-1f7198b8e36a][Espaces acoustiques] (1974-1985).\r\n\r\n“Lorsque j’ai composé [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes], je me suis aperçu que la fin n’était pas une fin, qu’il fallait une suite, et j’ai imaginé [work:86f1e0a0-50ce-4b0c-aa2e-1b4fa5265a57][Partiels] qui a été composé immédiatement après. Et comme *Périodes* commençait par un alto seul, évidemment immédiatement est venue l’idée de faire une sorte de prologue pour tout ce cycle, et peu à peu est né le concept d’une grande pièce.” [Grisey cité par Baillet, 2000, p. 70]\r\n\r\nContrairement à [work:f0a95b2a-d241-431e-a9b6-4a80467b1c59][Épilogue] (1985) qui ne peut être jouée sans [work:20a78ed3-3e87-4d3f-a7f0-260b829a49aa][Transitoires], *Prologue* a été originellement conçue de manière à pouvoir être interprétée comme une œuvre soliste à part entière et cela suivant deux versions : l’une pour alto seul et l’autre pour alto et résonateurs. La version avec résonateurs acoustiques a posé de nombreux problèmes d’ordre technique qui ont nui à sa diffusion : seul Gérard Caussé a interprété à notre connaissance cette version et cela à cinq reprises uniquement, entre 1978 et 1991. En s’affranchissant des résonateurs acoustiques, la version avec électronique temps réel, conçue en 2001 par Éric Daubresse en collaboration avec l’altiste Garth Knox, s’avère beaucoup plus simple à monter. Les œuvres mixtes avec électronique temps réel posent, elles aussi, des problèmes de pérennité de par l’obsolescence des outils technologiques et la nécessité de mettre constamment à jour les logiciels. Néanmoins, grâce à cette nouvelle version de *Prologue*, l’œuvre peut être dorénavant “interprétée et entendue plus souvent” et occupera “sans aucun doute la place qu’elle mérite dans la musique d’aujourd’hui”, pour paraphraser les vœux de Garth Knox [Notes en blocs 1, 2001].\r\n\r\n### Ressources\r\n\r\n#### Textes\r\n\r\n[Baillet, 2000] – Jérôme Baillet, *Gérard Grisey. Fondements d’une écriture*, Paris: L’Itinéraire / L’Harmattan, 2000.\r\n\r\n[Féron, 2010] – François-Xavier Féron, “Sur les traces de la musique spectrale: analyse génétique des modèles compositionnels dans *Périodes* (1974) de Gérard Grisey”, *Revue de musicologie*, vol.96 n°2, 2010, p. 411-443.\r\n\r\n[Féron, 2011] – François-Xavier Féron, “The emergence of spectra in Gérard Grisey’s compositional process: from *Dérives* (1973-74) to *Les Espaces acoustiques* (1974-1985)”, *Contemporary Music Review*, vol.30 n°5 “(De)composing Sound”, 2011, p. 343-375.\r\n\r\n[Féron et Boutard, 2017] – François-Xavier Féron et Guillaume Boutard, “Instrumentalists on solo works with live electronics: towards a contemporary form of chamber music?”, dans Friedemann Sallis, Valentina Bertolani, Jan Burle et Laura Zattra (éd.) *Live-Electronic Music. Composition, Performance and Study*, Routledge, 2017, p. 101-130.\r\n\r\n[Grisey, 2008] – Gérard Grisey, *Écrits ou l’invention de la musique spectrale*, édition établie par Guy Lelong avec la collaboration d’Anne-Marie Réby, Paris: MF, 2008.\r\n\r\n[Laurendeau, 1990] – Jean Laurendeau, *Maurice Martenot, luthier de l’électronique*, Louise Courteau / Dervy-Livres, 1990.\r\n\r\n[Levinas, 2002] – Michaël Levinas, *Le compositeur trouvère. Écrits et entretiens (1982-2002)*, textes réunis et annotés par Pierre Albert Castanet et Danielle Cohen-Levinas, Paris : L’Itinéraire / L’Harmattan, 2002.\r\n\r\n[Lorieux, 2015] – Grégoire Lorieux, “[Analyse de *NoaNoa* de Kaija Saariaho](https://brahms.ircam.fr/analyses/noanoa/)”, *Analyses – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam*.\r\n\r\n[Messiaen, 1949-1992/1995] – Olivier Messiaen, *Traité de rythme, de couleur, et d'ornitologie*, t.2, Paris : Alphone Leduc, 1995.\r\n\r\n[Notes en blocs 1, 2001] – “[Notes en blocs 1](https://medias.ircam.fr/media/old_archives/programnote/LO38100-01-wm.pdf)”, programme du concert Pauset-Grisey, Ircam-Centre Pompidou, 3 avril 2001.\r\n\r\n[Plessas et Boutard, 2015] – Peter Plessas et Guillaume Boutard, “[Transmission et interprétation de l’instrument électronique composé](https://jim2015.oicrm.org/actes/JIM15_Plessas_P_et_al.pdf)”, Actes des Journées d’Informatique Musicale, Montréal, 2015.\r\n\r\n[Potard *et al.*, 1991] – Yves Potard, Pierre-François Baisnée et Jean-Baptiste Barrière, “Méthodologies de synthèse du timbre : l’exemple des modèles de résonance”, dans Jean-Baptiste Barrière (éd.), *Le timbre, métaphore pour la composition*, Paris : Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 135-163.\r\n\r\n[Saariaho, 1991] – Kaija Saariaho, “Timbre et harmonie”, dans *Le timbre, métaphore pour la composition*, Jean-Baptiste Barrière éd., Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 412-453.\r\n\r\n####Archives\r\n[Arch. Féron] – Entretiens réalisés par François-Xavier Féron avec\r\n\r\n* Éric Daubresse, le 8 novembre 2011 à Paris.\r\n* Gérard Caussé, le 2 octobre 2012 à Paris.\r\n* Patrick Lenfant, le 9 novembre 2012 par téléphone.\r\n\r\n[Arch. Fondation Paul Sacher] – Collection Gérard Grisey, dossier “Prologue”, Fondation Paul Sacher, Bâle.\r\n\r\n[Arch. Ircam – Daubresse] – Archives personnelles d'Eric Daubresse conservées à l’Ircam.\r\n\r\n[Arch. Ircam – Ressources]\r\n\r\n* [Concert](https://medias.ircam.fr/x081980_prologue-gerard-grisey) – Gérard Grisey, [*Prologue*] pour alto et électronique temps réel, 3 avril 2001, Ircam.\r\n\r\nGarth Knox (alto), Éric Daubresse (réalisateur informatique musicale).\r\n\r\n* Atelier-répertoire – Gérard Grisey, *Prologue* pour alto et électronique temps réel, 18 janvier 2006, Centre Georges Pompidou.\r\n\r\n[Présentation de la pièce](https://medias.ircam.fr/x507ef7_presentation-de-la-piece): Grégoire Lorieux.\r\n[Concert](https://medias.ircam.fr/x524e25_prologue-gerard-grisey): Garth Knox (alto), Éric Daubresse (réalisateur informatique musicale).\r\n\r\n* [Concert](https://medias.ircam.fr/x4124c2) – Gérard Grisey, *Prologue* pour alto, 21 juillet 2012, Festival Messiaen au pays de la Meije 2012, Église des Cordeliers.\r\n\r\nNoémie Bialobroda (alto).\r\n\r\n* [Concert](https://medias.ircam.fr/x4c0d4d) – Gérard Grisey, *Prologue* pour alto et électronique temps réel, ManiFeste-2012 – Concert de musique mixte des étudiants du DAI du CNSMDP et de musique de chambre de l’Internationale Ensemble Modern Akademie, 30 juin 2012, Le Centquatre.\r\n\r\nNoémie Bialobroda (alto), Éric Daubresse (réalisateur informatique musicale).\r\n\r\n####Partitions\r\n\r\n[Part. Ricordi, 1974] – Gérard Grisey, *Périodes*, Ricordi 132243, 1974.\r\n\r\n[Part. Ricordi, 1978/1992] – Gérard Grisey, *Prologue*, Ricordi 2248, 1978 (réédition en 1992).\r\n\r\n[Part. Ricordi, 2005] – Gérard Grisey, *Prologue*, Ricordi 2248, 2005 (version inédite avec résonateurs réalisée par Éric Daubresse).\r\n\r\n\r\n####Enregistrements audio\r\n\r\n**Version pour alto et résonateurs acoustiques**\r\n\r\n[EA CD Accord, 1993] – Gérard Grisey, *Talea; Prologue; Anubis; Nout; Jour, Contre-jour*\r\nEnsemble L’Itinéraire, Mark Foster, Pascal Rophé, Gérard Caussé (alto), Claude Delangle\r\nAccord (una corda) 201 952, 1993.\r\n\r\n**Version pour alto et électronique temps réel**\r\n\r\n[EA CD Zeitklang, 2002] – Garth Knox, *Spectral viola*\r\nGarth Knox (alto)\r\n[Edition zeitklang](http://zeitklang.de) ez-10012, 2002.\r\n\r\n**Version pour alto seul**\r\n\r\n[EA CD AEON, 2009] – Christophe Desjardins, *Alto / Multiples*\r\nChristophe Desjardins (alto)\r\nAEON AECD 0981, 2009\r\n\r\n[EA CD NEOS, 2010] – Ana Spina, *Works for viola solo*\r\nAna Spina (alto)\r\nNEOS 10920, 2010.\r\n\r\n** Intégrale du cycle *Les Espaces acoustiques* **\r\n\r\n[EA CD Accord, 1999] – Gérard Grisey, *Les Espaces acoustiques*\r\nGérard Caussé (alto), Ensemble Court-Circuit / Pierre-André Valade (direction), Frankfurter Museumorchester / Sylvain Cambreling (direction)\r\nAccord (una corda) 465 386-2, 1999.\r\n\r\n[EA CD Kairos, 2005] – Gérard Grisey, *Les Espaces acoustiques*\r\nGarth Knox (alto), Asko Ensemble, WDR Sinfonieorchester Köln / Stephan Asbury (direction)\r\nKairos 0012422KAI, 2005.\r\n\r\n###Remerciements et citation\r\nJe tiens à remercier très chaleureusement Éric Daubresse, Gérard Caussé, Patrick Lenfant et Garth Knox pour le temps qu'ils ont consacré à répondre à mes nombreuses interrogations. Je souhaite aussi exprimer toute mon amitié à Robert Piencikowski que je retrouvais toujours avec plaisir lors de chacune de mes visites au sein de la fondation Paul Sacher à Bâle.\r\n\r\n**Pour citer cet article: **\r\n\r\nFrançois-Xavier Féron, “Gérard Grisey – *Prologue*”, *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2016 (rév. 2020). URL: https://brahms.ircam.fr/analyses/Prologue/.\r\n\r\n[^NBP1]: Il nous semble important de faire une distinction entre le Réalisateur en Informatique Musicale (RIM) qui contribue à la confection de la partie électronique d’une œuvre et le Musicien en charge de l’Électronique *Live* (MEL) qui n’a pas nécessairement participé à l’élaboration de cette partie électronique mais qui doit s’assurer de sa mise à jour et de son bon fonctionnement lors d’une performance (lire à ce sujet Plessas et Boutard, 2015).\r\n\r\n[^NBP2]: Par convention, l’harmonique 1 (fréquence f<sub>0</sub>) correspond à la fondamentale du spectre. Pour un spectre harmonique, la fréquence de chaque composante spectrale vérifie la relation suivante: f<sub>n</sub> = n x f<sub>0</sub>.\r\n\r\n[^NBP3]: Grisey a commis une erreur au niveau du premier intervalle : l’écart entre la fondamentale (*mi*<sub>0</sub>) et le second harmonique (*mi*<sub>1</sub>) est une octave, soit 24 quarts de ton et non 22 comme il est indiqué.","### Introduction\r\n\r\n#### Les différentes versions de l’œuvre\r\n\r\n_Prologue_ pour alto solo a été composée par Gérard Grisey entre avril et juillet 1976. Dédiée à l’altiste Gérard Caussé, cette œuvre fait office, comme son nom l’indique, de prologue au cycle *Les* [work:3bf9412e-f7d1-4c6d-bb29-1f7198b8e36a][Espaces acoustiques] que le compositeur a débuté –sans penser à l’époque réaliser un cycle – avec [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes] (1974) pour 7 instruments suivie de, [work:86f1e0a0-50ce-4b0c-aa2e-1b4fa5265a57][Partiels] (1975) pour 16 ou 18 musiciens. Viendront ensuite par ordre chronologique de composition, [work:d968fdf1-307a-485a-80e3-2a8d1b997fed][Prologue] (1976) pour alto seul, [work:b6c60615-ce07-431e-a4a7-d4ce040ea578][Modulations] (1977-78) pour 33 musiciens, [work:20a78ed3-3e87-4d3f-a7f0-260b829a49aa][Transitoires] (1980-81) pour grand orchestre et, enfin, [work:f0a95b2a-d241-431e-a9b6-4a80467b1c59][Épilogue] (1985) pour 4 cors solos et grand orchestre.\r\n\r\nD’une durée approximative de 15 minutes, *Prologue* a été conçue de manière à pouvoir s’enchaîner parfaitement avec [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes], la jonction s’opérant un peu avant la fin de l’œuvre, au niveau de la 7ème mesure du 5ème système de la dernière page de la partition. Sinon l’œuvre peut aussi être interprétée intégralement comme une pièce autonome, et cela suivant trois versions, toutes basées sur la même partition instrumentale: [work:d968fdf1-307a-485a-80e3-2a8d1b997fed][Prologue] pour alto seul, *Prologue* pour alto et résonateurs acoustiques et [work:b4b42194-b56c-420a-8374-9a6503b0c7bb][Prologue] pour alto et électronique temps réel. Les deux premières versions ont été créées en 1978 par Gérard Caussé. Dans la version pour alto et résonateurs acoustiques, l’interprète partage la scène avec plusieurs instruments-résonateurs qui, au son de l’alto, vibrent par sympathie grâce à un système complexe de sonorisation. Envisagée du vivant de Grisey mais réalisée après sa disparition prématurée en 1998, l’ultime version de *Prologue* avec électronique temps réel a été conçue dans les années 2000 à l’Ircam par le réalisateur en informatique musicale [composer:29a89d73-e0c6-44e0-8030-e1ec15b02c4c][Éric Daubresse] et créée par l’altiste Garth Knox: dans cette version, l’ordinateur simule en direct les résonances par sympathie qui sont diffusées à travers des haut-parleurs. Dans la suite de cette analyse, nous ferons référence à ces deux versions mixtes de *Prologue* en parlant de résonances naturelles, lorsqu’il est question de résonateurs acoustiques – c’est-à-dire d’éléments matériels physiques – qui vibrent par sympathie ou de résonances virtuelles, lorsque celles-ci sont simulées grâce au dispositif électronique temps réel.\r\n\r\n* Version pour alto seul\r\n\r\nCréation : 16 janvier 1978 à Paris\r\nGérard Caussé (alto)\r\n\r\n* Version pour alto et résonateurs acoustiques\r\n\r\nCréation : 7 Août 1978 au festival de Darmstadt\r\nGérard Caussé (alto), Gérard Grisey (régie sonore)\r\n\r\n* Version pour alto et électronique temps réel\r\n\r\nCréation : 3 avril 2001 à l’espace de projection de l’Ircam, Paris\r\nGarth Knox (alto), Éric Daubresse (réalisateur en informatique musicale, régie sonore)\r\n\r\n#### Notes de programme\r\n\r\n** *Prologue* (1976) **\r\n\r\n> Essentiellement mélodique, *Prologue* se détache lentement et progressivement de la pesanteur et de l’hypnose de la répétition. Une cellule mélodique unique jouant sur les hauteurs d’un spectre d’harmoniques sert d’axe et de point de repère à une sorte de spirale. Tout provient de cette cellule, tout y retourne, mais jamais exactement au même niveau. La mélodie est ici travaillée dans son essence même, dans sa Gestalt, dans sa silhouette mais jamais au niveau de la note, car les hauteurs qui la composent vont s’éloigner peu à peu du spectre originel pour atteindre le bruit en passant par différents degrés d’inharmonicité.\r\nCette silhouette mélodique gère également la grande forme, les tempi et l’apparition de deux types d’insert : le battement de cœur (brève-longue) et l’écho. Non tempéré, *Prologue* pose d’énormes problèmes d’interprétation (il est déjà si difficile de jouer juste sur un alto !).\r\nÀ ce rêve mélodique, s’ajoute cette réponse de l’inerte, cette vibration par sympathie des différents instruments qui entourent l’alto et qui jouent exactement le même rôle passif que les cordes sympathiques du sitar ou de la sarangui, à cette différence près que ces instruments couvrent ici un champ acoustique beaucoup plus large et qu’ils peuvent, grâce aux moyens électroniques, être modulés.\r\nVoix seule, réponse fantomatique d’instruments inhabités mais aussi structure abstraite et sans concession, j’espère être parvenu ici à balbutier ce que je crois être la musique : une dialectique entre le délire et la forme.\r\nGérard Grisey [Notes en blocs 1, 2001]\r\n\r\n** *Prologue* (2001) **\r\n\r\n> La réalisation de la partie électronique de *Prologue* par des moyens analogiques a toujours été lourde à mettre en œuvre : difficultés pour réunir les meilleurs instruments utilisés comme résonateurs acoustiques ; réglages extrêmement longs et délicats, nécessitant la présence continue de l’altiste ; problèmes d'équilibre sonore ; imprécision, fragilité et dérive des paramètres du dispositif. C’est pour ces raisons que cette version était très rarement interprétée depuis sa création. J’avais plusieurs fois évoqué l’intérêt que pouvait représenter un ‘portage’ des résonateurs sur ordinateur, et Gérard Grisey était très enthousiaste à l’idée de parvenir enfin aux résultats qu’il avait imaginés. Connaissant bien l’œuvre pour l’avoir plusieurs fois exécutée et enregistrée, considérant que les conditions technologiques étaient aujourd’hui réunies pour permettre l’intégration des résonateurs dans un seul ordinateur, il me paraissait indispensable d’en faire une nouvelle version plus simple à monter parce qu’affranchie des instruments acoustiques. L’objectif était d’en garantir la pérennité, et, sans la présence de Gérard, de respecter la version de référence. Les cinq résonateurs ont été modélisés à partir de l’analyse des instruments d’origine : palme d’onde Martenot, piano, tam-tam, gong métallique d’onde Martenot, caisse claire. Garth Knox a enregistré la partie d’alto pour le travail en studio, puis nous avons expérimenté le dispositif entièrement reconstitué, en le comparant à la version analogique et en suivant scrupuleusement les indications du compositeur. L’interprétation de la partie électronique est faite sur la dernière version de la partition annotée.\r\nÉric Daubresse [Notes en blocs 1, 2001]\r\n\r\n> Alto seul, alto avec résonateurs, alto avec résonateurs virtuels – chaque version de *Prologue* explore à sa façon un jeu de résonances du geste initial qui crée son propre espace acoustique. L’instrumentiste lui-même, chaque fois confronté à un nouvel instrument est influencé à son tour dans son interprétation : la longueur des points d’orgue est modifiée par la résonance, certaines notes sont mises en valeur par la sympathie, les nuances doivent prendre en compte le partenaire virtuel, etc...\r\nMes propres recherches et expériences avec la viole d’amour m’ayant conduit à m’intéresser de près au phénomène de résonance des cordes sympathiques, j’ai suivi avec fascination le travail de modélisation des résonateurs d’Éric Daubresse. De longues heures d’analyses et de tests ont permis de créer toute une gamme de résonances virtuelles, lumineuses, chatoyantes, sombres ou bruiteuses.\r\nIl me semble important que grâce à cette nouvelle version, *Prologue* puisse désormais être interprétée et entendue plus souvent, et que cette pièce, si belle et novatrice, puisse ainsi occuper la place qu’elle mérite dans la musique d’aujourd’hui.\r\nGarth Knox [Notes en blocs 1, 2001]\r\n\r\n### Analyse des dispositifs technologiques\r\n\r\nLes deux versions de *Prologue* avec résonateurs témoignent de l’évolution des pratiques *live* dans le domaine des musiques mixtes. Dans la première version, le son de l’alto, capté par des microphones, est diffusé par des haut-parleurs afin de faire résonner par sympathie différents instruments positionnés derrière l’interprète. Ces résonances naturelles sont à leur tour captées par des microphones, amplifiées puis diffusées par d’autres haut-parleurs de manière à les rendre perceptibles. Le dispositif requis dans cette version – outre les instruments servant de résonateurs – est donc celui d’une sonorisation traditionnelle impliquant microphones, haut-parleurs, table de mixage et éventuellement des modules de réverbération. La version avec électronique temps réel permet de s’affranchir physiquement des résonateurs acoustiques et d’éviter ainsi un certain nombre de problèmes techniques inhérents à la captation et diffusion des résonances par sympathie. Le dispositif de sonorisation est plus simple mais il faut recourir en contrepartie à un ordinateur comportant un logiciel de traitement du signal en temps réel permettant de produire les résonances virtuelles, et d’ajouter, si besoin, de la réverbération artificielle.\r\n\r\n#### Configuration de la version avec résonateurs acoustiques\r\n\r\n**Résonances par sympathie**\r\n\r\nOn parle de résonance par sympathie lorsqu’un instrument – ou tout autre objet susceptible d’entrer en vibration – se met à résonner sous l’action d’une vibration transmise par voix aérienne. Pour apprécier un tel phénomène, il suffit par exemple d’enfoncer la pédale forte d’un piano et d’émettre avec sa voix ou tout autre instrument un son relativement puissant : les cordes du piano entreront alors naturellement en résonance par sympathie produisant un léger halo sonore chargé de mystère. Ce procédé auquel [composer:5f91818e-a41c-4a4b-aa58-68e9d301a9eb][Berio] et [composer:e9985cf2-64e4-4e47-aba3-ee6167cbfae0][Boulez] recourent respectivement dans la [work:b3d7d017-228e-42f3-8bee-0645b6a5a1ec][Sequenza X] (1984) pour trompette et [work:f9febd8f-a6d8-4573-ae52-038bd1cd7e76][Dialogue de l’ombre double] (1985) pour clarinette et bande permet de renforcer et prolonger certaines fréquences émises par la source sonore principale ce qui enrichit le son et suscite aussi une impression de réverbération. Plusieurs instruments anciens, – comme la viole d’amour – ainsi que des instruments extra-européens – comme le sarangui auquel Grisey fait référence dans sa note de programme – sont dotés de cordes supplémentaires que l’interprète n’actionnent pas directement mais qui résonnent par sympathie afin d’enrichir le son émis par les cordes principales. “J’ai toujours pensé, explique Grisey, que la disparition des cordes sympathiques dans la musique occidentale était due à un excès de polyphonie. Il n’y a donc aucune raison de ne pas les réinventer lorsque nous écrivons des pièces monodiques” [Grisey, 2008, p. 136].\r\n\r\nPlusieurs indices figurant dans les esquisses du compositeur [Arch. Fondation Paul Sacher] nous laissent penser que Grisey a dès le début imaginé que le matériau instrumental de *Prologue* pourrait être auréolé de ces résonances par sympathie. Cette idée était dans l’air du temps puisque [composer:fa9d1797-b58c-4a35-b6fb-fb2213999b74][Levinas], notamment, l’avait explorée peu de temps auparavant dans [work:22614d3f-51de-46f7-8caf-ee048d4c7a3c][Appels] (1974) pour 11 instrumentistes, œuvre dans laquelle les cuivres jouent à plusieurs reprises dans des caisses claires qui se mettent ainsi à résonner, suggérant, selon Levinas, “un ébranlement dramatique” [Levinas, 2002, p. 69]. Chez Grisey, le recours aux résonances par sympathie est tout autre puisqu’il vise à éclairer le son suivant différentes colorations en adéquation avec le cheminement harmonique de l’œuvre.\r\n\r\n**Représentations de l’œuvre**\r\n\r\nAfin d’obtenir des résonances de plus en plus inharmoniques au fil de l’œuvre, Grisey a dû tester plusieurs résonateurs en studio, tout d’abord avec Patrick Lenfant, puis avec Éric Daubresse, qui ont respectivement travaillé au sein de L’Itinéraire en tant qu’assistants techniques, dans les années 1970 pour le premier, et dans les années 1980 pour le second. Le choix des cinq résonateurs acoustiques a quelque peu évolué au fil des tests et des représentations de l’œuvre sachant que certains instruments étaient plus aptes que d’autres à résonner par sympathie et que le niveau sonore des résonances devaient être suffisamment élevé pour que celles-ci puissent être correctement captées et amplifiées.\r\n\r\nSur une des esquisses de Grisey vraisemblablement réalisée avant que la partie instrumentale de *Prologue* ne soit achevée – le compositeur indique les cinq groupes de résonateurs suivants : violoncelle/alto/contrebasse, harpe, piano avec “pédale maintenue par un poids”, tam-tam “profond” et caisse claire [Arch. Fondation Paul Sacher]. Mais lors de la création à Darmstadt, le 7 août 1978, les résonateurs étaient, selon Gérard Caussé , un sitar [Figure 1], une harpe, un piano, un tam-tam et une caisse claire. Le trio à cordes, envisagé un temps par Grisey, semble donc avoir été remplacé par l’instrument indien, sûrement pour des raisons pratiques (il est plus facile de sonoriser un unique instrument plutôt qu’un groupe de trois instruments) et sonores (les résonances par sympathie du violoncelle, de l’alto et de la contrebasse n’étant pas très puissantes). Durant cette première, Grisey dosait en direct à la console le niveau sonore des résonances par sympathie pendant que l’altiste jouait la partie instrumentale. Il s’avère que le dispositif technologique posa de nombreux problèmes lors de son installation et que le résultat sonore n’était pas celui escompté en raison justement de l’instabilité du dispositif et de son manque de précision [Arch. Féron – Entretien avec Caussé].\r\n\r\n[image:7860cf0b-c9dc-4cdd-9273-69705e324e6d]\r\n\r\n**Figure 1\\. Gérard Caussé (à gauche) et Gérard Grisey (à droite) accordant le sitar, un des cinq résonateurs utilisés dans la première version mixte de *Prologue* pour alto et résonateurs acoustiques à Darmstadt, le 7 août 1978 [© Grisey, 2008].**\r\n\r\nLa pièce a néanmoins été rejouée à Paris le 15 mars 1980\\. La note de programme ne précise pas quels étaient les résonateurs et Patrick Lenfant, en charge alors du dispositif technique à cette époque, ne s’en souvient plus [Arch. Féron – Entretien avec Lenfant]. Cinq années plus tard, le 11 février 1985, *Prologue* est à nouveau donnée dans sa version avec résonateurs acoustiques. Le concert se déroule dans la salle philharmonique du Conservatoire Royal de Liège et les cinq résonateurs sont alors la palme et le diffuseur métallique – tous deux conçus par Maurice Martenot pour enrichir et prolonger les sons des ondes Martenot –, un piano, un tam-tam et une caisse claire. Cet ensemble de résonateurs ne sera alors plus modifié et correspond ainsi à la version définitive de l’œuvre qui ne sera alors reprise qu’à deux occasions, avec Éric Daubresse en charge du dispositif technologique : la première, en concert à Berlin en novembre 1989 et la seconde, pour l’enregistrement effectué à Radio France le 20 décembre 1991 [EA CD Accord, 1993]. Daubresse se souvient néanmoins avoir expérimenté avec Grisey d’autres résonateurs, notamment une grosse caisse sur laquelle étaient disposées des billes mais cette option a finalement été écartée un peu avant le concert de Berlin [Arch Féron – Entretien avec Daubresse]. Les différentes performances de *Prologue* avec résonateurs acoustiques sont résumées dans le tableau ci dessous [Figure 2].\r\n\r\n[image:d16eaf26-f5f1-4ccb-b7a2-9e07568a19ef]\r\n\r\n**Figure 2\\. Tableau récapitulatif des différentes représentations de *Prologue* dans sa version avec résonateurs acoustiques, les résonateurs étant indiqués suivant leur ordre d’apparition dans l’œuvre (recoupement des informations découlant des entretiens avec Daubresse, Caussé et Lenfant [Arch. Féron]).**\r\n\r\n**Caractéristiques des cinq résonateurs dans la version finale**\r\n\r\nLa palme des ondes Martenot, le piano, le tam-tam, le diffuseur métallique des ondes Martenot – que nous nommerons simplement métallique – et la caisse claire sont donc les cinq résonateurs utilisés dans la version définitive de l’œuvre.\r\n\r\nPour que le piano puisse résonner par sympathie, la pédale tonale doit rester en permanence enfoncée : il suffit pour cela de la bloquer avec un poids ou un système de cale. Le haut-parleur qui diffuse le son de l’alto est positionné sous la table d’harmonie du piano alors que les microphones servant à capter les résonances sont placés juste au dessus des cordes. Le dispositif est similaire pour le tam-tam avec le haut-parleur ‘excitateur’ placé d’un côté de l’instrument (généralement derrière) et le microphone ‘capteur de résonance’, de l’autre. Pour la caisse claire, il faut actionner le timbre afin d’obtenir l’effet bruitiste recherché par le compositeur : le haut-parleur et le microphone sont respectivement positionnés en dessous et au dessus de la caisse.\r\n\r\nIl n’est pas besoin de recourir à des haut-parleurs supplémentaires avec les diffuseurs des ondes Martenot puisqu’ils sont déjà équipés de transducteurs. La palme est une caisse de résonance comportant deux jeux identiques de douze cordes [Figure 3]. Le transducteur est directement fixé à la caisse de résonance de manière à ce que la vibration soit transmise par contact ce qui améliore le rapport entre l’intensité du son excitateur et celle de la résonance. Les cordes de la palme peuvent être accordées suivant n’importe quelle gamme. L’accord choisi par Grisey vise à reproduire les fréquences naturelles du spectre harmonique de fondamentale *mi*<sub>0</sub> (41,2 Hz). La tessiture de la palme étant néanmoins relativement restreinte, certaines fréquences, ici les harmoniques 7, 9 et 11, doivent être transposées une octave plus bas. Les second et troisième harmonique du spectre qui correspondent à l’octave (*mi*<sub>1</sub>) et l’octave + quinte (*si*<sub>1</sub>) sont quant à eux démultipliés afin d’augmenter leur poids perceptif.\r\n\r\n[image:e9436c1a-2f96-4d91-8564-6ac371595fdd]\r\n\r\n**Figure 3\\. Palme des ondes Martenot et gamme suivant laquelle elle doit être accordée dans *Prologue*: les hauteurs coïncident avec les harmoniques 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9 et 11 du spectre de fondamentale *mi*<sub>0</sub> (les harmoniques 7, 9 et 11 sont transposés à l’octave inférieure comme l’indiquent les flèches descendantes).**\r\n\r\nLe métallique [Figure 4] est composé d’un gong – instrument dont la résonance est, par nature, extrêmement riche –, et d’un transducteur électro-magnétique qui est directement vissé dessus, le point de contact devant être le plus petit possible afin de ne pas entraver la résonance. “Il fallait aussi trouver la zone privilégiée à partir de laquelle le gong vibrerait au maximum, et percer là le trou permettant à la vis d’entrer”, rappelle Laurendeau [1990, p.102].\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 4\\. Métallique des ondes Martenot. **\r\n\r\nLes différents résonateurs sont plus ou moins facilement excités par une source extérieure selon la distribution et la densité des fréquences de résonance. En raison de son accord particulier, la résonance de la palme est parfaitement harmonique. Les résonances du piano sont en revanche très légèrement inharmoniques. L’instrument étant accordé suivant le tempérament égal, toute hauteur tempérée jouée par l’altiste est donc susceptible d’exciter l’instrument. Le métallique et le tam-tam produisent des résonances beaucoup plus inharmoniques créant un halo de distorsion autour du son de l’alto. Quant à la caisse claire, dont le timbre est actionné, elle génère un grésillement très riche du point de vue spectral. Le choix des résonateurs et leur ordre d’apparition dans la première partie de l’œuvre sont calqués sur le processus de transformation du matériau instrumental qui, harmonique au départ, devient de plus en plus inharmonique puis complètement bruitiste [Figure 5].\r\n\r\n[image:40201143-3702-4a93-b50a-489fe6c31963]\r\n\r\n**Figure 5\\. Forme d’onde et sonagramme [Fréquence : 0-7 kHz ; Temps : 0-14 min] de la première partie de *Prologue* pour alto et résonateurs acoustiques [EA CD Accord, 1993]. Outre l’augmentation globale du niveau sonore et de la brillance, on peut aussi apprécier le processus d’inharmonisation du matériau instrumental. Au début, l’équidistance entre les points alignés verticalement révèle l’harmonicité de ce matériau. Très vite, ces points s’étendent pour se rejoindre et former des lignes verticales révélant l’inharmonicité progressive des sons qui, à la fin, sont complètement saturés. **\r\n\r\n**Problèmes d’ordre technique**\r\n\r\nS’il y a eu si peu de représentations de l’œuvre, dans sa version avec résonateurs acoustiques, c’est en raison de la lourdeur et fragilité du dispositif technique. Le son de l’alto, capté par des microphones, doit être instantanément diffusé par un ou plusieurs haut-parleurs positionnés très près des instruments ou être envoyé directement aux transducteurs, dans le cas de la palme et du métallique des ondes Martenot. Les résonances par sympathie ‘colorent’ ainsi, chacune à leur manière, le son de l’alto. Le choix des résonateurs a été guidé en fonction de leur aptitude à entrer facilement en résonance. Lors de la création à Darmstadt, le trio de cordes a été remplacé par un sitar puis, cet instrument, tout comme la harpe, ont ensuite été exclus du dispositif, les résonances étant trop faibles pour pouvoir être correctement amplifiées. Pour que les résonateurs puissent entrer en vibration, le signal excitateur doit être par ailleurs suffisamment puissant mais, en contrepartie, si ce signal est trop puissant, la résonance risque d’être masquée ou bien un effet de *feed-back* peut avoir lieu et produire un larsen. L’équilibre au niveau de la sonorisation est donc très délicat. Voici un résumé des problèmes d’ordre technique et logistique que pose donc l’interprétation de *Prologue* avec résonateurs acoustiques :\r\n\r\n* Obtention des résonateurs.\r\n\r\nComme toute pièce mixte, *Prologue* ne peut se passer évidemment d’un matériel audio de qualité. Mais il est aussi nécessaire de réunir les cinq résonateurs. Or il n’est pas forcément aisé de récupérer de nos jours les deux diffuseurs des ondes Martenot.\r\n\r\n* Captation du son de l’alto.\r\n\r\nÀ l’époque où l’œuvre était encore interprétée dans sa version avec résonateurs acoustiques, les microphones à contact ou de type DPA [Figure 7] existaient mais ne pouvaient pas être attachés directement sur l’instrument sans risquer de l’abîmer puisque les systèmes d’accroche impliquaient l’utilisation d’adhésif double face. La captation se faisait donc par le biais de plusieurs microphones aériens qu’il fallait positionner au dessus des quatre pupitres nécessaires pour disposer les quatre pages de très grand format (62 cm de longueur sur 49 cm de hauteur) qui constituent la partition.\r\n\r\n* Excitation des résonateurs et diffusion des résonances.\r\n\r\nLes réglages au niveau de la sonorisation nécessitent la présence de l’altiste et peuvent s’avérer extrêmement longs car il n’est pas facile, comme nous l’avons mentionné, de contrôler le niveau des résonances en fonction des indications prescrites par le compositeur. Les mouvements naturels effectués par l’interprète pendant qu’il joue ou les changements de position nécessaires pour passer d’un pupitre à l’autre influent automatiquement sur la dynamique du son envoyé dans les résonateurs. Par ailleurs, il est impératif d’amplifier les dynamiques faibles et, au contraire, de compresser les dynamiques élevées, avant d’envoyer le signal dans les résonateurs. Enfin, il faut capter les résonances par sympathie en réduisant au maximum le niveau du signal excitateur afin d’éviter les phénomènes de masquage ou de larsen.\r\n\r\n* Stabilité du dispositif.\r\n\r\nUne fois tous ces réglages effectués, le dispositif sur scène doit rester en place car le moindre déplacement opéré sur un microphone ou un haut-parleur altèrera l’équilibre fragile entre l’alto et les résonances par sympathie. L’œuvre doit donc être idéalement programmée en début de concert.\r\n\r\n####Configuration de la version avec électronique temps réel\r\n\r\n**Genèse**\r\n\r\nC’est pour pallier ces problèmes techniques et faire en sorte que l’œuvre puisse être plus souvent interprétée dans sa version mixte qu’Éric Daubresse imagine dans les années 1990 utiliser un dispositif électronique temps réel pour simuler les résonances par sympathie. Il suggère l’idée à Gérard Grisey en 1996, suite aux récentes améliorations apportées aux logiciels de synthèse par modèle physique qui permettent, entre autres, de reproduire des sons instrumentaux en dissociant l’attaque de la résonance [Arch. Féron – Entretien avec Daubresse]. Mais ce n’est qu’en 2001, quelques années après la disparition prématurée du compositeur, que Daubresse concrétise le projet au sein de l’Ircam. Les conditions technologiques étaient réunies pour permettre l’intégration des résonateurs dans un seul ordinateur et de proposer ainsi une nouvelle version beaucoup plus simple à monter.\r\n\r\n**Modélisation des résonances**\r\n\r\nLa synthèse par modèle physique “privilégie la vision d’un objet sonore comme le résultat de la dissipation par un système physique de l’énergie apportée par des ‘excitateurs’ physiques, et modélise avec les outils de la science physique la transmission de l’énergie à l’intérieur du système” [Potard *et al.*, 1990, p. 136]. Elle est la plus adaptée pour simuler des sons. Le logiciel Modalys qui a été conçu à l’Ircam suivant ce principe, permet ainsi de restituer virtuellement des instruments – ou d’en créer de nouveaux – à partir d’objets physiques simples. Le logiciel a été par la suite amélioré et étendu de manière à dissocier le son source – correspondant à la mise en vibration d’une structure acoustique spécifique par une excitation – à une structure acoustique différente ou un modèle de résonance, permettant ainsi de construire un instrument virtuel et de décider de la manière dont il sera excité.\r\n\r\nDaubresse a tout d’abord réuni les cinq résonateurs acoustiques de *Prologue* afin d’enregistrer et analyser leurs résonances suivant différentes excitations, le plus souvent de type impulsionnel.\r\n\r\n* Excitation directe des instruments : frappe sur le corps de l’instrument, coup de baguette en bois [Média 1] ou acier [Média 2], coup de mailloche, clusters...\r\n* Excitation par sympathie en envoyant des signaux électroacoustiques : bruit blanc, Dirac (excitation idéale théoriquement infiniment courte et d’amplitude infinie). Pour une excitation de type Dirac, la puissance est uniformément répartie dans le domaine des fréquences. “On comprend que toutes les résonances élémentaires potentielles d’un résonateur soient excitées par un Dirac, et se ‘révèlent’ avec leur taux d’amortissement propre dans le son résonant, qui constitue alors une réponse impulsionnelle.” [Potard *et al.*, 1990, p. 145]\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xba2677\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 1\\. Excitation du métallique des Ondes Martenot avec une baguette en bois [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x88e801\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 2\\. Excitation du métallique des Ondes Martenot avec une tige en acier [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\nTous ces échantillons sonores ont été produits et enregistrés dans la chambre anéchoïque de l’Ircam, à l’exception de ceux du grand piano, instrument qui, de par sa taille, ne peut entrer dans cette salle. Les échantillons ont ensuite été analysés suivant la méthode des modèles de résonance avec l’outil Resan du logiciel Diphone. Le principe consiste à repérer les pics d’amplitude sur des spectres calculés à deux instants différents de manière à calculer ensuite, pour chaque fréquence de résonance, leur taux de décroissance. La résonance de chaque instrument peut ainsi être décrite suivant une multitude de pics de résonance, chacun étant caractérisé par sa fréquence centrale, son amplitude et son taux de décroissance.\r\n\r\nUne fois établis, ces modèles de résonance ont alors été méthodiquement examinés. Daubresse les a tout d’abord testés en utilisant la même excitation que celle qui avait permis de les établir : lorsque le rendu sonore était similaire au son originel, le modèle était conservé. Après cette première sélection il fallait vérifier comment les modèles réagissaient au son de l’alto. Pour cela la partie instrumentale de *Prologue* a était intégralement enregistrée par l’altiste Garth Knox dans un studio à acoustique très sèche. Grâce à cet enregistrement témoin [Média 3], il est apparu que certains modèles pouvaient être extrêmement réalistes par rapport aux résonances originelles mais réagissaient en revanche très mal lorsqu’ils étaient excités par le son de l’alto. C’est en fonction de cette réactivité qu’une seconde sélection a été opérée, les meilleurs modèles étant ceux obtenus avec des attaques très courtes ou à partir de signaux ayant une large bande fréquentielle.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 6\\. Motif initial de *Prologue* [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x201d54\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 3\\. Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n**Traitements informatiques**\r\n\r\nLe logiciel informatique réalise deux types de traitement sonore : les résonances virtuelles et la réverbération artificielle.\r\n\r\n* Résonances virtuelles\r\n\r\nLes modèles de résonance sont intégrés au logiciel Max – en utilisant l’objet resonators~ conçu au *Center for New Music and Audio Technologies* (CNMAT, University of California – Berkeley) – de sorte à ce qu’ils soient excités en direct par l’alto. Il est conseillé de fixer sur l’instrument un microphone à contact ou de proximité de type DPA [Figure 7] pour minimiser les risques de *feed-back* avec les résonances virtuelles. Le son de l’alto passe alors dans un limiteur-compresseur dont la fonction est d’amplifier les niveaux trop faibles et de réduire les niveaux trop élevés. Il est ensuite envoyé à la carte d’entrée de l’ordinateur puis traité en temps réel par le logiciel.\r\n\r\n<center></center>\r\n\r\n**Figure 7\\. Microphone de proximité (DPA 4099) pour violon ou alto. **\r\n\r\nLe niveau des résonances est, comme dans la version originelle de l’œuvre, entièrement assuré par une tierce personne – que nous qualifierons de musicien en charge de l’électronique *live* (MEL)[^NBP1] – au moment de l’exécution de l’œuvre. Le rôle de ce musicien ne se restreint pas à s’assurer du bon fonctionnement du dispositif technique puisqu’il doit contrôler en direct, par le biais des curseurs d’une table de mixage, le dosage des résonances en suivant les indications prescrites par le compositeur tout en tenant compte de l’instrumentiste et de l’acoustique de la salle. Il apparaît en ce sens comme un authentique partenaire de musique de chambre [Féron et Boutard, 2017] qui doit travailler et interpréter sa partie, le jeu des résonances pouvant être, dans certains passages, extrêmement complexe comme nous le verrons par la suite. L’altiste, quant à lui, n’a aucun déclenchement à effectuer et peut se concentrer pleinement sur l’exécution de la partie instrumentale tout en adaptant lui aussi son jeu en fonction des résonances contrôlées par son partenaire.\r\n\r\nIl n’y a, à proprement parler, que quatre modèles de résonance qui correspondent respectivement à la palme, au piano, au tam-tam et au métallique : les résonances virtuelles qui en découlent dépendent directement du son de l’alto et leur niveau sonore est contrôlé avec les curseurs 1 à 4 de la table de mixage [Figure 8]. La caisse claire n’a pas pu être simulée de la même manière car il est impossible de dissocier correctement l’excitation de la résonance puisque celle-ci est extrêmement brève. La résonance virtuelle n’est pas issue d’un modèle qui entre résonance mais correspond à une série de plusieurs échantillons sonores qui se superposent les uns aux autres en fonction du volume de l’alto, et cela grâce à un suiveur d’enveloppe dynamique en temps réel. Cinq seuils de sensibilité ont été définis : à chaque fois que le niveau sonore de l’alto dépasse un de ces seuils, un nouvel échantillon de caisse claire [Média 4] est ajouté. Les deux curseurs associés à la caisse claire servent respectivement à contrôler les seuils de déclenchement des échantillons sonores (curseur 5) et le niveau sonore global de ces échantillons (curseur 6).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5d55e1\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 4\\. Un des cinq échantillons sonores de caisse claire avec son timbre actionné (*direct to disc*). Il a été obtenu en faisant résonner l’instrument par sympathie via un son d’alto [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\n* Réverbération artificielle\r\n\r\nUn module de réverbération artificielle permet de s’adapter au mieux à l’acoustique de la salle de concert, l’idée n’étant pas de jouer avec la réverbération comme avec les résonances mais de favoriser la fusion du son de l’alto avec celui des résonances. Grisey n’a d’ailleurs laissé aucune indication spécifique au sujet de cet effet. Si la salle est jugée suffisamment réverbérante, il n’y pas à lieu d’en ajouter.\r\n\r\n####Disposition spatiale\r\n\r\nLors de la représentation à Liège de la version avec résonateurs acoustiques, l’altiste, positionné au milieu de la salle, était entouré par le public si bien que les résonateurs avaient été placés en périphérie de la salle [Arch. Féron – Entretien avec Lenfant]. Sinon dans une configuration habituelle de type frontal, les résonateurs et les haut-parleurs sont positionnés derrière l’interprète suivant un arc de cercle. Leur agencement spatial respecte la progression (in)harmonique en allant, de gauche à droite, du plus harmonique (la palme) au plus inharmonique (la caisse claire).\r\n\r\nDans la version avec électronique temps réel, il n’y a que quatre haut-parleurs situés derrière le musicien [Figure 8], diffusant respectivement les résonances virtuelles de la palme, du piano, du tam-tam et du métallique ; le son de caisse claire étant pas nature extrêmement diffus, il est diffusé simultanément à travers ces quatre haut-parleurs au lieu d’être associé à un haut-parleur spécifique. La réverbération artificielle est aussi diffusée sur les quatre haut-parleurs arrière.\r\n\r\nQuelle que soit la version mixte de *Prologue*, un couple de haut-parleurs est généralement placé sur le devant de la scène pour diffuser le son de l’alto très légèrement amplifié et parfaire ainsi la fusion avec les résonances provenant de l’arrière-scène. Alors que dans la version avec électronique temps réel, ce couple de haut-parleurs sert de ‘cluster’ en grossissant uniquement l’image acoustique de l’alto, dans la version avec résonateurs acoustiques, il diffuse aussi le son des résonances naturelles.\r\n\r\n[image:a031dc77-2130-4297-8546-b252d0a17024]\r\n\r\n**Figure 8\\. Dispositif technique de *Prologue* dans sa version avec électronique temps réel. **\r\n\r\n####À l’écoute des résonances naturelles et virtuelles\r\n\r\nLes extraits suivants permettent d’apprécier et de comparer les résonances naturelles et virtuelles produites respectivement par les résonateurs acoustiques [EA CD Accord, 1993] et le dispositif électronique temps réel [EA CD zeitklang, 2002]. Ce n’est surtout qu’au début de l’œuvre qu’on peut entendre quelques uns des résonateurs isolément (en l’occurrence les résonateurs 1 et 2). Il est assez rare qu’une résonance soit par la suite présentée seule, Grisey opérant le plus souvent des interpolations ou des superpositions sur lesquelles nous reviendrons dans la dernière partie de cette analyse.\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/09_grisey_prologue_Prologuep1s2palme.jpg\r\n\" width=\"90%\"></center>\r\n\r\n**Figure 9\\. Extrait de *Prologue* avec la résonance de la palme des ondes Martenot [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x64c979\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 5\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x391fcc\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 6\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/10_grisey_prologue_Prologuep1s5piano.jpg\r\n\" width=\"70%\"></center>\r\n\r\n**Figure 10\\. Extrait de *Prologue* avec la résonance du grand piano [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x391942\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 7\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x96e1fb\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 8\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n[image:a03a7bc9-460d-4f2c-970b-fb530c0245ce]\r\n\r\n**Figure 11\\. Extrait de *Prologue* avec la résonance du tam-tam [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3ab2c2\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 9\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9a4f13\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 10\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/12_grisey_prologue_Prologuep3s2metallique.jpg\r\n\" width=\"30%\"></center>\r\n\r\n**Figure 12\\. Extrait de *Prologue* avec la résonance du métallique des ondes Martenot [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4bf890\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 11\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xeb1eaa\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 12\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n[image:b493951c-a40e-4138-965f-6c546d1ed200]\r\n\r\n**Figure 13\\. Extrait de *Prologue* avec l’apparition de la caisse claire alors que sont déjà présentes les résonances de la palme, du tam-tam et du métallique à cet instant [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x1bc641\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 13\\. Résonance naturelle – Gérard Caussé (alto) [© EA CD Accord, 1993]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5f8564\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 14\\. Résonance virtuelle – Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n###Analyse de la partie instrumentale\r\n\r\nLe projet compositionnel de *Prologue* repose sur la transformation progressive de cellules musicales suivant l’axe harmonicité-inharmonicité-bruit, un archétype de l’esthétique spectrale que de nombreux compositeurs exploreront par la suite, dont [composer:f9c67431-3ed9-4762-8fef-99c1f5ec3b55][Saariaho] pour qui cet ‘axe timbral’ deviendra une caractéristique essentielle de son langage musical [Saariaho, 1991] (se référer aussi à l’analyse de [work:27474383-b037-4eb1-84c4-0b07dd79433e][NoaNoa] [Lorieux, 2015]). Dans la première partie de *Prologue*, le matériau musical, parfaitement harmonique au début, devient progressivement inharmonique puis totalement bruitiste. La seconde partie de l’œuvre, plus calme, signe un retour vers l’harmonicité.\r\n\r\n####Matériaux compositionnels\r\n\r\n**Spectre originel**\r\n\r\nSi *Prologue* ouvre le cycle *Les* [work:3bf9412e-f7d1-4c6d-bb29-1f7198b8e36a][Espaces acoustiques], l’œuvre n’a été composée qu’après [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes] (1974) et [work:86f1e0a0-50ce-4b0c-aa2e-1b4fa5265a57][Partiels] (1975). Elle réifie l’idée d’un cycle ambitieux allant de l’instrument soliste au grand orchestre. La construction de chaque pièce pe ce cycle repose sur un spectre harmonique de fondamentale *mi*<sub>0</sub> (41,2 Hz) que Grisey a établi comme modèle dès *Périodes* (pour comprendre la genèse de ce modèle se référer à Féron, 2010). Les douze hauteurs retenues par le compositeur sont les onze premiers harmoniques impairs (de la fondamentale [^NBP2] au 21e harmonique compris) auxquels s’ajoute l’harmonique 2\\. Cet ensemble de notes constitue le spectre originel de *Périodes* [Figure 14]. De sorte à “approcher la réalité acoustique” [Part. Ricordi, 1974] c’est-à-dire faire coïncider au mieux la note avec la fréquence, Grisey emploie des quarts de dièse pour restituer les harmoniques 11 et 13 et des déviations d’environ un sixième de ton pour les harmoniques 7 et 21\\. Dans *Prologue*, la 4ème corde de l’alto est justement désaccordée un demi-ton plus bas afin qu'elle produise à vide, non pas la note *do*<sub>2</sub> mais *si*<sub>1</sub> qui correspond au troisième harmonique du spectre originel.\r\n\r\n[image:4fe61187-528b-49cd-8eef-2b9558789b9f]\r\n\r\n**Figure 14\\. Spectre originel figurant dans la notice de *Périodes* et servant de modèle pour l’ensemble des pièces du cycle *Les Espaces acoustiques* [© Part. Ricordi, 1974]\\. **\r\n\r\nLe spectre ne se présente pas uniquement comme un simple réservoir de notes. Les onze nombres figurant en dessous du modèle spectral entre chaque harmonique correspondent aux intervalles – exprimés ici en quarts de ton – entre les composantes. Ces nombres, ainsi que ceux indiquant le rang des harmoniques et indiqués au dessus de la portée jouent un rôle structurel dans l’ensemble des œuvres du cycle. De ce spectre originel, Grisey extrait donc en réalité trois séries structurelles : une série de hauteurs et deux séries numériques. Pour éviter toute confusion, nous avons attribué un nom et une abréviation à chacune de ces séries.\r\n\r\n* La série des hauteurs (S<sub>h</sub>) correspond aux douze partiels harmoniques sélectionnés par Grisey et réparties entre *mi*<sub>0</sub> (fondamentale) et *la*<span>↓</span><sub>4</sub> (approximation du 21e partiel harmonique). Pour s’approcher des fréquences non tempérées des partiels harmoniques, le compositeur emploie des quarts et sixièmes de tons.\r\n\r\nS<sub>h</sub> = [*mi*<sub>0</sub>, *mi*<sub>1</sub>, *si*<sub>1</sub>, *sol#*<sub>2</sub>, *ré*<span>↓</span><sub>3</sub>, *fa#*<sub>3</sub>, *la*<span>𝄲</span><sub>3</sub>, *do*<span>𝄲</span><sub>4</sub>, *ré#*<sub>4</sub>, *fa*<sub>4</sub>, *sol*<sub>4</sub>, *la*<span>↓</span><sub>4</sub>]\r\n\r\n* La série des numéros des partiels harmoniques (S<sub>n</sub>) correspond aux douze nombres auxquels se réfère chaque harmonique.\r\n\r\nS<sub>n</sub> = [1, 2, 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15, 17, 19, 21]\r\n\r\n* La série des intervalles entre les partiels harmoniques (S<sub>i</sub>) comprend onze nombres correspondant aux intervalles exprimés ici en quarts de ton entre deux harmoniques conjoints.[^NBP3]\r\n\r\nS<sub>i</sub> = [22, 14, 18, 12, 8, 7, 6, 5, 4, 4, 4]\r\n\r\n**Neumes originels**\r\n\r\nLes neumes sont des silhouettes mélodiques caractérisées par leur forme (gestalt) et non par leurs notes : l’emplacement relatif des hauteurs les unes par rapport aux autres confère à chaque neume une forme particulière. Ce terme fait référence aux signes de notation musicale en usage au Moyen-Âge, qui servaient à décrire de petites formules mélodiques appliquées à une syllabe – chaque type de neume correspondant à une figure mélodique et rythmique particulière. D’ailleurs, dans plusieurs de ses esquisses [Arch. Fondation Paul Sacher], Grisey identifie certaines parties de ses neumes à des formes classiques en usage au Moyen-Âge tels que le *clivis* (groupe de deux notes descendantes), le *scandicus* (groupe de trois notes ascendantes) ou encore le *climacus* (groupe de trois notes ou plus descendantes).\r\n\r\nGrisey confectionne huit neumes comportant entre un et treize sons et reposant tous en réalité sur une unique gestalt : celle-ci revêt une importance capitale, tant pour la construction des neumes, que dans la structuration formelle de l’œuvre entière. Le nombre de sons (1, 2, 3, 5, 7, 9, 11 et 13) au sein de chaque neume correspond aux premiers éléments de la série des numéros des harmoniques du spectre originel (S<sub>n</sub>). Comme le fait Grisey dans ses esquisses, nous identifierons dorénavant les huit neumes par des chiffres romains correspondant au nombre de sons qui les composent.\r\n\r\nLes différents neumes imaginés par Grisey sont tous issus du neume VII comme le laisse comprendre ce fragment d’esquisse sur lequel figurent les huit “neumes originels” [Figure 15]. En supprimant les deux, quatre, cinq et six derniers sons de ce neume, on retrouve respectivement les neumes V, III, II et I. Quant aux neumes IX et XI, ils sont construits de la même façon mais en partant du neume XIII qui est lui-même entièrement déduit du neume VII : en effet, comme le montre explicitement l’esquisse, les six derniers sons du neume XIII (H, I, J, K, L et M) correspondent au renversement suivant un “miroir déformant” des six premiers sons (A, B, C, D, E, F et G) calqués sur le neume VII (le huitième son (G) servant de pivot).\r\n\r\n[image:0c3d008b-a042-42fe-89fb-c10ff93f9dc9]\r\n\r\n**Figure 15\\. Fragment d’une esquisse de *Prologue* dans laquelle Grisey inscrit les huit neumes originels [© Arch. Fondation Paul Sacher]. **\r\n\r\nVoyons maintenant comment la forme de ces neumes vise aussi à reproduire les modèles naturalistes que représentent le battement du cœur, l’écho et le cycle respiratoire.\r\n\r\n* Les neumes d’ordre supérieur (III à XIII) ou la métaphore du cycle respiratoire [Figure 16]\r\n\r\nLe neume VII représente un point névralgique dans le processus de composition puisque c’est à partir de celui-ci qu’ont été déduits tous les autres neumes comme nous venons de le voir. Il est donc légitime de se demander comment il a été construit et quelles sont ses caractéristiques.\r\n\r\nLe neume VII résulte de l’association d’un *clivis* (deux notes descendantes), d’un *scandicus flexus* (deux notes ascendantes et la dernière descendante) et de nouveau d’un *clivis* (deux notes descendantes). L’idée est de retranscrire la forme ternaire du cycle respiratoire qui comprend trois phases successives : inspiration, expiration et repos. Grisey a déjà recouru à un tel modèle, notamment dans [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes] où celui-ci régit la structure formelle de l’œuvre (lire à ce sujet Féron, 2011). Dans *Prologue*, la phase d’inspiration est traduite par un mouvement mélodique globalement ascendant (les trois premières notes du neume) et la phase d’expiration par un mouvement mélodique globalement descendant (les quatre dernières notes du neume). Les soufflets montant et descendant exacerbent les effets de tension et détente respectivement associés aux phases d’inspiration et d’expiration. Quant à la phase de repos, elle est logiquement associée à une césure qui arrive après l’énoncé du neume.\r\n\r\nLe neume V est le seul qui a exactement la même silhouette et le même profil dynamique que le neume VII. Il symbolise en quelque sorte le même cycle respiratoire pris sur un durée plus restreinte. En revanche, si les autres neumes d’ordre supérieur s’inspirent aussi du cycle respiratoire, ils tendent néanmoins à s’éloigner de ce modèle archétypal. Ainsi le neume III apparaît-il comme une brève inspiration et le neume IX comme la succession d’une inspiration, d’une expiration et à nouveau d’une inspiration. Les neumes XI et XIII quant à eux brouillent complètement la perception du modèle respiratoire, tant par la succession de courtes phases d’inspiration et d’expiration, que par les dynamiques qui s’opposent au mouvement des hauteurs (à un mouvement mélodique ascendant est généralement associé un soufflet descendant et inversement).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xbcaf2d\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 15\\. Neume III – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3f3614\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 16\\. Neume V – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb24e47\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 17\\. Neume VII – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n[image:c99f40c9-10cf-4a69-bb85-80ccf37d5eda]\r\n\r\n**Figure 16\\. Les neumes III, V, VII, IX, XI et XIII de *Prologue* [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xacb119\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 18\\. Neume IX – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf16c29\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 19\\. Neume XI – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0c6d62\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 20\\. Neume XIII – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n* Les neumes I et II ou la métaphore du battement du cœur et de l’écho [Figure 17]\r\n\r\nLe neume I comprend un seul et unique son qui est répété pour former une structure ïambique (court-long), l’idée étant d’imiter le rythme cardiaque et de symboliser ainsi le battement du cœur. Ce motif rythmique est joué sur la 4ème corde à vide qui correspond, comme nous l’avons déjà signalé, au troisième harmonique du spectre originel (*si*<sub>1</sub>). Il peut être répété plusieurs fois d’affilée.\r\n\r\nLe neume II est un *clivis* (intervalle de deux notes descendantes) qui est systématiquement greffé à un neume d’ordre supérieur : deux des dernières notes de ce neume sont ainsi répétées plusieurs fois de sorte à produire un battement binaire symbolisant l’écho.\r\n\r\n[image:daedc1f6-f18d-4922-8a54-88ada79128e8]\r\n\r\n**Figure 17\\. Neume I (battement de cœur) et neume II (écho) greffé ici sur le neume XI [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe7c92e\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 21\\. Neume I – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x527e37\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 22\\. Neume II greffé à la fin du neume XI – Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n####Structure de l’œuvre\r\n\r\n_Prologue_ comprend deux parties principales. La première, par essence mélodique, occupe les trois quarts de l’œuvre et compte sept sections (sections 1-1 à 1-7). Les six premières s’articulent autour d’un des neumes d’ordre supérieur (respectivement par ordre d’apparition les neumes V, III, VII, XI, IX et XIII). La septième section met en scène des glissandi joués avec une surpression de l’archet. Comme le laisse entendre l’inscription “(VIII fin)” sur une des esquisses du compositeur [Figure 15], cette section s’articulerait théoriquement autour d’un neume à huit sons qui aurait été en quelque sorte aplati selon Baillet [2000, p. 105].\r\n\r\nLa deuxième partie de l’œuvre, caractérisée par un retour au calme, se divise en deux sections. La section 2-1 s’articule autour de notes maintenues précédées de brefs motifs mélodiques – indiqués sous forme d’appogiatures – qui s’allongent et se complexifient progressivement. Dans la section 2-2, ces motifs deviennent des glissandi qui sont superposés au *ré*<sub>1</sub> qui fait office de son pédale. Cette ultime section ne doit pas être jouée lorsque *Périodes* est jouée à la suite de *Prologue*, la jonction entre les deux œuvres se faisant naturellement, sans hiatus à la fin de la section 2-1 [Figure 20].\r\n\r\n**Première partie**\r\n\r\n* Disposition des sections\r\n\r\nLes neumes décrits précédemment sont traités soit comme des figures mélodiques (neumes d’ordre supérieur) sujettes à un long et complexe processus d’inharmonisation qui s’étale tout au long de cette première partie, soit comme des inserts (neumes I et II) qui apparaissent à certains moments spécifiques et cela indépendamment de l’organisation des figures mélodiques. Ces deux éléments (neumes mélodiques et inserts) sont soumis à des processus compositionnels très stricts dont nous ne donnons ici qu’un très bref aperçu. Chaque section s’articule donc autour d’un neume spécifique mais au lieu de traiter ces neumes par ordre croissant, Grisey préfère les agencer de la manière suivante : V, III, VII, XI, IX, XIII (et VIII). Cette configuration n’est pas aléatoire puisqu’elle vise à reproduire la forme globale du neume VII [Figure 15] qui rappelons-le représente le noyau formel de l’œuvre. Chaque section est aussi associée à un tempo évolutif qui croît (V, VII, XI, XIII) ou décroît (III, IX) progressivement à l’échelle de la section entière [Figure 16].\r\n\r\n* Transformation des neumes mélodiques\r\n\r\nDans chaque section – à l’exception de la dernière –, les neumes sont répétés un certain nombre de fois suivant des modifications progressives opérées tant sur leur forme (silhouette) que leur contenu (hauteurs). Pour cela, Grisey recourt à deux processus indépendants l’un de l’autre. D’une part, il effectue des permutations limitées qui ont pour effet d’altérer la silhouette originale du neume en retombant systématiquement sur la silhouette de départ (pour comprendre les processus de permutation opérés par Grisey, se référer à l’analyse de Baillet, 2000, p. 99-112). D’autre part, le choix des hauteurs est régi suivant des réservoirs de notes préétablis et visant à s’éloigner progressivement du spectre harmonique originel. Au processus de transformation locale (permutations à l’échelle de chaque section) se superpose donc un processus de transformation globale (inharmonisation des hauteurs à l’échelle de la première partie).\r\n\r\n* Organisation des inserts\r\n\r\nLes figures respiratoires que représentent les neumes d’ordre supérieur ne sont pas enchaînées uniformément, ce qui pourrait susciter une certaine monotonie malgré les processus de transformation décrits ci-dessus. Grisey intercale à divers instants les deux inserts que représentent le battement de cœur et l’écho : ceux-ci apparaissent au sein du déroulement musical de manière irrégulière mais répondent néanmoins à une logique compositionnelle. Le battement de cœur est omniprésent au début de l’œuvre, apparaissant toutes les une, deux ou trois occurrences du neume V dans la section 1-1\\. Soit il est soit joué de manière isolée, soit il est répété plusieurs fois de suite. La position et le nombre de répétition de cet insert sont en réalité déduits de la silhouette des neumes originels, généralement le neume V ou XI. Pour illustrer ce procédé compositionnel arrêtons-nous sur la section 1-3 [Figure 18] dans laquelle le neume VII apparaît à quinze reprises et le battement de cœur à cinq reprises, respectivement après deux, une, trois, cinq et quatre occurrences du neume VII. Cette suite de nombre (2, 1, 3, 5 et 4) n’est pas aléatoire puisqu’elle correspond une fois de plus à la gestalt du neume V.\r\n\r\n[image:3e50ef3e-a97f-4652-bfbe-69275a830b17]\r\n\r\n**Figure 18\\. Section 1-3 de *Prologue* construite autour du neume VII. La position de l’insert “battement de cœur” (en rouge) après 2, 1, 3, 5 et 4 occurrences du neume VII vise à reproduire la gestalt du neume V. L’insert “écho” (en bleu) n’apparaît qu’une seule fois dans cette section [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x700ea4\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 23\\. Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\nAu fil de la première partie de l’œuvre, le battement de cœur se fait de plus en plus rare alors que l’écho, lui, devient au contraire de plus en plus présent. Si cette figure est traitée à la manière d’un insert, elle n’est néanmoins pas intercalée entre différentes occurrences d’un neume – comme le battement de cœur – mais greffée à celui-ci de manière à le prolonger : deux des notes situées à la fin du neume sont dans ce cas répétées plusieurs fois de manière régulière mais suivant une intensité décroissante “en écho”, comme le mentionne Grisey sur la partition. La position de ce nouvel insert et sa densité (nombre de répétitions) sont régies suivant des principes similaires à ceux employés pour le battement de cœur.\r\n\r\n* Métaboles\r\n\r\nGrisey recourt aussi à deux reprises à des métaboles, terme que son professeur Olivier Messiaen utilisait pour décrire des modulations rythmiques ou transformations d’un rythme en un autre rythme et qu’il comparaissait à un fondu enchaîné cinématographique [Messiaen, 1949-1992/1995, p. 513-526]. Ce procédé vise à altérer la structure rythmique des neumes qui sont, de manière générale, joués suivant un processus linéaire d’accélération ou de ralentissement. Les métaboles apparaissent ici comme des interpolations locales visant à contaminer un neume par le rythme du battement de cœur [Baillet, 2000, p. 111] [Figure 19].\r\n\r\n[image:552f408f-ade7-47d5-9a77-7b62bbebfe3b]\r\n\r\n**Figure 19\\. Deux occurrences successives du neume XI dans la section 1-4 de *Prologue*. La première est parfaitement régulière d’un point de vue rythmique alors que et la seconde est beaucoup plus instable en raison de l’effet de métabole qui vise à s’approcher progressivement du rythme ïambique décrivant le battement de cœur [© Part. Ricordi, 1978/1992]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x224912\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 24\\. Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]. **\r\n\r\n**Seconde partie**\r\n\r\nComme la première partie de l’œuvre, la seconde débute sur une cellule à répéter *ad libitum*. L’interprète effectue très calmement un glissando partant de la note ré 1 pour atteindre le ton supérieur : *mi*<sub>1</sub>\\. À chaque répétition la durée du glissando devient plus courte alors que celle de *mi*<sub>1</sub> s’allonge. La première section de cette seconde partie [Figure 20] s’articule ainsi autour de notes tenues dont les positions relatives dans l’espace des hauteurs sont calquées sur la silhouette des neumes VII (*sol* #<sub>2</sub>, *mi*<sub>2</sub>, *si*<sub>2</sub>, *la*<span>𝄲</span><sub>3</sub>, *fa* #<sub>2</sub>, *do*<span>𝄲</span><sub>4</sub> + *fa*<sub>4</sub>, *mi* b<sub>3</sub>), puis V (*mi*<sub>3</sub>, *ré*<sub>3</sub>, *sol* #<sub>3</sub>, *sol*<sub>4</sub> + *la*<sub>4</sub>, *ré* #<sub>4</sub>), et enfin III (*ré* #<sub>4</sub>, *si*<sub>3</sub>, *la*<span>𝄰</span><sub>4</sub> + *do*<sub>4</sub>) avant deux ultimes intervalles ascendants en double cordes (*la*<span>𝄰</span><sub>4</sub> + *do*<sub>4</sub>, *ré*<sub>5</sub> + *do* #<sub>6</sub>). Les durées associées à chaque cellule et indiquées en secondes sur la partition, tout comme le nombre de notes au sein des appogiatures qui précèdent les notes tenues sont une fois de plus déduits des neumes originels pris, soit dans leur forme originale, soit en mouvement contraire (rétrograde) ou en miroir (inversé).\r\n\r\n [image:c03e43f8-ac05-4d03-8e81-107f783c912a]\r\n\r\n**Figure 20\\. Section 2-1 de *Prologue*. La flèche inscrite sur la partition à la fin de cette section indique le point de jonction entre *Prologue* et *Périodes* dans le cas où les deux œuvres seraient jouées l’une à la suite de l’autre [© Part. Ricordi, 1978/1992].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc750de\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 25\\. Garth Knox (alto) [© Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\nDans l’ultime section de l’œuvre, Grisey superpose la note polaire *ré*3 (celle qui formait le battement de cœur) aux neumes qui sont présentés sous forme de glissandi d’harmoniques et cela de manière entrecoupée ce qui les rend difficilement reconnaissables. La note polaire est répétée onze fois, toujours suivant le même profil dynamique en decrescendo. Les durées de ces onze occurrences – toujours exprimées en seconde sur la partition – sont calquées sur la gestalt du neume XI. Les neumes sont quant à eux réexposés tour à tour une ultime fois par ordre décroissant et en miroir. L’œuvre s’achève alors sur la répétition *ad libitum* et quasi périodique d’une cellule musicale construite autour du *ré* : l’altiste maintient la note *ré*<sub>3</sub> sur la quatrième corde à vide et alterne sur la troisième corde *ré*<sub>3</sub> et *ré*<sub>4</sub> (en harmonique), ultimes battements de cœur après un long cheminement musical.\r\n\r\n### Analyse des traitements dans la version avec électronique temps réel\r\n\r\n#### Présentation de la partition et du patch\r\n\r\nPour indiquer le jeu des résonances au fil de l’œuvre, Grisey se servait à l’époque de quatre grands calques qu’il superposait à la partition instrumentale. C’est en reprenant les indications inscrites sur ces calques – aujourd’hui conservés au sein de la Fondation Paul Sacher à Bâle – et en repartant de la partition instrumentale existante [Part. Ricordi, 1978/1992] qu’Éric Daubresse réalise, en 2005, une version inédite de la partition [Part. Ricordi, 2005], intégrant les différents effets électroniques. Daubresse n'effectue aucun changement à l’exception des trois passages répétés *ad libitum* qui délimitent les deux parties de l’œuvre et dont il décide de fixer le nombre de répétitions de sorte à ce que le musicien en charge de l’électronique *live* et l’altiste soient toujours parfaitement coordonnés [Arch. Féron – Entretien avec Daubresse]. Cette nouvelle version de la partition [Figures 23 à 29] est indispensable pour interpréter l’œuvre dans sa version mixte. Les cinq résonateurs et la réverbération (facultative) sont associés à des numéros et couleurs différents qui correspondent aux curseurs à manipuler en direct lors de la performance [Figures 21 et 23].\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/21_grisey_prologue_CouleurResonateur.jpg\r\n\" width=\"40%\"></center>\r\n\r\n**Figure 21\\. Couleurs et numéros associés aux cinq résonateurs et à la réverbération. Le curseur 6, non représenté ici, est utilisé pour régler le volume sonore de la caisse claire. **\r\n\r\n[image:093ef4a2-75be-49a7-870c-e40a3fc28b1e]\r\n\r\n**Figure 22\\. Fenêtre principale du patch Max développé par Éric Daubresse au sein de l’Ircam en 2001 [Arch. Ircam – Daubresse]\\. **\r\n\r\n#### Amplification et réverbération artificielle\r\n\r\nCe n’est qu’après avoir joué la cellule initiale qui est répétée deux fois dans la nouvelle version de la partition réalisée par Daubresse, que le musicien en charge de l’électronique *live* doit commencer à amplifier très progressivement – et réverbérer si besoin est – le son de l’alto [Figure 23]. Comme nous l’avons signalé auparavant, l’amplification sert uniquement à grossir légèrement l’image acoustique de l’alto et favoriser sa fusion avec les résonances virtuelles provenant de l’arrière-scène. À la fin de la pièce, l’amplification doit être très progressivement supprimée – tout comme la réverbération – de sorte à revenir dans un contexte purement acoustique.\r\n\r\n[image:d4633fea-1e6e-4335-b9fb-80f667de110f]\r\n\r\n**Figure 23\\. Début de *Prologue*: après deux occurrences du neume V suivi du battement de cœur, le musicien en charge de l’électronique *live* augmente très progressivement l’amplification et la réverbération [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd84c06\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 26\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n#### Résonances virtuelles\r\n\r\nLes curseurs 1 à 5 contrôlent les niveaux d’entrée de l’alto dans les résonateurs virtuels. Il ne faut surtout pas penser que les résonances apparaissent juste à tour de rôle, l’une après l’autre suivant leur degré d’inharmonicité ; Grisey conçoit un jeu de résonances extrêmement complexe – pour ne pas dire virtuose à certains moments – impliquant la manipulation simultanée de plusieurs curseurs.\r\n\r\nEn déplaçant ces curseurs, il est possible ‘d’allumer’ ou ‘d’éteindre’ progressivement les résonateurs, manipulation indiquée sur la partition par des flèches horizontales ascendantes ou descendantes. Lorsqu’un numéro apparaît directement, cela signifie qu’il faut pousser le curseur d’un coup sec à sa position maximale. Lorsqu’une nouvelle résonance est ajoutée – en présence des précédentes –, le signe “+” est généralement indiqué. L’extinction d’un ou plusieurs résonateurs en marche est sous-entendue dès lors que l’indication “solo” apparaît, celle-ci signalant explicitement qu’il ne doit y avoir plus qu’une seule résonance à cet instant précis [Figure 24].\r\n\r\n[image:208d0ac7-d436-449f-9d48-5813d8d9d714]\r\n\r\n**Figure 24\\. Superposition et alternance des résonateurs 1 (palme) et 2 (piano) dans la section 1-3 de *Prologue* construite autour du neume VII. Les indications sous cet extrait et les suivants ont été ajoutées par nos soins pour mieux visualiser la superposition et juxtaposition des différentes résonances [© Part. Ricordi, 2005].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x17bd93\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 27\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\nL’extinction d’un résonateur particulier est spécifiée par un numéro barré [Figure 25]. Néanmoins, pour ne pas surcharger la partition, il arrive que des instructions textuelles soient données pour un passage entier.\r\n\r\n[image:6e063bff-fab0-48f2-8fc0-e1dde468652b]\r\n\r\n**Figure 25\\. Superposition et alternance des résonateurs 1 (palme), 2 (piano) et 3 (tam-tam) dans la section 1-4 de *Prologue* construite autour du neume IX [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xabc244\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 28\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\nGrisey conçoit à plusieurs reprises des interpolations entre couples de résonateurs. Ces manipulations, indiquées sur la partition par le truchement de gradients de couleur, consistent à pousser et tirer progressivement et simultanément plusieurs curseurs de manière à opérer une métamorphose au niveau des résonances. Les interpolations peuvent aussi bien s’opérer sur deux résonateurs [Figure 26] que, simultanément, sur deux paires de résonateurs [Figure 27] ce qui, dans ce dernier cas, n’est pas forcément évident à réaliser, les doigts des deux mains pouvant s’entremêler.\r\n\r\n[image:7308a452-ab5c-4e0a-82c3-5cebb2bb5776]\r\n\r\n**Figure 26\\. Interpolation simple entre les résonateurs 2 (piano) et 1 (palme) et inversement dans la section 1-5 de *Prologue* construite autour du neume XI [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xeeb1dc\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 29\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n<center><img src=\"https://brahms.ircam.fr/media/image/27_grisey_prologue_InterpolationDouble_1.jpg\r\n\" width=\"80%\"></center>\r\n\r\n**Figure 27\\. Interpolation double entre les couples de résonateurs 1–3 (palme – tam-tam) et 2–4 (piano – métallique) dans la section 1-6 de *Prologue* construite autour du neume XIII [© Part. Ricordi, 2005].**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3f380e\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 30\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\nComme nous l’avons mentionné précédemment la résonance virtuelle de la caisse claire est en réalité une série d’échantillons sonores *direct-to-disc* qui sont superposés les uns aux autres en fonction du niveau sonore de l’alto. Les deux curseurs associés à la caisse claire permettent de contrôler respectivement la sensibilité du détecteur d’amplitude de l’alto (curseur 5) – c’est-à-dire le seuil limite au delà duquel les échantillons sonores se déclenchent – et le niveau sonore de ces échantillons (curseur 6). Outre des apparitions succinctes dans les sections 1-5 et 2-2, la caisse claire est surtout présente à la fin de la première partie de l’œuvre. Alors que les quatre autres résonateurs sont en marche, la sensibilité du détecteur d’amplitude est à ce moment graduellement augmentée de manière à atteindre son niveau maximale au tout début de la section 1-7 qui correspond au climax bruitiste de l’œuvre avec ses glissandi écrasés en double cordes [Figure 28].\r\n\r\n[image:457cca76-af36-4afd-a12b-1e2d52384275]\r\n\r\n**Figure 28\\. À la fin de la section 1-6 de *Prologue*, le musicien en charge de l’électronique *live* augmente peu à peu la sensibilité (*snare drum sensitivity*) puis le niveau sonore (*out level*) de la caisse claire jusqu’au climax de l’œuvre que représente le début de la section 1-7 avec des sons écrasés extrêmement bruitistes [© Part. Ricordi, 2005]\\. **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc0b376\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Média 31\\. Garth Knox (alto) [© EA CD zeitklang, 2002]\\. **\r\n\r\n### Conclusion\r\n\r\nLe catalogue de Gérard Grisey ne compte que trois œuvres pour instrument seul. [work:2ee38223-88fa-4cc3-84e2-c39d2ce89c53][Charme] (1969) pour clarinette, *Prologue* (1976) pour alto et le diptyque [work:e1a8c660-8bb5-4ca5-bb62-e716e5de37f7][Anubis-Nout] (1983) pour clarinette contrebasse, arrangé par la suite pour saxophone basse ou baryton (1990). [work:2ee38223-88fa-4cc3-84e2-c39d2ce89c53][Charme] est aux yeux du compositeur “une œuvre de jeunesse” [Grisey, 2008, p.127] recourant à des procédés d’écriture de type sériel dont il s’éloignera très vite. En revanche, comme toutes les œuvres de Grisey composées depuis 1972, *Prologue* ainsi que *Anubis-Nout* mettent en jeu des techniques d’écriture spectrales. Devenues des ‘classiques’ des répertoires solo pour alto d’une part, et clarinette ou saxophone d’autre part, ces deux œuvres témoignent de la manière dont le compositeur a réintroduit dans sa musique, à cette époque, l’élément mélodique. Si *Prologue* renoue avec l’écriture mélodique, elle signe par ailleurs l’acte de naissance officiel du cycle *Les* [work:3bf9412e-f7d1-4c6d-bb29-1f7198b8e36a][Espaces acoustiques] (1974-1985).\r\n\r\n“Lorsque j’ai composé [work:a0c6e026-1820-46a0-a291-b1da4838000c][Périodes], je me suis aperçu que la fin n’était pas une fin, qu’il fallait une suite, et j’ai imaginé [work:86f1e0a0-50ce-4b0c-aa2e-1b4fa5265a57][Partiels] qui a été composé immédiatement après. Et comme *Périodes* commençait par un alto seul, évidemment immédiatement est venue l’idée de faire une sorte de prologue pour tout ce cycle, et peu à peu est né le concept d’une grande pièce.” [Grisey cité par Baillet, 2000, p. 70]\r\n\r\nContrairement à [work:f0a95b2a-d241-431e-a9b6-4a80467b1c59][Épilogue] (1985) qui ne peut être jouée sans [work:20a78ed3-3e87-4d3f-a7f0-260b829a49aa][Transitoires], *Prologue* a été originellement conçue de manière à pouvoir être interprétée comme une œuvre soliste à part entière et cela suivant deux versions : l’une pour alto seul et l’autre pour alto et résonateurs. La version avec résonateurs acoustiques a posé de nombreux problèmes d’ordre technique qui ont nui à sa diffusion : seul Gérard Caussé a interprété à notre connaissance cette version et cela à cinq reprises uniquement, entre 1978 et 1991. En s’affranchissant des résonateurs acoustiques, la version avec électronique temps réel, conçue en 2001 par Éric Daubresse en collaboration avec l’altiste Garth Knox, s’avère beaucoup plus simple à monter. Les œuvres mixtes avec électronique temps réel posent, elles aussi, des problèmes de pérennité de par l’obsolescence des outils technologiques et la nécessité de mettre constamment à jour les logiciels. Néanmoins, grâce à cette nouvelle version de *Prologue*, l’œuvre peut être dorénavant “interprétée et entendue plus souvent” et occupera “sans aucun doute la place qu’elle mérite dans la musique d’aujourd’hui”, pour paraphraser les vœux de Garth Knox [Notes en blocs 1, 2001].\r\n\r\n### Ressources\r\n\r\n#### Textes\r\n\r\n[Baillet, 2000] – Jérôme Baillet, *Gérard Grisey. Fondements d’une écriture*, Paris: L’Itinéraire / L’Harmattan, 2000.\r\n\r\n[Féron, 2010] – François-Xavier Féron, “Sur les traces de la musique spectrale: analyse génétique des modèles compositionnels dans *Périodes* (1974) de Gérard Grisey”, *Revue de musicologie*, vol.96 n°2, 2010, p. 411-443.\r\n\r\n[Féron, 2011] – François-Xavier Féron, “The emergence of spectra in Gérard Grisey’s compositional process: from *Dérives* (1973-74) to *Les Espaces acoustiques* (1974-1985)”, *Contemporary Music Review*, vol.30 n°5 “(De)composing Sound”, 2011, p. 343-375.\r\n\r\n[Féron et Boutard, 2017] – François-Xavier Féron et Guillaume Boutard, “Instrumentalists on solo works with live electronics: towards a contemporary form of chamber music?”, dans Friedemann Sallis, Valentina Bertolani, Jan Burle et Laura Zattra (éd.) *Live-Electronic Music. Composition, Performance and Study*, Routledge, 2017, p. 101-130.\r\n\r\n[Grisey, 2008] – Gérard Grisey, *Écrits ou l’invention de la musique spectrale*, édition établie par Guy Lelong avec la collaboration d’Anne-Marie Réby, Paris: MF, 2008.\r\n\r\n[Laurendeau, 1990] – Jean Laurendeau, *Maurice Martenot, luthier de l’électronique*, Louise Courteau / Dervy-Livres, 1990.\r\n\r\n[Levinas, 2002] – Michaël Levinas, *Le compositeur trouvère. Écrits et entretiens (1982-2002)*, textes réunis et annotés par Pierre Albert Castanet et Danielle Cohen-Levinas, Paris : L’Itinéraire / L’Harmattan, 2002.\r\n\r\n[Lorieux, 2015] – Grégoire Lorieux, “[Analyse de *NoaNoa* de Kaija Saariaho](https://brahms.ircam.fr/analyses/noanoa/)”, *Analyses – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam*.\r\n\r\n[Messiaen, 1949-1992/1995] – Olivier Messiaen, *Traité de rythme, de couleur, et d'ornitologie*, t.2, Paris : Alphone Leduc, 1995.\r\n\r\n[Notes en blocs 1, 2001] – “[Notes en blocs 1](https://medias.ircam.fr/media/old_archives/programnote/LO38100-01-wm.pdf)”, programme du concert Pauset-Grisey, Ircam-Centre Pompidou, 3 avril 2001.\r\n\r\n[Plessas et Boutard, 2015] – Peter Plessas et Guillaume Boutard, “[Transmission et interprétation de l’instrument électronique composé](https://jim2015.oicrm.org/actes/JIM15_Plessas_P_et_al.pdf)”, Actes des Journées d’Informatique Musicale, Montréal, 2015.\r\n\r\n[Potard *et al.*, 1991] – Yves Potard, Pierre-François Baisnée et Jean-Baptiste Barrière, “Méthodologies de synthèse du timbre : l’exemple des modèles de résonance”, dans Jean-Baptiste Barrière (éd.), *Le timbre, métaphore pour la composition*, Paris : Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 135-163.\r\n\r\n[Saariaho, 1991] – Kaija Saariaho, “Timbre et harmonie”, dans *Le timbre, métaphore pour la composition*, Jean-Baptiste Barrière éd., Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 412-453.\r\n\r\n####Archives\r\n[Arch. Féron] – Entretiens réalisés par François-Xavier Féron avec\r\n\r\n* Éric Daubresse, le 8 novembre 2011 à Paris.\r\n* Gérard Caussé, le 2 octobre 2012 à Paris.\r\n* Patrick Lenfant, le 9 novembre 2012 par téléphone.\r\n\r\n[Arch. Fondation Paul Sacher] – Collection Gérard Grisey, dossier “Prologue”, Fondation Paul Sacher, Bâle.\r\n\r\n[Arch. Ircam – Daubresse] – Archives personnelles d'Eric Daubresse conservées à l’Ircam.\r\n\r\n[Arch. Ircam – Ressources]\r\n\r\n* [Concert](https://medias.ircam.fr/x081980_prologue-gerard-grisey) – Gérard Grisey, [*Prologue*] pour alto et électronique temps réel, 3 avril 2001, Ircam.\r\n\r\nGarth Knox (alto), Éric Daubresse (réalisateur informatique musicale).\r\n\r\n* Atelier-répertoire – Gérard Grisey, *Prologue* pour alto et électronique temps réel, 18 janvier 2006, Centre Georges Pompidou.\r\n\r\n[Présentation de la pièce](https://medias.ircam.fr/x507ef7_presentation-de-la-piece): Grégoire Lorieux.\r\n[Concert](https://medias.ircam.fr/x524e25_prologue-gerard-grisey): Garth Knox (alto), Éric Daubresse (réalisateur informatique musicale).\r\n\r\n* [Concert](https://medias.ircam.fr/x4124c2) – Gérard Grisey, *Prologue* pour alto, 21 juillet 2012, Festival Messiaen au pays de la Meije 2012, Église des Cordeliers.\r\n\r\nNoémie Bialobroda (alto).\r\n\r\n* [Concert](https://medias.ircam.fr/x4c0d4d) – Gérard Grisey, *Prologue* pour alto et électronique temps réel, ManiFeste-2012 – Concert de musique mixte des étudiants du DAI du CNSMDP et de musique de chambre de l’Internationale Ensemble Modern Akademie, 30 juin 2012, Le Centquatre.\r\n\r\nNoémie Bialobroda (alto), Éric Daubresse (réalisateur informatique musicale).\r\n\r\n####Partitions\r\n\r\n[Part. Ricordi, 1974] – Gérard Grisey, *Périodes*, Ricordi 132243, 1974.\r\n\r\n[Part. Ricordi, 1978/1992] – Gérard Grisey, *Prologue*, Ricordi 2248, 1978 (réédition en 1992).\r\n\r\n[Part. Ricordi, 2005] – Gérard Grisey, *Prologue*, Ricordi 2248, 2005 (version inédite avec résonateurs réalisée par Éric Daubresse).\r\n\r\n\r\n####Enregistrements audio\r\n\r\n**Version pour alto et résonateurs acoustiques**\r\n\r\n[EA CD Accord, 1993] – Gérard Grisey, *Talea; Prologue; Anubis; Nout; Jour, Contre-jour*\r\nEnsemble L’Itinéraire, Mark Foster, Pascal Rophé, Gérard Caussé (alto), Claude Delangle\r\nAccord (una corda) 201 952, 1993.\r\n\r\n**Version pour alto et électronique temps réel**\r\n\r\n[EA CD Zeitklang, 2002] – Garth Knox, *Spectral viola*\r\nGarth Knox (alto)\r\n[Edition zeitklang](http://zeitklang.de) ez-10012, 2002.\r\n\r\n**Version pour alto seul**\r\n\r\n[EA CD AEON, 2009] – Christophe Desjardins, *Alto / Multiples*\r\nChristophe Desjardins (alto)\r\nAEON AECD 0981, 2009\r\n\r\n[EA CD NEOS, 2010] – Ana Spina, *Works for viola solo*\r\nAna Spina (alto)\r\nNEOS 10920, 2010.\r\n\r\n** Intégrale du cycle *Les Espaces acoustiques* **\r\n\r\n[EA CD Accord, 1999] – Gérard Grisey, *Les Espaces acoustiques*\r\nGérard Caussé (alto), Ensemble Court-Circuit / Pierre-André Valade (direction), Frankfurter Museumorchester / Sylvain Cambreling (direction)\r\nAccord (una corda) 465 386-2, 1999.\r\n\r\n[EA CD Kairos, 2005] – Gérard Grisey, *Les Espaces acoustiques*\r\nGarth Knox (alto), Asko Ensemble, WDR Sinfonieorchester Köln / Stephan Asbury (direction)\r\nKairos 0012422KAI, 2005.\r\n\r\n###Remerciements et citation\r\nJe tiens à remercier très chaleureusement Éric Daubresse, Gérard Caussé, Patrick Lenfant et Garth Knox pour le temps qu'ils ont consacré à répondre à mes nombreuses interrogations. Je souhaite aussi exprimer toute mon amitié à Robert Piencikowski que je retrouvais toujours avec plaisir lors de chacune de mes visites au sein de la fondation Paul Sacher à Bâle.\r\n\r\n**Pour citer cet article: **\r\n\r\nFrançois-Xavier Féron, “Gérard Grisey – *Prologue*”, *ANALYSES – Œuvres commentées du répertoire de l’Ircam* [En ligne], 2016 (rév. 2020). URL: https://brahms.ircam.fr/analyses/Prologue/.\r\n\r\n[^NBP1]: Il nous semble important de faire une distinction entre le Réalisateur en Informatique Musicale (RIM) qui contribue à la confection de la partie électronique d’une œuvre et le Musicien en charge de l’Électronique *Live* (MEL) qui n’a pas nécessairement participé à l’élaboration de cette partie électronique mais qui doit s’assurer de sa mise à jour et de son bon fonctionnement lors d’une performance (lire à ce sujet Plessas et Boutard, 2015).\r\n\r\n[^NBP2]: Par convention, l’harmonique 1 (fréquence f<sub>0</sub>) correspond à la fondamentale du spectre. Pour un spectre harmonique, la fréquence de chaque composante spectrale vérifie la relation suivante: f<sub>n</sub> = n x f<sub>0</sub>.\r\n\r\n[^NBP3]: Grisey a commis une erreur au niveau du premier intervalle : l’écart entre la fondamentale (*mi*<sub>0</sub>) et le second harmonique (*mi*<sub>1</sub>) est une octave, soit 24 quarts de ton et non 22 comme il est indiqué.","2016-10-27T00:00:00.000Z","analyse-de-i-prologue-i-(1976)-de-gerard-grisey",{"getUrl":131},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/224e8e77-0947-4d34-842d-9e5fefd07e61-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=852b857980395bd9b9e031376537b072cb476132b2c4f0fb4415ca726a7dcedf",{"url":131,"isIcon":11,"alt":124,"centered":37},[134],{"firstName":72,"lastName":73},{"title":136,"titleEn":137,"text":138,"textFr":138,"textEn":11,"date":139,"type":32,"slug":140,"authors":11,"toc":11,"image":141,"composer":11,"cardImage":143,"cardTitle":136,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":144},"Analyse de \u003Ci>Stria\u003C/i> (1972-1977) de John Chowning","Analysis of \u003Ci>Stria\u003C/i> (1972-1977) by John Chowning","<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4f57f0\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"400\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n### Résumé\r\n[work:3f8ffabf-57cb-4ce1-987e-aacfb58bb355][*Stria*] est une pièce pour bande seule de [composer:83254f0c-fc3e-40b5-b75e-ad48d188ce7a][John Chowning] (né en 1934). De part l’organicité de sa composition spectrale et timbrale, elle s’impose comme œuvre de référence, car elle marque un des premiers résultats esthétiques en *Computer Music* qui dépend complètement, de la conception à la mise en œuvre, de l’ordinateur. Elle fait une utilisation exclusive de la technique de synthèse par [definition:69c499c1-0d09-4acc-9d52-a2cffff0ff5c][modulation de fréquence] conçue par John Chowning. Elle est l’une des premières commandes passées par l’Ircam à un compositeur et a été créée en 1977.\r\n\r\n*Stria* est la première œuvre de musique qui dérive la microstructure des sons, comme la macrostructure de la forme globale, du nombre d’or. Le même rapport de proportion est utilisé pour la réalisation des composantes inharmoniques des sons, des échelles de hauteurs, des durées des sons et des événements, et pour le calcul de la durée globale. La cohérence interne et externe de l’œuvre donne, même à la première écoute, une sensation de grand équilibre. Cette « harmonie » inharmonique justifie la réputation de l’œuvre au sein du répertoire électroacoustique. John Chowning réalise une très lente progression de nappes de son (rayures), évoluant peu à peu aussi bien dans l’espace temporel de l’œuvre, que dans l’espace quadriphonique de l'écoute.\r\n\r\n_Stria_ est un terme latin qui signifie cannelure. Il fait notamment référence à la cannelure verticale des fûts des colonnes doriques des temples grecques. Les architectes de l’époque avaient recours à cette propriété optique pour alléger la répétition des colonnes, et ainsi optimiser la perspective. On peut faire l’hypothèse que les nappes sonores de *Stria* correspondent aux cannelures des colonnes, les colonnes étant les différents groupes inharmoniques qui composent l’œuvre et qui évoluent dans le temps, tout en bâtissant un temple sonore à la fois complexe, extrêmement léger et équilibré.\r\n\r\nComposée au CCRMA de Stanford (Stanford University’s Center for Computer Research in Music and Acoustics), *Stria* a été réalisée sur un ordinateur PDP-10, avec les logiciels MUSIC 10 pour la synthèse (une adaptation de MUSIC IV au PDP-10 utilisé à Stanford à l’époque), et le langage SAIL ([Stanford Artificial Intelligence Language](http://www.xidak.com/mainsail/documentation_set_1630_html/docset.html)) pour programmer la forme.\r\n\r\n_Stria_ est subdivisée en sections, en événements et en éléments selon le principe d'auto-similarité, un terme informatique qui implique la récurrence de structures identiques à divers niveaux d’un programme (la récursion, à partir d’un événement ‘parent’, engendre des ‘enfants sonores’).\r\n\r\n_Stria_ fait une utilisation exclusive de la technique de synthèse par modulation de fréquence. Les sons sont produits à partir d’algorithmes sur la base de règles et de paramètres choisis par le compositeur comme données d’entrée pour le programme (l’espace fréquentiel inharmonique est construit selon le principe de la section dorée). Mais *Stria* n’est le résultat ni d’un processus de composition automatique, *stricto sensu*, ni d’une écriture via un programme des instructions paramètre par paramètre. L’œuvre déploie plutôt un processus « *intermédiaire dans lequel le compositeur définit la structure détaillée [...], puis contrôle la macro-structure à un niveau procédural* » (Chowning interviewé par Bruno Bossis, dans Bossis 2005, p. 89).\r\n\r\n### Analyse\r\n\r\n#### Introduction générale\r\n[composer:c978e66b-1746-4862-a8c0-ab8f2301e330][Jean-Claude Risset], collègue et ami de John Chowning, comme lui chercheur et inventeur dans le domaine de la sonore numérique et en psychoacoustique, écrit en 2005 : « *Dans le micro-milieu naissant de la musique informatique [des années soixante], John Chowning, musicien de formation, mû par la passion de l’innovation sonore et musicale, est arrivé comme un extra-terrestre. Bien que non issu du sérail et étranger à la 'techno-science', il était convaincu qu’il fallait pour produire une musique électronique plus musicale recourir à l’ordinateur, précis et puissant, riche de possibilités matérielles et intellectuelles sans limites, et il a décidé de se consacrer à l’exploitation des ressources musicales du son numérique. Intuition perspicace : le son électroacoustique est devenu numérique, et les inventions de Chowning ont marqué le domaine musical* » (Risset, 2005, p. 32).\r\n\r\n_Stria_ (1977) – avec les autres œuvres de John Chowning [work:58c37014-47be-48bf-9ee9-6c5b0c16adcb][*Turenas*] (1972) et [work:15901a7e-129c-4eb7-a471-db7cdbd48f0d][*Phoné*] (1981) – est devenue une pierre angulaire de la musique contemporaine, une œuvre dans laquelle l’exploitation rigoureuse des programmes informatiques, et la recherche profonde sur le timbre et la forme coexistent. *Stria* est l’un des premiers résultats réellement convaincants de la période des pionniers de la *Computer Music*.\r\n\r\nSur la base des documents de genèse, des communications et des textes de son auteur, recueillis récemment dans une série d’articles (Baudouin 2007, 2008, 2009; Borghesan 2004 ; Bossis 2005 ; Dahan 2007a, 2007b ; Meneghini 2003, 2007 ; Orio-Zattra 2007, 2008 ; Zattra 2007), la présente analyse vise à retracer les processus génératifs à l’œuvre dans cette pièce, en précisant la démarche esthétique du compositeur et ses choix techniques. Nous portons une attention particulière aux enjeux compositionnels, et à la relation entre réalisation et contraintes technologiques. L’analyse est enrichie par l’intégration de plusieurs vidéos issues de présentations créées par John Chowning lui-même et commentées en anglais par ses soins.\r\n\r\nConçue au début pour un synthétiseur numérique en temps réel, l’œuvre fut finalement réalisée en plusieurs sections, toutes converties à l’université de Stanford, puis enregistrées sur des bandes magnétiques quatre pistes, et enfin montées et mixées sur bande quatre pistes. Ce dernier processus d’assemblage fut repensé par le compositeur à plusieurs reprises, avant et juste après la création (Zattra 2007). Deux versions de l’œuvre sont devenues alors disponibles : la version quadriphonique utilisée pendant les concerts réalisés en 1977 (après la création de Paris) à partir des six sections (bandes) originales ; et la version stéréophonique réalisée en 1988 pour la maison de disques Wergo. Les deux versions ont suscité récemment l’attention de la communauté scientifique des musicologues et des chercheurs en informatique musicale. Depuis 2003, des travaux de préservation des matériaux de la création ainsi que des reconstructions de l’œuvre (avec des logiciels contemporains) ont été réalisés. Ces questions seront abordées dans le chapitre « Reconstruire _Stria_ aujourd’hui ».\r\n\r\n#### Circonstances de la création\r\n_Stria_ a été créée le 13 octobre 1977 au Centre Georges Pompidou à Paris (Grande Salle Polyvalente), lors de la série de concerts « Perspectives du XXe siècle ». Elle faisait partie d’un événement musical conçu par Luciano Berio (à l’époque directeur du département de musique électroacoustique de l’Ircam), qui avait pour titre [work:9ebec33e-51ba-45d4-81fe-c5460f15341c][*La Voix des voies*], sorte de grand spectacle audiovisuel sur la musique contemporaine qui aboutit à plusieurs créations (Rivière et Pouillon 1976).\r\n\r\nBerio commanda l’œuvre en 1976 bien que l’idée initiale soit de 1973-1974, à l’époque où Chowning écrivait son fameux article sur la synthèse par modulation de fréquence ([Chowning 1973](https://ccrma.stanford.edu/sites/default/files/user/jc/fm_synthesispaper-2.pdf)). C’est à cette époque que Chowning découvre de nouveaux timbres inharmoniques agréables, qu’il pense utiliser pour une œuvre musicale. La composition matérielle de l’œuvre se déroula entre juillet et octobre 1977, à Stanford, où il avait fondé le CCRMA (Center for Computer Research in Music and Acoustics).\r\n\r\n_Stria_ fut conçue au début pour la Samson Box, un synthétiseur numérique en temps réel de Peter Samson. Mais en raison d’un retard dans la construction de cet instrument, l’œuvre ne fut jamais synthétisée en temps réel et dut finalement être réalisée en sections. Les différentes sections composant l’œuvre furent converties au CCRMA à partir du PDP-10, enregistrées sur autant des bandes analogiques quatre-pistes (pendant le mois de septembre 1977) et assemblées à l’Ircam à l’aide de Andy Moorer.\r\n\r\n[image:e6647866-42f0-4181-b8a7-3b860eef9fb4]\r\n\r\n**Figure 1\\. Ircam, mai 1979\\. De gauche à droite : Jean-Claude Risset, responsable à l’époque du Département ordinateur; John Pierce; Max Mathews; John Chowning. A l’arrière plan un PDP-10 identique à celui utilisé à Stanford pour la réalisation de *Stria*. Photo prise par Rozenn Risset (avec l’aimable autorisation de Jean-Claude Risset).**\r\n\r\n#### La modulation de fréquence\r\nLe nom de John Chowning est associé à la découverte de la synthèse numérique des sons par modulation de fréquence. A partir de 1967, il explora de manière systématique, dans le domaine sonore et musical, un procédé déjà connu et utilisé dans d’autres domaines comme la radio à des fréquences élevées et non-audibles directement. Il conçut un moyen simple et efficace de créer et contrôler le timbre des sons en utilisant seulement deux oscillateurs numériques : une porteuse (carrier) et une modulante (modulating) dont les fréquences sont réglables. Son modèle est en vérité une modulation de phase, dans laquelle le signal de la modulante vient modifier dynamiquement la phase de la porteuse.\r\n\r\nChowning souligne la présence d’un document pour dater cet événement :\r\n\r\n*There is a record of my having visited BTL [Bell Telephone Laboratories] on December 18, 1967 when I showed the data that I used in my first trials to Max [Mathews], [Jean-Claude] Risset and Pierre Ruiz and played for them the examples. It was a month or two before, almost certainly late at night, while experimenting with extreme vibrato frequencies and depths, that I realized “there is more here than at first meets the ear.”* (Chowning 2008, p. 170).\r\n\r\nJohn Chowning expérimenta ce procédé pour la première fois dans ses œuvres [work:e88c86c7-78fd-44f1-bd9a-5d2799047cc6][*Sabelithe*] (1971) et [work:58c37014-47be-48bf-9ee9-6c5b0c16adcb][*Turenas*] (1972), et présenta sa découverte à la communauté scientifique en 1973 dans un article devenu fameux (Chowning 1973, *ibid.*). Du point de vue informatique, ce procédé fournissait une solution aux problèmes de vitesse de calcul et de mémoire des processeurs de l’époque.\r\n\r\nLe brevet de la synthèse par modulation de fréquence (avril 1977) fut vendu par l’université de Stanford et l’inventeur du procédé John Chowning à la firme Yamaha qui, en 1983, l’utilise pour produire le DX7, premier synthétiseur numérique FM à la fois performant et bon marché.\r\n\r\n[image:7299304c-d742-446b-850c-1c5376fd8e45]\r\n\r\n**Figure 2\\. Première page du brevet pour la synthèse en modulation de fréquence (archive privée de John Chowning, voir également Baudouin 2009).**\r\n\r\n#### Espace timbral : la synthèse par modulation de fréquence et les spectres inharmoniques\r\n\r\nJohn Chowning rapporte qu’une des sources d’inspiration de *Stria* avait été une œuvre de John Pierce, *Eight-Tone Canon* (1966), qui utilisait des matériaux fréquentiels par synthèse additive obtenus par la division de l’octave en huit parties plutôt qu’en douze. Dans la plupart des musiques occidentales, l'espace des fréquences est partagé en octaves (avec un rapport de 2 entre la fréquence d’un son et celle de son octave supérieure), à leur tour décomposées en 12 parties égales formant la gamme chromatique (Chowning 1995 ; Risset 2005, pp. 52-53). Ce qui intéressait particulièrement Chowning était l’idée de Pierce de construire les partiels des spectres à partir de ce principe, au lieu d’utiliser la série harmonique (Chowning 2008, p. 172). Fort de sa nouvelle méthode de synthèse, et inspiré par l’approche de Pierce, Chowning travailla sur une nouvelle division de l’espace fréquentiel à partir de 1974, à Berlin puis à Stanford.\r\n\r\nChowning répartit l’espace fréquentiel en puissances du nombre d’or φ (qui vaut environ 1.618), plutôt qu’en puissances de 2, en nommant ces répartitions des ‘pseudo-octaves’ (avec 1000 Hz comme frequence de référence) (voir entre autres Dahan 2007a). Cette décision découle directement de l’analyse des spectres inharmoniques des sons produits par Modulation de Fréquence : les sons en FM caractérisés par un rapport porteuse/modulante fondé sur les puissances du nombre d’or φ engendrent en effet dans le spectre des bandes latérales qui sont elles-mêmes des puissances de φ.\r\n\r\nChowning divise cette pseudo-octave en neuf parties, en renforçant l’effet ‘naturel’ des sons grâce à la proximité des pseudo demi-tons avec les demi-tons pythagoriciens (7 cents en moins) (voir entre autres Baudouin 2009).\r\n\r\nDe plus, le comportement des partiels inharmoniques des sons soumis à la loi de la pseudo-octave, est similaire à celui des partiels harmoniques des sons de l’échelle tempérée en intervalle de dominante : des sons simultanés ont des harmoniques en commun. Cependant, dans le système tempéré où les hauteurs sont égalisées, tempérées (à l’exception de l’octave qui est en rapport exact de 2 : 1), il arrive que des battements se produisent par interaction des partiels harmoniques, qui diffèrent légèrement des hauteurs de la quinte tempérée. Il faut alors modifier la fréquence fondamentale pour la faire coïncider avec la quinte juste. Dans la vidéo, tirée d’une présentation créée par John Chowning, on entend bien le premier groupe avec les battements, et le deuxième groupe avec les fréquences ajustées.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9edaad\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"400\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Vidéo 1\\. John Chowning explique le comportement des spectres dans l’harmonie traditionnelle (source : présentation créée par John Chowning).**\r\n\r\n*Stria* aboutit donc à des spectres inharmoniques ayant la même cohérence que les spectres harmoniques, tout en évitant l’inconvénient des battements et le recours au rajustement fréquentiel qui était nécessaire au système tempéré.\r\n\r\n[image:4390dc2a-d2eb-4dbd-b8cb-426cfdf139a0]\r\n\r\n**Figure 3\\. L’espace spectral de *Stria* (source : Chowning 2008, p. 172).**\r\n\r\nIl faut aussi rappeler les profondes relations entre le nombre d’or et la suite de Fibonacci (f[n+2] = f[n+1] + f[n]) : plus l’on progresse dans la suite de Fibonacci, plus le rapport entre 2 éléments successifs est proche du nombre d’or. Les rapports caractéristiques de la suite de Fibonacci conditionnent la durée des sections de l’œuvre et déterminent l’assemblage des sections (de la macroforme). Le nombre d’or, quant à lui, est au cœur du processus compositionnel à travers le jeu des bandes latérales (de part et d’autre de la porteuse) des spectres.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xae5bde\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"400\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Vidéo 2\\. John Chowning explique le rapport entre le nombre d’or et la suite de Fibonacci (source : présentation créée par John Chowning).**\r\n\r\nDans une autre vidéo, John Chowning explique plus en détail les relations entres les spectres utilisés dans *Stria*, en fonction des pseudo-octaves (avec 1000 Hz comme fréquence de référence).\r\n\r\nOn peut aussi écouter les spectres basés sur le nombre d’or φ : aucun battement n’est observable ; des battements se produisent seulement au moment où l’on ajoute une petite déviation en fréquence.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8a7f98\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"400\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Vidéo 3\\. John Chowning présente les pseudo-octaves et les spectres utilisés dans *Stria* (source : présentation créée par John Chowning).**\r\n\r\nLe choix des fréquences inharmoniques dérivant du nombre d’or confère aux spectres ainsi réalisés un équilibre, qui s’observe également dans la combinaison de composantes avec des fréquences négatives. La vidéo 4 montre un schéma des bandes latérales de l’exemple précédent qui développe les partiels communs et les puissances du nombre d’or ; le comportement des fréquences latérales en relation avec le rapport porteuse / modulante est éclairé.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa122a6\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"400\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Vidéo 4\\. John Chowning explique la correspondance entre les partiels de sons inharmoniques (source : présentation créée par John Chowning).**\r\n\r\n#### Eléments, événements, sections\r\n\r\nL’œuvre est divisée en sections et chaque section contient un nombre limité d’événements qui sont formés d’une grande série d’éléments (sons en modulation de fréquence avec des partiels inharmoniques, avec le rapport porteuse / modulante fondé sur les puissances du nombre d’or) ; chaque section est engendrée à partir des données d’entrée de l’algorithme de génération (Meneghini 2003, 2007 ; Bossis 2005).\r\n\r\nToute l’œuvre consiste à enchaîner la série d’éléments spectraux, qui commencent à différents moments, ainsi que l’image suivante le montre. Cinq événements superposés forment par exemple la troisième section de *Stria* nommée T466 (figure 4). Les éléments constituant un événement commencent en même temps au début de l’événement. La fonction centrale du programme de génération SAIL consiste à boucler, sur le nombre d’éléments à créer, une fonction qui présente également une caractéristique récursive (le deuxième événement montré sur la figure 4 précise la récurrence des éléments) (Meneghini 2003, 2007 ; Baudouin 2009 ; Bossis 2005).\r\n\r\n[image:320f6df5-30a0-4748-9fa5-2d9fed5a2890]\r\n\r\n**Figure 4\\. la section T466 (source : John Chowning).**\r\n\r\nNous pouvons maintenant écouter les éléments sonores de la troisième section T466 dans une reconstruction récente de John Chowning, non dans leur forme simple, mais enchaînés l’un à l’autre et placés dans le contexte compositionnel de *Stria*. Ces fragments sont réverbérés selon un [dispositif inventé par l’acousticien Manfred Schroeder](https://ccrma.stanford.edu/~jos/pasp/Schroeder_Reverberators.html) aux Bell Laboratories dès les années 1960. La réverbération se faisait par le biais de filtres passe-tout en série et de filtres en peigne en parallèle.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xec5669\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"400\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Vidéo 5\\. John Chowning fait écouter l’enchaînement d’éléments dans la troisième section de l’œuvre (T466.MEM) (source : John Chowning).**\r\n\r\nPour les détails de la complexité et la rigueur de la programmation informatique, ainsi que pour les questions d’enveloppe, nous renvoyons aux articles de Bossis, Baudouin et Meneghini, en bibliographie.\r\n\r\n####Spatialisation\r\n\r\nLes différents spectres inharmoniques composant *Stria* sont diffusés dans l’espace en quadriphonie, pour donner l’illusion d’une source sonore en mouvement très lent. Pour obtenir cette [definition:1979ee83-9bff-4e74-a756-c3b3c0cecaec][spatialisation], John Chowning utilise les algorithmes mentionnés dans (Chowning 1971) sauf l’effet Doppler parce qu’il aurait introduit un glissement mélodique en lieu et place d’une fixité des hauteurs.\r\n\r\nBaudouin (2009) rapporte les propos suivant de John Chowning : « *Contrairement à Turenas où j’ai créé des sons en mouvement à travers l’espace (ayant donc une vitesse radiale), je voulais, avec *Stria*, localiser – et non mouvoir – chaque élément dans l’espace des 360°. Ce fut une décision esthétique que de faire une pièce en lente évolution, amorphe, de telle façon que les éléments soient par moments perdus dans la réverbération et, à d’autres moments, localisés en distance et azimut* ».\r\n\r\nLa spatialisation dépend de trois facteurs : le pourcentage de réverbération des sons à l’intérieur de chaque événement sonore, l’angle spatial de la source, la distance apparente de la source sonore – plus l’auditeur progresse dans l’écoute, plus les sons semblent s’éloigner (Bossis 2005).\r\n\r\n####Forme globale : l'assemblage des sections\r\n\r\nLes limites de calcul et de mémoire des ordinateurs de l’époque n’avaient pas permis la synthèse de l’œuvre du commencement à la fin. *Stria* comporta donc différentes sections, qui furent converties au CCRMA à partir du PDP-10, enregistrées sur autant de bandes analogiques quatre-pistes en septembre 1977 (le stockage des données se faisait sur des bandes magnétiques ; les capacités de calcul des ordinateurs de l’époque étaient dérisoires), et assemblées à l’Ircam à l’aide de Andy Moorer, qui venait lui aussi de Stanford (Bossis 2005 ; Zattra 2007).\r\n\r\nLa forme générale de *Stria*, formée de l’enchaînement d’éléments, événements et sections, a été pensée par John Chowning comme un grand crescendo de nappes de sons de plus en plus graves jusqu’à un climax, suivi d’un moment de quasi-silence, et de la reprise des sons jusqu’à l’apaisement. Les sons graves de la partie centrale, qui arrivent au fur et à mesure que l’œuvre s’écoule, sont de plus en plus raccourcis, tandis que les sons aigus des parties extrêmes sont plus prolongés (Dodge-Jerse 1985 ; Meneghini 2007). Les attaques de sons suivent le même principe (sons aigus : transitoires d’attaque lents ; sons graves : transitoires d’attaque courts).\r\n\r\nLa version pour la création (13 octobre 1977) comportait 7 sections, mais le jour suivant le concert, le compositeur décida d’enlever la deuxième section sur le conseil de Luciano Berio. La version définitive 4-pistes (analogiques) qui a circulé depuis 1977 comporte donc 6 sections nommées T0, T286, T466, T610, T754G et END et dure 15’46”.\r\n\r\nOn appelle cette version « version CCRMA » puisque c’est la version retenue par John Chowning et considérée comme définitive (Orio-Zattra 2007, 2008 ; Zattra 2007). Les rapports numériques des durées des sections ainsi que l’assemblage des sections dans la forme globale suivent la suite de Fibonacci (qui, nous venons de le voir, est en relation avec le nombre d’or) ; la proportion entre les sections aigues et les sections graves respectent approximativement la section dorée.\r\n\r\nEn 1988, la maison de disques Wergo consacra un CD à la musique de John Chowning. La version stéréophonique de *Stria* présente deux changements : une coupure dans la deuxième section T286 (il s’agit d’un raccourcissement de la section juste avant un passage qui, au moment du calcul, produisait un bruit dans la conversion DAC audible dans la version CCRMA) ; une version longue de l’avant-dernière section T754G. L’œuvre fut éditée à partir des fichiers originaux de Stanford. La durée de la version Wergo est de 16’57\".\r\n\r\nLes durées différentes, ainsi que les traits saillantes de l’œuvre, apparaissent sur les sonagrammes des deux versions : CCRMA et Wergo). Mis à part la différence de durée, le sonagramme permet de constater que la situation d’écoute sur CD avait imposé l’ajustement des valeurs de dynamique – cf. les nuances de gris sur le sonagramme – des sections plus faibles – ces ajustements avaient été faits par le compositeur Johannes Goebel, alors producteur chez Wergo. En outre, le sonagramme permet de souligner le profil de la masse spectrale de l’œuvre (étagement des partiels de l’aigu au grave, puis du grave à l’aigu), la densité progressive des masses. Enfin, le sonagramme révèle la position du climax dans la partie centrale de l’œuvre, qui diffère dans la version Wergo en raison de la coupure dans la deuxième section).\r\n\r\n[image:a534c7fc-115e-4b17-bdc9-54441a0eba62]\r\n\r\n**Figure 5\\. Sonagrammes des deux versions CCRMA et Wergo comparés : en haut la version CCRMA 1977, en bas la version Wergo 1988 (pour faciliter la comparaison, on a réalisé un mixage mono des fichiers multicanaux audio : de 4 à 1 pour la version CCRMA et de 2 à 1 pour la version WERGO). Caractéristiques techniques des sonagrammes : taille de la FFT à 4096, fréquence d’échantillonnage à 44100 Hz, normalisation à 3 dB (visualisation réalisée avec le logiciel libre Audacity 1.2.6).**\r\n\r\nLes 2 extraits ci-après permettent de comparer le début de l’œuvre dans les deux versions :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xfb5a78\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Version CCRMA : début de l’œuvre.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xbc100b\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Version WERGO : début de l’œuvre.**\r\n\r\nDe même au niveau du climax sonore de la pièce :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5806dd\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Version CCRMA : climax sonore de l’œuvre.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd1bd6e\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Version WERGO : climax sonore de l’œuvre.**\r\n\r\nL’histoire des versions et de l’assemblage, reconstruite à partir des sources de l’époque, est montrée sur l’image suivante réalisée par John Chowning (Zattra 2007 ; Orio-Zattra 2008). Comme nous l’avons souligné auparavant, les rapports numériques des durées des sections ainsi que l’assemblage des sections suivent la suite de Fibonacci en relation avec le nombre d’or. L’image suivante permet de comparer les mixages de trois versions : le concert de 1977 ; la version réalisée au CCRMA juste après le concert ; l’enregistrement Wergo disponible. Ces trois mixages diffèrent, mais ils respectent pour autant tous les trois approximativement le nombre d’or.\r\n\r\n[image:0418dab0-4450-42d1-b083-4713a79e7e56]\r\n\r\n**Figure 7\\. Assemblages des sections : 1) version 1977 pour la création à l’Ircam ; 2) version CCRMA réalisée le jour après la création en 1977 ; 3) version pour le disque Wergo réalisée en 1988 (image réalisée par le compositeur et publiée également dans l’article de Zattra 2007, p. 64).**\r\n\r\nLa présence de différentes versions d’une même œuvre est assez rare dans le domaine de la musique électroacoustique dite « pour bande seule », qui comprend les pièces enregistrées sur n’importe quel type de support fixe qui ne change plus une fois l’œuvre achevée et enregistrée. Cette particularité « canonise » encore plus *Stria* parmi les œuvres musicale contemporaines. L’idée de mobilité qui caractérise son identité n’a jamais désorienté ni son auteur ni les auditeurs et cela se justifie pour plusieurs raisons. Tout d’abord l’utilisation du nombre d’or donne à l’œuvre un caractère naturel qui dépasse l’artificialité souvent constatée des œuvres, laissant deviner un fétichisme pour la technique. Et la qualité naturelle de *Stria* se reflète dans une forme globale qui peut subtilement « changer ». Comme dans la nature, rien n’est figé, et les formes construites sur le principe de la section dorée suivent un principe d’équilibre plutôt que de rigidité. De la même manière, c’est cet équilibre qui envahit l’œuvre et son écoute, dans toutes ces versions.\r\n\r\nIl faut aussi souligner en deuxième instance que l’analyse des sources papier et numériques ainsi que les déclarations du compositeur ont toujours montré que les différentes versions (surtout la version Wergo) sont des variantes autorisées par l’auteur (en philologie, on parle de variante lorsque deux ou plusieurs versions d’une même œuvre coexistent). En même temps, la version Wergo est une édition autorisée, puisqu’elle est la seule officiellement publiée (édition autorisée) jusqu’à 2007 (la variante CCRMA quatre pistes, utilisée pendant les concerts, étant restée inédite).\r\n\r\nC’est l’idée de mobilité, avec la beauté indubitable de cette œuvre séminale, qui a récemment suscité l’attention de la communauté des musicologues et des chercheurs en informatique musicale (Baudouin 2007, 2008, 2009 ; Borghesan 2004 ; Dahan 2007a, 2007b ; Meneghini 2003, 2007 ; Zattra 2007). A partir des sources de l’époque, ils ont proposé des reconstructions de l’œuvre en collaboration avec le compositeur. Le chapitre suivant sera consacré à ces travaux. Il s’agit ainsi de nouvelles versions autorisées, beaucoup plus proches de l’idée originelle de Chowning d’une œuvre synthétisée en temps réel.\r\n\r\n#### Reconstruire *Stria* aujourd’hui\r\n\r\nKevin Dahan et Olivier Baudouin ont tous les deux proposé une reconstitution de l’œuvre par le biais de logiciels récents (Dahan 2007a, 2007b ; Baudouin 2006 ; 2008 ; 2009), précédés de travaux préalables de Meneghini (2003 ; 2007) et Borghesan (inédit 2004). Ces travaux analytiques sont finalisés par la reconstruction et la préservation de l’œuvre.\r\n\r\nLes reconstructions ont été possibles grâce à la présence des sources numériques de l’époque (données d’entrée du programme SAIL) conservées par John Chowning, et grâce aux témoignages et aux explications des processus de composition donnés par le compositeur.\r\n\r\nKevin Dahan mène une reconstitution des données en SAIL avec le langage Ruby, et obtient la synthèse complète de l’œuvre avec Csound (il avait réalisé une première analyse de *Stria* et une première tentative de reconstruction du timbre principal dans son mémoire de maîtrise en 2001, Dahan 2001).\r\n\r\nSa recherche se propose de vérifier les résultats obtenus avec une analyse descriptive-perceptive (« analyse et resynthèse »). La reconstruction dure 15’46\", comme la version CCRMA (les données Csound de la reconstruction, ainsi que la nouvelle version audio, sont contenues dans : Computer Music Journal, DVD Vol. 31, N. 4, Winter 2007).\r\n\r\nLe travail de recherche et reconstitution de Dahan s’est poursuivi durant plusieurs années : la première restitution audio de *Stria* synthétisée par Dahan a été présentée pour la première fois pendant l’International Computer Music Conference de Copenhague, en 2007. En 2009 Dahan a modifié le code pour corriger la dernière section de l’œuvre ‘END’ suite à la redécouverte du code original, puis encore en 2010 pour une diffusion au [San Francisco Electronic Music Festival](http://www.sfemf.org) pour laquelle il a redéfini des filtres utilisés dans l’œuvre selon les souvenirs d’Andy Moorer qui avait collaboré avec John Chowning.\r\n\r\n[image:dd8a786c-ae7f-42f0-a970-6e99955936ce]\r\n\r\n**Figure 8\\. Programme et interface pour la reconstruction de *Stria* (Dahan 2007b).**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x56a4ca\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nOlivier Baudouin mène sa reconstitution à l’aide du langage de programmation Python et de Csound. La version audio de *Stria*, synthétisée par Baudouin, a été présentée pour la première fois pendant le concert « Musique et Complexité » (organisé par Nicolas Darbon), au CDMC (Centre de Documentation de la Musique Contemporaine), Cité de la Musique à Paris, le 11 décembre 2008.\r\n\r\n[image:6576c394-d3fb-4836-a5a4-88c369979c11]\r\n\r\n**Figure 9\\. Programme et interface pour la reconstruction de *Stria* (Baudouin 2009).**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf0e2e1\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nCes nouvelles versions autorisées sont donc plus proches de l’idée originale d’une œuvre synthétisée en temps réel. En 2005, interviewé par Laura Zattra, Chowning avait justement exprimé ce désir :\r\n« *Today, that would be possible (and I wish a real-time version will see soon the light), since synthesis and mixing is not a problem as long as the device has enough storage and fast-access memory capacity. This was a problem when *Stria* was conceived but now, 78 oscillators control (26 Stria instruments using 3 oscillators per instrument) would be easily achieved on any lap top* » (communication personnelle de Chowning à Laura Zattra, 2005 ; cité dans Zattra 2007, 41).\r\nL’exemple des travaux de Dahan et Baudouin est symptomatique de la nécessité historique de produire de portages conservatifs des œuvres numériques qui sinon risqueraient d’exister uniquement sous la forme de fichiers audio.\r\n\r\n###Conclusions\r\n\r\n_Stria_ n’est pas la première œuvre musicale à organiser les spectres inharmoniques de façon parfaitement structurée (Chowning a souligné à de maintes reprises, par exemple, la beauté de l’œuvre de Jean-Claude Risset [work:184572a1-bd73-4285-b3b5-a6db4a7c62a6][*Mutations*] (1969). En revanche, _Stria_ est la première qui ait complètement dérivé la microstructure comme la macrostructure du nombre d’or (Chowning 2011). Dans _Mutations_, les hauteurs des accords sont agencées pour produire des fréquences inharmoniques des timbres, et inversement, elles produisent une ambiguité perceptive entre l’harmonie et le timbre. Ainsi, une mélodie de hauteurs se transforme en accord harmonique, puis en timbre inharmonique (exemple du faux gong). John Chowning admirait l’œuvre de Risset, parce que grâce à son travail sur la dimension microscopique du son, il parvenait à jouer sur la perception de chaque son.\r\n\r\nDans cette dernière vidéo et pour illustrer ses sources d’inspiration, John Chowning rend hommage à l’œuvre de Risset et à son idée ‘magique’, presque ‘archispectrale’.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6badd7\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"400\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Vidéo 6\\. John Chowning explique le principe d’élaboration du continuum mélodie/accord harmonique/timbre inharmonique des premières secondes de *Mutations* (1969) de Jean-Claude Risset (source : John Chowning).**\r\n\r\nLe travail que John Chowning avait mené autour de la synthèse par modulation de fréquence fut un moment décisif dans l’histoire de la synthèse par ordinateur : la FM offrait un moyen simple et élégant de contrôler le timbre des sons. Dans *Stria*, cette technique de synthèse est mise au service de l’exploration de la dimension timbrique et de son évolution : le compositeur questionne pénètre les frontières ambigues des spectres numériques inharmoniques. Une recherche similaire, mais appliquée aux zones indécises entre voix et non-voix, mène à la réalisation de l’œuvre *Phoné* en 1988 (Bossis 2005, p. 87).\r\n\r\nComme plusieurs commentateurs l’ont souligné, grâce au caractère essentiel de ce moyen de composition, Chowning a réalisé avec *Stria* une œuvre d’une grande unité expressive, une musique « [qui frappe] *par la beauté de ses déploiements et de ses imbrications sonores* » (Risset 2005, 50). Une musique qui a marqué l’histoire de la musique contemporaine. Comme le souligne Bruno Bossis, la rigueur d’écriture de *Stria* est due sans doute à la formation musicale du compositeur, à ses études d’harmonie et de contrepoint suivies avec Nadia Boulanger à Paris en 1959-1960 (Bossis 2005, p. 110).\r\n\r\nCe commentaire d’Hugues Dufourt sur l’œuvre, cité par Jean-Claude Risset, résume la portée révolutionnaire de cette œuvre :\r\n« Stria *de John Chowning est le paradigme de la musique informatique. Un miraculeux agencement de fréquences donne lieu à un objet sonore inouï, magnifique. La pièce fait surgir des questions esthétiques nouvelles qui ne se posaient pas avant la programmation. Une œuvre inconcevable sans l’ordinateur* » (Hugues Dufourt, cité dans Risset 2005, p. 54).\r\n\r\n### Références\r\n\r\n**Discographie**\r\n\r\n• CHOWNING, John, *Turenas* ; *Stria* ; *Phoné* ; *Sabelithe*. Digital Music Digital, Music with computers, Mainz, Schott– Wergo Music Media GmbH, WERGO WER 2012-50, 1988.\r\n\r\n• CHOWNING, John, “Track 06, Stria (5:11, edit)”, OHM+ : the early gurus of electronic music 1948-1980 (special edition 3CD + DVD), CD 3693 – DVD 3694, Ellipsis Arts, 2005.\r\n\r\n• DVD joint au numéro du Computer Music Journal, Winter 2007, Vol. 31, No. 4 (sources pour la reconstruction philologique, reconstruction audio par Kevin Dahan en collaboration avec John Chowning, codes pour la synthèse de *Stria* en Csound, visualisation multimédia de *Stria*), 2007.\r\n\r\n**Enregistrements non publiés**\r\n\r\n• Version 4 pistes (pour les concerts) assemblée à Stanford en 1977 après la création parisienne (version de référence).\r\n\r\n• Version numérique 4 pistes réalisée par Kevin Dahan avec les langages de programmation Ruby et Csound, en collaboration avec John Chowning, 2007-2010.\r\n\r\n• Version numérique 4 pistes réalisée par Olivier Baudouin avec les langages de programmation Python et Csound, en collaboration avec John Chowning, 2007-2008.\r\n\r\n**Monographies sur John Chowning et sur ses œuvres**\r\n\r\n• John Chowning, dans CASTANET, Pierre-Albert, GAYOU, Evelyne, RISSET, Jean-Claude (éditeurs), *Portraits polychromes*, Paris : Ina – Michel de Maule, 2005.\r\n\r\n• John Chowning, *Portraits polychromes*, [site en ligne](http://www.institut-national-audiovisuel.fr/sites/ina/medias/upload/grm/portraits-polychromes/extraits/chowning/index.html), avec des analyses multimédia de *Turenas* (par Laurent Pottier), *Stria* (par Bruno Bossis), *Phoné* (par Antonio Salluce), et une interview audio de John Chowning par Evelyne Gayou.\r\n\r\n• Computer Music Journal (The Reconstruction of *Stria*) (2007), Computer Music Journal, Fall 2007, Vol. 31 (et DVD Winter 2007, Vol. 31, n. 4).\r\n\r\n**Articles sur *Stria* **\r\n\r\n• BAUDOUIN, Olivier, “La faktura, outil conceptuel d’analyse, illustration avec *Stria* de John Chowning”, *Actes des Journées d’Informatique Musicale*, Grenoble, 2009, pp. 77-83.\r\n\r\n• BAUDOUIN, Olivier, *Problème de l’analyse des musiques conçues pour supports enregistrés. Comparaison de deux oeuvres : Artikulation (1958) de György Ligeti et Stria (1977) de John Chowning*, Université de Rouen, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Département de musicologie, Mémoire pour l’obtention du Master II, sous la direction de M. le Professeur Pierre-Albert Castanet et de M. Olivier Meston, Professeur associé, 2006.\r\n\r\n• BAUDOUIN, Olivier, “A Reconstruction of Stria”, *Computer Music Journal* (The Reconstruction of Stria), Fall 2007, Vol. 31, No. 3, Massachusetts Institute of Technology, 2007, pp. 75-81.\r\n\r\n• BAUDOUIN, Olivier, [“Stria by John Chowning : Last Improvements”](http://www.ems-network.org/ems08/papers/baudouin.pdf), Actes de la conférence EMS 08, MINT-OMF, Paris-Sorbonne, 2008.\r\n\r\n• BAUDOUIN, Olivier, “Stria de John Chowning : la complexité programmée ?”, *Journée d’étude La complexité musicale – Autour d’Edgar Morin et de Jean-Claude Risset*, dir. N. Darbon, IDEAT / CNRS / CDMC, décembre 2008.\r\n\r\n• BORGHESAN, Massimo, *Porting di Stria (di John Chowning) in ambiente PC, tesina per il Corso di Sistemi di Elaborazione della Musica (Prof. Giovanni De Poli)*, Università degli Studi di Padova, Facoltà di Ingegneria, 2004 (inédit).\r\n\r\n• BOSSIS, Bruno (2005), “Stria de John Chowning ou l’oxymoron musical : du nombre d’or comme poétique”, dans CASTANET, Pierre-Albert, GAYOU, Evelyne, RISSET, Jean-Claude (éditeurs), *Portraits polychromes*, Paris : Ina – Michel de Maule, 2005, pp. 87-115.\r\n\r\n• CHOWNING, John, livret du disque « The Historical CD of Digital Sound Synthesis. Computer Music Currents 13 », Schott Wergo, WER 20332, 1995.\r\n\r\n• CHOWNING, John, “Fifty Years of Computer Music: Ideas of the Past Speak to the Future”, *Actes de la Conférence Computer Music Modeling and Retrieval. Sense of Sounds*, 4th International Symposium, CMMR 2007, Copenhagen, Denmark, August 27-31, 2007, LNCS 4969, pp. 169–175, 2008.\r\n\r\n• CHOWNING, John, [“Turenas : the realization of a dream”](https://ccrma.stanford.edu/sites/default/files/user/jc/turenas-_the_realization_of_a_dream-3.pdf), *Actes des Journées d’Informatique Musicale*, Université de Saint-Etienne, 25-27 mai, 2011.\r\n\r\n• DAHAN, Kevin, *Enjeux esthétiques de la synthèse sonore*, Mémoire de Maîtrise, Université de Bourgogne, 2001.\r\n\r\n• DAHAN, Kevin, “Surface Tensions: Dynamics of Stria”, *Computer Music Journal* (The Reconstruction of Stria), Fall 2007, Vol. 31, No. 3, pp. 65-74 (Voir aussi le DVD du numéro du Computer Music Journal Winter 2007, Vol. 31, No. 4, contenant les sources pour la reconstruction philologique de l’assemblage, la reconstruction audio et les codes).\r\n\r\n• DAHAN, Kevin, “Reconstructing Stria”, *Proceedings of the ICMC 2007*, International Computer Music Conference, Copenhague, 2007, International Computer Music Association.\r\n\r\n• DODGE, Charles, JERSE, Thomas, *Computer music. Synthesis, Composition, and Performance*, New York, Schirmer Books, 1985.\r\n\r\n• GAYOU, Evelyne, “Entretien entre John Chowning et Evelyne Gayou”, dans CASTANET, Pierre-Albert, GAYOU, Evelyne, RISSET, Jean-Claude (éditeurs), *Portraits polychromes*, Paris : Ina – Michel de Maule, 2005, pp. 7-24.\r\n\r\n• GOEBEL, Johannes, *John Chowning. Turenas, Stria, Phoné, Sabelithe*, Digital Music Digital, Music with computers, Booklet : with an interview recorded on May 8, 1987, transcribed and edited by J. Goebel, Mainz, Schott – Wergo Music Media GmbH, WER 2012-50, 1988.\r\n\r\n• MEANS, Loren, “Interview with John Chowning, by Loren Means”, [*YLEM journal. Artists Using Science and Technology. Chowning, Evans, Gartland-Jones, Hizume, Mathews, Spector, Warwick*](http://www.ylem.org/Journal/2005Iss06&08vol25.pdf), 25(6-8), Computer and Music, Special CD Edition, 2005.\r\n\r\n• MENEGHINI, Matteo, “Stria by John Chowning: analysis of the compositional process”, *Proceedings of the XIV Colloquium on Musical Informatics (XIV CIM 2003)*, Florence, AIMI, 2003, pp. 45-50.\r\n\r\n• MENEGHINI, Matteo, “An Analysis of the Compositional Techniques in John Chowning’s Stria”, *Computer Music Journal* (The Reconstruction of Stria), Fall 2007, Vol. 31, No. 3, pp. 26–37 (Voir aussi le DVD du numéro du Computer Music Journal Winter 2007, Vol. 31, No. 4, contenant les sources pour la reconstruction philologique de l’assemblage, la reconstruction audio et les codes).\r\n\r\n• ORIO, Nicola, ZATTRA, Laura, “Audio Matching for the Philological Analysis of Electroacoustic Music”, *Proceedings of the 2007 International Computer Music Conference*, 2007, pp. 157-164.\r\n\r\n• ORIO, Nicola, ZATTRA, Laura, [“ACAME - Analyse Comparative Automatique de la Musique Electroacoustique”](http://www.musimediane.com/spip.php?article87), Musimédiane n. 4, 2009.\r\n\r\n• RISSET, Jean-Claude, “Sur l’impact de l’œuvre scientifique, technique et musicale de John Chowning”, dans CASTANET, Pierre-Albert, GAYOU, Evelyne, RISSET, Jean-Claude (éditeurs), *Portraits polychromes*, Paris : Ina – Michel de Maule, 2005, pp. 31-59.\r\n\r\n• RIVIERE, Yves, POUILLON, Catherine, *Passage du XXe siècle*, Paris : IRCAM – Arts et Métiers Graphiques, 1976.\r\n\r\n• ROADS, Curtis, [“John Chowning on composition”](http://www.o-art.org/history/LongDur/Chowning.html), *Composers and the computer*, Los Altos CA, Kaufman, 1985, pp. 18-25.\r\n\r\n• ZATTRA, Laura, “The Assembling of Stria by John Chowning: A Philological Investigation”, *Computer Music Journal* (The Reconstruction of Stria), Fall 2007, Vol. 31, No. 3, pp. 38-64 (Voir aussi le DVD du numéro du Computer Music Journal Winter 2007, Vol. 31, No. 4, contenant les sources pour la reconstruction philologique de l’assemblage, la reconstruction audio et les codes).\r\n\r\n**Bibliographie technique**\r\n\r\n• BATTIER, Marc, Le Langage de synthèse Music 10, inédit, Paris, IRCAM, 1982.\r\n\r\n• CHOWNING, John, « The Simulation of Moving Sound Sources», Journal Audio Engineering Society, vol. 19, no 1, 1971, pp. 2-6.\r\n\r\n• CHOWNING, John, [“The Synthesis of Complex Audio Spectra by Means of Frequency Modulation”](https://ccrma.stanford.edu/sites/default/files/user/jc/fm_synthesispaper-2.pdf), Journal of the Audio Engineering Society, 21, pp. 526-534\\. Réédité dans : Computer Music Journal 1(2), 1977\\. Réédité dans : F. Weiland (ed.) 1975, Musical aspects of the Electronic Medium, Utrecht, Institute of Sonology. Réédité dans Computer Music Journal, vol. 1, n.2, 1977, pp. 46-54, Réédité dans : C. Roads & J. Strawn (eds.), Foundations of Computer Music, Cambridge, MIT Press, 1985.\r\n\r\n• CHOWNING, John, “Digital Sound Synthesis, acoustics, and perception : a rich intersection”, *Proceedings of the COST G-6 Conference on Digital Audio Effects* (DAFX-00), Verona, Italy, December 7-9, 2000, pp. 1-6.\r\n\r\n**Remerciements**\r\n\r\nOlivier Baudouin, Massimo Borghesan, Bruno Bossis, Kevin Dahan, Matteo Meneghini,\r\nNicolas Donin, Samuel Goldszmidt, Noémie Sprenger-Ohana et Vincent Tiffon (Equipe APM / Ircam-CNRS),\r\nDouglas Keislar (Editor, Computer Music Journal, MIT Press),\r\nMarc Battier, Roberto Doati, Johannes Goebel, Lev Koblyakov, Toby Mountain, Jean-Claude Risset, Alvise Vidolin, David Wessel et John Chowning.","2016-02-17T00:00:00.000Z","analyse-de-i-stria-i-(1972-1977)-de-john-chowning",{"getUrl":142},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/f1ec9b50-bdc9-4310-bb57-a68217cca878-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=85db373d1c2127eee903b67108bad62236255eff1fc76a2e57cd063d6d90f2ec",{"url":142,"isIcon":11,"alt":136,"centered":37},[145],{"firstName":146,"lastName":147},"Laura","Zattra",{"title":149,"titleEn":150,"text":151,"textFr":152,"textEn":151,"date":153,"type":32,"slug":154,"authors":11,"toc":11,"image":155,"composer":11,"cardImage":157,"cardTitle":149,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":158},"Analyse de \u003Ci>Mortuos plango, vivos voco\u003C/i> (1980) de Jonathan Harvey","Analysis of \u003Ci>Mortuos plango, vivos voco\u003C/i> (1980) by Jonathan Harvey","###Résumé###\r\n\r\nFasciné par l’exploration du timbre à l’aide des outils numériques, Jonathan Harvey a utilisé deux matériaux concrets dans *Mortuos Plango, Vivos Voco* : le son d’une cloche et une voix d’enfant. Conçue pour [definition:16b93a8a-88ff-47b1-bde3-e3fabf188f29][support-fixe], cette œuvre de 1980 est devenue un grand classique de la musique informatique.\r\n\r\nS’appuyant sur une pensée musicale d’une grande complexité, le compositeur nourrit son discours de processus utilisant les ressources informatiques alors disponibles à l’Ircam. Mais loin de tout formalisme stérile, *Mortuos Plango, Vivos Voco* reflète également les préoccupations spirituelles du compositeur anglais. Les influences spectrales et post-sérielles s’y conjuguent pour se mettre au service d’une véritable esthétique de l’ambiguïté.\r\n\r\nCette analyse a bénéficié du concours du compositeur lui-même que l’auteur remercie chaleureusement pour sa patience et sa générosité pendant ce travail et pour sa relecture attentive.\r\n\r\n###Analyse###\r\n\r\n####Introduction####\r\n\r\nReconnu comme l’un des compositeurs anglais contemporains les plus importants par la qualité et l’ampleur de son œuvre et par la profondeur spirituelle de sa pensée, Jonathan Harvey est né en 1939\\. Il est à la fois l’héritier de la tradition sérielle qu’il a recueillie auprès d’Erwin Stein et de celle de la musique vocale anglaise, notamment celle de l’extraordinaire dynamisme des maîtrises et des chœurs d’église en Angleterre. Découvreur infatigable, il s’est passionné aussi bien pour les œuvres novatrices de [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Stockhausen] que pour les nouveaux outils technologiques qu’il a utilisés à l’Ircam à Paris tandis que la spiritualité de ses œuvres fait converger, en toute liberté, les traditions bouddhistes et chrétiennes, les philosophies orientales et occidentales. *Mortuos Plango, Vivos Voco* se situe au carrefour de ces préoccupations structurelles, vocales, technologiques et spirituelles et l’analyse de cette œuvre importante constitue un point de vue privilégié sur l’univers musical du compositeur.\r\n\r\nA la fin des années 1970, le fils de Jonathan Harvey, Dominic, alors âgé d’une dizaine d’années, était choriste dans la maîtrise de la cathédrale de Winchester, ville située au sud-ouest de Londres. Jonathan Harvey, lui-même ancien choriste du Saint Michael’s College de Tenbury, avait déjà composé pour l’ensemble vocal de Winchester et avait souvent eu l’occasion d’écouter les enfants chanter. Parfois, les cloches de la cathédrale sonnaient alors que le chant s’élevait entre les voûtes. Ce mélange impromptu de la pureté des voix d’enfants et de l’appel des cloches avait fortement impressionné le compositeur et, invité par l’Ircam en 1980 à composer une œuvre utilisant l’informatique musicale, il se rappela cette expérience acoustique et choisit de mettre en musique cette rencontre de sources sonores dans une composition faisant appel à la voix de son fils et au son de la grande cloche ténor de la cathédrale de Winchester.\r\n\r\n####Matériaux et principes####\r\n\r\n**Des matériaux sonores concrets**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x49e451\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 1\\. Le spectre de la cloche. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nLa cathédrale de Winchester possède un carillon de douze cloches dont une cloche ténor en *do*. Réalisé en 1937, le carillon actuel a été fondu par Taylors de Loughborough. La cloche ténor avait déjà été refondue lorsque Edward VIII succéda à Georges V en janvier 1936, mais suite à l’abdication de Edward VIII en faveur de son frère Georges VI en décembre de la même année, la dédicace en a été modifiée. Les mots « *Edwardi Octavi* » sont alors effacés et remplacés par « *Georgi Sexti* ».\r\n\r\nDu texte en latin qu’il est possible de lire actuellement sur la cloche *Horas avolantes numero, mortuos plango : vivos ad preces voco : Jam Georgi Sexti jubeor resonare Coronam ; Regis et inscriptum nomen adornat opus. MCM XXX VII.*, Jonathan Harvey a conservé le début, (*Horas avolantes numero, mortuos plango : vivos ad preces voco*, « Je compte les heures qui s’enfuient, je pleure les morts et j’appelle les vivants à la prière »). Le titre de l’œuvre est constitué des derniers mots de cet extrait, mais sans *ad preces* *:* *mortuos plango, vivos voco*.\r\n\r\nDu point de vue acoustique, le son de la cloche, enregistré à Winchester (sur un coup isolé et en volée) possède deux caractéristiques importantes :\r\n\r\n– son enveloppe d’amplitude décroît de manière irrégulière dans le temps comme le montre le relevé de mesure de la figure 1 ;\r\n\r\n– la répartition spectrale de l’énergie n’est pas constante dans le temps car les partiels aigus décroissent beaucoup plus rapidement que les graves. Grâce aux manipulations rendues possibles par l’utilisation des outils informatiques, le compositeur inversera artificiellement cette propriété pour renverser la cloche comme un gant. La figure 2 représente l’évolution dans le temps de la répartition de l’énergie en fonction de la fréquence.\r\n\r\n[image:8e27c2dd-c805-4406-8c51-a084166e5c65]\r\n\r\n**Figure 1\\. Enveloppe d’amplitude du son de la cloche (relevé réalisé par Marc Battier à l’Ircam en 1987)**\r\n\r\n[image:0a35ee00-7fd6-4fb0-9341-e2cd2b1e6a01]\r\n\r\n**Figure 2\\. Les partiels de la cloche et les notes correspondantes**\r\n\r\nDans la figure 2, la note la plus proche de chaque partiel est indiquée. La numérotation des octaves est celle utilisée en France. Le *la* de fréquence 440 Hz est le *la* de la troisième octave, le *la*3.\r\n\r\nLe moment de la frappe, concentrant une grande énergie, produit une diffraction en de nombreuses notes. Le compositeur les appelle des *strike notes* (« notes de percussion »), mais certaines d’entre elles disparaissent très rapidement. Il lui a donc fallu choisir à quel moment l’analyse serait effectuée. Après plusieurs essais, la décision a été prise de réaliser l’analyse à 0,5 seconde après le début, au moment où le son n’est plus perturbé par les transitoires de la frappe tout en n’étant pas encore assourdi par la disparition d’un grand nombre de partiels aigus. Harvey a ensuite retenu *do*3 comme fondamentale et a utilisé les trente-trois premiers partiels. La note *do*2 située à l’octave inférieure est appelée, par les acousticiens et le compositeur, *hum note* (« bourdon »).\r\n\r\nSur la figure 3 apparaissent l’octave inférieure *do*2 en clé de *fa*, puis, en clé de *sol*, la fondamentale *do*3 et les vingt-deux partiels suivants du son de la cloche. Sont indiqués :\r\n\r\n– l’octave de chaque note (*do*2 est le *do* de la deuxième octave...) et une approximation au huitième de ton ;\r\n\r\n– la fréquence en Hertz (*do*2 possède une fréquence de 130 Hz) ;\r\n\r\n– le numéro du partiel (*do*2 est le « bourdon » (*hum*), premier partiel ; *do*3 est la fondamentale, deuxième partiel ; *mi*b3 est le premier partiel, etc.).\r\n\r\n[image:e38a41e2-5d09-4da5-bc1f-7cf7a5adc4a2]\r\n\r\n**Figure 3\\. Les vingt-deux premiers partiels du spectre de la cloche**\r\n\r\nLes mentions « -1/8 », « -1/4 », « +1/8 », « +1/4 » sont utilisés pour indiquer que le son correspondant est abaissé ou haussé d’un huitième ou d’un quart de ton (25 ou 50 cents).\r\n\r\nJonathan Harvey a remarqué qu’une deuxième fondamentale est perceptible : *fa*3\\. En effet, même si *fa*3 ne figure pas lui-même dans les partiels de la cloche, ses premières harmoniques s’y trouvent et induisent à l’audition cette fondamentale virtuelle. L’auditeur entend ainsi une sorte de « deuxième fondamentale » *fa*3 à 347 Hz. Les troisième et quatrième sections qui aboutissent au centre de la pièce se fondent sur cette deuxième fondamentale *fa*3 et son octave supérieure *fa*4\\. Sur la figure 4, cette seconde fondamentale virtuelle est ajoutée en note plus épaisse et marquée d’une flèche. Les harmoniques de *fa* qui existent dans le spectre de la cloche sont encadrées.\r\n\r\n[image:a3a5a41e-a851-45bb-9b2d-b155fb2630ca]\r\n\r\n**Figure 4\\. Les partiels harmoniques de *fa*3 dans les partiels de la cloche**\r\n\r\nEn résumé, prélevé dans la matière acoustique du carillon, le matériau musical élaboré par le compositeur est articulé sur :\r\n\r\n– la fondamentale *do*3 à 260 Hz ;\r\n\r\n– une *hum note* (un bourdon, situé à une octave sous la fondamentale) à 130 Hz (*do*2) ;\r\n\r\n– une seconde fondamentale, due à la richesse spectrale de la cloche. Située sur *fa*3, elle possède une fréquence de 347 Hz.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6993c0\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 2\\. Volée de cloche. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\n**La voix du jeune garçon**\r\n\r\nLe texte « *Horas avolantes numero, mortuos plango : vivos ad preces voco* », gravé sur la cloche, a été enregistré cinq fois par Dominic Harvey sur chacune des notes indiquées par la partition de la figure 5\\. L’ornement situé sur *plango* sera utilisé dans la quatrième section de l’œuvre.\r\n\r\n[image:b56aa657-d6a3-4a03-a0bc-d21fe143c9c0]\r\n\r\n**Figure 5\\. Texte de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa05483\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n** Ecoute 3\\. Le texte chanté sur *Mi*b. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb77820\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n** Ecoute 4\\. L’ornement de *plango*. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nPar ailleurs, la voix du jeune garçon a également été enregistrée sur d’autres gestes vocaux de façon à faciliter le travail ultérieur du compositeur sur les machines de l’Ircam :\r\n\r\n– chaque voyelle, consonne et diphtongue du texte a été chantée séparément sur quelques notes déduites des partiels de la cloche ;\r\n\r\n– quelques consonnes provenant du texte : SH..., S..., H(or)..., V..., R..., CH..., T... ;\r\n\r\n– une courte mélodie chantée représentée sur la figure 6.\r\n\r\n[image:ecdef0af-c942-4018-ac54-0febe3204341]\r\n\r\n** Figure 6\\. Mélodie chantée (d’après un document préparatoire communiqué par le compositeur)**\r\n\r\n**Les outils informatiques utilisés**\r\n\r\nL’importance du choix des outils technologiques est ici primordiale, aussi bien pour les possibilités offertes au compositeur dans son travail d’élaboration que dans le résultat final entendu par l’auditeur. Les interfaces graphiques n’étant pas encore généralisées en 1980, les manipulations sur les logiciels de l’époque étaient souvent rendues fastidieuses par l’emploi d’une syntaxe complexe. Le rôle de Stanley Haynes a donc consisté à mettre en œuvre des procédures difficiles d’accès pour un compositeur.\r\n\r\n**FFT**\r\n\r\nLe premier outil technologique utilisé permet l’analyse spectrale du son en déterminant l’emplacement et l’amplitude de sa fréquence fondamentale et de ses partiels. La transformée de Fourier rapide ou FFT (*Fast Fourier Transform*) est un algorithme permettant de calculer très rapidement cette décomposition d’un signal en ses composantes. Issue de l’Université de Stanford, l’implémentation de la FFT propre à l’Ircam a permis d’analyser le son de la cloche, procédure préliminaire à l’ensemble de la composition de *Mortuos Plango, Vivos Voco*.\r\n\r\n**Music V**\r\n\r\nLe second outil, *Music V*, est un programme qui permet l’enregistrement et la lecture de fichiers sons. Il autorise également la synthèse et le mixage. Ce logiciel a été inventé par Max Mathews en 1969\\. La version utilisée dans *Mortuos Plango, Vivos Voco* est celle de l’Ircam améliorée par John Gardner avant 1977, puis par Jean-Louis Richer qui en a étendu les possibilités en implémentant un nouvel ensemble de routines pour piloter les fichiers sons. Ces progrès ont été largement utilisés pendant la réalisation de la pièce de Jonathan Harvey.\r\n\r\n1– Les sons naturels ont été numérisés par échantillonnage. Les commandes de lecture de *Music V* ont ainsi permis la lecture en boucle, la transposition, les glissandi et la modification de l'enveloppe d'amplitude.\r\n\r\n2– La synthèse additive et le mixage ont été réalisés grâce au logiciel *Music V*.\r\n\r\nA partir de l’analyse FFT, les partiels de la cloche synthétique ont été synthétisés avec des enveloppes d’amplitude choisies par le compositeur. Chaque partiel possède sa propre enveloppe. La durée des partiels peut ainsi être modifiée. Les partiels graves, naturellement plus longs, ont ainsi pu être rendus plus brefs que les partiels aigus.\r\n\r\nToutes les données relatives aux partiels étaient mémorisées et classées dans la mémoire de l’ordinateur. Ainsi, il était possible de générer des transpositions, des compressions ou des inversions temporelles.\r\n\r\n*Music V* permet toutes les transpositions et des glissandi entre deux états sonores. Ces glissandi sont eux-mêmes susceptibles d’être variés. Le glissement entre un état sonore choisi comme attaque et un autre correspondant à l’aboutissement du son fait souvent appel à une note pivot.\r\n\r\n*Music V* permet également la lecture à l’endroit et à l’envers (rétrograde) des fichiers sons. L’écoulement du temps peut ainsi être inversé. La lecture peut librement aller et venir dans les deux sens, à vitesse variable. Une enveloppe d'amplitude de type \"*Fading*\" a été utilisée de façon à éviter les bruits parasites (clicks) au moment du départ et de l'arrêt de chaque lecture. Des effets intéressants ont été obtenus par des oscillations rapides de la lecture. L’allure fréquentielle des attaques est parfois renforcée, ou le rythme des oscillations génère une structure temporelle.\r\n\r\n3– Enfin, *Music V* distribue les sons vers les huit pistes, c’est-à-dire finalement une spatialisation vers les huit haut-parleurs répartis autour du public.\r\n\r\n**CHANT**\r\n\r\nLe troisième et dernier outil informatique utilisé a été le programme *CHANT*, logiciel dédié à l’origine à la synthèse vocale. Contrairement à *Music V* privilégiant ici le modèle additif, *CHANT* s’appuie sur une représentation formantique. Le but est de synthétiser la voix du garçon pour simuler les enregistrements réels. Les limitations de ce type de synthèse viennent de l’impossibilité de reproduire de façon naturelle les multiples petites variations de la voix, notamment le vibrato qui n’est pas constant. Le compositeur précise qu’au début, il lui a été difficile d’obtenir le degré de fluctuation aléatoire et le vibrato rudimentaire correspondant à une voix aiguë pure. Harvey a souvent caché le début d’un son synthétique par un fragment d’un son vocal naturel. L’attaque réaliste rend le son plus ambigu. Les enveloppes de hauteur et d’amplitude ont été parfois copiées sur celles de la cloche. La voix synthétique chante avec les partiels de cloche. Il s’agit de « sons de cloche produits par une voix de garçon ».\r\n\r\nDans chacune des huit sections de l'œuvre, les formants d'une voyelle tirée du texte sont utilisés de manière privilégiée pour les sons de cloche synthétique ou de voix synthétique. *CHANT* permet également des glissandi entre deux sons. La troisième section est à cet égard particulièrement intéressante.\r\n\r\n**Structure de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nL’œuvre est divisée en huit sections enchaînées et basées sur une série de huit notes prises parmi les partiels les plus faciles à entendre dans le son de la cloche, ces huit notes étant déduites directement ou par transposition d’octave des partiels de la cloche. Le début de chaque partie fait clairement entendre la note qui lui est associée grâce à des sons de cloche transposés à partir du son de cloche original, or c’est précisément le spectre de ce son de cloche qui est à l’origine des huit notes. De là une sorte de mise en abîme spectrale, une métacloche dont les partiels sont eux-mêmes des cloches. Il faut cependant remarquer l’inversion des sections cinq et six entre la version réalisée à l’origine sur les huit premières pistes d’un magnétophone 16 pistes et la version achevée en huit pistes pour la spatialisation. L’édition en stéréophonie sur CD est la version corrigée. Les commentaires analytiques ayant été réalisés à partir de la première version sont donc erronés.\r\n\r\n[image:a7162b0d-a63e-49a1-a7ad-09a4075a8260]\r\n\r\n**Figure 7\\. Les huit notes fondamentales des huit sections**\r\n\r\nSelon le compositeur, « chacune des huit sections est annoncée par – et fondée sur – une cloche transposée aux hauteurs indiquées dans [la figure 7], ceci avec toutes les conséquences structurelles des hauteurs secondaires. »\r\n\r\nLa première est basée sur la fondamentale de la cloche tandis que la section finale fait aboutir l’œuvre sur l’octave inférieure. Les huit notes sont déduites des neuf premiers partiels de la cloche, les hauteurs étant ramenées au tempérament égal. Les sections III et IV sont fondées sur *fa*, quatrième degré (sous-dominante si le contexte était tonal) de la gamme diatonique basée sur *do*, la fondamentale de la cloche. Les notes par lesquelles débutent les sections V, VI et VII forment l’accord de septième de dominante construit sur cette sous-dominante (c’est-à-dire *fa*-*la*-*do*-*mib*). Une telle insistance sur la sous-dominante tend à donner à la pièce une coloration plagale. Par ailleurs, l’accord de septième de dominante indique une tendance « bémolisante » dans les dernières parties de l’œuvre. Ces deux constatations sont à rapprocher de la profonde admiration du compositeur pour les musiques non tonales comme le plain-chant. Jonathan Harvey crée ainsi une atmosphère musicale suggérant très librement le lieu qui a donné naissance à cette œuvre : la cathédrale de Winchester.\r\n\r\nLes enregistrements ne donnant pas le repérage par section, le tableau suivant indique l’instant de départ de chaque section.\r\n\r\n[image:e2b90607-6044-4959-8cf6-5a68bdf733c2]\r\n\r\n**Tableau 1\\. Repérage du début des huit sections**\r\n\r\nIl est aisé de constater que les sections extrêmes sont beaucoup plus longues. Elles inscrivent l’ensemble sur deux solides piliers temporels. De plus, les durées sont approximativement en proportion inverse de la fréquence. En effet, une telle proportionnalité impliquerait, pour une durée de 100” correspondant à la fréquence 260 Hz du *do*3 à la première section, une durée de 200” à la huitième section pour la fréquence 130 Hz du *do*2\\. L’irrégularité de ce rapport temps/espace est constitutive de la poétique même de l’œuvre. Le choix a d’abord porté sur le résultat musical. \r\n\r\nLe graphique de la figure 8 met en évidence l’architecture de l’œuvre. Les durées et les valeurs temporelles indiquées seront toujours celles relevées sur les enregistrements sur CD qui sont tous issus de la même copie numérique. Les deux sections extrêmes sont à la fois plus longues et plus graves. Plus généralement, la durée dépend de la hauteur des notes fondamentales de chaque section. Or les fondamentales de chaque section sont déduites des partiels découverts lors de l’analyse de la cloche. *Mortuos Plango, Vivos Voco* met ainsi en relation le spectre de la cloche de la cathédrale de Winchester avec les notes fondamentales de chaque section, mais aussi avec les durées de ces dernières.\r\n\r\n[image:a1c80b30-1af8-4fc9-81ef-b0378e07ebbe]\r\n\r\n**Figure 8\\. Comparaison des durées et des hauteurs pour les huit sections**\r\n\r\nEn outre, dans chacune des huit sections de l’œuvre, les formants d’une voyelle tirée du texte sont utilisés de manière privilégiée grâce au logiciel CHANT pour créer les sons de cloche synthétique ou de voix synthétique (tableau 2).\r\n\r\n[image:cc316f26-03cb-4d1a-976d-b256ce259b87]\r\n\r\n**Tableau 2\\. Correspondance voyelles/sections**\r\n\r\n**La spatialisation**\r\n\r\n*Mortuos Plango, Vivos Voco* est enregistré sur huit pistes correspondant à huit haut-parleurs qui doivent être disposés tout autour des auditeurs. La spatialisation étant conçue comme une écriture musicale élaborée avec précision, le compositeur a repéré chacun des huit haut-parleurs :\r\n\r\n– L signifie *left* (gauche) ;\r\n\r\n– R signifie *right* (droite) ;\r\n\r\n– le haut-parleur situé face aux auditeurs est numéroté L7 ;\r\n\r\n– le haut-parleur situé derrière les auditeurs est numéroté R8.\r\n\r\n[image:d0327fd3-bf50-48cb-b0e8-b8db6579cf47]\r\n\r\n**Figure 9\\. Disposition des haut-parleurs autour du public**\r\n\r\nSelon le compositeur, la spatialisation des sons place le public à l’intérieur de la cloche, la voix du jeune garçon tournant librement autour. Chaque son est soit fixé dans l’espace, soit mis en mouvement d’un haut-parleur à un autre selon une direction choisie précisément par Harvey dans un espace repéré par quatre points cardinaux. Ce code de représentation est inspiré de celui des brouillons du compositeur. Dans l’exemple de la figure 10, les sons auront tendance à se mouvoir de l’arrière droite à l’avant gauche et réciproquement.\r\n\r\n[image:02c1aca5-2907-40ba-816b-2f74e1c55a47]\r\n\r\n**Figure 10\\. Représentation d’une direction spatiale privilégiée**\r\n\r\nChacune des huit sections de l’œuvre comporte une direction privilégiée différente. Dans une première approche, le compositeur avait utilisé huit possibilités réparties avec symétrie autour de l’articulation entre les sections IV et V. Les deux sections extrêmes possèdent ainsi des directions privilégiées déductibles l’une de l’autre (par rotation à 90°). Les autres directions sont également appariées, mais la symétrie a été en partie perdue par suite de l’inversion entre les sections V et VI.\r\n\r\n[image:59970ed2-70b0-4d24-a287-a19554a966de]\r\n\r\n**Figure 11\\. Directions privilégiées de spatialisation des huit sections**\r\n\r\nLa volonté du compositeur de maîtriser l’écriture se retrouve ainsi dans la mise en espace des sons, mais il ne s’agit pas d’une grammaire rigide, les directions de spatialisation choisies ne sont pas obligatoirement respectées, elles sont seulement privilégiées. Elaborer une construction sophistiquée tout en se réservant la possibilité de retoucher intuitivement à l’organisation musicale est l’un des traits dominants de l’œuvre de Jonathan Harvey.\r\n\r\n####Déploiement de l’œuvre####\r\n\r\n**Première section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7a6f4d\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"444\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 1\\. La première section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nLa première section présente successivement la cloche, la voix et la série génératrice. La voix et la cloche étant entendues avec peu de transformations, le compositeur expose ainsi le matériau sonore qu’il développera tout au long de sa pièce.\r\n\r\n**a. Présentation du son de la cloche : un appel en volée de cloches**\r\n\r\nLe son de la cloche est d’abord entendu transposé sur différentes hauteurs correspondant aux notes déduites de l’analyse fréquentielle de son spectre. Suivant le même procédé que sur l’ensemble des huit sections, chaque partiel de la cloche devient ainsi une nouvelle cloche contenant elle-même une série de partiels dépendant de la transposition. L’ensemble de ces nouvelles cloches forme une volée de cloches, un carillon sur lequel le compositeur installe l’atmosphère spirituelle de la pièce. Cette volée de cloches placée en exergue n’est pas sans suggérer un appel des fidèles à s’approcher du lieu saint.\r\n\r\n**b. Présentation du texte chanté : la voix de la cloche**\r\n\r\nA 16” du début, les voix rejoignent les cloches en formant une trame très dense qui se raréfie peu à peu de façon à préparer la présentation du texte. La voix du garçon expose alors (à 33”) le texte. Il est chanté sur *do*3, note pivot de cette première section et fondamentale de la cloche. Cette voix soliste est accompagnée par un chœur formé de la voix du garçon transformée et d’intensité plus faible.\r\n\r\n**c. Présentation de la mélodie génératrice de la forme**\r\n\r\nA 50” du début, les huit notes formant la mélodie génératrice des huit sections de l’œuvre sont présentées par la mise en évidence successivement de huit partiels de la cloche synthétique, mais dans un ordre légèrement différent puisque l’ordre original, avant l’inversion des cinquième et sixième sections, était *do*, *sol*, *fa*, *fa*, *la*, *do*, *mib*, *do*. De plus, la *hum note* *do*2 commence très tôt de façon à former un soutien dans le grave.\r\n\r\n[image:cf21bacc-cd63-41b3-9396-7847350b8a2d]\r\n\r\n**Figure 12\\. Cloches synthétiques de la première section (d’après un document préparatoire du compositeur)**\r\n\r\nLa figure 12 représente un brouillon du compositeur sur lequel des flèches sont ajoutées pour indiquer les départs des nouveaux sons au milieu des sons précédents.\r\n\r\nContrairement au rapport inversement proportionnel des hauteurs et des durées sur l’ensemble de la pièce, les durées sont ici proportionnelles aux hauteurs. Le *do*2 dure 14” alors que le *do*3 ne dure que 7”. Les instants de départ correspondent au milieu du son précédent. Par exemple, le deuxième son sur *sol*4 démarre à 3,5”, c’est-à-dire lorsque le premier son sur *do*3 est rendu au milieu de sa durée (qui est de 7”). Le timbre de la cloche semble ainsi se déployer dans le temps, liant intimement la forme au timbre.\r\n\r\n**d. Nouvelle présentation de la cloche**\r\n\r\nA 1’01”, le texte est de nouveau présenté sous forme de chant *recto tono*. Cette fois, il est accompagné par un ensemble de transformations vocales formant un chœur polyphonique par des intonations et des tempi différents.\r\n\r\n**e. Deuxième présentation de la mélodie par les partiels de la cloche**\r\n\r\nPour conclure la première section, les présentations de la voix et de la mélodie sont réitérées. Les parties appelées a, b, c, d, e s’enchaînent donc de la façon suivante :\r\n\r\n[image:619e5a0d-9e54-4822-8179-c9eabb24ea37]\r\n\r\n**Tableau 3\\. Plan de la première section**\r\n\r\nLe dernier son de cette première section est composé de la voyelle « o » émise sur *fa*3 puis de la consonne « t ». Cette consonne, accentuée dynamiquement, prépare le travail sur les consonnes de la section suivante. Ce type d’anticipation est fréquent à la fin des sections. Ce processus permet d’éviter une juxtaposition trop brutale des sections.\r\n\r\n**Deuxième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x186e8f\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"474\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 2\\. La deuxième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nLa deuxième section est fondée sur la note *sol*4\\. Un coup de cloche introduit la section puis la texture sonore comprend une cloche synthétique mixée avec la cloche naturelle transposée, et avec la voix de façon à mettre en évidence des battements dus aux différences de phase entre les signaux. Une réverbération et une lecture à vitesse variable des fichiers de sons ont été appliquées avec *Music V*. La voix poursuit par l’émission d’un *mib*4 puis d’un *sol*4 contenus dans le spectre de la cloche et une cloche aiguë transposée sur *sib* complète l’accord (à 19” du début de cette deuxième section). La volonté de fusion des deux sons dans le spectre de la cloche est ici évidente.\r\n\r\nSur cette nappe harmonique en decrescendo, à 12,5” puis 17”, le compositeur a placé une accumulation de consonnes. Ces attaques brusques contrastent avec le son harmonique soutenu.\r\n\r\nA 23” (à 2’03” du début de l’œuvre), un épisode de transformation progressive de la voix naturelle (sur « *Pre* ») vers la cloche de synthèse fait entendre une autre manière de fusionner la voix et la cloche. \r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4da8be\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n** Ecoute 5\\. Interpolation de la voix vers la cloche. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nIl s’agit d’un *morphing*, d’une « transmutation » sonore dans laquelle un son, en changeant peu à peu de personnalité, se transforme progressivement en un autre son. Le principe acoustique de cette transformation réside dans la mise en correspondance des partiels des deux sons. En réalité, une voix synthétique réalisée avec le programme *CHANT* prend le relais de la voix naturelle de façon à pouvoir manipuler plus facilement les partiels dans *Music V*.\r\n\r\n[image:0fcb651c-4f4e-4991-971b-540db03b3bde]\r\n\r\n**Figure 13 : Transformation progressive du timbre**\r\n\r\nUn premier glissando de la cloche (à 2’11” du début de l’œuvre) conclut la deuxième section et prépare la troisième.\r\n\r\n**Troisième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf2a5b6\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"450\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 3\\. La troisième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nComme la fin de la section précédente l’annonçait, cette troisième section met en valeur les possibilités expressives des glissandi de cloche. Le *fa*3 de la cloche introduit cette section à 2’13” à partir du début de l’œuvre en énonçant sa note de base. Chacune des trois parties de cette section est basée sur une série de glissandi : huit puis trois puis un seul glissando, brusquement interrompus (à 24”) par une volée de cloches qui forme une ponctuation. Une nouvelle scansion apparaît (à 52”) par la battue d’une cloche sur un *do*3 puis un *fa*4 abaissé d’environ un quart de ton.\r\n\r\nIl est aisé de repérer les glissandi sur le sonagramme de la figure 14\\. Les traits obliques représentent les glissements des partiels. Cette fois, le compositeur n’utilise pas seulement la décomposition du spectre, mais il la fait vivre de façon dynamique. Mais ces glissandi ne sont pas de simples translations de hauteur réalisées par *Music V*. Afin d’éviter un parallélisme trop évident, le compositeur a choisi des tranches de spectre différentes comme sons initiaux et finaux. La note centrale ainsi définie constitue le pivot de la modulation.\r\n\r\nLe dernier glissando commençant à 52” et qui forme à lui seul le contenu de la troisième partie de cette troisième section est plus lent que les autres et donc plus aisé à apprécier par l’écoute. Le compositeur a pris comme son de départ une partie des partiels de la cloche, ici les partiels de 13 à 20, puis il a conservé intact le partiel 13 choisi comme note pivot. Celui-ci n’est donc pas transposé. Le tableau 4 donne les caractéristiques du son de départ.\r\n\r\nLe son d’arrivée est basé sur une autre série de partiels du même son de cloche, les partiels 7 à 14\\. Cette nouvelle série de partiels permet au compositeur de définir un modèle pour le timbre terminant le glissando (tableau 5).\r\n\r\nLe partiel 7, choisi par le compositeur comme continuation de la note pivot, doit donc être placé à la même hauteur que le partiel 13 (1 220 Hz) qui est la note pivot du son de départ du glissando. Les autres partiels du son d’arrivée sont calculés à partir de cette note pivot tout en conservant les intervalles relatifs au sein de la série servant de modèle. La série de partiels initiale étant de rang plus élevé que la série cible, les intervalles vont s’élargir puisque les intervalles entre les partiels sont inversement proportionnels à leur rang (les partiels les plus aigus sont généralement plus resserrés que les partiels graves).\r\n\r\n[image:374b8f00-25aa-4131-8f3b-8417b8018481]\r\n\r\n**Figure 14\\. Sonagramme de la troisième section**\r\n\r\n[image:38385228-c68c-414e-bb0f-ec4f4e4d8df2]\r\n\r\n**Tableau 4\\. Son de départ du glissando final de la troisième section**\r\n\r\n[image:d5aefbcd-8896-4051-9349-5645860a98ea]\r\n\r\n**Tableau 5\\. Caractéristiques du modèle de fin**\r\n\r\nUne fois appliqués les intervalles de la série de partiels du son du modèle de l’arrivée à partir du partiel pivot à 1 220 Hz, le son d’arrivée comporte donc les partiels indiqués par le tableau 6\\. Entre le son de départ et celui d’arrivée, le glissando se fait par une interpolation linéaire de chaque partiel, interpolation se traduisant par les traits obliques sur le sonagramme de la figure 14 et les flèches sur la figure 15\\. De manière simplifiée, il est donc possible de schématiser le dernier glissando de la section comme sur la figure 15 à comparer à la partie droite de la figure 14.\r\n\r\n[image:d416e4b4-f0e2-4585-acf2-6a95ab823a4b]\r\n\r\n**Tableau 6\\. Son d’arrivée du glissando**\r\n\r\n[image:d9009b9d-2bd4-4c30-9c3b-3718b0e64813]\r\n\r\n**Figure 15\\. Glissando spectral**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa1cb40\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 6\\. le grand glissando spectral à la fin de la troisième section. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nIl ne s’agit donc pas d’une transposition de hauteur avec un timbre conservé, mais d’un glissando timbrique possédant un effet acoustique de transposition de hauteur. Le compositeur précise : \r\n\r\n*Ainsi je modulais d’une cloche à l’autre, d’une grande cloche à une plus petite, par un procédé consistant à faire glisser des sons sinusoïdaux avec l’ordinateur. C’était un spectralisme modulant, et le spectralisme a pris une importance considérable dans mes idées à cette époque. Il s’agissait, bien entendu, d’un geste visant l’intégration ; et le spectralisme reste peut-être le plus important en tant que grammaire à la fin de l’évolution musicale de ce siècle.*[^whittall]\r\n\r\nDans la troisième section, douze glissandi spectraux sont ainsi distribués en trois parties séparées par deux ponctuations de battues de cloche :\r\n\r\n– 1ère partie : huit glissandi construits sur les partiels pivots : 4, 8, 14, 17, 10, 9, 19, 12 ;\r\n\r\n– 2ème partie : trois glissandi avec les partiels pivots : 4, 9, 16 ;\r\n\r\n– 3ème partie : un glissando avec le partiel pivot : 13.\r\n\r\nLes glissandi spectraux de la première partie enchaînent leurs partiels pivots alors que ceux de la deuxième partie sont indépendants et seulement juxtaposés au mixage. Cette troisième section, dans laquelle la voix est absente, a été construite en totalité sur les sons de cloche en glissandi ponctués par des coups de cloche.\r\n\r\n**Quatrième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6a7d24\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"423\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 4\\. La quatrième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nLa quatrième section est encadrée par deux glissandi obtenus par le même procédé de pivot (cette fois le partiel 4) que dans la section précédente. L’enchaînement au glissando conclusif est particulièrement brutal. Un glissando de très faible intensité et situé dans les fréquences élevées parcourt la section entière. Cette section commence à 3’30” du début de l’œuvre par la première voyelle du mot *plango*. Dans l’enregistrement original, le jeune garçon chantait *recto tono* sauf à cet endroit où une brève ornementation sous forme d’une broderie à la tierce mineure supérieure apparaît (*cf.* Figure 5). Cette broderie ouvre la quatrième section aussitôt suivie d’une battue de cloche sur la même note (*fa*4) qui prolonge la voix d’une longue et étrange résonance.\r\n\r\nLa plus grande partie de cette quatrième section s’articule autour de l’ambiguïté des timbres. La voix et la cloche synthétisées, tout en restant proches des sons naturels, ont permis au compositeur de manipuler plus facilement les partiels des deux sons et de passer insensiblement de l’un à l’autre. Pour le compositeur qui a écrit sur un brouillon de préparation « *Bell of boys, boy of bells* », la cloche semble être faite avec la voix du garçon tandis que le matériau créateur du timbre de la voix du garçon paraît provenir de sons de cloches. Cette quatrième section très statique semble toute entière consister en une longue résonance de l’ornementation vocale énoncée au début sur « *plan* » (de *plango*).\r\n\r\n**Cinquième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd4b990\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"389\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 5\\. La cinquième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nUn bref silence débouche sur la brusque attaque d’un son synthétique à 4’09” à partir du début de l’œuvre. Cette attaque marque le début de la cinquième section dans laquelle chaque partiel de la voix naturelle a été isolé puis mémorisé dans un fichier informatique.\r\n\r\nCinq glissandi spectraux obtenus par le même procédé de partiel pivot que dans la section III sont répartis en quatre glissandi descendants successifs suivis d’un glissando ascendant commençant à 35” du début de la section. Les partiels pivots de ces glissandi spectraux (Cf. l’analyse de la troisième section) sont 4, 7, 9, 13 et 20\\. La voix intervient en colorant la texture harmonique et par l’utilisation répétée du mot *Preces. *Les deux syllabes de *Preces* (à 20”) ont été transposées de façon à former un mouvement mélodique descendant : *do*4, *do*3\\. Ce geste mélodique possède une allure cadentielle et est réitéré une fois (à 26”).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7aa85c\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 7\\. Le mot *Preces*. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\n*Preces* veut dire « prière ». La mise en valeur de ce mot par sa situation et par sa mélodie cadentielle affirme l’atmosphère spirituelle de l’ensemble de la pièce et plus particulièrement de cette section méditative. Situé au milieu de la pièce (à 4’31” sur 8’56”), il en constitue le centre de gravité. Ce passage apparaît comme le climax d’une œuvre mettant en scène la pureté de l’enfant et tournée vers la spiritualité d’un lieu de prière. La cloche représente la matérialité de l’église et appelle le peuple de Dieu à la prière : *Vivos ad Preces Voco* (« J’appelle les vivants ») tandis que la voix du jeune garçon semble suggérer une symbolisation du chrétien se présentant devant Dieu avec l’humilité du petit enfant. Pour le compositeur, cette idée est une évocation générale et ne donne pas lieu à un véritablement argument programmatique pour la pièce.\r\n\r\n**Sixième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x527cf3\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"438\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 6\\. La sixième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nCette section commence à 4’58” du début de l’œuvre avec une battue de la cloche sur *la*4 prolongée pendant 19” par un carillon basé sur quelques coups de cloches constituées de partiels synthétisés. La voix de synthèse réalisée avec le programme *CHANT*, jusqu’alors très lointaine, devient ensuite plus présente autour de la voyelle « a ». A 26” à partir du début de la section, les fichiers de la voix de synthèse commencent à être lus alternativement en avant et en arrière grâce à *Music V*.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5f925e\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 8\\. Lecture en avant et en arrière. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nSuit un passage virtuose sur de très courts fragments vocaux contenant des voyelles et des consonnes (à 31”). Le résultat sonore est un geste vocal proche de celui d’une vocalise de soprano colorature.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6d5a0c\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 9\\. Geste virtuose de la voix. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nUn traitement identique est ensuite appliqué à la cloche (à 33”).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8b070d\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 10\\. Geste virtuose de la cloche. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nLa forme de cette section est bipartite, les cloches occupant la première partie tandis que les voix investissent la deuxième. La transition entre les deux parties est assurée par une enveloppe d’amplitude dessinant un crescendo immédiatement suivi d’un decrescendo. La conclusion évoque la volée de partiels de la première partie.\r\n\r\nQuelques éléments rappellent les sections précédentes :\r\n\r\n– le glissando du début utilise les mêmes processus d’élaboration que les glissandi spectraux de la troisième section. Ces glissandi sont présents dans toutes les parties qui suivent leur première apparition et renforcent la cohérence de l’ensemble de l’œuvre en donnant à entendre un motif spectral aisément repérable et mémorisable ;\r\n\r\n– la section est introduite, comme toutes les autres, par un coup de cloche, autre élément de cohérence, émis à la hauteur de la note propre à la section, ici un *la*4 (voir les notes générant chaque section, figure 7).\r\n\r\nEn revanche, le rythme de déclenchement de lecture des fichiers, notamment l’apparition du motif de colorature, contraste fortement avec la section précédente très méditative.\r\n\r\n**Septième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9d0505\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"436\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 7\\. La septième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nUn réservoir d’accords donne lieu à un développement dans la partie centrale de cette avant-dernière section. Elle peut se décomposer en une introduction (A), une partie centrale (B) et une conclusion (C).\r\n\r\nA – L’introduction de la section fait entendre un coup de cloche transposée sur *mib*3 (à 5’34” du début de l’œuvre) puis une lecture en avant et en arrière du fichier informatique correspondant.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x891425\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 11\\. Introduction de la section 7\\. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nB – Après une transition brutale à 9”, la résonance du son de cloche sur *mib*3 est mis en boucle pendant toute la durée de la section et forme ainsi une texture de soutien pour tous les accords qui vont suivre.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe70c55\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 12\\. Transition brutale. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nCette boucle démarre avec un enregistrement de voix naturelle sur « *go* » (de *plango*), évolue vers une voix synthétique puis fait entendre une cloche synthétique et enfin une cloche naturelle. La boucle est parcourue alternativement en avant et en arrière, reprenant ainsi un processus initié dans la section précédente. La plus grande partie de la section est basée sur une série de huit accords formés de partiels de la voyelle « *o* » tirée du mot *voco*. Les accords forment des cloches possédant un spectre de voix de garçon, des *bells of boy*.\r\n\r\nLe tableau 7 montre ces huit accords donnés par les fréquences (exprimées en Hz) de leurs notes. On peut remarquer que la note la plus grave est un *do*2 (130 Hz) qui correspond à la *hum note* (note de bourdon de la cloche). Ces huit accords sont répartis en quatre séquences successives à partir de 9” après le début de la section (tableau 8). De plus, des transpositions interviennent en décalage par rapport aux extrémités des séquences. Dans le tableau 9, les transpositions sont données en fonction de la fondamentale *do*3 (260 Hz) de la cloche. Ces accords ne sont pas juxtaposés brutalement, mais enchaînés progressivement (*crossfading*) de telle façon qu’ils deviennent une trame sonore mouvante.\r\n\r\nC – La coda de cette section est formée par une lecture en avant – en arrière.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe6ce95\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 13\\. Lecture avant-arrière entre cloche et voix. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nCe procédé déjà utilisé dans l’introduction de cette septième section, mais ici, quatre sons successifs sont enchaînés dans l’algorithme de *Music V* : cloche naturelle, cloche synthétique, voix synthétique et voix naturelle. Le son produit par la voix naturelle est la voyelle « *o* » de *Voco*, voyelle privilégiée déjà utilisée pour former les accords de la partie centrale de cette section.\r\n\r\n[image:fd556296-0c01-4575-b040-63e3cc3fbdf3]\r\n[image:c3e1e9ec-0733-4718-9617-434fe70bf4b7]\r\n\r\n**Tableau 7\\. Les huit accords de la septième section**\r\n\r\nLa septième section met en valeur le jeu sur l’ambiguïté entre la voix de garçon et le son de la cloche, d’une part en formant des accords-cloches basés sur les partiels de la voyelle « *o* » et d’autre part en introduisant des allées et venues dans la lecture d’un fichier informatique contenant des sons de cloche et de voix. Ce dernier procédé sera prolongé en decrescendo au début de la section finale et formera alors une transition entre les deux sections enchaînées.\r\n\r\n[image:f4df6301-7537-49ac-8f42-63e80411f5e3]\r\n\r\n**Tableau 8\\. Les quatre séquences d’accords (les valeurs temporelles entre parenthèses indiquent approximativement l’instant de début des séquences)**\r\n\r\n[image:517a3f7c-c1fe-4fba-aa7e-e4b6992ec424]\r\n\r\n**Tableau 9\\. Les quatre séquences d’accords et les transpositions (la présence de la voix dans certains accords est indiquée par un « V ». Un « X » dans une case indique l’absence de cet accord dans la séquence en cours)**\r\n\r\n**Huitième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7a1ebb\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"398\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 8\\. La hutième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nLa huitième et dernière section débute à 6’32” du début de l’œuvre. Cette fois, la cloche a été transposée d’une octave vers le grave en modifiant la vitesse de lecture de la bande analogique originale. La fondamentale se trouve ainsi transposée sur *do*2 à la fréquence de 130 Hz. Cette section finale rappelle symétriquement la première section par la volée de cloches qui, comme le texte gravé sur la cloche l’indique, « compte les heures qui s’enfuient », « pleure les morts » et « appelle les vivants à la prière ». Cette volée disparaît après un dernier coup à 1’39” du début de la section.\r\n\r\nUn accord de la voix ponctue huit fois de façon irrégulière la volée de cloche. Cet accord est construit grâce à la lecture de huit sons vocaux naturels, des « *um* » (de *numero*) transposés sur les fréquences de huit partiels de la cloche lue à demi vitesse. Les fréquences ayant été mesurées de nouveau à partir du son deux fois plus grave obtenu, les différences qu’il est aisé de constater entre les fréquences indiquées sur la figure 3 (523/2, 690/2, 700/2, etc. ) et celles relevées sur le tableau 10 proviennent de l’imprécision des mesures effectuées à l’époque.\r\n\r\nLa fin de l’œuvre est basée sur le mouvement de lecture alterné avant – arrière des sons de cloche avec des enveloppes d’amplitude modifiées. 1’28” après le début de la section, deux cloches artificielles très lentes apparaissent progressivement (les partiels graves d’abord). Elles sont basées sur un *do*2 (130 Hz) et un *do*3 (260 Hz).\r\n\r\nC’est sur le spectre inharmonique très riche de la cloche ténor de la cathédrale de Winchester que toute l’œuvre est fondée, c’est en le faisant entendre qu’elle s’achève. A propos du decrescendo final, le compositeur évoque une conclusion musicale suggérant la paix intérieure qui s’impose au fidèle sous ces voûtes habitées par les voix des choristes.\r\n\r\n[image:0fed1d57-0e52-4060-a69c-48f12dd732d1]\r\n\r\n**Tableau 10 : Les partiels formant les notes des accords de la voix**\r\n\r\n[image:162d6f96-f185-420e-8a25-5f154035becb]\r\n\r\n**Légende des sonogrammes**\r\n\r\n####Conclusion####\r\n\r\nDans cette œuvre, Jonathan Harvey a mis en perspective les timbres de la voix et de la cloche en utilisant aussi bien la richesse de chacun de ces sons que les nombreuses possibilités de leur mise en relation. La musique extrêmement dense et construite reste cependant accessible à une première écoute grâce à la beauté des spectres fréquentiels contenus dans les sons naturels et artificiels et à l’architecture clairement mise en évidence. Le spectralisme a pris une importance considérable pour Jonathan Harvey.\r\n\r\nIl est également aisé de constater à quel point le compositeur a structuré son œuvre par des procédés combinatoires sur les hauteurs (les notes générant chaque section par exemple), les timbres (les glissandi spectraux par note pivot de la troisième section) et les durées (le rapport entre la hauteur des notes fondamentales et la durée de chaque section). Sa deuxième pièce réalisée à l’Ircam, *[work:e5cbc946-3609-47c7-b5d8-a777413243a6][Bhakti] *(1982), présente des traits similaires, notamment dans le neuvième mouvement. L’influence de son maître [composer:56ee4c9d-f018-44b5-8082-d253ae576dda][Milton Babbitt], rencontré à l’Université de Princeton en 1969-1970 est ici déterminante.\r\n\r\nPar ailleurs, il n’est pas inutile de rapprocher *Mortuos Plango, Vivos Voco* de *[work:0697a1bd-5532-41d8-9729-62618eedfbda][Gesang der Jünglinge]* et de *[work:7c46e048-22b8-4fb2-99a1-e360d6df40f8][Telemusik]*. Ces deux pièces ont été composées bien avant *Mortuos Plango, Vivos Voco* par [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Karlheinz Stockhausen]. Datant de 1956 et composée au studio de Cologne, *[work:0697a1bd-5532-41d8-9729-62618eedfbda][Gesang der Jünglinge]* est l’une des premières œuvres de l’histoire de l’électroacoustique à mettre en relation des sons électroniques et des sons enregistrés. Plus de vingt ans avant *Mortuos Plango, Vivos Voco*, la voix y constitue un élément essentiel de l’expression musicale dans une composition réalisée avec des machines. Mais si l’œuvre de [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Stockhausen] est conçue à l’aide d’une technologie analogique et sans pouvoir utiliser des méthodes d’analyse-synthèse, Jonathan Harvey s’appuie sur l’ordinateur et l’analyse spectrale. Bien que toutes les deux soient d’inspiration chrétienne, les deux œuvres se différencient par le choix et le traitement des textes. Dix ans après *[work:0697a1bd-5532-41d8-9729-62618eedfbda][Gesang der Jünglinge]*, [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Stockhausen] compose *[work:7c46e048-22b8-4fb2-99a1-e360d6df40f8][Telemusik]* pour bande seule au *Studio for electronic music* de la radio japonaise NHK. La version originale était spatialisée sur cinq canaux et, comme *Mortuos Plango, Vivos Voco* elle fait largement appel aux transformations de sons concrets. De plus, comme l’œuvre de Jonathan Harvey, chacune des trente-deux sections de *[work:7c46e048-22b8-4fb2-99a1-e360d6df40f8][Telemusik]* commence par un son percussif. Mais contrairement à *Mortuos Plango, Vivos Voco*, la logique interne de l’œuvre de [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Stockhausen] ne repose pas sur une série de hauteurs issue d’une analyse acoustique. Ce sont les percussions traditionnelles japonaises ouvrant chaque section qui préfigurent par la longueur de leur résonance la durée de chacune d’entre elles. Parmi ces percussions, le Taku, l’instrument le moins résonnant, marque le début de la section la plus courte (13”). Enfin, les transformations sonores de *[work:7c46e048-22b8-4fb2-99a1-e360d6df40f8][Telemusik]* sont assurées par des dispositifs électroniques comme les filtres, les modulateurs d’amplitude ou à anneau. L’informatique n’est pas utilisée. Si les œuvres de Karlheinz Stockhausen et de Jonathan Harvey peuvent être rapprochées puisqu’elles aboutissent à une symbiose d’éléments sonores très différents, elles restent cependant exemplaires des préoccupations techniques et esthétiques propres à leurs créateurs.\r\n\r\nLa dialectique de *Mortuos Plango, Vivos Voco* repose quant à elle sur l’ambiguïté provoquée entre le son de la cloche et celui de la voix du garçon. Jonathan Harvey s’est souvent exprimé sur son intérêt pour l’ambiguïté en mettant en exergue sa fascination pour le jeu entre fusion et fission, entre identité et dualité des timbres, notamment dans son article « Le Miroir de l’ambiguïté » [^harvey], qui a été publié en français dans le recueil de textes réunis par Jean-Baptiste Barrière, *Le Timbre, métaphore pour la composition*, Paris, Ircam, Christian Bourgois, 1991, p. 454-466\\. Mis au service de cet intérêt pour la qualité spectrale du son, l’outil informatique est transcendé par les préoccupations spirituelles du compositeur. La technique devient ainsi un levier permettant d’exprimer une pensée demeurant occidentale, mais fortement imprégnée par une attirance pour un bouddhisme plus humaniste que religieux.\r\n\r\n###Références###\r\n\r\n**Liens**\r\n\r\n* Editeur Faber Music : <http: www.fabermusic.co.uk=\"\">\r\n\r\n**Eléments bibliographiques**\r\n\r\n* Allen, J. Anthony, « Jonathan Harvey, *Mortuos Plango, Vivos Voco*: An Analytical Method for Timbre Analysis and Notation », *Proceedings of the third annual Spark Festival of Electronic Music and Art*, University of Minnesota, Minneapolis, Minnesota, USA, 2005, p. 78-79, et [http://www.janthonyallen.com/compositions/media/Harvey.pdf](http://www.janthonyallen.com/compositions/media/Harvey.pdf) \r\n\r\n* Bossis, Bruno, *Analyse de *Mortuos Plango, Vivos Voco* de Jonathan Harvey*, analyse hypermédia, Paris, serveur de la Médiathèque de l’Ircam, consultation intranet, 2001.\r\n\r\n* Bossis, Bruno, « *Mortuos Plango, Vivos Voco* de Jonathan Harvey ou le miroir de la spiritualité », *Musurgia*, vol. XI, numéro double 1-2, 2004, p. 119-144.\r\n\r\n* Bossis, Bruno, *La Voix et la machine, la vocalité artificielle dans la musique contemporaine*, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, collection Æsthetica, 2005.\r\n\r\n* Clarke, Michael, « Jonathan Harvey’s *Mortuos Plango, Vivos Voco* », *Analytical Methods of Electroacoustic Music*, Londres, Routledge, 2006, p. 111-143.\r\n\r\n* Dirks, Patricia Lynn, « An Analysis of Jonathan Harvey’s *Mortuos Plango, Vivos Voco* », *eContact!*, 9.2, mars 2007, [http://econtact.ca/9_2/dirks.html](http://econtact.ca/9_2/dirks.html) \r\n\r\n* Harvey, Jonathan, « Reflection after composition », *Tempo*, n° 140, 1982, p. 2-4.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, « The Mirror of Ambiguity », *The language of Electroacoustic Music*, Londres, Macmillan, 1986, p. 175-190.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, « Le Miroir de l’ambiguïté », *Le Timbre, métaphore pour la composition*, recueil de textes réunis par Jean-Baptiste Barrière, Paris, Ircam, Christian Bourgois, 1991, p. 454-466.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, « The Metaphysics of Live Electronics », *Contemporary Music Review*, 8/3 (1999), p. 79-82.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, *In Quest of Spirit*, Berkeley, University of California Press, 1999.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, *Music and Inspiration*, Londres, Faber and Faber, 1999.\r\n\r\n* Whittall, Arnold, *Jonathan Harvey*, Londres, Faber and Faber, 1999\\. Traduction française sous le même titre par Eric de Visscher, L’Harmattan, Ircam-Centre Georges Pompidou, 2000.\r\n\r\n**Eléments discographiques**\r\n\r\n* *Dufourt, Ferneyhough, Harvey, Höller*, Erato, Erato, ECD 88261, 1984-1985.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, *Tombeau de Messiean* ; *Mortuos Plango, Vivos voco* (remixed 1999) ; *Four images after yeats* ; *Ritual Melodies*, Sargasso, SCD28029, 1999.\r\n\r\n* *Computer Music Currents 5*, Wergo, WER 20252, 2006.\r\n\r\n* Unknown Public, UPCD 01 (cité sur le catalogue Faber)\r\n\r\n* Sargasso, 28044 (cité sur le catalogue Faber)\r\n\r\n**© photo de Jonathan Harvey : Jane Shircliff.**\r\n\r\n[^whittall]: Whittall, Arnold, *Jonathan Harvey*, Londres, Faber and Faber, 1999\\. Traduction française sous le même titre par Eric de Visscher, L’Harmattan, Ircam-Centre Georges Pompidou, 2000, p. 44.\r\n[^harvey]: Harvey, Jonathan, « Le Miroir de l’ambiguïté », *Le Timbre, métaphore pour la composition*, recueil de textes réunis par Jean-Baptiste Barrière, Paris, Ircam, Christian Bourgois, 1991, p. 454-466.","###Résumé###\r\n\r\nFasciné par l’exploration du timbre à l’aide des outils numériques, Jonathan Harvey a utilisé deux matériaux concrets dans *Mortuos Plango, Vivos Voco* : le son d’une cloche et une voix d’enfant. Conçue pour [definition:16b93a8a-88ff-47b1-bde3-e3fabf188f29][support-fixe], cette œuvre de 1980 est devenue un grand classique de la musique informatique.\r\n\r\nS’appuyant sur une pensée musicale d’une grande complexité, le compositeur nourrit son discours de processus utilisant les ressources informatiques alors disponibles à l’Ircam. Mais loin de tout formalisme stérile, *Mortuos Plango, Vivos Voco* reflète également les préoccupations spirituelles du compositeur anglais. Les influences spectrales et post-sérielles s’y conjuguent pour se mettre au service d’une véritable esthétique de l’ambiguïté.\r\n\r\nCette analyse a bénéficié du concours du compositeur lui-même que l’auteur remercie chaleureusement pour sa patience et sa générosité pendant ce travail et pour sa relecture attentive.\r\n\r\n###Analyse###\r\n\r\n####Introduction####\r\n\r\nReconnu comme l’un des compositeurs anglais contemporains les plus importants par la qualité et l’ampleur de son œuvre et par la profondeur spirituelle de sa pensée, Jonathan Harvey est né en 1939\\. Il est à la fois l’héritier de la tradition sérielle qu’il a recueillie auprès d’Erwin Stein et de celle de la musique vocale anglaise, notamment celle de l’extraordinaire dynamisme des maîtrises et des chœurs d’église en Angleterre. Découvreur infatigable, il s’est passionné aussi bien pour les œuvres novatrices de [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Stockhausen] que pour les nouveaux outils technologiques qu’il a utilisés à l’Ircam à Paris tandis que la spiritualité de ses œuvres fait converger, en toute liberté, les traditions bouddhistes et chrétiennes, les philosophies orientales et occidentales. *Mortuos Plango, Vivos Voco* se situe au carrefour de ces préoccupations structurelles, vocales, technologiques et spirituelles et l’analyse de cette œuvre importante constitue un point de vue privilégié sur l’univers musical du compositeur.\r\n\r\nA la fin des années 1970, le fils de Jonathan Harvey, Dominic, alors âgé d’une dizaine d’années, était choriste dans la maîtrise de la cathédrale de Winchester, ville située au sud-ouest de Londres. Jonathan Harvey, lui-même ancien choriste du Saint Michael’s College de Tenbury, avait déjà composé pour l’ensemble vocal de Winchester et avait souvent eu l’occasion d’écouter les enfants chanter. Parfois, les cloches de la cathédrale sonnaient alors que le chant s’élevait entre les voûtes. Ce mélange impromptu de la pureté des voix d’enfants et de l’appel des cloches avait fortement impressionné le compositeur et, invité par l’Ircam en 1980 à composer une œuvre utilisant l’informatique musicale, il se rappela cette expérience acoustique et choisit de mettre en musique cette rencontre de sources sonores dans une composition faisant appel à la voix de son fils et au son de la grande cloche ténor de la cathédrale de Winchester.\r\n\r\n####Matériaux et principes####\r\n\r\n**Des matériaux sonores concrets**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x49e451\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 1\\. Le spectre de la cloche. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nLa cathédrale de Winchester possède un carillon de douze cloches dont une cloche ténor en *do*. Réalisé en 1937, le carillon actuel a été fondu par Taylors de Loughborough. La cloche ténor avait déjà été refondue lorsque Edward VIII succéda à Georges V en janvier 1936, mais suite à l’abdication de Edward VIII en faveur de son frère Georges VI en décembre de la même année, la dédicace en a été modifiée. Les mots « *Edwardi Octavi* » sont alors effacés et remplacés par « *Georgi Sexti* ».\r\n\r\nDu texte en latin qu’il est possible de lire actuellement sur la cloche *Horas avolantes numero, mortuos plango : vivos ad preces voco : Jam Georgi Sexti jubeor resonare Coronam ; Regis et inscriptum nomen adornat opus. MCM XXX VII.*, Jonathan Harvey a conservé le début, (*Horas avolantes numero, mortuos plango : vivos ad preces voco*, « Je compte les heures qui s’enfuient, je pleure les morts et j’appelle les vivants à la prière »). Le titre de l’œuvre est constitué des derniers mots de cet extrait, mais sans *ad preces* *:* *mortuos plango, vivos voco*.\r\n\r\nDu point de vue acoustique, le son de la cloche, enregistré à Winchester (sur un coup isolé et en volée) possède deux caractéristiques importantes :\r\n\r\n– son enveloppe d’amplitude décroît de manière irrégulière dans le temps comme le montre le relevé de mesure de la figure 1 ;\r\n\r\n– la répartition spectrale de l’énergie n’est pas constante dans le temps car les partiels aigus décroissent beaucoup plus rapidement que les graves. Grâce aux manipulations rendues possibles par l’utilisation des outils informatiques, le compositeur inversera artificiellement cette propriété pour renverser la cloche comme un gant. La figure 2 représente l’évolution dans le temps de la répartition de l’énergie en fonction de la fréquence.\r\n\r\n[image:8e27c2dd-c805-4406-8c51-a084166e5c65]\r\n\r\n**Figure 1\\. Enveloppe d’amplitude du son de la cloche (relevé réalisé par Marc Battier à l’Ircam en 1987)**\r\n\r\n[image:0a35ee00-7fd6-4fb0-9341-e2cd2b1e6a01]\r\n\r\n**Figure 2\\. Les partiels de la cloche et les notes correspondantes**\r\n\r\nDans la figure 2, la note la plus proche de chaque partiel est indiquée. La numérotation des octaves est celle utilisée en France. Le *la* de fréquence 440 Hz est le *la* de la troisième octave, le *la*3.\r\n\r\nLe moment de la frappe, concentrant une grande énergie, produit une diffraction en de nombreuses notes. Le compositeur les appelle des *strike notes* (« notes de percussion »), mais certaines d’entre elles disparaissent très rapidement. Il lui a donc fallu choisir à quel moment l’analyse serait effectuée. Après plusieurs essais, la décision a été prise de réaliser l’analyse à 0,5 seconde après le début, au moment où le son n’est plus perturbé par les transitoires de la frappe tout en n’étant pas encore assourdi par la disparition d’un grand nombre de partiels aigus. Harvey a ensuite retenu *do*3 comme fondamentale et a utilisé les trente-trois premiers partiels. La note *do*2 située à l’octave inférieure est appelée, par les acousticiens et le compositeur, *hum note* (« bourdon »).\r\n\r\nSur la figure 3 apparaissent l’octave inférieure *do*2 en clé de *fa*, puis, en clé de *sol*, la fondamentale *do*3 et les vingt-deux partiels suivants du son de la cloche. Sont indiqués :\r\n\r\n– l’octave de chaque note (*do*2 est le *do* de la deuxième octave...) et une approximation au huitième de ton ;\r\n\r\n– la fréquence en Hertz (*do*2 possède une fréquence de 130 Hz) ;\r\n\r\n– le numéro du partiel (*do*2 est le « bourdon » (*hum*), premier partiel ; *do*3 est la fondamentale, deuxième partiel ; *mi*b3 est le premier partiel, etc.).\r\n\r\n[image:e38a41e2-5d09-4da5-bc1f-7cf7a5adc4a2]\r\n\r\n**Figure 3\\. Les vingt-deux premiers partiels du spectre de la cloche**\r\n\r\nLes mentions « -1/8 », « -1/4 », « +1/8 », « +1/4 » sont utilisés pour indiquer que le son correspondant est abaissé ou haussé d’un huitième ou d’un quart de ton (25 ou 50 cents).\r\n\r\nJonathan Harvey a remarqué qu’une deuxième fondamentale est perceptible : *fa*3\\. En effet, même si *fa*3 ne figure pas lui-même dans les partiels de la cloche, ses premières harmoniques s’y trouvent et induisent à l’audition cette fondamentale virtuelle. L’auditeur entend ainsi une sorte de « deuxième fondamentale » *fa*3 à 347 Hz. Les troisième et quatrième sections qui aboutissent au centre de la pièce se fondent sur cette deuxième fondamentale *fa*3 et son octave supérieure *fa*4\\. Sur la figure 4, cette seconde fondamentale virtuelle est ajoutée en note plus épaisse et marquée d’une flèche. Les harmoniques de *fa* qui existent dans le spectre de la cloche sont encadrées.\r\n\r\n[image:a3a5a41e-a851-45bb-9b2d-b155fb2630ca]\r\n\r\n**Figure 4\\. Les partiels harmoniques de *fa*3 dans les partiels de la cloche**\r\n\r\nEn résumé, prélevé dans la matière acoustique du carillon, le matériau musical élaboré par le compositeur est articulé sur :\r\n\r\n– la fondamentale *do*3 à 260 Hz ;\r\n\r\n– une *hum note* (un bourdon, situé à une octave sous la fondamentale) à 130 Hz (*do*2) ;\r\n\r\n– une seconde fondamentale, due à la richesse spectrale de la cloche. Située sur *fa*3, elle possède une fréquence de 347 Hz.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6993c0\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 2\\. Volée de cloche. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\n**La voix du jeune garçon**\r\n\r\nLe texte « *Horas avolantes numero, mortuos plango : vivos ad preces voco* », gravé sur la cloche, a été enregistré cinq fois par Dominic Harvey sur chacune des notes indiquées par la partition de la figure 5\\. L’ornement situé sur *plango* sera utilisé dans la quatrième section de l’œuvre.\r\n\r\n[image:b56aa657-d6a3-4a03-a0bc-d21fe143c9c0]\r\n\r\n**Figure 5\\. Texte de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa05483\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n** Ecoute 3\\. Le texte chanté sur *Mi*b. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb77820\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n** Ecoute 4\\. L’ornement de *plango*. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nPar ailleurs, la voix du jeune garçon a également été enregistrée sur d’autres gestes vocaux de façon à faciliter le travail ultérieur du compositeur sur les machines de l’Ircam :\r\n\r\n– chaque voyelle, consonne et diphtongue du texte a été chantée séparément sur quelques notes déduites des partiels de la cloche ;\r\n\r\n– quelques consonnes provenant du texte : SH..., S..., H(or)..., V..., R..., CH..., T... ;\r\n\r\n– une courte mélodie chantée représentée sur la figure 6.\r\n\r\n[image:ecdef0af-c942-4018-ac54-0febe3204341]\r\n\r\n** Figure 6\\. Mélodie chantée (d’après un document préparatoire communiqué par le compositeur)**\r\n\r\n**Les outils informatiques utilisés**\r\n\r\nL’importance du choix des outils technologiques est ici primordiale, aussi bien pour les possibilités offertes au compositeur dans son travail d’élaboration que dans le résultat final entendu par l’auditeur. Les interfaces graphiques n’étant pas encore généralisées en 1980, les manipulations sur les logiciels de l’époque étaient souvent rendues fastidieuses par l’emploi d’une syntaxe complexe. Le rôle de Stanley Haynes a donc consisté à mettre en œuvre des procédures difficiles d’accès pour un compositeur.\r\n\r\n**FFT**\r\n\r\nLe premier outil technologique utilisé permet l’analyse spectrale du son en déterminant l’emplacement et l’amplitude de sa fréquence fondamentale et de ses partiels. La transformée de Fourier rapide ou FFT (*Fast Fourier Transform*) est un algorithme permettant de calculer très rapidement cette décomposition d’un signal en ses composantes. Issue de l’Université de Stanford, l’implémentation de la FFT propre à l’Ircam a permis d’analyser le son de la cloche, procédure préliminaire à l’ensemble de la composition de *Mortuos Plango, Vivos Voco*.\r\n\r\n**Music V**\r\n\r\nLe second outil, *Music V*, est un programme qui permet l’enregistrement et la lecture de fichiers sons. Il autorise également la synthèse et le mixage. Ce logiciel a été inventé par Max Mathews en 1969\\. La version utilisée dans *Mortuos Plango, Vivos Voco* est celle de l’Ircam améliorée par John Gardner avant 1977, puis par Jean-Louis Richer qui en a étendu les possibilités en implémentant un nouvel ensemble de routines pour piloter les fichiers sons. Ces progrès ont été largement utilisés pendant la réalisation de la pièce de Jonathan Harvey.\r\n\r\n1– Les sons naturels ont été numérisés par échantillonnage. Les commandes de lecture de *Music V* ont ainsi permis la lecture en boucle, la transposition, les glissandi et la modification de l'enveloppe d'amplitude.\r\n\r\n2– La synthèse additive et le mixage ont été réalisés grâce au logiciel *Music V*.\r\n\r\nA partir de l’analyse FFT, les partiels de la cloche synthétique ont été synthétisés avec des enveloppes d’amplitude choisies par le compositeur. Chaque partiel possède sa propre enveloppe. La durée des partiels peut ainsi être modifiée. Les partiels graves, naturellement plus longs, ont ainsi pu être rendus plus brefs que les partiels aigus.\r\n\r\nToutes les données relatives aux partiels étaient mémorisées et classées dans la mémoire de l’ordinateur. Ainsi, il était possible de générer des transpositions, des compressions ou des inversions temporelles.\r\n\r\n*Music V* permet toutes les transpositions et des glissandi entre deux états sonores. Ces glissandi sont eux-mêmes susceptibles d’être variés. Le glissement entre un état sonore choisi comme attaque et un autre correspondant à l’aboutissement du son fait souvent appel à une note pivot.\r\n\r\n*Music V* permet également la lecture à l’endroit et à l’envers (rétrograde) des fichiers sons. L’écoulement du temps peut ainsi être inversé. La lecture peut librement aller et venir dans les deux sens, à vitesse variable. Une enveloppe d'amplitude de type \"*Fading*\" a été utilisée de façon à éviter les bruits parasites (clicks) au moment du départ et de l'arrêt de chaque lecture. Des effets intéressants ont été obtenus par des oscillations rapides de la lecture. L’allure fréquentielle des attaques est parfois renforcée, ou le rythme des oscillations génère une structure temporelle.\r\n\r\n3– Enfin, *Music V* distribue les sons vers les huit pistes, c’est-à-dire finalement une spatialisation vers les huit haut-parleurs répartis autour du public.\r\n\r\n**CHANT**\r\n\r\nLe troisième et dernier outil informatique utilisé a été le programme *CHANT*, logiciel dédié à l’origine à la synthèse vocale. Contrairement à *Music V* privilégiant ici le modèle additif, *CHANT* s’appuie sur une représentation formantique. Le but est de synthétiser la voix du garçon pour simuler les enregistrements réels. Les limitations de ce type de synthèse viennent de l’impossibilité de reproduire de façon naturelle les multiples petites variations de la voix, notamment le vibrato qui n’est pas constant. Le compositeur précise qu’au début, il lui a été difficile d’obtenir le degré de fluctuation aléatoire et le vibrato rudimentaire correspondant à une voix aiguë pure. Harvey a souvent caché le début d’un son synthétique par un fragment d’un son vocal naturel. L’attaque réaliste rend le son plus ambigu. Les enveloppes de hauteur et d’amplitude ont été parfois copiées sur celles de la cloche. La voix synthétique chante avec les partiels de cloche. Il s’agit de « sons de cloche produits par une voix de garçon ».\r\n\r\nDans chacune des huit sections de l'œuvre, les formants d'une voyelle tirée du texte sont utilisés de manière privilégiée pour les sons de cloche synthétique ou de voix synthétique. *CHANT* permet également des glissandi entre deux sons. La troisième section est à cet égard particulièrement intéressante.\r\n\r\n**Structure de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nL’œuvre est divisée en huit sections enchaînées et basées sur une série de huit notes prises parmi les partiels les plus faciles à entendre dans le son de la cloche, ces huit notes étant déduites directement ou par transposition d’octave des partiels de la cloche. Le début de chaque partie fait clairement entendre la note qui lui est associée grâce à des sons de cloche transposés à partir du son de cloche original, or c’est précisément le spectre de ce son de cloche qui est à l’origine des huit notes. De là une sorte de mise en abîme spectrale, une métacloche dont les partiels sont eux-mêmes des cloches. Il faut cependant remarquer l’inversion des sections cinq et six entre la version réalisée à l’origine sur les huit premières pistes d’un magnétophone 16 pistes et la version achevée en huit pistes pour la spatialisation. L’édition en stéréophonie sur CD est la version corrigée. Les commentaires analytiques ayant été réalisés à partir de la première version sont donc erronés.\r\n\r\n[image:a7162b0d-a63e-49a1-a7ad-09a4075a8260]\r\n\r\n**Figure 7\\. Les huit notes fondamentales des huit sections**\r\n\r\nSelon le compositeur, « chacune des huit sections est annoncée par – et fondée sur – une cloche transposée aux hauteurs indiquées dans [la figure 7], ceci avec toutes les conséquences structurelles des hauteurs secondaires. »\r\n\r\nLa première est basée sur la fondamentale de la cloche tandis que la section finale fait aboutir l’œuvre sur l’octave inférieure. Les huit notes sont déduites des neuf premiers partiels de la cloche, les hauteurs étant ramenées au tempérament égal. Les sections III et IV sont fondées sur *fa*, quatrième degré (sous-dominante si le contexte était tonal) de la gamme diatonique basée sur *do*, la fondamentale de la cloche. Les notes par lesquelles débutent les sections V, VI et VII forment l’accord de septième de dominante construit sur cette sous-dominante (c’est-à-dire *fa*-*la*-*do*-*mib*). Une telle insistance sur la sous-dominante tend à donner à la pièce une coloration plagale. Par ailleurs, l’accord de septième de dominante indique une tendance « bémolisante » dans les dernières parties de l’œuvre. Ces deux constatations sont à rapprocher de la profonde admiration du compositeur pour les musiques non tonales comme le plain-chant. Jonathan Harvey crée ainsi une atmosphère musicale suggérant très librement le lieu qui a donné naissance à cette œuvre : la cathédrale de Winchester.\r\n\r\nLes enregistrements ne donnant pas le repérage par section, le tableau suivant indique l’instant de départ de chaque section.\r\n\r\n[image:e2b90607-6044-4959-8cf6-5a68bdf733c2]\r\n\r\n**Tableau 1\\. Repérage du début des huit sections**\r\n\r\nIl est aisé de constater que les sections extrêmes sont beaucoup plus longues. Elles inscrivent l’ensemble sur deux solides piliers temporels. De plus, les durées sont approximativement en proportion inverse de la fréquence. En effet, une telle proportionnalité impliquerait, pour une durée de 100” correspondant à la fréquence 260 Hz du *do*3 à la première section, une durée de 200” à la huitième section pour la fréquence 130 Hz du *do*2\\. L’irrégularité de ce rapport temps/espace est constitutive de la poétique même de l’œuvre. Le choix a d’abord porté sur le résultat musical. \r\n\r\nLe graphique de la figure 8 met en évidence l’architecture de l’œuvre. Les durées et les valeurs temporelles indiquées seront toujours celles relevées sur les enregistrements sur CD qui sont tous issus de la même copie numérique. Les deux sections extrêmes sont à la fois plus longues et plus graves. Plus généralement, la durée dépend de la hauteur des notes fondamentales de chaque section. Or les fondamentales de chaque section sont déduites des partiels découverts lors de l’analyse de la cloche. *Mortuos Plango, Vivos Voco* met ainsi en relation le spectre de la cloche de la cathédrale de Winchester avec les notes fondamentales de chaque section, mais aussi avec les durées de ces dernières.\r\n\r\n[image:a1c80b30-1af8-4fc9-81ef-b0378e07ebbe]\r\n\r\n**Figure 8\\. Comparaison des durées et des hauteurs pour les huit sections**\r\n\r\nEn outre, dans chacune des huit sections de l’œuvre, les formants d’une voyelle tirée du texte sont utilisés de manière privilégiée grâce au logiciel CHANT pour créer les sons de cloche synthétique ou de voix synthétique (tableau 2).\r\n\r\n[image:cc316f26-03cb-4d1a-976d-b256ce259b87]\r\n\r\n**Tableau 2\\. Correspondance voyelles/sections**\r\n\r\n**La spatialisation**\r\n\r\n*Mortuos Plango, Vivos Voco* est enregistré sur huit pistes correspondant à huit haut-parleurs qui doivent être disposés tout autour des auditeurs. La spatialisation étant conçue comme une écriture musicale élaborée avec précision, le compositeur a repéré chacun des huit haut-parleurs :\r\n\r\n– L signifie *left* (gauche) ;\r\n\r\n– R signifie *right* (droite) ;\r\n\r\n– le haut-parleur situé face aux auditeurs est numéroté L7 ;\r\n\r\n– le haut-parleur situé derrière les auditeurs est numéroté R8.\r\n\r\n[image:d0327fd3-bf50-48cb-b0e8-b8db6579cf47]\r\n\r\n**Figure 9\\. Disposition des haut-parleurs autour du public**\r\n\r\nSelon le compositeur, la spatialisation des sons place le public à l’intérieur de la cloche, la voix du jeune garçon tournant librement autour. Chaque son est soit fixé dans l’espace, soit mis en mouvement d’un haut-parleur à un autre selon une direction choisie précisément par Harvey dans un espace repéré par quatre points cardinaux. Ce code de représentation est inspiré de celui des brouillons du compositeur. Dans l’exemple de la figure 10, les sons auront tendance à se mouvoir de l’arrière droite à l’avant gauche et réciproquement.\r\n\r\n[image:02c1aca5-2907-40ba-816b-2f74e1c55a47]\r\n\r\n**Figure 10\\. Représentation d’une direction spatiale privilégiée**\r\n\r\nChacune des huit sections de l’œuvre comporte une direction privilégiée différente. Dans une première approche, le compositeur avait utilisé huit possibilités réparties avec symétrie autour de l’articulation entre les sections IV et V. Les deux sections extrêmes possèdent ainsi des directions privilégiées déductibles l’une de l’autre (par rotation à 90°). Les autres directions sont également appariées, mais la symétrie a été en partie perdue par suite de l’inversion entre les sections V et VI.\r\n\r\n[image:59970ed2-70b0-4d24-a287-a19554a966de]\r\n\r\n**Figure 11\\. Directions privilégiées de spatialisation des huit sections**\r\n\r\nLa volonté du compositeur de maîtriser l’écriture se retrouve ainsi dans la mise en espace des sons, mais il ne s’agit pas d’une grammaire rigide, les directions de spatialisation choisies ne sont pas obligatoirement respectées, elles sont seulement privilégiées. Elaborer une construction sophistiquée tout en se réservant la possibilité de retoucher intuitivement à l’organisation musicale est l’un des traits dominants de l’œuvre de Jonathan Harvey.\r\n\r\n####Déploiement de l’œuvre####\r\n\r\n**Première section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7a6f4d\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"444\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 1\\. La première section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nLa première section présente successivement la cloche, la voix et la série génératrice. La voix et la cloche étant entendues avec peu de transformations, le compositeur expose ainsi le matériau sonore qu’il développera tout au long de sa pièce.\r\n\r\n**a. Présentation du son de la cloche : un appel en volée de cloches**\r\n\r\nLe son de la cloche est d’abord entendu transposé sur différentes hauteurs correspondant aux notes déduites de l’analyse fréquentielle de son spectre. Suivant le même procédé que sur l’ensemble des huit sections, chaque partiel de la cloche devient ainsi une nouvelle cloche contenant elle-même une série de partiels dépendant de la transposition. L’ensemble de ces nouvelles cloches forme une volée de cloches, un carillon sur lequel le compositeur installe l’atmosphère spirituelle de la pièce. Cette volée de cloches placée en exergue n’est pas sans suggérer un appel des fidèles à s’approcher du lieu saint.\r\n\r\n**b. Présentation du texte chanté : la voix de la cloche**\r\n\r\nA 16” du début, les voix rejoignent les cloches en formant une trame très dense qui se raréfie peu à peu de façon à préparer la présentation du texte. La voix du garçon expose alors (à 33”) le texte. Il est chanté sur *do*3, note pivot de cette première section et fondamentale de la cloche. Cette voix soliste est accompagnée par un chœur formé de la voix du garçon transformée et d’intensité plus faible.\r\n\r\n**c. Présentation de la mélodie génératrice de la forme**\r\n\r\nA 50” du début, les huit notes formant la mélodie génératrice des huit sections de l’œuvre sont présentées par la mise en évidence successivement de huit partiels de la cloche synthétique, mais dans un ordre légèrement différent puisque l’ordre original, avant l’inversion des cinquième et sixième sections, était *do*, *sol*, *fa*, *fa*, *la*, *do*, *mib*, *do*. De plus, la *hum note* *do*2 commence très tôt de façon à former un soutien dans le grave.\r\n\r\n[image:cf21bacc-cd63-41b3-9396-7847350b8a2d]\r\n\r\n**Figure 12\\. Cloches synthétiques de la première section (d’après un document préparatoire du compositeur)**\r\n\r\nLa figure 12 représente un brouillon du compositeur sur lequel des flèches sont ajoutées pour indiquer les départs des nouveaux sons au milieu des sons précédents.\r\n\r\nContrairement au rapport inversement proportionnel des hauteurs et des durées sur l’ensemble de la pièce, les durées sont ici proportionnelles aux hauteurs. Le *do*2 dure 14” alors que le *do*3 ne dure que 7”. Les instants de départ correspondent au milieu du son précédent. Par exemple, le deuxième son sur *sol*4 démarre à 3,5”, c’est-à-dire lorsque le premier son sur *do*3 est rendu au milieu de sa durée (qui est de 7”). Le timbre de la cloche semble ainsi se déployer dans le temps, liant intimement la forme au timbre.\r\n\r\n**d. Nouvelle présentation de la cloche**\r\n\r\nA 1’01”, le texte est de nouveau présenté sous forme de chant *recto tono*. Cette fois, il est accompagné par un ensemble de transformations vocales formant un chœur polyphonique par des intonations et des tempi différents.\r\n\r\n**e. Deuxième présentation de la mélodie par les partiels de la cloche**\r\n\r\nPour conclure la première section, les présentations de la voix et de la mélodie sont réitérées. Les parties appelées a, b, c, d, e s’enchaînent donc de la façon suivante :\r\n\r\n[image:619e5a0d-9e54-4822-8179-c9eabb24ea37]\r\n\r\n**Tableau 3\\. Plan de la première section**\r\n\r\nLe dernier son de cette première section est composé de la voyelle « o » émise sur *fa*3 puis de la consonne « t ». Cette consonne, accentuée dynamiquement, prépare le travail sur les consonnes de la section suivante. Ce type d’anticipation est fréquent à la fin des sections. Ce processus permet d’éviter une juxtaposition trop brutale des sections.\r\n\r\n**Deuxième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x186e8f\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"474\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 2\\. La deuxième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nLa deuxième section est fondée sur la note *sol*4\\. Un coup de cloche introduit la section puis la texture sonore comprend une cloche synthétique mixée avec la cloche naturelle transposée, et avec la voix de façon à mettre en évidence des battements dus aux différences de phase entre les signaux. Une réverbération et une lecture à vitesse variable des fichiers de sons ont été appliquées avec *Music V*. La voix poursuit par l’émission d’un *mib*4 puis d’un *sol*4 contenus dans le spectre de la cloche et une cloche aiguë transposée sur *sib* complète l’accord (à 19” du début de cette deuxième section). La volonté de fusion des deux sons dans le spectre de la cloche est ici évidente.\r\n\r\nSur cette nappe harmonique en decrescendo, à 12,5” puis 17”, le compositeur a placé une accumulation de consonnes. Ces attaques brusques contrastent avec le son harmonique soutenu.\r\n\r\nA 23” (à 2’03” du début de l’œuvre), un épisode de transformation progressive de la voix naturelle (sur « *Pre* ») vers la cloche de synthèse fait entendre une autre manière de fusionner la voix et la cloche. \r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4da8be\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n** Ecoute 5\\. Interpolation de la voix vers la cloche. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nIl s’agit d’un *morphing*, d’une « transmutation » sonore dans laquelle un son, en changeant peu à peu de personnalité, se transforme progressivement en un autre son. Le principe acoustique de cette transformation réside dans la mise en correspondance des partiels des deux sons. En réalité, une voix synthétique réalisée avec le programme *CHANT* prend le relais de la voix naturelle de façon à pouvoir manipuler plus facilement les partiels dans *Music V*.\r\n\r\n[image:0fcb651c-4f4e-4991-971b-540db03b3bde]\r\n\r\n**Figure 13 : Transformation progressive du timbre**\r\n\r\nUn premier glissando de la cloche (à 2’11” du début de l’œuvre) conclut la deuxième section et prépare la troisième.\r\n\r\n**Troisième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf2a5b6\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"450\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 3\\. La troisième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nComme la fin de la section précédente l’annonçait, cette troisième section met en valeur les possibilités expressives des glissandi de cloche. Le *fa*3 de la cloche introduit cette section à 2’13” à partir du début de l’œuvre en énonçant sa note de base. Chacune des trois parties de cette section est basée sur une série de glissandi : huit puis trois puis un seul glissando, brusquement interrompus (à 24”) par une volée de cloches qui forme une ponctuation. Une nouvelle scansion apparaît (à 52”) par la battue d’une cloche sur un *do*3 puis un *fa*4 abaissé d’environ un quart de ton.\r\n\r\nIl est aisé de repérer les glissandi sur le sonagramme de la figure 14\\. Les traits obliques représentent les glissements des partiels. Cette fois, le compositeur n’utilise pas seulement la décomposition du spectre, mais il la fait vivre de façon dynamique. Mais ces glissandi ne sont pas de simples translations de hauteur réalisées par *Music V*. Afin d’éviter un parallélisme trop évident, le compositeur a choisi des tranches de spectre différentes comme sons initiaux et finaux. La note centrale ainsi définie constitue le pivot de la modulation.\r\n\r\nLe dernier glissando commençant à 52” et qui forme à lui seul le contenu de la troisième partie de cette troisième section est plus lent que les autres et donc plus aisé à apprécier par l’écoute. Le compositeur a pris comme son de départ une partie des partiels de la cloche, ici les partiels de 13 à 20, puis il a conservé intact le partiel 13 choisi comme note pivot. Celui-ci n’est donc pas transposé. Le tableau 4 donne les caractéristiques du son de départ.\r\n\r\nLe son d’arrivée est basé sur une autre série de partiels du même son de cloche, les partiels 7 à 14\\. Cette nouvelle série de partiels permet au compositeur de définir un modèle pour le timbre terminant le glissando (tableau 5).\r\n\r\nLe partiel 7, choisi par le compositeur comme continuation de la note pivot, doit donc être placé à la même hauteur que le partiel 13 (1 220 Hz) qui est la note pivot du son de départ du glissando. Les autres partiels du son d’arrivée sont calculés à partir de cette note pivot tout en conservant les intervalles relatifs au sein de la série servant de modèle. La série de partiels initiale étant de rang plus élevé que la série cible, les intervalles vont s’élargir puisque les intervalles entre les partiels sont inversement proportionnels à leur rang (les partiels les plus aigus sont généralement plus resserrés que les partiels graves).\r\n\r\n[image:374b8f00-25aa-4131-8f3b-8417b8018481]\r\n\r\n**Figure 14\\. Sonagramme de la troisième section**\r\n\r\n[image:38385228-c68c-414e-bb0f-ec4f4e4d8df2]\r\n\r\n**Tableau 4\\. Son de départ du glissando final de la troisième section**\r\n\r\n[image:d5aefbcd-8896-4051-9349-5645860a98ea]\r\n\r\n**Tableau 5\\. Caractéristiques du modèle de fin**\r\n\r\nUne fois appliqués les intervalles de la série de partiels du son du modèle de l’arrivée à partir du partiel pivot à 1 220 Hz, le son d’arrivée comporte donc les partiels indiqués par le tableau 6\\. Entre le son de départ et celui d’arrivée, le glissando se fait par une interpolation linéaire de chaque partiel, interpolation se traduisant par les traits obliques sur le sonagramme de la figure 14 et les flèches sur la figure 15\\. De manière simplifiée, il est donc possible de schématiser le dernier glissando de la section comme sur la figure 15 à comparer à la partie droite de la figure 14.\r\n\r\n[image:d416e4b4-f0e2-4585-acf2-6a95ab823a4b]\r\n\r\n**Tableau 6\\. Son d’arrivée du glissando**\r\n\r\n[image:d9009b9d-2bd4-4c30-9c3b-3718b0e64813]\r\n\r\n**Figure 15\\. Glissando spectral**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa1cb40\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 6\\. le grand glissando spectral à la fin de la troisième section. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nIl ne s’agit donc pas d’une transposition de hauteur avec un timbre conservé, mais d’un glissando timbrique possédant un effet acoustique de transposition de hauteur. Le compositeur précise : \r\n\r\n*Ainsi je modulais d’une cloche à l’autre, d’une grande cloche à une plus petite, par un procédé consistant à faire glisser des sons sinusoïdaux avec l’ordinateur. C’était un spectralisme modulant, et le spectralisme a pris une importance considérable dans mes idées à cette époque. Il s’agissait, bien entendu, d’un geste visant l’intégration ; et le spectralisme reste peut-être le plus important en tant que grammaire à la fin de l’évolution musicale de ce siècle.*[^whittall]\r\n\r\nDans la troisième section, douze glissandi spectraux sont ainsi distribués en trois parties séparées par deux ponctuations de battues de cloche :\r\n\r\n– 1ère partie : huit glissandi construits sur les partiels pivots : 4, 8, 14, 17, 10, 9, 19, 12 ;\r\n\r\n– 2ème partie : trois glissandi avec les partiels pivots : 4, 9, 16 ;\r\n\r\n– 3ème partie : un glissando avec le partiel pivot : 13.\r\n\r\nLes glissandi spectraux de la première partie enchaînent leurs partiels pivots alors que ceux de la deuxième partie sont indépendants et seulement juxtaposés au mixage. Cette troisième section, dans laquelle la voix est absente, a été construite en totalité sur les sons de cloche en glissandi ponctués par des coups de cloche.\r\n\r\n**Quatrième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6a7d24\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"423\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 4\\. La quatrième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nLa quatrième section est encadrée par deux glissandi obtenus par le même procédé de pivot (cette fois le partiel 4) que dans la section précédente. L’enchaînement au glissando conclusif est particulièrement brutal. Un glissando de très faible intensité et situé dans les fréquences élevées parcourt la section entière. Cette section commence à 3’30” du début de l’œuvre par la première voyelle du mot *plango*. Dans l’enregistrement original, le jeune garçon chantait *recto tono* sauf à cet endroit où une brève ornementation sous forme d’une broderie à la tierce mineure supérieure apparaît (*cf.* Figure 5). Cette broderie ouvre la quatrième section aussitôt suivie d’une battue de cloche sur la même note (*fa*4) qui prolonge la voix d’une longue et étrange résonance.\r\n\r\nLa plus grande partie de cette quatrième section s’articule autour de l’ambiguïté des timbres. La voix et la cloche synthétisées, tout en restant proches des sons naturels, ont permis au compositeur de manipuler plus facilement les partiels des deux sons et de passer insensiblement de l’un à l’autre. Pour le compositeur qui a écrit sur un brouillon de préparation « *Bell of boys, boy of bells* », la cloche semble être faite avec la voix du garçon tandis que le matériau créateur du timbre de la voix du garçon paraît provenir de sons de cloches. Cette quatrième section très statique semble toute entière consister en une longue résonance de l’ornementation vocale énoncée au début sur « *plan* » (de *plango*).\r\n\r\n**Cinquième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd4b990\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"389\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 5\\. La cinquième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nUn bref silence débouche sur la brusque attaque d’un son synthétique à 4’09” à partir du début de l’œuvre. Cette attaque marque le début de la cinquième section dans laquelle chaque partiel de la voix naturelle a été isolé puis mémorisé dans un fichier informatique.\r\n\r\nCinq glissandi spectraux obtenus par le même procédé de partiel pivot que dans la section III sont répartis en quatre glissandi descendants successifs suivis d’un glissando ascendant commençant à 35” du début de la section. Les partiels pivots de ces glissandi spectraux (Cf. l’analyse de la troisième section) sont 4, 7, 9, 13 et 20\\. La voix intervient en colorant la texture harmonique et par l’utilisation répétée du mot *Preces. *Les deux syllabes de *Preces* (à 20”) ont été transposées de façon à former un mouvement mélodique descendant : *do*4, *do*3\\. Ce geste mélodique possède une allure cadentielle et est réitéré une fois (à 26”).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7aa85c\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 7\\. Le mot *Preces*. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\n*Preces* veut dire « prière ». La mise en valeur de ce mot par sa situation et par sa mélodie cadentielle affirme l’atmosphère spirituelle de l’ensemble de la pièce et plus particulièrement de cette section méditative. Situé au milieu de la pièce (à 4’31” sur 8’56”), il en constitue le centre de gravité. Ce passage apparaît comme le climax d’une œuvre mettant en scène la pureté de l’enfant et tournée vers la spiritualité d’un lieu de prière. La cloche représente la matérialité de l’église et appelle le peuple de Dieu à la prière : *Vivos ad Preces Voco* (« J’appelle les vivants ») tandis que la voix du jeune garçon semble suggérer une symbolisation du chrétien se présentant devant Dieu avec l’humilité du petit enfant. Pour le compositeur, cette idée est une évocation générale et ne donne pas lieu à un véritablement argument programmatique pour la pièce.\r\n\r\n**Sixième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x527cf3\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"438\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 6\\. La sixième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nCette section commence à 4’58” du début de l’œuvre avec une battue de la cloche sur *la*4 prolongée pendant 19” par un carillon basé sur quelques coups de cloches constituées de partiels synthétisés. La voix de synthèse réalisée avec le programme *CHANT*, jusqu’alors très lointaine, devient ensuite plus présente autour de la voyelle « a ». A 26” à partir du début de la section, les fichiers de la voix de synthèse commencent à être lus alternativement en avant et en arrière grâce à *Music V*.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5f925e\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 8\\. Lecture en avant et en arrière. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nSuit un passage virtuose sur de très courts fragments vocaux contenant des voyelles et des consonnes (à 31”). Le résultat sonore est un geste vocal proche de celui d’une vocalise de soprano colorature.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6d5a0c\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 9\\. Geste virtuose de la voix. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nUn traitement identique est ensuite appliqué à la cloche (à 33”).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8b070d\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 10\\. Geste virtuose de la cloche. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nLa forme de cette section est bipartite, les cloches occupant la première partie tandis que les voix investissent la deuxième. La transition entre les deux parties est assurée par une enveloppe d’amplitude dessinant un crescendo immédiatement suivi d’un decrescendo. La conclusion évoque la volée de partiels de la première partie.\r\n\r\nQuelques éléments rappellent les sections précédentes :\r\n\r\n– le glissando du début utilise les mêmes processus d’élaboration que les glissandi spectraux de la troisième section. Ces glissandi sont présents dans toutes les parties qui suivent leur première apparition et renforcent la cohérence de l’ensemble de l’œuvre en donnant à entendre un motif spectral aisément repérable et mémorisable ;\r\n\r\n– la section est introduite, comme toutes les autres, par un coup de cloche, autre élément de cohérence, émis à la hauteur de la note propre à la section, ici un *la*4 (voir les notes générant chaque section, figure 7).\r\n\r\nEn revanche, le rythme de déclenchement de lecture des fichiers, notamment l’apparition du motif de colorature, contraste fortement avec la section précédente très méditative.\r\n\r\n**Septième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9d0505\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"436\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 7\\. La septième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nUn réservoir d’accords donne lieu à un développement dans la partie centrale de cette avant-dernière section. Elle peut se décomposer en une introduction (A), une partie centrale (B) et une conclusion (C).\r\n\r\nA – L’introduction de la section fait entendre un coup de cloche transposée sur *mib*3 (à 5’34” du début de l’œuvre) puis une lecture en avant et en arrière du fichier informatique correspondant.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x891425\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 11\\. Introduction de la section 7\\. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nB – Après une transition brutale à 9”, la résonance du son de cloche sur *mib*3 est mis en boucle pendant toute la durée de la section et forme ainsi une texture de soutien pour tous les accords qui vont suivre.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe70c55\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 12\\. Transition brutale. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nCette boucle démarre avec un enregistrement de voix naturelle sur « *go* » (de *plango*), évolue vers une voix synthétique puis fait entendre une cloche synthétique et enfin une cloche naturelle. La boucle est parcourue alternativement en avant et en arrière, reprenant ainsi un processus initié dans la section précédente. La plus grande partie de la section est basée sur une série de huit accords formés de partiels de la voyelle « *o* » tirée du mot *voco*. Les accords forment des cloches possédant un spectre de voix de garçon, des *bells of boy*.\r\n\r\nLe tableau 7 montre ces huit accords donnés par les fréquences (exprimées en Hz) de leurs notes. On peut remarquer que la note la plus grave est un *do*2 (130 Hz) qui correspond à la *hum note* (note de bourdon de la cloche). Ces huit accords sont répartis en quatre séquences successives à partir de 9” après le début de la section (tableau 8). De plus, des transpositions interviennent en décalage par rapport aux extrémités des séquences. Dans le tableau 9, les transpositions sont données en fonction de la fondamentale *do*3 (260 Hz) de la cloche. Ces accords ne sont pas juxtaposés brutalement, mais enchaînés progressivement (*crossfading*) de telle façon qu’ils deviennent une trame sonore mouvante.\r\n\r\nC – La coda de cette section est formée par une lecture en avant – en arrière.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe6ce95\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Ecoute 13\\. Lecture avant-arrière entre cloche et voix. © Sargasso 1998\\. Available on the Jonathan Harvey CD \"Tombeau De Messiaen\" SCD28029 from <http: www.sargasso.com=\"\">**\r\n\r\nCe procédé déjà utilisé dans l’introduction de cette septième section, mais ici, quatre sons successifs sont enchaînés dans l’algorithme de *Music V* : cloche naturelle, cloche synthétique, voix synthétique et voix naturelle. Le son produit par la voix naturelle est la voyelle « *o* » de *Voco*, voyelle privilégiée déjà utilisée pour former les accords de la partie centrale de cette section.\r\n\r\n[image:fd556296-0c01-4575-b040-63e3cc3fbdf3]\r\n[image:c3e1e9ec-0733-4718-9617-434fe70bf4b7]\r\n\r\n**Tableau 7\\. Les huit accords de la septième section**\r\n\r\nLa septième section met en valeur le jeu sur l’ambiguïté entre la voix de garçon et le son de la cloche, d’une part en formant des accords-cloches basés sur les partiels de la voyelle « *o* » et d’autre part en introduisant des allées et venues dans la lecture d’un fichier informatique contenant des sons de cloche et de voix. Ce dernier procédé sera prolongé en decrescendo au début de la section finale et formera alors une transition entre les deux sections enchaînées.\r\n\r\n[image:f4df6301-7537-49ac-8f42-63e80411f5e3]\r\n\r\n**Tableau 8\\. Les quatre séquences d’accords (les valeurs temporelles entre parenthèses indiquent approximativement l’instant de début des séquences)**\r\n\r\n[image:517a3f7c-c1fe-4fba-aa7e-e4b6992ec424]\r\n\r\n**Tableau 9\\. Les quatre séquences d’accords et les transpositions (la présence de la voix dans certains accords est indiquée par un « V ». Un « X » dans une case indique l’absence de cet accord dans la séquence en cours)**\r\n\r\n**Huitième section**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7a1ebb\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"398\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sonagramme 8\\. La hutième section de *Mortuos Plango, Vivos Voco* **\r\n\r\nLa huitième et dernière section débute à 6’32” du début de l’œuvre. Cette fois, la cloche a été transposée d’une octave vers le grave en modifiant la vitesse de lecture de la bande analogique originale. La fondamentale se trouve ainsi transposée sur *do*2 à la fréquence de 130 Hz. Cette section finale rappelle symétriquement la première section par la volée de cloches qui, comme le texte gravé sur la cloche l’indique, « compte les heures qui s’enfuient », « pleure les morts » et « appelle les vivants à la prière ». Cette volée disparaît après un dernier coup à 1’39” du début de la section.\r\n\r\nUn accord de la voix ponctue huit fois de façon irrégulière la volée de cloche. Cet accord est construit grâce à la lecture de huit sons vocaux naturels, des « *um* » (de *numero*) transposés sur les fréquences de huit partiels de la cloche lue à demi vitesse. Les fréquences ayant été mesurées de nouveau à partir du son deux fois plus grave obtenu, les différences qu’il est aisé de constater entre les fréquences indiquées sur la figure 3 (523/2, 690/2, 700/2, etc. ) et celles relevées sur le tableau 10 proviennent de l’imprécision des mesures effectuées à l’époque.\r\n\r\nLa fin de l’œuvre est basée sur le mouvement de lecture alterné avant – arrière des sons de cloche avec des enveloppes d’amplitude modifiées. 1’28” après le début de la section, deux cloches artificielles très lentes apparaissent progressivement (les partiels graves d’abord). Elles sont basées sur un *do*2 (130 Hz) et un *do*3 (260 Hz).\r\n\r\nC’est sur le spectre inharmonique très riche de la cloche ténor de la cathédrale de Winchester que toute l’œuvre est fondée, c’est en le faisant entendre qu’elle s’achève. A propos du decrescendo final, le compositeur évoque une conclusion musicale suggérant la paix intérieure qui s’impose au fidèle sous ces voûtes habitées par les voix des choristes.\r\n\r\n[image:0fed1d57-0e52-4060-a69c-48f12dd732d1]\r\n\r\n**Tableau 10 : Les partiels formant les notes des accords de la voix**\r\n\r\n[image:162d6f96-f185-420e-8a25-5f154035becb]\r\n\r\n**Légende des sonogrammes**\r\n\r\n####Conclusion####\r\n\r\nDans cette œuvre, Jonathan Harvey a mis en perspective les timbres de la voix et de la cloche en utilisant aussi bien la richesse de chacun de ces sons que les nombreuses possibilités de leur mise en relation. La musique extrêmement dense et construite reste cependant accessible à une première écoute grâce à la beauté des spectres fréquentiels contenus dans les sons naturels et artificiels et à l’architecture clairement mise en évidence. Le spectralisme a pris une importance considérable pour Jonathan Harvey.\r\n\r\nIl est également aisé de constater à quel point le compositeur a structuré son œuvre par des procédés combinatoires sur les hauteurs (les notes générant chaque section par exemple), les timbres (les glissandi spectraux par note pivot de la troisième section) et les durées (le rapport entre la hauteur des notes fondamentales et la durée de chaque section). Sa deuxième pièce réalisée à l’Ircam, *[work:e5cbc946-3609-47c7-b5d8-a777413243a6][Bhakti] *(1982), présente des traits similaires, notamment dans le neuvième mouvement. L’influence de son maître [composer:56ee4c9d-f018-44b5-8082-d253ae576dda][Milton Babbitt], rencontré à l’Université de Princeton en 1969-1970 est ici déterminante.\r\n\r\nPar ailleurs, il n’est pas inutile de rapprocher *Mortuos Plango, Vivos Voco* de *[work:0697a1bd-5532-41d8-9729-62618eedfbda][Gesang der Jünglinge]* et de *[work:7c46e048-22b8-4fb2-99a1-e360d6df40f8][Telemusik]*. Ces deux pièces ont été composées bien avant *Mortuos Plango, Vivos Voco* par [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Karlheinz Stockhausen]. Datant de 1956 et composée au studio de Cologne, *[work:0697a1bd-5532-41d8-9729-62618eedfbda][Gesang der Jünglinge]* est l’une des premières œuvres de l’histoire de l’électroacoustique à mettre en relation des sons électroniques et des sons enregistrés. Plus de vingt ans avant *Mortuos Plango, Vivos Voco*, la voix y constitue un élément essentiel de l’expression musicale dans une composition réalisée avec des machines. Mais si l’œuvre de [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Stockhausen] est conçue à l’aide d’une technologie analogique et sans pouvoir utiliser des méthodes d’analyse-synthèse, Jonathan Harvey s’appuie sur l’ordinateur et l’analyse spectrale. Bien que toutes les deux soient d’inspiration chrétienne, les deux œuvres se différencient par le choix et le traitement des textes. Dix ans après *[work:0697a1bd-5532-41d8-9729-62618eedfbda][Gesang der Jünglinge]*, [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Stockhausen] compose *[work:7c46e048-22b8-4fb2-99a1-e360d6df40f8][Telemusik]* pour bande seule au *Studio for electronic music* de la radio japonaise NHK. La version originale était spatialisée sur cinq canaux et, comme *Mortuos Plango, Vivos Voco* elle fait largement appel aux transformations de sons concrets. De plus, comme l’œuvre de Jonathan Harvey, chacune des trente-deux sections de *[work:7c46e048-22b8-4fb2-99a1-e360d6df40f8][Telemusik]* commence par un son percussif. Mais contrairement à *Mortuos Plango, Vivos Voco*, la logique interne de l’œuvre de [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Stockhausen] ne repose pas sur une série de hauteurs issue d’une analyse acoustique. Ce sont les percussions traditionnelles japonaises ouvrant chaque section qui préfigurent par la longueur de leur résonance la durée de chacune d’entre elles. Parmi ces percussions, le Taku, l’instrument le moins résonnant, marque le début de la section la plus courte (13”). Enfin, les transformations sonores de *[work:7c46e048-22b8-4fb2-99a1-e360d6df40f8][Telemusik]* sont assurées par des dispositifs électroniques comme les filtres, les modulateurs d’amplitude ou à anneau. L’informatique n’est pas utilisée. Si les œuvres de Karlheinz Stockhausen et de Jonathan Harvey peuvent être rapprochées puisqu’elles aboutissent à une symbiose d’éléments sonores très différents, elles restent cependant exemplaires des préoccupations techniques et esthétiques propres à leurs créateurs.\r\n\r\nLa dialectique de *Mortuos Plango, Vivos Voco* repose quant à elle sur l’ambiguïté provoquée entre le son de la cloche et celui de la voix du garçon. Jonathan Harvey s’est souvent exprimé sur son intérêt pour l’ambiguïté en mettant en exergue sa fascination pour le jeu entre fusion et fission, entre identité et dualité des timbres, notamment dans son article « Le Miroir de l’ambiguïté » [^harvey], qui a été publié en français dans le recueil de textes réunis par Jean-Baptiste Barrière, *Le Timbre, métaphore pour la composition*, Paris, Ircam, Christian Bourgois, 1991, p. 454-466\\. Mis au service de cet intérêt pour la qualité spectrale du son, l’outil informatique est transcendé par les préoccupations spirituelles du compositeur. La technique devient ainsi un levier permettant d’exprimer une pensée demeurant occidentale, mais fortement imprégnée par une attirance pour un bouddhisme plus humaniste que religieux.\r\n\r\n###Références###\r\n\r\n**Liens**\r\n\r\n* Editeur Faber Music : <http: www.fabermusic.co.uk=\"\">\r\n\r\n**Eléments bibliographiques**\r\n\r\n* Allen, J. Anthony, « Jonathan Harvey, *Mortuos Plango, Vivos Voco*: An Analytical Method for Timbre Analysis and Notation », *Proceedings of the third annual Spark Festival of Electronic Music and Art*, University of Minnesota, Minneapolis, Minnesota, USA, 2005, p. 78-79, et [http://www.janthonyallen.com/compositions/media/Harvey.pdf](http://www.janthonyallen.com/compositions/media/Harvey.pdf) \r\n\r\n* Bossis, Bruno, *Analyse de *Mortuos Plango, Vivos Voco* de Jonathan Harvey*, analyse hypermédia, Paris, serveur de la Médiathèque de l’Ircam, consultation intranet, 2001.\r\n\r\n* Bossis, Bruno, « *Mortuos Plango, Vivos Voco* de Jonathan Harvey ou le miroir de la spiritualité », *Musurgia*, vol. XI, numéro double 1-2, 2004, p. 119-144.\r\n\r\n* Bossis, Bruno, *La Voix et la machine, la vocalité artificielle dans la musique contemporaine*, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, collection Æsthetica, 2005.\r\n\r\n* Clarke, Michael, « Jonathan Harvey’s *Mortuos Plango, Vivos Voco* », *Analytical Methods of Electroacoustic Music*, Londres, Routledge, 2006, p. 111-143.\r\n\r\n* Dirks, Patricia Lynn, « An Analysis of Jonathan Harvey’s *Mortuos Plango, Vivos Voco* », *eContact!*, 9.2, mars 2007, [http://cec.sonus.ca/econtact/9_2/dirks.html](http://cec.sonus.ca/econtact/9_2/dirks.html) \r\n\r\n* Harvey, Jonathan, « Reflection after composition », *Tempo*, n° 140, 1982, p. 2-4.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, « The Mirror of Ambiguity », *The language of Electroacoustic Music*, Londres, Macmillan, 1986, p. 175-190.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, « Le Miroir de l’ambiguïté », *Le Timbre, métaphore pour la composition*, recueil de textes réunis par Jean-Baptiste Barrière, Paris, Ircam, Christian Bourgois, 1991, p. 454-466.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, « The Metaphysics of Live Electronics », *Contemporary Music Review*, 8/3 (1999), p. 79-82.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, *In Quest of Spirit*, Berkeley, University of California Press, 1999.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, *Music and Inspiration*, Londres, Faber and Faber, 1999.\r\n\r\n* Whittall, Arnold, *Jonathan Harvey*, Londres, Faber and Faber, 1999\\. Traduction française sous le même titre par Eric de Visscher, L’Harmattan, Ircam-Centre Georges Pompidou, 2000.\r\n\r\n**Eléments discographiques**\r\n\r\n* *Dufourt, Ferneyhough, Harvey, Höller*, Erato, Erato, ECD 88261, 1984-1985.\r\n\r\n* Harvey, Jonathan, *Tombeau de Messiean* ; *Mortuos Plango, Vivos voco* (remixed 1999) ; *Four images after yeats* ; *Ritual Melodies*, Sargasso, SCD28029, 1999.\r\n\r\n* *Computer Music Currents 5*, Wergo, WER 20252, 2006.\r\n\r\n* Unknown Public, UPCD 01 (cité sur le catalogue Faber)\r\n\r\n* Sargasso, 28044 (cité sur le catalogue Faber)\r\n\r\n**© photo de Jonathan Harvey : Jane Shircliff.**\r\n\r\n[^whittall]: Whittall, Arnold, *Jonathan Harvey*, Londres, Faber and Faber, 1999\\. Traduction française sous le même titre par Eric de Visscher, L’Harmattan, Ircam-Centre Georges Pompidou, 2000, p. 44.\r\n[^harvey]: Harvey, Jonathan, « Le Miroir de l’ambiguïté », *Le Timbre, métaphore pour la composition*, recueil de textes réunis par Jean-Baptiste Barrière, Paris, Ircam, Christian Bourgois, 1991, p. 454-466.","2014-01-01T00:00:00.000Z","analyse-de-i-mortuos-plango-vivos-voco-i-(1980)-de-jonathan-harvey",{"getUrl":156},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/dbdb3615-f28d-4e6c-951c-2699ed9f5f94-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=2226d86c63170c95853444318eded11e4354d47cb4228c96f78c9addad33e07e",{"url":156,"isIcon":11,"alt":149,"centered":37},[159],{"firstName":160,"lastName":161},"Bruno","Bossis",{"title":163,"titleEn":164,"text":165,"textFr":165,"textEn":165,"date":166,"type":32,"slug":167,"authors":11,"toc":11,"image":168,"composer":11,"cardImage":170,"cardTitle":163,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":171},"Analyse de \u003Ci>Traiettoria\u003C/i> (1982-1984) de Marco Stroppa","Analysis of \u003Ci>Traiettoria\u003C/i> (1982-1984) by Marco Stroppa","###Résumé###\r\n\r\n_Traiettoria_ (1982-1984) est une œuvre mixte, permettant la rencontre intime entre un piano et des sons électroniques réalisés par ordinateur. Avec cette œuvre emblématique du répertoire mixte, Marco Stroppa nous permet d'entrer à l'intérieur du son, par une double exploration : celle des sons de synthèse par des concepts instrumentaux, et inversement celle de l'univers instrumental par les concepts issus de la recherche en acoustique et de l'informatique musicale (la synthèse numérique par le logiciel _Music V_, dans ce cas précis).\r\n\r\nPour permettre une interprétation en concert (comme une interprétation musicologique) à la hauteur des enjeux, Marco Stroppa invente également une notation spécifique (susceptible de rendre compte avec exactitude à la fois de la réalité sonore des sons de synthèse qu'il nomme \"orchestre synthétique\"), mais aussi des techniques d'écriture communes aux deux univers (à même d'expliciter un concept-clé au centre du processus compositionnel, qu'il nomme les \"Organismes d'Information Musicale\").\r\n\r\n####Sons de synthèse####\r\n\r\nTous les sons de synthèse des 3 pièces ont été :\r\n\r\n* Réalisés au CSC (Centro di Sonologia Computazionale) de l'Université de Padoue (avec la collaboration de Graziano Tisato, Alvise Vidolin, Adriano Ambrosini),\r\n\r\n* Générés par le logiciel _Music_ (et _Music 360_),\r\n\r\n* Mixés via le programme _ICMS_ (\"Interactive Computer Music System\") de Graziano Tisato au CSC (Centro di Sonologia Computazionale) de l'Université de Padoue.\r\n\r\n####Equipement technique (à l'époque de la création)####\r\n\r\n* Lecteur de bande magnétique\r\n\r\n* Table de mixage\r\n\r\n* 5 canaux d'amplification monophonique\r\n\r\n* 2 microphones (multi-directionnels) pour le piano\r\n\r\n* 7 haut-parleurs\r\n\r\n####Equipement technique nécessaire (années 2000)####\r\n\r\n* Patch Max/msp (tous les sons sont mixés en stéréo), avec possibilité d'accorder la partie électronique au type d'accord du piano\r\n\r\n* Table de mixage\r\n\r\n* Microphones (2 ou plus) pour le piano\r\n\r\n* Un dispositif de projection sonore avec 7 HP minimum (un dispositif de type acousmonium est recommandé)\r\n\r\n[image:83f2246a-2e24-464f-915d-b36fe8e13140] **Schéma de disposition des instruments (à l'époque de la création) - extrait de la partition de _Deviata_, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi.**\r\n\r\n####Plan de mixage (version de la création)####\r\n\r\n* Entrée : sons électroniques 1/2\r\n\r\n* Entrée : piano : 3/4\r\n\r\n* Sortie : canal 1 : HP 1 et 3 (sons électroniques, canal gauche)\r\n\r\n* Sortie : canal 2 : HP 2 et 4 (sons électroniques, canal droit)\r\n\r\n* Sortie : canal 3 : HP 5 (sons électroniques, canal droit et gauche)\r\n\r\n* Sortie : canal 4 : HP 6 (piano, microphone 1)\r\n\r\n* Sortie : canal 5 : HP 7 (piano, microphone 2)\r\n\r\n###Analyse###\r\n\r\n####Introduction générale####\r\n\r\n**Eléments esthétiques**\r\n\r\nEn raison de l'accélération des progrès en termes de capacité de calcul des machines, la période des années 1980 est propice à la création d'œuvres mettant en jeu la synthèse sonore issue des acquis techniques et technologiques des années 1960-1970, notamment la synthèse directe en temps différé développée aux Bell Telephone Laboratories autour de Max Mathews (John Pierce et [composer:c978e66b-1746-4862-a8c0-ab8f2301e330][Jean-Claude Risset]), mais aussi la synthèse numérique par modulation de fréquence avec [composer:83254f0c-fc3e-40b5-b75e-ad48d188ce7a][John Chowning]. L'édition du catalogue _An Introductory Catalogue of Computer Synthesized Sounds_ en 1969 ([CD WERGO 20332](http://www.wergo.de/shop/en_UK/Audio_CDs/1000083/1660296/show,93269,h.html)) de Jean-Claude Risset montre par l'exemple la possibilité de \"composer le son lui-même\" (Risset, 1986, 1990), avec des outils progressivement plus ductiles. Si finalement peu de compositeurs, par défaut de compétence en informatique musicale, ont eu la possibilité d'exploiter le son de l'intérieur grâce aux ressources offertes notamment par les travaux et compositions de Jean-Claude Risset (cf. _[work:184572a1-bd73-4285-b3b5-a6db4a7c62a6][Mutations]_, _[work:3cab22c2-fa26-4a3c-b0e5-e1a26e3606bb][Contours]_, _[work:ffa27b0a-5594-4ba5-ad89-6534fbf0e47e][Songes]_), Marco Stroppa peut apparaître comme le continuateur de cette logique, par ses recherches musicales développées en Italie au sein du CSC de l'Université de Padoue.\r\n\r\nAu même moment, le développement important des sciences cognitives et de la psychoacoustique fait que les conditions théoriques et techniques sont réunies pour permettre l'éclosion d'œuvres, plutôt que d'essais ou d'études comme c'était le cas jusqu'alors. La convergence du cadre théorique élargi (sciences cognitives, acoustique musicale, etc.) et des sessions de formation en l'informatique musicale à destination des compositeurs, font des années 1980 la décennie du basculement de la création musicale dans l'univers numérique selon une esthétique proche de ce que défend l'école spectrale, notamment par l'idée d'un continuum [definition:7]. Notons que, dans la période incluant la composition de _Traiettoria_, Stroppa a une connaissance très fine des musiciens et compositions de cette \"école\" dite spectrale (Stroppa, 1985, p. 35-68).\r\n\r\nLe credo défendu par [composer:e9985cf2-64e4-4e47-aba3-ee6167cbfae0][Pierre Boulez] à la tête de l'Ircam, à savoir enrichir l'écriture instrumentale par les technologies numériques, est au cœur d'une œuvre comme _Traiettoria_. Mais l'informatique est ici au service de l'instrumental autant que l'inverse. Les deux sont pensés dans un même geste. Le choix de sons électroniques réalisés \"en temps différé\" (plutôt qu'en \"temps réel\" comme le préconise Boulez) est revendiqué comme le moyen d'atteindre cette \"rencontre du 3e type\" (Risset, 1988), symptomatique d'une musique mixte non ornementale. Si, par la suite, Stroppa ne s'interdira pas l'usage des technologies \"temps réel\", il restera fidèle à cette exigence d'équilibre entre deux univers (instrumental et électronique).\r\n\r\n_Traiettoria_ correspond à une première phase dans l'œuvre de Stroppa qu'il qualifiera lui-même de \"positiviste\" (cf. Stroppa 2002 : la croyance selon laquelle l'informatique résoudra tous les problèmes. Stroppa n'est donc pas encore dans l'ouverture vers des catégories plus larges, c'est-à-dire des formes classiques de la musique savante occidentale aux cultures extra-européennes (cf. [Ferrari](https://brahms.ircam.fr/composers/composer/3074/workcourse/#parcours), 2008, §. 7 et 9).\r\n\r\nIl serait hasardeux de déterminer les influences musicales de Stroppa pour une pièce quasi initiatique. Ce sont davantage les disciplines comme l'informatique fondamentale (la programmation structurée), l'acoustique et la psychoacoustique (les idées de seuils, d'effets de masque...) et les sciences cognitives qui sont le socle de son environnement intellectuel, en lien direct avec sa formation au CSC avec notamment Alvise Vidolin puis ses relations notamment avec McAdams et Wessel à l'Ircam. La psychoacoustique relève d'un véritable traité d'orchestration pour Marco Stroppa.\r\n\r\n**Les étapes de la composition et leurs implications**\r\n\r\nRappelons qu'au début des années 1980, Stroppa est un jeune compositeur avec une solide formation en piano, composition, traitement du signal, acoustique, psychoacoustique et informatique musicale.\r\n\r\n_Traiettoria_ est pensée initialement comme une œuvre destinée à l'univers unique des sons de piano : les traces pré-compositionnelles disponibles auprès du compositeur indiquent qu'à l'origine de _Traiettoria_, Stroppa avait en chantier trois études pour un projet (_Tre studi per un progetto_). Le projet cherchait non pas l'exploration d'improbables modes de jeu ou de formules pianistiques extrêmes, mais l'exploration du son dans sa dimension microscopique par le biais des sons du piano, mais à partir du piano seul, sans l'adjonction de sons de synthèse.\r\n\r\nUne telle problématique s'avérait difficile à résoudre par les seules ressources du piano. L'œuvre pour piano solo est abandonnée. C'est ainsi que les sons de synthèses sont convoqués pour résoudre cette insuffisance, et accroître les densités de résonances du piano, ses _clusters_, etc. A ce titre, _Traiettoria_ s'inscrit d'emblée dans la continuité des grandes pièces mixtes du répertoire, à commencer par _[work:cf510842-6f05-47e8-909e-30619601e9d0][Kontakte]_ de [composer:700cf8b4-6d1d-4f19-a269-ef27ae998528][Karlheinz Stockhausen].\r\n\r\nMarco Stroppa réalisera plus tard le projet initial (de _Traiettoria_) d'une exploration intime des sons via la seule ressource instrumentale, avec _Miniature Estrose_ ([work:066e7967-5ecb-40d7-8379-a49b65a527d1][Miniature estrose], 1991-2001 / [work:7fa0b449-dce6-4de0-9def-71cdfcc804ef][Miniature estrose], 2005) pour piano solo. Cela se traduira notamment par l'écriture d'un mini traité sur le contrôle de la résonance, prochainement publié (2010) par les éditions Ricordi.\r\n\r\nLes trois pièces sont composées à peu près chronologiquement dans des lieux spécifiques (Vérone, Paris, Cambridge), même si le tuilage dans la composition des 3 pièces est plus prononcé entre _Dialoghi_ et _Contrasti_. En revanche, la partie de piano préexiste toujours à la partie électronique, davantage pour des raisons de contraintes techniques (réalisation informatique au CSC de Padoue, dans un temps limité) que pour des considérations spécifiquement compositionnelles et esthétiques. D'ailleurs, la réalisation des sons de synthèse par _Music V_ et le mixage par le logiciel _ICMS_ au CSC de l'université de Padoue a lieu dans les quelques semaines ou jours qui précèdent la création de chacune des 3 pièces.\r\n\r\nL'unité de _Traiettoria_ est donnée par l'usage des sons de synthèse par un logiciel d'une unique famille (_Music V_, _Music 360_), et la progression dans la complexité des relations piano/sons de synthèse, au fur et à mesure que l'on avance dans les trois pièces.\r\n\r\n**Description globale**\r\n\r\nLes documents de genèse, les textes d'auto-analyse du compositeur (écrits sous l'impulsion notamment du \"Groupe de réflexion de compositeurs\" à l'Ircam à cette époque) et les textes plus théoriques écrits à l'issue de la création de la version révisée de _Traiettoria_ (Stroppa 1989a, 1991) font émerger plusieurs grands axes et processus de composition, comme l'Intégration des concepts électroniques dans l'univers instrumental, la composition d'enveloppes artificielles, la pédale comme filtre, le continuum hauteur/harmonie/spectre, les organismes d'Information Musicale.\r\n\r\nSur ces différentes bases, la présente analyse vise à retracer la pensée et les techniques utilisées par Marco Stroppa selon deux grands volets :\r\n\r\n1\\. la mutation des matériaux induit de nouvelles formes : l'observation de l'approche exigeante de la synthèse sonore permettra de déterminer comment Stroppa adopte des techniques d'écriture communes articulées sur le principe des OIM. Ces techniques permettent alors de penser le piano et l'électronique dans un même geste.\r\n\r\n2\\. pour réaliser concrètement un tel projet de symbiose entre le piano et les sons de synthèse, une notation rigoureuse s'impose à Marco Stroppa, tant pour la partie destinée au pianiste que pour la transcription de l'orchestre synthétique, sans compter la restitution des instructions liées à la diffusion sur les haut-parleurs.\r\n\r\n####Une approche exigeante de la synthèse sonore####\r\n\r\n**Qu'est-ce que Music V ?**\r\n\r\n_Music V_ est un logiciel issu d'une série de logiciels (de _Music I_ à _Music V_) initiés et développés autour de Max Mathews au _Bell Telephone Laboratories_ de New Jersey. Ce logiciel connaît des versions plus récentes, dont les plus utilisées sont chronologiquement _Music 10_, _Music 360_, _CMusic_ ou _CSound_ . C'est \"un langage permettant de construire des instruments de synthèse à partir de modules élémentaires de traitement ou de génération de signaux connectés les uns aux autres. Ceux-ci incluent des oscillateurs, tables d'ondes, générateurs de bruit, d'enveloppes, filtres, et autres modules plus complexes. Ensemble, ils définissent dans un _instrument_, un algorithme répondant à des événements et données de paramétrage externes, définis dans une partition (ou _score_), et produisant un signal numérique. La définition d'instruments (dans un \"orchestre\" - _orchestre_) et le contrôle de ces instruments dans la partition (score) sont réalisés dans des fichiers de texte\" (Bresson, 2007, p. 39).\r\n\r\n_Music V_ est un logiciel de type modulaire qui place le compositeur face à une page blanche. Les compétences informatiques et en science acoustique deviennent alors indispensables pour écrire avec un tel logiciel. On comprend alors comment des musiciens comme Jean-Claude Risset et Marco Stroppa deviennent des virtuoses de l'écriture sur _Music V_.\r\n\r\nEn l'occurrence, Stroppa utilise _Music V_ pour réaliser des sons de synthèse, notamment selon les modèles de la [definition:28] et de la [definition:29] (Modulation de Fréquences). Rappelons enfin que Stroppa s'appuie sur le catalogue _An Introductory Catalogue of Computer Synthesized Sounds_ de Jean-Claude Risset, édité en 1969 (CD WERGO 20332), pour concrétiser ses idées de synthèse sonore.\r\n\r\n**Le programme ICMS**\r\n\r\nPour réaliser le mixage des sons de synthèse, Stroppa utilisa le programme ICMS (Interactive Computer Music System) de Graziano Tisato au CSC de Padoue (cf. Tisato, 1976, 1990). Ce programme permettra, par exemple, de mixer les quelques 105 fichiers-sons, d'une durée de 3 secondes à 30 secondes environ, pour la seule pièce _Deviata_. Selon Zattra (cf. Zattra, 2003), ce programme, simple d'utilisation, possède cependant une vocation plus large que simplement le mixage.\r\n\r\n**Pourquoi un logiciel de synthèse directe en temps différé (et non en temps réel) ?**\r\n\r\nDans l'esprit des initiateurs de _Music V_ au cours des années 1960, et notamment Jean-Claude Risset, l'objectif principal est de créer des sons spectralement complexes, en fonction d'une description physique très fine. Or, dans l'état de la technologie (et surtout de la vitesse de calcul des machines dans les années 1980), seule la synthèse en temps différé permettait d'atteindre cet objectif.\r\n\r\nL'usage d'un logiciel comme _Music V_ est donc entièrement tourné vers l'idée d'un contrôle fin des paramètres spectraux. Les sons produits de cette façon sont très aisément intégrables à une écriture instrumentale qui cherche elle-même à créer une ambiguïté harmonie/timbre ou une continuité harmonie/timbre/spectre.\r\n\r\nL'usage du temps réel fait par Stroppa dans _[work:2fbfd078-86a7-443b-8239-4a58d1a926bf][Spirali]_ ou plus récemment dans les œuvres dites \"avec électronique de chambre\" (_[work:e539eb28-a365-4985-a624-e562980a0e2e][Little i]_, _[work:d98f2901-a203-40f5-b85f-e010d1c0108a][... of silence]_, _[work:69bbd81f-c79d-4691-988d-6013f1797374][I will not kiss your f.ing flag]_) ne contredit pas ce principe initial, au cœur de la pensée compositionnelle de Stroppa.\r\n\r\n**Chroma et OMChroma**\r\n\r\nA partir du logiciel _Music V_, et pour obtenir une synthèse correspondant à ses souhaits, Marco Stroppa a été amené à développer un environnement de composition global, appelé _Chroma_. Ce dernier est issu d'une vision personnelle de la synthèse sonore autant que d'une technique compositionnelle pianistique spécifique dans _Traiettoria_.\r\n\r\n_Chroma_ est à la fois un environnement d'aide à la composition et un outil de contrôle de la synthèse développé par Marco Stroppa depuis 1980\\. Le principe général est de réunir les aspects de micro-forme et de macro-forme, ou plus généralement des données de la micro-composition et de la macro-composition dans un même environnement. Les prémisses de _Chroma_ proviennent du CSC (Centro di Sonologia Computazionale) au début des années 1980\\. _Chroma_ est directement lié à la genèse et la création de _Traiettoria_.\r\n\r\n_Chroma_ est un sous-programme en Fortran pour _Music V_, retravaillé et transféré en _LeLisp_ au MIT (entre 1984 et 1986), et en CLOS (Common Lisp) entre 1995 et 1996\\. Pour travailler ou resynthétiser aujourd'hui des sons proches ou identiques à ceux de _Traiettoria_, Stroppa a \"implémenté\" _Chroma_ dans l'environnement [_Open Music_](http://repmus.ircam.fr/openmusic/home) dès 1999 (cf. la librairie _OMChroma_ créée par Marco Stroppa lui-même, avec Jean Bresson et Carlos Agon, de l'équipe Représentations Musicales de l'Ircam).\r\n\r\n_OMChroma_, encore en développement actuellement, en 2010, est donc un système dédié au contrôle des sons de synthèse. En tant que bibliothèque sur _Open Music_, il fonctionne comme espace de travail intégré à Open Music, qui lui-même peut piloter _Csound_ notamment pour générer de la synthèse additive.\r\n\r\n\"_OMChroma_ is mainly based on the concept of sound potential, reified using a matricial representation of sound description data and higher-level structures for the creation and manipulation of such matrices. It also makes use of several other features from the _OMSounds_ environment.\" (cf. Bresson/Agon, site de l'équipe Représentations Musicales, Ircam)\r\n\r\n####Le piano et l'électronique dans un même geste####\r\n\r\nPenser l'instrumental et l'électronique dans un même geste relève d'un présupposé initial de Marco Stroppa, qui révèle l'influence de l'outil sur la pensée. L'outil, en l'occurrence la synthèse sonore, permet de créer des sons inouïs, une matière nouvelle, non encore exploitée par les musiciens (alors qu'elle était explorée par les physiciens et acousticiens). Non seulement \"composer le son\" (Risset, 1986, 1990), mais le composer à l'échelle microscopique, à l'échelle où le temps devient spectre.\r\n\r\nPar exemple, Stroppa décompose le piano en attaque-résonance pour le recomposer, en attribuant le moment de la résonance aux sons électroniques :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xbee4be\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Relais du piano par les sons électroniques : extrait de _Dialoghi_ (début du mouvement) - NB : l'intensité dynamique de cet extrait est plus élevée que dans l'original, pour permettre d'entendre les détails des résonances, © Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6c7d05\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Idem, extrait de _Dialoghi_, p. 25 et suivantes - NB : intensité dynamique augmentée, © Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\nComme pour l'exemple précédent, les prolongements de résonance par les sons électroniques sont l'objet d'une excroissance spectrale des sons électroniques qui vont bien au-delà du spectre initial des sons de l'accord du piano. Il s'agit ainsi de faire entendre électroniquement la densité (toute virtuelle) d'un accord. Stroppa précise dans ses articles, ses conférences et interviewes que l'idée du passage d'un accord à un timbre lui vient de l'exemple emblématique de Mutations de Jean-Claude Risset, par ailleurs revendiquée par bien des musiciens de la fin du xx° siècle comme le point initial d'une certaine pensée spectrale.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x258713\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Premières secondes de _Mutations_ (1969) de Jean-Claude Risset, avec l'aimable autorisation du compositeur.**\r\n\r\nDans l'exemple ci-dessous, l'enceinte (diffusant les sons électroniques) placée sous le piano met en résonance la table d'harmonie du piano. Ainsi, le concept d'ambiguïté harmonie/timbre, au centre de la pensée spectrale, trouve ici une expression particulièrement accomplie.\r\n\r\n[image:61512cd4-206a-4ced-b414-5e74274edb86] **© Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8b5898\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Relais en fondu-enchaîné par les sons électroniques de la dernière résonance du dernier accord du solo de piano : extrait de _Deviata_ (pages 5, 6 et 7 de la partition Ricordi). NB : l'intensité dynamique des sons électroniques a été rehaussée de manière artificielle, pour permettre d'entendre les détails des résonances, © Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\nLe prolongement des sons électronique par le piano peut aussi se faire selon le principe du fondu-enchaîné :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x928456\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Extrait de _Contrasti_, 30 secondes avant la fin du solo des sons de synthèse, et pages 1 et 2 de la partition). NB : l'intensité du solo des sons électroniques est artificiellement rehaussée, © Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\nMais le piano peut être prolongé par lui-même (et non plus par le truchement des sons électroniques), en composant des enveloppes d'amplitude artificielles, de manière à percevoir l'épaisseur de la résonance :\r\n\r\n[image:40287b88-acac-427b-98da-f402a2ef0fa5] [image:00d8ea84-1cca-42e5-bfff-52ebab282aa3] **_Deviata_, p.1, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa917ac\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Extrait de _Deviata_, p.1 de la partition Ricordi, solo de piano (intensité dynamique artificiellement amplifiée), © Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\nLes prolongements réciproques des sons de piano et des sons électroniques produisent à termes une fusion des deux sources sonores, d'où l'idée d'un geste commun sons de piano/sons de synthèse.\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3cbef6\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Extrait de _Deviata_, p.9 à 12 de la partition Ricordi (à partir de 4'15 de l'enregistrement Wergo), © Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\n\" La deuxième typologie concerne les cas de \"fusion élémentaire\" ; un élément sonore, perçu comme unique, est partagé séquentiellement entre le piano et la bande : ainsi une attaque produite par une courte note du piano, suivie d'une résonance prise en charge par l'ordinateur. Le début de la section pour piano et bande au milieu de _Contrasti_ est un exemple de superposition de trois familles sonores différentes ayant des relations piano/bande de même typologie : une note grave isolée se déplaçant entre le piano et la bande et correspondant toujours au dernier si bémol du piano, des accords staccato accentués, tenus à la bande, mais \"lancés\" par une figure rapide dans l'aigu du piano, enfin des accords au piano, staccato, dans le registre moyen-grave, dont la résonance est travaillée d'abord par la pédale du piano, puis par les sons synthétiques. \" (Livret du CD Wergo, p. 20)\r\n\r\n[image:39f86dca-3769-48f8-9458-7e2ebeb05775] [image:5ead95fd-84d1-4bd1-b408-e60eb00ebb73] [image:6c008029-e619-4301-bb97-e8149fcf5aeb] [image:a0dce308-49b9-4dd1-b3b8-9a788d6acd3b]\r\n\r\n**© Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xba2cfc\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Extrait de _Contrasti_, p. 16 et 17\\. NB : l'intensité sonore de l'extrait est ici artificiellement augmentée, © Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\n####Les OIM (Organismes d'Information Musicale)####\r\n\r\n**Définition**\r\n\r\nPlutôt que des motifs, Marco stroppa identifie ce qu'il appelle des Organismes d'Information Musicale (OIM), que l'on peut sommairement définir ainsi :\r\n\r\n* \" Un événement complexe, un concept musical qui sont saisis par notre perception comme étant quelque chose d'unique \" (Stroppa, note de programme de la création française de _Hiranyaloka_, 17 octobre 1994, Radio-France, Paris).\r\n\r\n* \" (Une) entité dynamique et complexe dont l'évolution ne peut être expliquée ni prédite par des règles synthétiques (comme les fonctions analytiques, les processus stochastiques, les procédures déterministes ou combinatoires) \" (Stroppa, 1989a, p.208)\r\n\r\n**Pourquoi \"Organisme\" ?**\r\n\r\n* Le mot “organisme” est pensé comme comme mot alternatif à \"objets, éléments, processus, concepts, cadres, cristaux...\", termes jugés trop \"statiques, mécaniques ou artificiels\" par Stroppa (1989a, p.233). Le choix de ce mot implique des composants bien discernables que l'on peut décrire selon des propriétés également bien précises.\r\n\r\n*Selon Stroppa, la musique se compose de relations entre éléments significatifs et des développements, en clair, son parcours. Le terme \"organisme\" renvoie alors à l'idée d'une évolution dans le temps, spécifique de la musique comme art du temps (qui passe), en termes phénoménologiques.\r\n\r\n**Un OIM peut donc être :** _Un matériau que l'on peut identifier clairement à l'écoute_ Un matériau résultant (et non un matériau précompositionnel) _Une unité significative identifiée grâce à la formalisation a posteriori d'un processus de composition (ce cas se présente pour_ Contrasti_, à la suite des deux premières pièces de_ Traiettoria*)\r\n\r\n**Que recouvre la notion d'OIM ? Identité, forme, œuvre** : \"_Un OIM contient la notion d'identité : \"Un organisme est quelque chose d'actif qui se compose de plusieurs composants et propriétés de complexité variables, qui entretiennent certaines relations et donnent lieu à une forme spécifique. La représentation cognitive d'une telle forme constitue son identité\" (Stroppa, 1989a, p. 209)_ Un OIM contient l'idée de forme. Un OIM n'est ni un thème, ni un motif, mais un objet complexe où les coordonnées changent et varient continuellement. Cette idée renvoie au contexte de l'époque sur la psychoacoustique et des sciences cognitives. _Le jeu des relations entre les OIM (ayant chacun une identité propre) construira une forme et,_ in fine*, une œuvre.\r\n\r\n**Trajectoires des OIMs**\r\n\r\nLes OIMs évoluent selon des trajectoires (_Traiettoria_ en italien) simples. Ces trajectoires sont largement recouvertes par les techniques d'écriture.\r\n\r\n**Exemples d'un OIM**\r\n\r\nExemple d'un OIM type, au début de la cadence de piano dans _Contrasti_ (p. 3 et suivantes) et de ses évolutions successives, selon notamment la technique d'écriture des \"vecteurs\" :\r\n\r\n[image:6070d030-ac3d-40db-90fe-62379c883d7f] **Cf. Stroppa, 1989a, p. 210, structure rythmique initiale.**\r\n\r\n[image:2c383d0b-3264-4d6c-98f1-7659815b7589] **1re étape (p.3 de la partition Ricordi), © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xfcf879\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© Wergo / Ricordi / Marco Stroppa**\r\n\r\nA partir de cet OIM initial (OIM appelé \"A\"), différents ajouts, retraits et autres transformations constituent une \"direction\", la trajectoire (_Traiettoria_) de cet OIM dans le temps, avec une succession de 10 étapes. Chaque étape sera travaillé aux moyens de techniques d'écrite propres à Stroppa (cf. présentation détaillée dans la section suivante) - cf. Stroppa, 1989a, et la partition de _Contrasti_, p.4 à 8.\r\n\r\n[image:915097c8-7778-4452-9bd7-989701b2138e] **2e étape (p. 4 de la partition _Ricordi_), © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xca2a5f\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© Wergo / Ricordi / Marco Stroppa**\r\n\r\nLa complexité de l'écriture de Stroppa fait qu'un OIM peut ne pas être entendu seul. Ainsi, dans ce même exemples, d'autres OIM coexistent et s'imbriquent à l'OIM \"A\", comme dans l'exemple ci-dessous avec les OIM \"B\" .\r\n\r\n[image:bfc9c34d-db91-4fd8-b221-e9704d7b7cbc] **Extrait d'un document pédagogique de Marco Stroppa (avec l'aimable autorisation du compositeur)**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x42ebca\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\nA noter, à titre d'exemple - parmi d'autres -, que cette OIM \"A\" est également présent dans la partie de synthèse (cf. le début du solo de _Contrasti_).\r\n\r\n**Extrait sonore à venir.**\r\n\r\n####Parcours des techniques d'écriture####\r\n\r\nDans l'esprit des outils intégrant micro-forme et macro-forme, Stroppa, dans son article \"Organismes d'Information Musicale : une approche de la composition\" (Stroppa, 1989a), rend compte précisément des techniques d'écriture qu'il utilise pour _Traiettoria_. Ces techniques d'écriture sont valables autant pour l'élaboration de la partition pianistique que pour l'élaboration de \"l'orchestre synthétique\". Nous en proposons ici, sous forme d'inventaire, une synthèse. Cette catégorisation, quoique relativement abstraite, révèle assez finement les moyens techniques de son implémentation dans _Traiettoria_. L'on doit par ailleurs reconnaître l'efficacité des concepts auto-analytiques de Marco Stroppa - c'est pourquoi nous relayons ici autant les OIM (notion transversale vue précédemment) que les techniques communes d'écriture, sans les soumettre davantage à une analyse critique.\r\n\r\n**Huit techniques d'écriture (non exhaustives)**\r\n\r\n1\\. \"Obscurcissement\" (_defocusing_) -> ex : arpège, anacrouse et grupetto qui précédent un élément musical quelconque (mélodie, accord, arpège) 2\\. \"Remplissage et étirement de l'espace\" (_space filling and stretching_) 3\\. \"Vecteurs (direction-trajectoire)\" -> cf. exemple ci-dessous 4\\. \"Modulation d'énergie\" -> ex : modulation de la quantité de notes d'un OIM 5\\. \"Expansions tumorales\" -> \"Déviation d'un élément référentiel \"sain\" qui se multiplie anormalement par des répétitions plus ou moins modifiées\" (Stroppa, 1989, p. 215) 6\\. \"Surface, densité, contour\" -> Technique qui concerne le \"profil visible\" de n'importe quel élément musical (\"item\" dans la terminologie de Stroppa). On peut y retrouver ici les concepts de \"profil de masse\" et de \"profil mélodique\" de Pierre Schaeffer, dans son _Traité des Objets Musicaux_ (1966) 7\\. \"Contrôle du comportement acoustique\" -> exemples de l'importation du contrôle dynamique réalisé par des moyens électroacoustique dans le domaine pianistique (cf. exemple ci-dessous) 8\\. \"Aimants\" (_magnets_) -> créer des trajectoires, par entrecroisement de structures de polarité\r\n\r\n**Exemples de vecteurs**\r\n\r\nSi l'on reprend l'exemple emblématique de _Deviata_ (p.220-221), on observe qu'il constitue pour Stroppa un laboratoire des techniques d'écriture. Nous reproduisons ici l'exemple sous l'angle unique de la technique des \"vecteurs\". Plutôt que de reproduire l'intégralité des 19 étapes, nous choisissons les étapes 1, 2, 10, 18 et 19, soit les 2 premières, une étape centrale, et les 2 dernières.\r\n\r\n[image:83c51d62-f3f5-47ef-ae96-498e3a87dc2c] [image:f8c0d01f-6116-44a7-82f5-ce6e5f81997a] [image:abc08a8d-addb-4d76-b475-79fcd89c1b44]\r\n\r\nVoici reproduits ci-dessous les différents \"vecteurs\" appliqués par Stroppa, pour passer de l'étape 1 à l'étape 19 (Stroppa, 1989a, p.221). Le vecteur utilisé ici correspond à une évolution de la densité de la texture, à savoir le rapport du nombre de note/ambitus dans chacune des 19 positions.\r\n\r\n[image:f4bb2016-8978-47bc-a9b8-be3d6c02a882]\r\n\r\nPrenons un second exemple (plus simple) de technique d'écriture, celui du contrôle du comportement dynamique. Stroppa rend interchangeable des profils dynamiques de piano et de sons de \"l'orchestre synthétique\", par des équivalences de notation. En voici six exemples :\r\n\r\n[image:834a6bac-1b6f-4658-9403-47b198834ca2]\r\n\r\n####Couples conceptuels####\r\n\r\nDans le travail de formalisation effectué par Marco Stroppa immédiatement après la création de _Traiettoria_ (Stroppa, 1989a), des distinctions conceptuelles binaires sont convoquées. Ces données sont moins significatives pour appréhender l'œuvre du point de vue analytique, mais nous les reproduisons ici de manière synthétique.\r\n\r\n**Techniques \"cohérentes\" ou \"incohérentes\"**\r\n\r\nPour reprendre les termes de Marco Stroppa (1989a, p.211), les techniques d'écriture peuvent s'appliquer sur les différentes éléments musicaux de manière \"cohérente\" lorsque ces techniques confirment et soulignent ces éléments, rendant du même coup plus évidente la perception des OIM.\r\n\r\n* Pour reprendre l'exemple de la technique de l'obscurcissement, un arpège ascendant précédent une mélodie ascendante ou stable, sera une utilisation cohérente de la technique d'obscurcissement. En associant à cela des accents, des accellerandos ou des inflexions rythmiques non linéaires, ou encore des profils mélodiques non linéaires, la technique deviendra moins cohérente, pour tendre vers le neutre ou l'incohérent.\r\n\r\nA l'inverse, lorsque ces techniques tendent à contredire les éléments musicaux, ces techniques seront volontairement \"incohérentes\".\r\n\r\n* Pour reprendre l'exemple de la technique de l'obscurcissement, un arpège ascendant précédent une mélodie descendante sera une utilisation incohérente de la technique d'obscurcissement.\r\n\r\n**Techniques d'écriture \"locales\" et \"globales\"**\r\n\r\nPour relier les OIM entre eux, Stroppa développe deux techniques d'écriture, l'une locale, l'autre globale.\r\n\r\nLes techniques d'écriture locales \"ne concernent qu'un nombre très restreint d'OIM\" (Stroppa, 1989a, p.222).\r\n\r\n1\\. coexistence non biaisée -> technique \"neutre\" : les différents OIM sont indépendants les uns des autres 2\\. coexistence adaptée -> technique qui permet de \"modifier un OIM de manière à l'intégrer dans le contexte\" (Stroppa, 1989a, p. 223)\r\n\r\nLes techniques d'écriture globale utilisées dans la plupart des OIM, \"concernent des segments musicaux plus importants et elles sont directement responsables des changements structuraux majeurs\" (Stroppa, 1989a, p.222).\r\n\r\n1\\. Aimants -> cf exemple des cinq premières minutes de Dialoghi : forces centripètes vers Do et Mi 2\\. Enzymes -> \"Entité concrète ayant sa propre durée de vie qui catalyse quelques changements formels (Stroppa, 1989a, p. 226) 3\\. Fonctions de distribution -> \"Graphe à deux dimensions : temps et fréquence de la répétition d'une classe d'OIM (Stroppa, 1989a, p.226) 4\\. Moules structuraux -> Dans le prolongement des fonctions de distributions, les moules structuraux produisent de nouvelles formes à partir d'un moule initial, par exemple une structure rythmique\r\n\r\n####Notations du piano et de l'électronique###\r\n\r\n**Une notation pianistique élargie**\r\n\r\nLa partition, avant d'être une partition à visée analytique pour les interprètes - ou les musicologues - est un support de la pensée du compositeur, au moment de la composition. L'étude des esquisses des trois pièces de _Traiettoria_ montre que Stroppa avait un système de notation presque complet dès l'écriture de _Deviata_.\r\n\r\n**Modes de jeu et notations des groupes**\r\n\r\nDans la partition de _Deviata_ p. XVII-XVIII (non reproduite dans _Dialoghi_ et _Contrasti_), un descriptif précis accompagne chaque symbole non conventionnel. Il concerne :\r\n\r\n* la manière d'attaquer les touches,\r\n\r\n* des notations rythmiques non usuelles,\r\n\r\n* le jeu des tremolos (et de toutes les jeux d'entretien et de résonance du son),\r\n\r\n* la signification des groupes de notes encadrées,\r\n\r\n* les silences et pauses,\r\n\r\n* le jeu des pédales,\r\n\r\n* les modes de jeu des accords et arpèges.\r\n\r\nLa notation de ces 3 groupes pour les sons synthétiques est reproduite dans le chapitre \"la transcription de l'orchestre synthétique\" de cette analyse. La notation des groupes est l'une des grandes innovations produites par cette œuvre. Stroppa classe ses types sonores (des sons synthétiques comme des sons de piano) en 3 groupes, nommées alpha, beta, gamma - ou parfois A, B, C (cf. également Stroppa, 1991).\r\n\r\n**Systèmes de portées**\r\n\r\nLa partition pour piano est le plus souvent en 4 portées, plus une portée spécifiques pour la notation des 3 pédales. L'un des objectifs est de rendre lisible pour l'interprète des notes aux extrêmes, notamment dans _Contrasti_.\r\n\r\n[image:360ea6e0-c8dc-4ad5-8e6d-82814cb08343] [image:d8aef41d-aab8-449c-8f25-70ea57bd27ae] **_Contrasti_, page 8, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd038b1\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\nDans certains cas extrêmes, 6 à 7 portées de notes et une portée de pédales sont nécessaires. Par exemple, l'extrait suivant est révélateur d'une notation qui donne au pianiste une vision _quasi_ contrapuntique des groupes A, B et C. :\r\n\r\n[image:0ff9f0b7-ad23-4b7f-a0e5-f8173ff2afd9] **_Dialoghi_, page 11, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x51052d\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\nCertaines notations pourraient être plus simples, mais ne révéleraient pas la lisibilité des groupes, qui participent au repérage des OIM. On retrouve ici une préoccupation de Stockhausen : la partition, _quasi_ analytique, vise à fournir au pianiste des données indispensables à ses choix d'interprétation.\r\n\r\nD'autres présentations permettent une présentation des matériaux encore plus explicite :\r\n\r\n[image:5a4522ce-97a5-48eb-967d-8821cdebcccd] **_Dialoghi_, page 31, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x09534a\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**_Dialoghi_, p.31, dans un registre aigu, avec notamment l'insert d'une séquence rythmiquement régulière, © Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\n**La question de la synchronisation**\r\n\r\nPour le repérage chronométrique, on trouvera dans la seule partition intégralement transcrite (_Deviata_) une portée temporelle intitulée \"tempo\", située entre les portées du piano et les portées des sons électroniques, exprimée en secondes. Cette portée \"tempo\" est rappelée en haut de la partie des sons électroniques, avec parfois des minutages en rapport direct avec des sons de synthèse.\r\n\r\n**Cas type** [image:b3029980-11f8-4644-b3c0-f9e655725adb] **© Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi**\r\n\r\nStroppa indique que l'indication des _\"time codes\"_ n'est pas toujours satisfaisante pour la synchronisation piano/orchestre synthétique (Stroppa, 1991, p. 524). C'est pourquoi Stroppa adopte plusieurs stratégies selon le contexte.\r\n\r\n**Pour résumer, l'on trouve trois cas de figure principaux :**\r\n\r\n* La référence à un minutage précis (0:47 par exemple) au lieu d'un minutage par tranches de 15 secondes pointe des événements privilégiés, notamment les \"pivots temporels\". C'est le cas le plus fréquent dans l'écriture de _Traiettoria_.\r\n\r\n[image:254eb682-cc63-48be-8c45-8c94d58a9412]\r\n\r\n**Extrait de la partition de _Deviata_, p.11, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x76ed7c\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\n* Le minutage à la seconde sert de support à une notation proportionnelle : les événements du piano et de \"l'orchestre synthétique\" sont indépendants.\r\n\r\n[image:3a6c9fff-5d31-4276-ae5a-804d7ced969a]\r\n\r\n**Extrait de la partition de _Deviata_, p. 16, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi.**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf4f0f2\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\n* Signalons enfin que la présence du chronomètre n'implique pas nécessairement un jeu proportionnel à la seconde. Certaines séquences requièrent une interprétation relativement libre autour des \"pivots temporels\". C'est le cas notamment dans _Dialoghi_ et surtout _Constrasti_, notamment dans les épisodes associant des encarts de notes très régulières et forte (main droite) à des gestes plus improvisés mais liés à ces pivots temporels. Cette pratique est évidemment liée à la présence très forte des effets de résonances. Les interprètes, au piano comme à la console, sont tenus de s'insérer dans un flux sonore autour de ces pivots temporels, souvent assimilés à des attaques (accords plaqués au piano, ou complexe sonore synchrone pour la partie électronique).\r\n\r\n[image:796b6e20-b3c6-47c8-a335-04230f974e5b]\r\n\r\n**Extrait de la partition de _Deviata_, p. 25, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x404a29\r\n\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© Wergo / Ricordi / Marco Stroppa.**\r\n\r\nDans _Traiettoria_, on trouvera occasionnellement des \"remises à 0\" pour faciliter une synchronisation qui peut paraître difficile du fait de la superposition du temps flexible (du jeu du pianiste) et de la fixité chronométrique (du défilement des sons électroniques enregistrés sur support). Stroppa déplace cette question parfois problématique de la synchronisation sur le plan de l'écriture, en réalisant des prolongements de résonances du piano par des sons électroniques, et réciproquement (cf. chapitre le piano et l'électronique dans un même geste).\r\n\r\n**Transcription de \"l'orchestre synthétique\"**\r\n\r\nPar \"orchestre synthétique\" (Stroppa, 1991, p. 485-539), Stroppa renvoie à l'idée des sons de synthèse qui sont comme des instruments d'un orchestre accompagnant le piano. _Traiettoria_ peut s'entendre comme un concerto pour piano et orchestre (de sons de synthèse).\r\n\r\nLa [definition:31] de l'orchestre synthétique est issue d'un long travail de transcription (en 6 niveaux) pour aboutir à une notation de type symbolique, à vocation universelle (cf. rôles et fonctions ci-dessous). Cette notation est précisément documentée dans l'introduction de la partition de _Traiettoria...deviata_ (en italien et anglais). Les stratégies, enjeux et solutions adoptées sont également précisées dans un article complet intitulé \"Un orchestre synthétique : remarques sur une notation personnelle\" (Stroppa, 1991, p. 485-539).\r\n\r\n**Les groupes de l'orchestre synthétique**\r\n\r\nLe timbre reste toujours un point d'achoppement de la notation. Avec les sons de synthèse, la richesse spectrale est telle qu'une transposition de la notation traditionnelle n'aurait guère d'intérêt. C'est pourquoi Stroppa dégage une typologie minimale de 3 groupes, permettant de décrire avec précision les timbres de la partie synthétique. Les autres dimensions (rythme, hauteur, dynamique) relèvent d'une notation similaire à celle du piano (portées, notes propositionnelles, groupes rythmiques, etc.).\r\n\r\nLe groupe A renvoie au profil mélodique (au sens schaefférien) de sons mobiles et rapides\r\n\r\n[image:33ff1d57-2f1e-4bdb-8f11-89336fbfe432] **Groupe A**\r\n\r\nLe groupe B renvoie au profil dynamique de type percussif de sons isolés (ayant une structure spectrale complexe) [image:5e16dfc3-75d2-4662-b473-6beb92a9db4d] **Groupe Ba**\r\n\r\n[image:cfb14466-703b-4a80-80e8-56d805924052] **Groupe Bb**\r\n\r\nLe groupe C renvoie à l'entretien des sons [image:8ca3f362-eac1-42f9-a775-4ded5b752a1f] **Groupe Ca**\r\n\r\n[image:4c6c7d85-5660-48a8-acf1-d597c6f8929e] **Groupe Cb**\r\n\r\n**Fonctions de la notation de l'orchestre synthétique**\r\n\r\nDans le répertoire mixte, la transcription des sons de synthèse permet le plus souvent d'aboutir à des formes schématiques dont la fonction reste de synchroniser le temps élastique de l'interprète avec le temps chronométrique du défilement de la bande ou de la lecture du support de stockage des sons enregistrés. Chez Stroppa, l'enjeu de _Traiettoria_ est d'offrir à l'interprète (et accessoirement à l'analyste) un code suffisamment abstrait et universelle pour permettre une lecture et une interprétation dynamique, analytique de la pièce. Si la relative simplicité des sons de synthèse de _Deviata_ permet à Stroppa de réaliser une notation de type symbolique, il s'avère que la complexité des sons de synthèse dans _Dialoghi_ et surtout _Contrasti_ rend la notation proposée dans _Deviata_ insuffisante (Stroppa, 1991, p. 526-527). Pour autant, la proposition de Stroppa dans _Deviata_ est quasi unique dans la catégorie des œuvres mixtes. Elle révèle une exigence de Stroppa quant au rôle de la notation et au souci de transmission (pour l'interprète et le public) qu'elle induit.\r\n\r\nPour aboutir à la notation définitive, celle que l'on trouve dans la partition Ricordi de _Deviata_ (et que Stroppa projette toujours de poursuivre pour _Dialoghi_ et _Constrasti_), Stroppa est passé par 6 étapes, 6 niveaux qui permettent de passer des données que seules la machine peut comprendre à une partition lisible par les interprètes ou les lecteurs divers de la partition. Pour Stroppa (1991, p.528 et suivantes), les 6 niveaux sont regroupés en 3 types :\r\n\r\n1\\. deux niveaux de partition (niveau 5 et 4) : la partition définitive (niveau 5, disponible pour les interprètes, le pianiste et le musicien à la console) et la partition interface (niveau 4, c'est-à-dire la partition initiale de Stroppa, qui constitue la composition des sons de synthèse, et contient de ce fait l'ensemble de la notation spécifique, ainsi que quelques données opératoires pour la machine) 2\\. un niveau intermédiaire (niveau 3), dit de \"partition-esquisse\", qui amplifie les données qu'il faudra rendre lisibles pour la machine (ce niveau est optionnel, car parfois inutile dans certains passages) 3\\. trois niveaux dits \"d'interprétation\" (niveaux 2, 1 et 0), c'est-à-dire de transfert d'interprétations des niveaux précédents dans des données accessibles pour la machine. On y retrouve alors des cahiers remplis de données. Le dernier niveau (niveau 0) est constitué par exemple de données opérationnelles permettant l'exécution des ordres par la machine.\r\n\r\nLe rôle de la notation est de créer \"une base indispensable au développement d'une technique d'écriture\" (Stroppa, 1991, p.509). Nous avons vu combien écriture pianistique et écriture des sons électroniques sont issus d'un geste commun. Il s'agit _in fine_ de donner à l'interprète des moyens de comprendre totalement l'orchestre synthétique, et ainsi de se [definition:32] parfaitement aux sons de synthèse, condition indispensable à la fusion. \"C'est ainsi seulement que la qualité timbrique du matériau pianistique pourra s'accorder avec toute la finesse requise à celle du matériau synthétique, pour créer un nouvel objet sonore, un nouveau type d'interprétation qui, sans le concours et l'influence réciproque des deux instruments, ne pourrait exister\" (Stroppa, 1991, p.488-489).\r\n\r\n####La projection spatiale####\r\n\r\n_Traiettoria_ est une pièce initialement pour un nombre relativement restreint de haut-parleurs (2 pour les sons de piano, 5 pour les sons de synthèse, mais davantage si un acousmonium peut être disponible). La question de l'espace est réduit à un paramètre d'interprétation, \"simple projection tridimensionnelle d'un procédé compositionnel préétabli et stricte mise en scène seulement liée au concert\" (Stroppa, 1991, 526). Le vœu de Stroppa, dans la logique d'une modernité musicale suivant la filiation des musiques écrites occidentales, est de faire de l'espace un paramètre compositionnel à part entière, qui se doterait d'une notation spécifique, à vocation \"universelle\". Dans _Traiettoria_, \"l'espace interne\" (Chion, 1988) n'est pas noté, seul \"l'espace externe\" est notée, via le contrôle de mixage.\r\n\r\n**Contrôle de mixage**\r\n\r\nLa partition de _Deviata_ donne des indications précises à destination de la régie, concernant le contrôle de mixage. Il s'agit de contrôler les dynamiques, des canaux joués séparément ou des canaux joués associés.\r\n\r\n[image:3e1f59a2-b50e-440a-851c-64224b890abb] **Extrait de _Deviata_, p.14, © Traiettoria (1982 - 1984, rev. 1988) By courtesy of Casa Ricordi.**\r\n\r\nD (comme Destra) : Canaux de droite (HP 2 et 4)\r\n\r\nS (comme Sinistra) : Canaux de gauche (HP 1 et 3)\r\n\r\nM : mélange des canaux droite et gauche (HP 5)\r\n\r\n**L'interprétation au cœur de la projection spatiale**\r\n\r\nLa projection des sons de synthèse (comme la projection des sons de piano captés par micro) nécessite un musicien à part entière aux commandes de la console, non seulement pour jouer le mixage dynamique des sons électroniques, mais aussi pour assurer la conduite de la projection spatiale de l'ensemble piano/sons électroniques, en fonction de l'acoustique de la salle de concert. Marco Stroppa indique dans la note p.XX de la partition de _Deviata_ que le musicien à la console est un véritable chef d'orchestre. Cette configuration est plus exigeante que la plupart des œuvres mixtes existantes (mais très proche de la configuration requise par Stockhausen dans _Kontakte_).\r\n\r\n###Références###\r\n\r\n####Publications de Marco Stroppa####\r\n\r\n* Marco STROPPA, Tod MACHOVER, Stephen McADAMS, Xavier RODET, David WESSEL, \"Ideas about Timbre and Composition\", _Proceedings of the V Colloquio di Informatica Musicale_, Ancona, 1983, p. 146-155.\r\n\r\n* Marco STROPPA (1985), \"L'esplorazione e la manipulazione del timbre\", LIMB 5, p. 35-68, 1985 (texte issu d'une conférence donnée le 23 septembre 1983 au séminaire \"le système 4i et le temps réel\", à la Biennale de Venise de 1983).\r\n\r\n* Marco STROPPA (1984), \"The analysis of electronic music\", Contemporary Music Review vol. 1 n°1, 1984, p. 175-180 Traduction française : \"Sur l'analyse de la musique électronique\", L'IRCAM, une pensée musicale, Paris, Editions des Archives Contemporaines, 1984, p. 187-93.\r\n\r\n* Marco STROPPA (1989a), \"Les Organisations d'Information Musicale : une approche de la composition\", La Musique et les sciences cognitives, Mc Adams Stephen, Deliège Irène, éds., Bruxelles, Pierre Martaga, 1989, p. 203-234.\r\n\r\n* Marco STROPPA (1989b), \"Musical Information Organisms: An Approach to Composition\", Contemporary Music Review, vol. 4, 1989, : \"Music and the Cognitive sciences\" (S. Mc Adams et I. Deliège, éd.), p.131-163.\r\n\r\n* Marco STROPPA, Jacques DUTHEN (1990), \"Une représentation des structures temporelles par synchronisation de pivots\", Musique et assistance informatique, Marseille, MIM, 1990, p. 305-322.\r\n\r\n* Marco STROPPA (1991), \"Un orchestre synthétique : remarques sur une notation personnelle\", Le timbre, métaphore pour la composition, Jean-Baptiste Barrière, éd., Paris, Bourgois/IRCAM, 1991, p. 485-538.\r\n\r\n* Marco STROPPA (1999), \"Live electronics or ... live music? Towards a critique of interaction\", Contemporary Music Review, Vol. 18, Part 3, 1999, p. 41-77.\r\n\r\n* Marco STROPPA, Alvise VIDOLIN (1999), \"Sound Recovery of computer music works produced with low sampling rates: the case of Traiettoria\", Proceedings of the WWth CIM, Gorizia, 1999.\r\n\r\n* Marco STROPPA, Jacques DUTHEN (1990), \"Une représentation des structures temporelles par synchronisation de pivots\", Musique et assistance informatique, Marseille, MIM, 1990, p. 305-322.\r\n\r\n* Marco STROPPA, Serge LEMOUTON, Carlos AGON (2002), \"omChroma ; vers une formalisation compositionnelle des processus de synthèse sonore\", Paris, Ircam - Centre Pompidou, 2002.\r\n\r\n* Marco STROPPA, Gérard ASSAYAG, Carlos AGON (2000), \"High Level Musical Control of Sound Synthesis in OpenMusic\", dans Proceedings of the 2000 ICMC, Berlin, 2000.\r\n\r\n* Marco STROPPA, Jean BRESSON, Carlos AGON (2005), \"Symbolic Control of Sound Synthesis in a computer-assisted composition environment\", Proceedings of the International Computer Music Conference, Barcelona, September 2005.\r\n\r\n####Publications sur _Traiettoria_####\r\n\r\n* Giacomo ALBERT (2006), \"La musica di Marco Stroppa: percorsi paralleli tra tecnologia e pensiero compositivo\", _Mémoire de Maîtrise_, sous la direction de M. Gianmario Borio, Université de Parma, Faculté de Musicologie, 2006.\r\n\r\n* Lidia BRAMANI (1996), [\"Marco Stroppa\", _Résonance, n°10_, mai 1996](http://articles.ircam.fr/textes/Bramani96a/), Ircam, Centre Georges-Pompidou.\r\n\r\n* Jérôme CHADEL (2000), \"Interactions Piano / Machine dans Traiettoria... deviata de Marco Stroppa\", _Mémoire de D.E.A. Arts option Musique_, sous la direction de Márta Grabócz, Université Marc Bloch de Strasbourg, 2000.\r\n\r\n* Danielle COHEN-LEVINAS (1993), \"Entretien avec Marco Stroppa\", _Les Cahiers de l'Ircam n°3_, Paris, Ircam - Centre Pompidou, 1993.\r\n\r\n* Stefano MARCATO (2001), \"La realizzazione dei suoni sintetici in Traiettoria di Marco Stroppa\", _Il centro di sonologia computazionale dell'università di Padova. vent'anni di musica elettronica_, CIMS, Centro per le iniziative musicali in Sicilia, Archivio Musiche del XX secolo Palermo, 2001, p. 175-189.\r\n\r\n* M. MATHIEU et B. MATHIEU (2002), _Organismes d'Information Musicale : vers un modèle informatique_, ENST Bretagne, Département IASC, sous la direction de Gilles COPPIN, 12 mars 2002.\r\n\r\n* Nathalie RUGET-LANGLOIS (1998), \"Musique et technologie : la démarche particulière de Marco Stroppa. Entretien avec le compositeur\", _Les Cahiers de l'OMF, n°3_, 1998, p. 69-74.\r\n\r\n* Alessandro TAMBURINI (1985), \"Ritratto di poetica musicale: Traiettoria, per pianoforte e computer di Marco Stroppa\", _LIMB Bullettin n. 5_, Edition La Biennale de Venise, 1985, p. 69-76.\r\n\r\n####Bibliographie générale (et enregistrements radiophoniques)####\r\n\r\n* H. ABELSON, G.J. SUSSMAN (1985), _Structure and Interpretation of Computer Programs_, Cambridge, The MIT Press, 1985\\. Seconde édition en 1996 (avec Julie Sussman).\r\n\r\n* John R. ANDERSO (1985), _Cognitive Psychology and its Implications_, New-York, W.H. Freeman, 1985.\r\n\r\n* Jean BRESSON (2007), \"La synthèse sonore en composition musicale assistée par ordinateur. Modélisation et écriture du son\", _Thèse de Doctorat sous la direction de Carlos Agon_, Université de Paris IV, 2007.\r\n\r\n* Michel CHION (1988), \"Les deux espaces de la musique concrète\", dans Francis Dhomont éd., \"L'espace du son I\", Lien (revue d'esthétique musicale), Ohain, Editions Musiques et Recherches, 1988, p. 31-33.\r\n\r\n* John, CHOWNING (1980), _Computer Synthesis of the singing voice_, Royal Swedish Academy of Music 29, pages 4-13, 1980.\r\n\r\n* Xavier HAUTBOIS (1991), \"Formulation et Formalisation des Contraintes en Informatique Musicale, approches des compositeurs Marco Stroppa et Philippe Hurel\", _Mémoire de D.E.A. en Musique et Musicologie du XXe Siècle_, sous la direction de Hugues Dufourt, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1991.\r\n\r\n* David MARR (1982), _Vision: a Computational Investigation into the Human Representation and Processing of Visual Information_, San Francisco, W.H. Freeman, 1982.\r\n\r\n* Stephen Mc ADAMS (1981), \"Spectral Fusion and the creation of auditory images\", _Music, Mind, and Brain: The Neuropsychology of Music_. M. Clynes, ed., New York, Plenum, 1982, p.279-298 (cf. également Mc ADAMS (1984), \"Spectral fusion, spectral parsing and the formation of auditory images\", PhD Thesis, Standford University, publiée par le CCRMA, Dept. of Music Report n° STAN-M-22).\r\n\r\n* Stephen Mc ADAMS (1985), L'Image auditive, une métaphore pour la recherche musicale et psychologique sur l'organisation auditive , Paris, Rapport Ircam n°37, 1985.\r\n\r\n* George A. MILLER (1956), \"Magic number seven plus minus two\", _Psychological Review 63_ (2), p.81-97\r\n\r\n* Marvin MINSKY (1985), _The Society of Mind_, New-York, Simon & Schuster, 1988.\r\n\r\n* Raymond S. NICKERSON, David N. PERKINS, Edward E. SMITH (1985), _The Teaching of Thinking_, Hillsdale (N.Y.), L. Erlbaum Associates, 1985.\r\n\r\n* Jean-Claude RISSET (1969), _An Introductory Catalogue of Computer Synthesized Sounds_, Bell Telephone Laboratories, 1969, réédité sur le [CD WERGO 20332](http://www.wergo.de/shop/en_UK/Audio_CDs/1000083/1660296/show,93269,h.html)\r\n\r\n* Jean-Claude RISSET (1986), \"Timbre et synthèse des sons\", _Analyse Musicale n°3_, Avril 86, p. 9-20.\r\n\r\n* Jean-Claude RISSET (1987), \"Perception, environnement, musiques\", _InHarmoniques n°3_, Paris, Ch. Bourgois/IRCAM, 1987, p. 10-42.\r\n\r\n* Jean-Claude RISSET (1988), \"synthèse et instruments : rencontre du 3ème type\", _Trois visages de l'acousmatique numérique_, Acousmathèque de l'INA/GRM/France culture, Mercredi 20 Avril 1988.\r\n\r\n* Jean-Claude RISSET (1990), \"Composer le son : expériences avec l'ordinateur, 1964-1989\", _Contrechamps n°11_, août 1990, p. 107-126.\r\n\r\n* Jean-Claude RISSET (1991), \"Musique, recherche, théorie, espace, chaos\", _InHarmoniques 8/9_, 1991, p. 272-316.\r\n\r\n* Irvin ROCK, _The Logic of Perception_, Cambridge (Ma.), MIT Press, 1983.\r\n\r\n* Eleanor ROSCH (1978), _Cognition and categorization_, Hillsdale, Lawrence Erlbaum Associates, 1978.\r\n\r\n* Pierre SCHAEFFER (1966), _Traité des objets musicaux_, Paris, Seuil, 1966.\r\n\r\n* Graziano TISATO (1976). \"An interactive software system for real-time sound synthesis\", ICMC - International Computer Music Conference, 1976 – Boston, p. 135-143.\r\n\r\n* Graziano TISATO (1990), _ICMS Interactive Computer Music System. Versione del 1990_, Padova - Centro di, Sonologia Computazionale.\r\n\r\n* David WESSEL (1978), _Low Dimension Control of Musical Timbre_, Paris, Rapport Ircam n°12.\r\n\r\n* Patrick Henry WINSTON (1977), _Artificial Intelligence_, Reading (Mass.), Addison-Wesley ub. Co., 1977.\r\n\r\n* Laure ZATTRA (2003), \"Science et technologie comme sources d'inspiration au CSC de Padoue et à l'IRCAM de Paris\", _Thèse de doctorat_ soutenue à l'Université de Paris IV (en cotutelle avec l'Université de Padoue) sous la direction de Marc Battier, 2003.\r\n\r\n####Discographie et concerts-lecture####\r\n\r\n* [7 concerts ou concerts-lecture enregistrés _Traiettoria_](https://medias.ircam.fr/search/?q=traiettoria&&selected_facets=event_type_exact:Concert) (tout ou parties), disponibles en lecture audio à la médiathèque de l'Ircam.\r\n\r\n* Marco STROPPA, _Traiettoria_, Pierre-Laurent Aimard, piano, Marco Stroppa, projection du son, CD Wergo Digital Music Digital [\"Computer Music Currents vol. 10\", WER 2030-2](http://www.wergo.de/shop/en_UK/Audio_CDs/1000083/1660296/) (épuisé).\r\n\r\n* Marco STROPPA, _Due Miniature Estrose_, Pierre-Laurent Aimard, piano, enregistrement du concert du festival Présences 92, Radio France, CD ADES, 1992, 202282.\r\n\r\n* Marco STROPPA, _Miniature Estrose, Libro Primo_, Florian Hölscher, piano. CD Stradivarius, 2005, STR 33713.\r\n\r\n* Marco STROPPA, [_Traiettoria, Spirale_, CD Stradivarius STR 57008, 2009](http://www.stradivarius.it/scheda.php?ID=801157057008600) (Pierre-Laurent Aimard piano), année d'enregistrement 1991.\r\n\r\n####Conférences et films####\r\n\r\n* Nicolas DONIN, Benoît MARTIN, [\"Images d'une œuvre #7, _hist whist_ de Marco Stroppa\"](http://www.ircam.fr/images_d_une_oeuvre.html#c3847).\r\n\r\n* Marco STROPPA, Pierre-Laurent AIMARD, \"1985-1986\\. Ateliers avec les compositeurs\". \"Atelier de Stroppa\". Présentation de _Traiettoria_ et extraits, séance du 18 juin 1986, réf. de la médiathèque de l'Ircam : IRCAM-AU02043400 ; piste 1 ; (durée 01:12:27).\r\n\r\n* Marco STROPPA, Arshia CONT \"Autour de ... _of Silence_ pour saxophone et électronique de chambre : de l'écriture de l'espace à celle du temps et de l'interaction \", conférence Ircam Séminaires \"Recherche et Création\" 2007-2008, séance du 10 décembre 2009, référence médiathèque de l'Ircam : AU02029700 ; piste 1 (durée 01:10:03).\r\n\r\n* Marco STROPPA, Jean BRESSON, \"OMChroma : CAO, synthèse et \"potentiel sonore\" \", conférence Ircam \"Recherche et Technologie\" 2007-2008, séance du 23 janvier 2008, référence de la médiathèque de l'Ircam : AU02030200, durée : 01:22:56 ; piste 1.\r\n\r\n* Marco STROPPA, \"De l'expressivité dans la musique de synthèse : est-ce qu'un ordinateur peut émouvoir des humains ?\", le 17 juin 2008, référence de la médiathèque de l'Ircam : AU02046300 ; piste 4 ; durée : 00:54:43.\r\n\r\n* Marco STROPPA, Jean BRESSON, \" OMChroma \", 12 novembre 2008 : 2008-2009\\. Atelier du Forum, 12 novembre 2008, Référence de la médiathèque de l'Ircam : AU02053900, durée : 51mn42, piste 6.\r\n\r\n* Marco STROPPA (2002), [\"Le langage musical et l'informatique : influences réciproques au début des années 1980\", Séminaire du CDMC 2001-2002](http://www.cdmc.asso.fr/enregistrements_mp3/seminaires/semi0102.htm), \"Langage, style et écriture aujourd'hui : quelles évolutions après un siècle d'innovations radicales ?\", séance du 11 juin 2002.\r\n\r\n* Marco STROPPA (2003), [\"Réalité de l'histoire, utopie de l'inouï : rencontre avec Jacopo Baboni Schilingi et Marco Stroppa, animée par Gianfranco Vinay\"](http://www.cdmc.asso.fr/enregistrements_mp3/seminaires/semi0203.htm), Séminaire du CDMC 2002-2003, \"La musicologie à l'épreuve de la création musicale : enjeux et méthodes\", séance du 29 avril 2003.\r\n\r\n####Sites####\r\n\r\n* Jean BRESSON, Carlos AGON, site de l'équipe [\"Représentations Musicales\"](http://www.ircam.fr/repmus.html) de l'Ircam.\r\n\r\n* Giordano FERRARI (2008), [\"Marco Stroppa, parcours de l'œuvre\"](https://brahms.ircam.fr/composers/composer/3074/workcourse/#parcours), Base BRAHMS de l'IRCAM.\r\n\r\n* Marco STROPPA, [site officiel du compositeur](https://www.marcostroppa.eu/)\r\n\r\n* Logiciel [Open Music](http://forumnet.ircam.fr/product/openmusic/).\r\n\r\n###Remerciements###\r\n\r\nà Noémie Sprenger-Ohana (CEAC-Université de Lille-3), dans le cadre du Contrat ANR Mutec (en collaboration avec l'Equipe APM (Ircam-CNRS), Samuel Goldszmidt et Nicolas Donin (Equipe APM / Ircam-CNRS), et Marco Stroppa.","2010-07-12T00:00:00.000Z","analyse-de-i-traiettoria-i-(1982-1984)-de-marco-stroppa",{"getUrl":169},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/eec8b89d-8bca-4e6a-8f24-b01782e0345b-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=5ef902c6ae184f7604f57a56845ab081d0ab9967b6fc25bdbf20c036be953289",{"url":169,"isIcon":11,"alt":163,"centered":37},[172],{"firstName":88,"lastName":89},{"title":174,"titleEn":175,"text":176,"textFr":177,"textEn":11,"date":166,"type":32,"slug":178,"authors":11,"toc":11,"image":179,"composer":11,"cardImage":181,"cardTitle":174,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":182},"Analyse de \u003Ci>Amers\u003C/i> (1992) de Kaija Saariaho","Analysis of \u003Ci>Amers\u003C/i> (1992) by Kaija Saariaho","[TOC]\r\n\r\n### Présentation : esthétique et outils\r\n\r\n#### Musique spectrale\r\n\r\nL'évolution de la musique spectrale dans les années 1980-1990 chez certains compositeurs ([composer:87c00721-9b17-4b42-b811-24a4230677c0][Philippe Hurel], [composer:79dc57c6-52c1-4e38-9f96-f4bbe8d2d331][Tristan Murail], [composer:1be606a1-33fa-4b1e-b527-531fa5ca354e][Magnus Lindberg], [composer:60a04277-706c-4308-b651-29fa394607ef][Marc-André Dalbavie]...) est très liée au développement de nouveaux outils d'informatique musicale. Les équipes de recherche de l'Ircam, notamment, explorent la description objective du timbre sous différentes perspectives. Ces méthodes de représentation du timbre se présentent sous la forme d'outils technologiques, de logiciels d'analyse et de synthèse du son, mais offrent autant de paradigmes de représentation du timbre, et en cela modifient les conceptions des compositeurs sur l'harmonie, le timbre ou le rythme.\r\n\r\n_Amers_ (1992) de Kaija Saariaho, pièce concertante pour violoncelle solo, ensemble et électronique, est à ce sujet une œuvre représentative, une « œuvre de synthèse » [^Stoianova, 1994], reflet esthétique, technique et technologique de la musique spectrale à cette époque. Nous allons analyser ici l'influence de différents modes de représentation du timbre sur certains aspects esthétiques et techniques d'_Amers_. Des analyses plus générales ou plus détaillées de l'œuvre sont disponibles ailleurs [^Stoianova, 1994] [^Wang, 1997] [^Lorieux,2004].\r\n\r\n#### Autour du modèle spectral\r\n\r\n_Amers_ se construit à partir d'un son unique, choisi dans [work:2d743146-a43e-4fde-acbc-db820c635ca1][...à la fumée] (pour flûte, violoncelle et orchestre, 1991) : un trille « vertica » de violoncelle, sur mi bémol 1, entre note appuyée et effleurée, avec des variations de pression d'archet.\r\n\r\nLe violoncelle solo commence la pièce avec ce trille, et on a l'illusion que toute l'œuvre se construit en résonance de ce son. Composer une pièce sur un tel déploiement est l'idée fondatrice de la musique spectrale : l'utopie que l'observation et la restitution d'un son garantissent la cohérence de la structure musicale dans sa totalité comme dans ses détails.\r\n\r\n> « L'instrumentation et la distribution des volumes et des intensités suggèrent un spectre synthétique qui n'est autre que la projection dans un espace dilaté et artificiel de la structure naturelle des sons » [^Grisey, 1991]\r\n\r\nLe modèle spectral est fondé sur un son de trille, à l'origine d'_Amers_ [^Wang, 1997]. [image:ce853391-6588-4c4d-9918-fc7a9c861315]\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x446b90\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nLa première page d'_Amers_ présente d’emblée ce trille\r\n\r\n[image:7c9ea5c3-3e2e-4e2d-9e20-98d686fbaa96]\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcdfded\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n#### Outils technologiques\r\n\r\nLe matériau des premières esquisses de la pièce est fondé sur l'analyse par différentes méthodes de ce modèle spectral de mi bémol :\r\n\r\n* une analyse spectrale classique ([definition:23]), qui représente le son sous forme de listes de fréquences et d'amplitudes,\r\n\r\n* une analyse par « modèle de résonance », qui modélise le son sous forme d'un unique filtre résonant,\r\n\r\n* la synthèse par modèles physiques ne permet pas d'analyser le son, mais apporte un point de vue conceptuel supplémentaire sur les développements possibles du son.\r\n\r\nEn complément de ce travail sur le son, Saariaho exploite les possibilités de la technique d'interpolation, ou transition progressive d'une situation musicale ou sonore d'un état à un autre, dont le propre est d'être contrôlé par un algorithme. Si la technique est appliquée ponctuellement sur des éléments rythmiques relativement courts, le principe en gouverne l'évolution formelle des éléments harmoniques.\r\n\r\nLe projet d'_Amers_ est de déployer le plus largement possible son geste initial, le trille de mi bémol. Le même matériau, issu de l'observation du modèle spectral (analyses spectrales, éléments de synthèse sonore, interpolations rythmiques) va s'appliquer indifféremment à l'écriture instrumentale et la synthèse sonore, traités sur le même plan, la pratique de l'un enrichissant l'autre.\r\n\r\n### Analyse spectrale et perspective sonore\r\n\r\n#### Modèle complet, modèle réduit\r\n\r\nLa première analyse spectrale réalisée sur le son est une analyse FFT, qui donne une liste de partiels avec leur fréquence et leur amplitude.\r\n\r\nDans les premières œuvres de musique spectrale, ces résultats étaient convertis en notes et en nuances et transcrits sur la partition. La restitution du son dans une œuvre musicale s'apparentait alors à l'opération de synthèse additive, où l'on réalise l'opération inverse de l'analyse : l'empilement d'ondes sinusoïdales. Chez Murail, par exemple, ces résultats pouvaient être confiés successivement à des sons de synthèse ou aux instruments (« synthèse instrumentale », (GRISEY, 1991)). Selon cette approche, l'analyse spectrale est considérée comme un outil qui fournit un matériau harmonique. On remarque alors que les résultats bruts d'une analyse spectrale donnent un matériau trop riche pour être utilisé harmoniquement (le propre de l'harmonie étant de donner une couleur à l'aide de quelques rapports d'intervalles).\r\n\r\nL'algorithme de Terhardt, appelé également Iana, permet de simplifier les résultats bruts de l'analyse FFT aux fréquences les plus représentatives perceptivement pour un timbre : il permet de transcrire un timbre en accord.\r\n\r\nSaariaho utilise d'une part une analyse spectrale brute, un modèle complet du spectre, pour construire les premiers sons synthétiques d'_Amers_, et d'autre part les résultats filtrés par Iana, le modèle réduit du spectre, pour composer les parties instrumentales. La compositrice peut ainsi jouer avec virtuosité sur la proximité perceptive entre harmonie et timbre : le modèle complet, proche du son d'origine, permet de fusionner ses éléments en un timbre, tandis que le modèle réduit introduit une perception séparée des fréquences, une fission de type harmonique.\r\n\r\n**Premières présentations du trille**\r\n\r\nNous redonnons le trille d'origine :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x446b90\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nVoici un exemple de son synthétique composé à partir du trille initial\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3d920c\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nLes analyses spectrales du violoncelle (COHEN-LEVINAS, 1993) correspondent à deux approches : d’une part, le modèle réduit (en haut) et d’autre part, le modèle complet (en bas).\r\n\r\n[image:b5405990-7475-4024-a1a8-a2d5851d7f33] [image:b07d53b6-ca36-4273-9080-886574efd301]\r\n\r\nL'analyse FFT découpe le son en tranches temporelles régulières. Saariaho, dans l'idée de projeter l'évolution du son dans la forme de l'œuvre, va s'appuyer sur cette présentation du matériau pour organiser les premières séquences. Dans ces séquences, un son synthétique lance la séquence : il est construit à partir du modèle complet correspondant à l'indice temporel de l'analyse. L'ensemble s'inscrit dans la résonance de ce son, avec les notes du modèle réduit. Le violoncelle lance le mi bémol trillé puis navigue entre ensemble et électronique, tel un marin dans une mer de sons.\r\n\r\n_Amers_, repère D\r\n\r\nson électronique\r\n\r\nSON 04\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x705e04\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nextrait du CD\r\n\r\nSON 05\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaedda4\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n[image:b8544b19-f621-4416-a298-7e38e19e8702] [image:6e1013ef-b1da-43f7-857f-12c9fe194808] [image:bf024c2c-e17a-4011-a3b2-890a5758b8d5]\r\n\r\n##### Un matériau pluridimensionnel\r\n\r\nLa compositrice se trouve ainsi face à un **matériau spectral à trois dimensions**. À une inscription dans le temps des évolutions de l'harmonie s'ajoute une profondeur de champ, qui comme par des effets de focale, en révèle plus ou moins les détails. Un tel matériau harmonique ne se destine plus à conduire une forme de manière traditionnelle : le discours d'_Amers_ est fondé sur la mise en perspective de ces différents éléments. La formation choisie (violoncelle solo, ensemble et électronique) est adaptée à ces continuels changements de points de vue.\r\n\r\nNotons qu'un modèle secondaire est également utilisé (surtout dans la seconde partie de l'œuvre) : le même trille, joué sur la même corde du violoncelle, mais désaccordée d'une quinte inférieure (la bémol).\r\n\r\n#### Le rapport entre violoncelle, ensemble et électronique dans la première partie\r\n\r\nLa construction de l'orchestration avec différents degrés de précision d'un même matériel harmonique ou mélodique est pratiquée depuis l'époque classique : les pupitres de cuivres et de percussion énoncent les grandes lignes de l'évolution tonale de manière morphologiquement simplifiée (tenues de cors) ou caricaturée (impulsions de timbales). Cette répartition instrumentale est _de facto_ une répartition spatiale, ces pupitres se situant en fond de scène. Il y a d'ailleurs une cohérence perceptive entre l'éloignement physique des instruments et la simplification des traits musicaux : on entend moins bien les détails de variation d'un son lointain.\r\n\r\nDans la première partie d'_Amers_, l'électronique, à la morphologie la plus simple, prend en charge l'évolution harmonique globale. Comme dans une œuvre orchestrale de facture classique, s'y ajoutent ponctuellement les deux cors et les clarinettes, qui soulignent les éléments les plus prégnants de l'harmonie spectrale. Chaque protagoniste de ce concerto définit ici sa place dans cette perspective harmonique, à l'aide d'une morphologie spécifique.\r\n\r\n##### Synthèse sonore\r\n\r\nLa synthèse électronique est la moins articulée : elle prend souvent la forme d'une vague. Le modèle spectral est représenté le plus fidèlement possible du point de vue timbral-harmonique mais la complexité rythmique, gestuelle du trille est simplifiée à l'extrême.\r\n\r\nDans l'exemple suivant, le son de synthèse avec une forte sensation de consonance fusionne avec le trille de violoncelle. Il est opposé en tout au violoncelle : son absence d'articulation et sa position acousmatique contrastent avec la physicalité et les mouvements du soliste, qui est ainsi mis en valeur.\r\n\r\n_Amers_ : repère E\r\n\r\nSon électronique\r\n\r\nSON 06\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x22a459\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nExtrait du CD\r\n\r\nSON 07\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5ef724\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n[image:e672fd8b-410c-4645-9f0e-0a1dd83498f6] [image:d1c4c111-e2a1-478b-a922-c93a16e5266b] [image:701c1738-fe56-40a2-8fc0-f854a4f6f649]\r\n\r\n_Amers_ : repère F\r\n\r\nSon électronique\r\n\r\nSON 08\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7e8310\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nExtrait du CD\r\n\r\nSON 09\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb658fb\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n[image:eeab1f2c-41af-459b-abd8-54ee23c5fd7f] [image:8f006666-c97c-4d47-8457-064720487001]\r\n\r\n##### Ensemble instrumental\r\n\r\nSur un canevas harmonique de quelques hauteurs (modèle réduit du spectre), l'ensemble instrumental présente des figures très variées rythmiquement. Comme par un effet de calque, il superpose au son électronique une représentation plus schématique et plus volubile du modèle spectral. Par la superposition du modèle complet au modèle réduit (et aidé par quelques réverbérations longues), l'ensemble fusionne donc naturellement avec l'électronique.\r\n\r\nLe trille est donc représenté moins précisément du point de vue timbral-harmonique, mais son énergie agogique est en permanence exacerbée, détaillée, réinventée par un tissu d'interpolations rythmiques souples et élégantes.\r\n\r\n_Amers_, repère C, m.25-28 : comparaison du violoncelle, de l'ensemble et de l'électronique\r\n\r\nvioloncelle [image:4428cf0c-a69e-46f7-afdf-076de2ff19db]\r\n\r\nSON 10\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x099c42\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nLes extraits de violoncelle seul sont extraits des passages correspondants dans la pièce soliste _Près_ (voir plus bas pour des explications sur la relation entre les deux œuvres).\r\n\r\nRelevé des notes de l'ensemble et du violoncelle en notes noires (modèle réduit). Notes principales du son électronique en notes blanches.\r\n\r\n[image:046af2d6-1249-4135-98a4-4a11809012bb]\r\n\r\nson électronique\r\n\r\nSON 01\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x446b90\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nextrait du CD\r\n\r\nSON 11\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xca1466\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n##### Soliste\r\n\r\nLa présence d'un soliste dans une pièce de musique spectrale peut sembler à première vue contradictoire avec le principe qui veut que les instruments doivent fusionner en un son unique. Si pour _Diadèmes_ (concerto pour alto, ensemble et électronique, 1986), [composer:60a04277-706c-4308-b651-29fa394607ef][Marc-André Dalbavie], par ailleurs peu intéressé par le principe de fusion harmonique, abandonne peu à peu les fondamentaux de la composition spectrale (voir citation ci-dessous), _Amers_ permet une mise en avant du soliste. Son activité reste inscrite à l'intérieur d'un champ harmonique pluridimensionnel, dont il exprime la surface la plus extérieure. A chaque instant, en combat avec l'inertie des sons synthétiques ou les pulsions de l'ensemble, le violoncelle doit affirmer un degré supérieur, synthétique, de la représentation du modèle.\r\n\r\nPeut-on parler d'un concerto spectral ? Selon Marc-André [composer:60a04277-706c-4308-b651-29fa394607ef][Marc-André Dalbavie] : « Tout a commencé lorsque j'ai écrit _Diadèmes_. A un moment de ma pièce, je me suis retrouvé avec un instrument solo, mélodique, un alto, dans une section qui, de ce fait, devenait contradictoire avec les principes de l'orthodoxie spectrale. Je me suis aperçu que, si l'on voulait écrire une forme concertante, l'écriture spectrale devenait une gêne. On est alors coincé entre ce système qui prône la fusion instrumentale et la nécessaire séparation du soliste et de l'ensemble qui est caractéristique de la forme concertante. » (TEXIER, 1993)\r\n\r\nCe rôle convient tout à fait à la rhétorique d'un soliste de concerto : la construction des figures se fait donc dense, le registre d'expression large car tantôt toutes les notes du modèle réduit doivent être prononcées, tantôt certaines sont polarisées, cristallisées. La partie soliste expose le son d'origine en relation avec sa mise en abîme la plus extrême, beaucoup plus travaillée que les figurations de l'ensemble.\r\n\r\n_Amers_, violoncelle, lettre O (m. 154-161)\r\n\r\n[image:f1396dbf-f3fb-454d-99c9-201b7d433a89]\r\n\r\nSON 12\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x41acd0\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nLa partie de violoncelle représente le modèle spectral de manière tellement complète et autonome qu'elle a donné lieu à l'écriture d'une « pièce-sœur », Près (1992-1994), qui reprend dans un ordre légèrement différent et dans trois mouvements séparés les principaux éléments du violoncelle et de l'électronique d'_Amers_ (LORIEUX, 1999).\r\n\r\n#### Analyse spectrale et écriture\r\n\r\nL'écriture de Saariaho s'est développée dans les années 1980 autour de la notion d'axe timbral (SAARIAHO, 1991) : les éléments musicaux d'une pièce (rythmiques, timbraux, harmoniques) y sont intrinsèquement dotés de qualités consonantes (sons « clairs ») ou dissonantes (sons « bruités », ou sombres). Une œuvre comme _Lichtbogen_ (pour ensemble, 1986) organise les variations de « luminosité » de tels éléments. Déjà, le sonagramme de l'analyse spectrale d'un son ne fournit pas seulement le matériau harmonique, mais inspire à la compositrice les évolutions formelles de la pièce (GRABOCZ, 1993).\r\n\r\nLes analyses spectrales sont utilisées pour l'harmonie de manière systématique à partir de Io (pour ensemble et bande magnétique, 1987). Ces éléments sont considérés comme porteurs de qualités dynamiques et hiérarchisés en différents niveaux. Comme avec _Lichtbogen_, un discours s'élabore alors entre différents éléments sonores, ici entre différents niveaux de représentation harmonique.\r\n\r\n> « Le groupe instrumental et la bande commencent souvent sur le même accord, puis l'un ou l'autre, ou bien les deux à la fois, s'en vont vers des structures différentes, pour se rencontrer à nouveau plus tard. Cela produit le même effet que deux calques ou transparents superposés dont les figures seraient partiellement similaires et différentes, de telle sorte que quand une des images bouge de temps à autre, les lignes se séparent pour construire des figures différentes. » (SAARIAHO, 1991)\r\n\r\nExtrait de _Io_ (pour ensemble et électronique), 1987\r\n\r\nSON 13\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5c520f\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nUn peu plus tard l'écriture massive de _Du cristal_ (pour orchestre, 1991) est fondée sur la même idée de blocs harmoniques dérivant les uns par rapport aux autres.\r\n\r\nExtrait de _Du cristal_ (pour orchestre), 1991\r\n\r\nSON 14\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc88e85\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nL'écriture par superposition de matériaux sonores par « transparence » du diptyque orchestral [work:2d743146-a43e-4fde-acbc-db820c635ca1][...à la fumée] évoluera dans _Amers_ vers une construction de l'harmonie et de l'instrumentation en perspective, grâce à la possibilité de nouvelles analyses spectrales, et notamment la mise en œuvre du principe de « modèles de résonance ».\r\n\r\n### Écriture de la résonance et modèle source-filtre\r\n\r\nDans la méthode d'analyse sonore par modèles de résonance, un son est considéré comme l'interaction entre un excitateur (source) et un résonateur (filtre). Par exemple pour une cymbale, la baguette met en vibration l'instrument ; pour un violoncelle, une corde excitée résonne dans le corps de l'instrument (POTARD & al., 1991). L'algorithme d'analyse trace les continuités des partiels entre les différents moments de la résonance. Ces résultats sont alors transcrits sous forme de bancs de filtres résonants. En théorie, une impulsion bruitée, courte et forte qui excite un tel banc de filtres suffit à restituer la résonance du son analysé. Plus généralement, une source sonore passée dans ces filtres se voit appliquer d'une sorte de réverbération colorée, à la manière de résonances par sympathie.\r\n\r\nCette méthode conçue pour modéliser des sons à la résonance riche, comme des cloches ou des pizzicatos d'instruments graves, gagne à être appliquée à d'autres types de sons (tenus, ou très courts) : considérés comme résonants, ils permettent de définir un champ harmonique. Un modèle de résonance est une représentation dynamique d'un son, celle de sa potentialité spectrale.\r\n\r\nLa notion de champ harmonique de cette méthode d'analyse dépasse une conception de modélisation spectrale en suite d'objets harmoniques de l'analyse FFT. L'analyse spectrale, plus qu'un outil qui fournit du matériel harmonique, devient un moyen d'appréhender la couleur générale d'un modèle à travers différents points de vue. Cette couleur générale, complexe, variante, définit un espace de résonance. La composition est alors l'inscription d'éléments musicaux dans une relation de consonance/dissonance par rapport à cet espace de résonance.\r\n\r\nCette conception de l'harmonie et cette perspective sur l'écriture spectrale sont issues du principe de modèles de résonance, qui tranche avec l'utilisation de la grammaire spectrale chez les confrères de Saariaho, souvent réduite à la même époque au déploiement combinatoire de couleurs harmoniques typiques.\r\n\r\nLa notion d'espace de résonance est travaillée dès les débuts de la musique spectrale, sur le modèle tutélaire de la résonance du spectre de si bémol de [work:39478c4d-c92a-4f01-90fa-9d1538902947][Stimmung], de Stockhausen, étalé sur plus d'une heure. [work:d968fdf1-307a-485a-80e3-2a8d1b997fed][Prologue], de Grisey (pour alto et résonateurs, 1976) et [work:22614d3f-51de-46f7-8caf-ee048d4c7a3c][Appels], de Lévinas (pour ensemble) associent aux instruments des résonateurs : des caisses claires ouvertes auxquelles s'ajoutent un piano ouvert, une palme et un métallique d'ondes Martenot, un tam-tam, une grosse caisse pour Grisey. Le discours musical de ces pièces est sous-tendu par la définition d'un arrière-plan sonore de résonances sympathiques qui apparaîtront à l'auditeur avec différents degrés de présence, réglés par l'écriture. Il y a un effet de perspective entre un premier plan sonore et cet arrière plan volatil, qui est de l'ordre de la séparation entre un excitateur et un résonateur dans un instrument de musique. A l'arrivée au début des années 1990 de la possibilité technique de restituer des modèles de résonance en temps-réel, et pour des raisons de mise en place technique plus facile, Grisey souhaitera remplacer les résonateurs instrumentaux de _Prologue_ par leurs équivalents modélisés.\r\n\r\nDans la première partie d'_Amers_, les sons synthétiques définissent un arrière-plan au-dessus duquel l'ensemble et le soliste vont s'inscrire dans un rapport de fusion (consonance) ou de fission (dissonance).\r\n\r\nLa fonction de l'électronique est ici de représenter la résonance du trille au ralenti : les différentes séquences représentent différents moments de l'analyse FFT. Ces sons synthétiques sont construits avec des sons filtrés par des modèles de résonance. Les filtres résonants, construits à partir de versions légèrement différentes du modèle spectral, sont appliqués sur des sons riches : vagues (la métaphore marine est à l'œuvre dans _Amers_, comme l'indique son titre), modes de jeu bruités du violoncelle, trémolos de grosse caisse, ces sons riches pouvant être transposés et/ou ralentis. Cependant, dans la partition, les sons synthétiques sont notés simplement sous forme harmonique. Cette notation ne fait pas apparaître l'évolution de la morphologie des sons filtrés, qui évoluent en fonction du caractère harmonique.\r\n\r\n#### Exemples : évolution des rapports entre électronique et instruments\r\n\r\n_Amers_ (début, repères A à I) : évolution du rapport entre la bande et l'orchestre section par section.\r\n\r\nEn notes noires : relevé des notes de l’ensemble et du violoncelle d’_Amers_\r\n\r\nEn notes blanches : relevé de la représentation harmonique de la bande, telle qu’inscrite sur la partition.\r\n\r\n(La durée de ces accords est indiquée par les pointillés.)\r\n\r\n[image:41b6b404-4583-4c6a-9bea-78f5d1ff0de7] [image:51332916-5ecd-4db0-a823-202e10f187e1]\r\n\r\nDu début à B : pas de son électronique. C’est le violoncelle lui-même qui définit son espace résonant. Il y a un jeu de fusion entre le violoncelle et l’ensemble, comme le montrent ces deux extraits respectivement de A et de B :\r\n\r\nSON 02\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcdfded\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nSON 15\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb79452\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nRepère C : entrée de l'électronique. L'ensemble et la bande sont harmoniquement fusionnés. La bande présente une synthèse additive du modèle, reverbérée.\r\n\r\nSON 16\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe24c76\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nRepère D : Le modèle utilisé à l'électronique est le même : on entend un équivalent du son précédent, mixé avec un son de vague coloré par un modèle de résonance réalisé à partir du même modèle de mi bémol. L'ensemble présente en plusieurs courtes phrases une déviation progressive de l'accord de l'électronique vers la structure harmonique présentée au son E.\r\n\r\nSON 05\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaedda4\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nRepère E : Le modèle utilisé à l'électronique est celui du la bémol. L'ensemble s'inscrit d'abord dedans, puis en dérive un peu, par une sorte de principe de broderies. La bande présente un modèle insistant sur les fréquences aigues de sol8, puis de fa7 et de ré7, ces deux dernières fréquences étant soulignées par différents instruments, dont le violoncelle.\r\n\r\nSON 07\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5ef724\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nRepère F : La bande insiste sur une zone autour du fa#7, qui sera prononcé par des glissandos de piccolo entre le fa#7 et le sol7\\. L'ensemble fusionne et ne s'écarte que peu.\r\n\r\nSON 09\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb658fb\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nRepère J : on retrouve le modèle de mib d'origine, avec une fusion à l'ensemble. Environ à la mesure 90, le son électronique présente un son de violoncelle qui évolue d'un son habituel vers un son écrasé, avec lequel le son s'arrête. Cela correspond à une variation rapide de l'ensemble d'une harmonie en fusion avec la bande vers une harmonie plus proche du second modèle.\r\n\r\n[image:bda834b0-4e57-4f76-89b7-b99b9312edbb]\r\n\r\nSON 17\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x621644\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n#### Alternance de modèles\r\n\r\nLe modèle spectral de mi bémol énoncé à l'ouverture de l'œuvre agit comme un point de repère — un amer — qui correspond à un point de consonance et de repos agogique lancé au début de chaque section de cette la première partie (LORIEUX, 2004). Saariaho organise une dynamique de consonance/dissonance à la fois du point de vue local entre électronique et ensemble, et du point de vue formel : les plus grands moments de tension, matérialisés par des sons bruités et une figuration rythmique mouvementée sont ceux où l'état harmonique est le plus éloigné du modèle de mi bémol d'origine. Un point éloigné pourra être porté par le modèle spectral alternatif de la bémol. L'alternance, à l'échelle formelle, entre les modèles de la bémol et mi bémol rappelle le mouvement du trille.\r\n\r\n_Amers_ (repère L) : utilisation du modèle de la bémol (caractère mouvementé)\r\n\r\nSON 18\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x238d72\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n_Amers_ (repère ZZ, fin de la pièce) : utilisation du modèle de mi bémol (caractère calme)\r\n\r\nSON 19\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf85006\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n### Écriture et synthèse par modèles physiques\r\n\r\nAvec les analyses présentées précédemment, le son est défini par un spectre : l’analyse spectrale FFT, précisée par iana, décrit différents moments du son, et l’analyse par modèles de résonance décrit le son globalement par un banc de filtres résonants.\r\n\r\nAvec la méthode de synthèse par modèles physiques (implémenté dans le logiciel de l'Ircam Mosaic qui deviendra plus tard Modalys ), éléments excitateurs et résonants sont séparés, comme pour les modèles de résonance, mais une attention particulière est accordée à l’attaque comme définition du son.\r\n\r\n> « La synthèse traditionnelle tend à faire prévaloir la partie résonante du son quand la synthèse par modèles physiques restitue aux régimes transitoires du son toute leur importance pour le discours musical, singulièrement pour l'articulation et le phrasé. » (NICOLAS, 1991)\r\n\r\nEn effet, pour synthétiser un son, l'utilisateur doit procéder virtuellement à la construction mécanique des différents objets qui vont le produire. Par exemple entendre une corde frottée par un archet, on définit notamment la taille et la tension de la corde, la vitesse et la pression de l'archet. On définit un son non par l'énonciation d'un spectre comme dans la synthèse classique, mais à la manière d'un instrument, par un geste virtuel sur un résonateur virtuel.\r\n\r\nSaariaho utilise cette méthode de synthèse de manière métaphorique dans la première partie, en développant la partie de violoncelle autour de ce concept et de manière concrète dans la seconde, où l'on entend des sons percussifs très présents. Alors que la première partie de la pièce s'intéressait à la définition de la résonance du trille, la seconde va développer son aspect physique, gestuel.\r\n\r\n#### Partie de violoncelle\r\n\r\nLa partie de violoncelle aborde dès le début de l’œuvre le trille comme s’il s'agissait de l'analyser en termes de modèle physique. En effet, dans ce paradigme de synthèse, c’est à l’utilisateur de spécifier les paramètres physiques de l’instrument qu’il veut synthétiser ou reconstituer, et il ne peut le faire que par l’observation préalable d'un instrument réel.\r\n\r\n[image:1983df85-8530-4675-a275-0b800c9dfb98]\r\n\r\nLe modèle sonore, après avoir été observé sous l’angle spectral, se trouve alors observé sous l’angle de sa production gestuelle :\r\n\r\n* une variation de la pression de l’archet\r\n\r\n* une variation de la position de l’archet\r\n\r\n* une alternance rapide sur la corde entre appui et effleurement.\r\n\r\nL’écriture de violoncelle chez Saariaho utilise à plein régime une telle dissociation des paramètres de jeu d’archet (point de contact, pression, vitesse, sens) ou même de main droite (trilles, variations rapides de pression du doigt entre harmonique et son appuyé).\r\n\r\n##### Exemples (violoncelle)\r\n\r\nLe violoncelle est construit par imitations et développements du trille (principe d'alternance, principe d'allégement du doigt).\r\n\r\n_Amers_, violoncelle, m 58-59 (lettre F) : reprise d'un trille vertical sur une note du modèle réduit\r\n\r\n[image:b54ad261-d29f-42fd-abc0-e77af84e6d45]\r\n\r\nSON 20\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x56064e\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n_Amers_, violoncelle, m. 10 : ralentissement (« zoom ») du trille vertical (son appuyé vers son effleuré)\r\n\r\n[image:bb1d7d6e-f47f-4092-accc-850f0b922a73]\r\n\r\nSON 21\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xab750d\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n_Amers_, violoncelle, m.73 et m.172-179 : rythmisation du principe d'alternance entre son appuyé et son harmonique\r\n\r\n[image:7a5a8ea9-bb90-456a-b0d3-be3afbbf3484]\r\n\r\nSON 22\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8e2a77\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n[image:a309c9da-5719-47a9-9a92-50edf2f87218]\r\n\r\nSON 23\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3409fc\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n_Amers_, violoncelle, m.150-153 : exploitation du principe d'allégement de l'archet\r\n\r\n[image:d9ba7704-3cbb-432a-863c-15acd9958cdb]\r\n\r\nSON 24\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcef021\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n#### Partie électronique\r\n\r\nLa seconde partie de l'œuvre marque un passage de sons électroniques sans morphologie bien dessinée à des sons extrêmement précis rythmiquement, obtenus par synthèse par modèles physiques, toujours inscrits dans le champ harmonique des modèles spectraux en alternance de mi bémol et de la bémol.\r\n\r\nCes sons synthétiques rappellent les figurations de l'ensemble, ou encore du violoncelle, et témoignent eux aussi d'une ré-interprétation des principes du trille.\r\n\r\n_Amers_ : repère BB\r\n\r\nSON 25\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc25be0\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n_Amers_ : repère NN\r\n\r\nSON 26\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xdb8449\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nLes rythmes dans la première partie étaient réalisées par des figurations arpégées de l’harmonie, superposant volontiers différentes divisions du temps. Ces processus rythmiques sont construits dans la seconde partie à l’aide de programmes informatiques d’interpolations rythmiques.\r\n\r\n_Amers_, repère DD (son et partition) : transcription de l'électronique\r\n\r\nSON 27\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe39a77\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n[image:c3d70dd6-85a8-46d2-892a-0689add4701d] [image:9dd8db5d-795e-4dc2-b3d6-60ce0e05b116]\r\n\r\nLa partie électronique de la seconde partie témoigne d’ailleurs d’une volonté de travailler les correspondances concertantes entre les différentes attaques du violoncelle avec les modèles physiques présents dans la bande.\r\n\r\n_Amers_, repère LL (son et partition) : échanges ou unissons rythmiques entre la partie électronique et le violoncelle\r\n\r\n[image:65566c7f-10c8-4408-95a8-8cd4868e21ee]\r\n\r\nSON 28\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc0d5c1\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nMieux, ce type de synthèse permet de contrôler des modèles hybrides : par exemple, il est possible de réaliser un glissando qui représente la transformation d’un gong virtuel.\r\n\r\n_Amers_, repère OO (son et partition) : transformation progressive d'une plaque métallique vers une lame de bois\r\n\r\n[image:1fbb1413-7364-44e0-8497-6663d8a8b185]\r\n\r\nSON 29\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6a211d\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n_Amers_, repère RR (son) : glissando d'un gong virtuel\r\n\r\nSON 30\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6789c9\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nDes continuums rythmiques et timbraux entre électronique, ensemble et violoncelle sont donc possibles, sous la forme de passage de relais de hauteurs et de timbres.\r\n\r\n_Amers_, repère HH (son) : passage de relais entre électronique et violoncelle\r\n\r\nSON 31\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x204a40\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n### Conclusions\r\n\r\n#### Avatars de la représentation du modèle : de la modélisation à l'abstraction\r\n\r\nA la base du projet d’_Amers_, Saariaho s’intéresse donc à la cohérence perceptive qui peut exister entre tous les timbres synthétiques. Un même modèle spectral, ou un même son, est ici à l’origine d’une partie de violoncelle, d’une partie orchestrale, de sons de synthèse additive, de résonateurs et de modèles physiques. Jean-Baptise Barrière propose une typologie des sons synthétiques, basée sur les notions de **modélisation, hybridation, interpolation, dérivation, extrapolation, abstraction** du modèle d’origine (POTARD, BAISNEE, BARRIERE, 1991).\r\n\r\nLa synthèse additive ou par modèle de résonance permet de représenter littéralement le son d’origine, de le modéliser, et les différentes versions de ses analyses permettent une dérivation, voire des interpolations ou hybridations entre elles. L'extrapolation est illustrée par l’utilisation de la synthèse par modèles physiques, qui prêtent au modèle une représentation avec d’autres timbres synthétiques : les sons de gongs d’_Amers_ sont entièrement étrangers spectralement au trille. Il s’agit dans la deuxième partie d’une extrapolation de la notion d’éloignement, qui était présente sous forme seulement harmonique dans la première partie. On assiste donc au passage extrême d’une présentation textuelle du modèle à l’élaboration de structures musicales presque totalement imaginées à partir de lui.\r\n\r\nModèle spectral : le trille sur mi bémol.\r\n\r\nSON 01\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x446b90\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nModélisation : premier son de l'électronique dans _Amers_.\r\n\r\nSON 03\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3d920c\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nHybridation : enregistrement de gong filtré par le modèle sous forme de banc de filtres (modèle de résonance).\r\n\r\nSON 32\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xfe0612\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nInterpolation : mixage de grosse caisse et crotale se transforment progressivement vers un son de violoncelle ralenti. Le tout est filtré par un modèle de résonance sur le trille d'origine.\r\n\r\nSON 33\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x35ded1\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nDérivation : mixage croisé entre un son de violoncelle et la résonance d'un gong réalisé par synthèse par modèles physiques. Interpolation rythmique ralentie.\r\n\r\nSON 34\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x10cfb8\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nExtrapolation : Construction rythmique sur les notes du modèle, éloignée du son référentiel.\r\n\r\nSON 35\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3c39aa\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nAbstraction : glissando de gong réalisé par synthèse par modèles physiques. Ce son est en dehors des notions du modèle, mais lié à lui par une évolution.\r\n\r\nSON 36\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd748c5\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n#### Synthèse sonore et écriture spectrale\r\n\r\nChez Saariaho, les outils d’informatique musicale sont donc intégrés du point de vue technique comme du point de vue esthétique : ils donnent lieu à la mise en place de situations musicales originales qui nourrissent la poétique de l’œuvre.\r\n\r\nLa musique spectrale de la première génération a montré que les principes de synthèse sonore permettent de renouveler le point de vue des compositeurs sur l’organisation du matériau sonore, en ne dissociant pas orchestration et harmonie de manière à créer directement du timbre. Ce mode de composition a de plus l’avantage de façonner la matière sonore avec une oreille formée à la musique classique : c’est un mode de contrôle du matériau avant tout harmonique. Le rythme, par exemple, reste un paramètre secondaire : d’abord gommé au nom de la non-figuration nécessaire à la fusion timbrale, il allait cependant être réintégré quelques années plus tard, comme c’est particulièrement le cas dans _Amers_ .\r\n\r\n#### Pérennité de l'écriture de la résonance\r\n\r\nPrenant acte des développements technologiques les plus récents de son époque, Saariaho prolonge ces innovations tout en redynamisant le système spectral. Si le passage continu entre perception timbrale et perception harmonique est au centre de ses préoccupations au tournant des années 1990, la notion d’espace de résonance va devenir de plus en plus importante, la plaçant sur une voie qui va lui permettre de développer un langage tout à fait personnel.\r\n\r\nSaariaho va utiliser dans ses œuvres mixtes après _Amers_, comme _Six Japanese Gardens_ ou _Lonh_, l'analyse par modèle de résonance sur des sons instrumentaux, qui seront excités par des sons riches : vent, vagues, souffles, etc. Se détournant du travail avec les modèles physiques, son travail préparatoire compositionnel se focalise alors systématiquement vers l'extraction de modèles de résonance, à la base de bon nombre de ses pièces. Ces modèles permettent un travail de filtrage à la fois dans le domaine éléctroacoustique, comme dans _Amers_, et dans le domaine symbolique, comme ce sera le cas avec l'opéra _L'Amour de Loin_, où les accords utilisés sont obtenus par croisement de trois accords spectraux (obtenus par analyse des modèles de résonance, et correspondant chacun à un personnage) avec l'analyse spectrale de sons instrumentaux [^Battier & Nouno, 2006]. Ce type de travail harmonique garantit à la fois variété et cohérence autour de modèles bien reconnaissables.\r\n\r\nCette méthode tout à fait riche accompagne donc l’évolution de la compositrice, qui a d’ailleurs pu caractériser son travail au moyen d'une métaphore significative : « Le compositeur est comme un banc de filtres que des matériaux divers font résonner de manière variable » [^Cohen-Levinas, 1993].\r\n\r\n## Références\r\n\r\n### Références bibliographiques\r\n\r\n* Marc BATTIER, Gilbert NOUNO, « L'électronique dans l'opéra de Kaija Saariaho _L'Amour de loin_ », dans Carlos Agon, Gérard Assayag, Jean Bresson (éditeurs), The OM Composer's Book, coll. « Musique et sciences », Ircam, Centre Georges-Pompidou, 2006, 271 p.\r\n\r\n* Danielle COHEN-LEVINAS, « Entretien avec Kaija Saariaho », Cahiers de l’Ircam, n° 2 « La synthèse sonore », 1993, p. 13-41.\r\n\r\n* Marta GRABOCZ, « Conception gestuelle de la macrostructure dans les œuvres de Kaija Saariaho et Magnus Lindberg, œuvres créées à l'Ircam », Les Cahiers du C.I.R.E.M., n° 26-27, « Musique et Geste », été 1993, p. 155-168.\r\n\r\n* Gérard GRISEY, « Structuration des timbres pour la musique instrumentale », dans _Le timbre, métaphore pour la composition_, Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 352.\r\n\r\n* Grégoire LORIEUX, Les pièces sœurs de Kaija Saariaho, à travers deux exemples : _Lichtbogen/Stilleben_ et _Amers/Près_, Mémoire de Maîtrise, sous la direction de Geneviève Mathon, 1999, Université de Tours, inédit.\r\n\r\n* Grégoire LORIEUX, « Une analyse d’_Amers_ de Kaija Saariaho », DEMeter, novembre 2004, Université de Lille-3.\r\n\r\n* François NICOLAS, « Synthèse par modèles physiques et composition musicale », inédit, Ircam, 1991.\r\n\r\n* Yves POTARD, Pierre-François BAISNÉE, Jean-Baptiste BARRIERE, « Méthodologie de synthèse du timbre : l’exemple des modèles de résonance », dans _Le timbre, métaphore pour la composition_, Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 135-163.\r\n\r\n* Kaija SAARIAHO, « Timbre et harmonie », dans _Le timbre, métaphore pour la composition_, Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 412-453.\r\n\r\n* Ivanka STOIANOVA, « Une œuvre de synthèse : analyse d’_Amers_ », dans Cahiers de l’Ircam, série « Compositeurs d’aujourd’hui », n°6, « Kaija Saariaho », 1994, p. 43-66.\r\n\r\n* Marc TEXIER, « Entretien avec Marc-André Dalbavie », dans Cahiers de l’Ircam, série « Compositeurs d’aujourd’hui », n°3 « Marc-André Dalbavie », 1993, p. 9-18.\r\n\r\n* Todor TODOROFF, Éric DAUBRESSE, Joshua FINEBERG, « Iana~ (a real-time environment for analysis and extraction of frequency components of complex orchestral sounds and its application within a musical realization) », Proceedings of the International Computer Music Conference , San Francisco, ICMA, 1995, p. 292-293.\r\n\r\n* Miao Wen WANG, Le son comme élément commun à la grammaire et au matériau : étude de _Amers_ de Kaija Saariaho, Mémoire de DEA [Musique et Musicologie du XXe siècle], sous la direction de Hugues Dufourt, EHESS / ENS / Ircam, Paris, 1997.\r\n\r\n### Références discographiques\r\n\r\n* Kaija SAARIAHO, _Château de l'âme_, _Graal-théâtre_, _Amers_ ; Avantii CHamber Orchestra/Anssi Karttunen, cello, dir. Esa-Pekka Salonen, 1 Cd Sony, 2001, SK 60817.\r\n\r\n* Kaija SAARIAHO, Private Gardens (_Lonh_ ; _Près_ ; _NoaNoa_ ; _Six Japanese Gardens_), Dawn Upshaw, soprano, Anssi Karttunen, cello, Camilla Hoitenga, flûte, Florent Jodelet, percussions, 1 Cd Ondine, 1997, ODE 906-2.\r\n\r\n* Kaija SAARIAHO, _Verblendungen_, _Lichtbogen_, _Io_, _Stilleben_. Avanti, dir. Jukka-Pekka Saraste, 1 Cd Finlandia FACD 354, 1989.\r\n\r\n* Kaija SAARIAHO, _Du Cristal_ ; _...à la fumée_ ; _Nymphea_, Los Angeles Philharmonic, dir. Esa-Pekka Salonen, Kronos Quartet, Anssi Karttunen, cello, Petri Alanko, flûte), 1 Cd Ondine, 1993, ODE 804-2.\r\n\r\n### Liens internet\r\n\r\n* Kaija SAARIAHO, [site officiel de la compositrice](http://saariaho.org/)\r\n\r\n* Page de [Kaija Saariaho](https://www.wisemusicclassical.com/composer/short-bio/kaija-saariaho) sur le site de son éditeur Chester Music\r\n\r\n* Emission de radio et [entretien](http://dissonances.pagesperso-orange.fr/Saariaho.html) par Bernard Girard\r\n\r\n[^Lorieux,2004]: Grégoire LORIEUX, « Une analyse d’_Amers_ de Kaija Saariaho », DEMeter, novembre 2004, Université de Lille-3\\. [^Wang, 1997]: Miao Wen WANG, « Le son comme élément commun à la grammaire et au matériau : étude de _Amers_ de Kaija Saariaho », Mémoire de DEA [Musique et Musicologie du XXe siècle], sous la direction de Hugues Dufourt, EHESS / ENS / Ircam, Paris, 1997\\. [^Stoianova, 1994]: Ivanka STOIANOVA, « Une œuvre de synthèse : analyse d’_Amers_ », dans Cahiers de l’Ircam, série « Compositeurs d’aujourd’hui », n°6, « Kaija Saariaho », 1994, p. 43-66\\. [^Grisey, 1991]: Gérard GRISEY, « Structuration des timbres pour la musique instrumentale », dans _Le timbre, métaphore pour la composition_, Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 352\\. [^Battier & Nouno, 2006]: Marc BATTIER, Gilbert NOUNO, « L'électronique dans l'opéra de Kaija Saariaho _L'Amour de loin_ », dans Carlos Agon, Gérard Assayag, Jean Bresson (éditeurs), The OM Composer's Book, coll. « Musique et sciences », Ircam, Centre Georges-Pompidou, 2006, 271 p. [^Cohen-Levinas, 1993]: Danielle COHEN-LEVINAS, « Entretien avec Kaija Saariaho », Cahiers de l’Ircam, n°2 « La synthèse sonore », 1993, p. 13-41.","### Présentation : esthétique et outils\n\n#### Musique spectrale\n\nL'évolution de la musique spectrale dans les années 1980-1990 chez certains compositeurs ([composer:87c00721-9b17-4b42-b811-24a4230677c0][Philippe Hurel], [composer:79dc57c6-52c1-4e38-9f96-f4bbe8d2d331][Tristan Murail], [composer:1be606a1-33fa-4b1e-b527-531fa5ca354e][Magnus Lindberg], [composer:60a04277-706c-4308-b651-29fa394607ef][Marc-André Dalbavie]...) est très liée au développement de nouveaux outils d'informatique musicale. Les équipes de recherche de l'Ircam, notamment, explorent la description objective du timbre sous différentes perspectives. Ces méthodes de représentation du timbre se présentent sous la forme d'outils technologiques, de logiciels d'analyse et de synthèse du son, mais offrent autant de paradigmes de représentation du timbre, et en cela modifient les conceptions des compositeurs sur l'harmonie, le timbre ou le rythme.\n\n_Amers_ (1992) de Kaija Saariaho, pièce concertante pour violoncelle solo, ensemble et électronique, est à ce sujet une œuvre représentative, une « œuvre de synthèse » [^Stoianova, 1994], reflet esthétique, technique et technologique de la musique spectrale à cette époque. Nous allons analyser ici l'influence de différents modes de représentation du timbre sur certains aspects esthétiques et techniques d'_Amers_. Des analyses plus générales ou plus détaillées de l'œuvre sont disponibles ailleurs [^Stoianova, 1994] [^Wang, 1997] [^Lorieux,2004].\n\n#### Autour du modèle spectral\n\n_Amers_ se construit à partir d'un son unique, choisi dans [work:2d743146-a43e-4fde-acbc-db820c635ca1][...à la fumée] (pour flûte, violoncelle et orchestre, 1991) : un trille « vertica » de violoncelle, sur mi bémol 1, entre note appuyée et effleurée, avec des variations de pression d'archet.\n\nLe violoncelle solo commence la pièce avec ce trille, et on a l'illusion que toute l'œuvre se construit en résonance de ce son. Composer une pièce sur un tel déploiement est l'idée fondatrice de la musique spectrale : l'utopie que l'observation et la restitution d'un son garantissent la cohérence de la structure musicale dans sa totalité comme dans ses détails.\n\n> « L'instrumentation et la distribution des volumes et des intensités suggèrent un spectre synthétique qui n'est autre que la projection dans un espace dilaté et artificiel de la structure naturelle des sons » [^Grisey, 1991]\n\nLe modèle spectral est fondé sur un son de trille, à l'origine d'_Amers_ [^Wang, 1997]. [image:ce853391-6588-4c4d-9918-fc7a9c861315]\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x446b90\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nLa première page d'_Amers_ présente d’emblée ce trille\n\n[image:7c9ea5c3-3e2e-4e2d-9e20-98d686fbaa96]\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcdfded\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n#### Outils technologiques\n\nLe matériau des premières esquisses de la pièce est fondé sur l'analyse par différentes méthodes de ce modèle spectral de mi bémol :\n\n* une analyse spectrale classique ([definition:23]), qui représente le son sous forme de listes de fréquences et d'amplitudes,\n\n* une analyse par « modèle de résonance », qui modélise le son sous forme d'un unique filtre résonant,\n\n* la synthèse par modèles physiques ne permet pas d'analyser le son, mais apporte un point de vue conceptuel supplémentaire sur les développements possibles du son.\n\nEn complément de ce travail sur le son, Saariaho exploite les possibilités de la technique d'interpolation, ou transition progressive d'une situation musicale ou sonore d'un état à un autre, dont le propre est d'être contrôlé par un algorithme. Si la technique est appliquée ponctuellement sur des éléments rythmiques relativement courts, le principe en gouverne l'évolution formelle des éléments harmoniques.\n\nLe projet d'_Amers_ est de déployer le plus largement possible son geste initial, le trille de mi bémol. Le même matériau, issu de l'observation du modèle spectral (analyses spectrales, éléments de synthèse sonore, interpolations rythmiques) va s'appliquer indifféremment à l'écriture instrumentale et la synthèse sonore, traités sur le même plan, la pratique de l'un enrichissant l'autre.\n\n### Analyse spectrale et perspective sonore\n\n#### Modèle complet, modèle réduit\n\nLa première analyse spectrale réalisée sur le son est une analyse FFT, qui donne une liste de partiels avec leur fréquence et leur amplitude.\n\nDans les premières œuvres de musique spectrale, ces résultats étaient convertis en notes et en nuances et transcrits sur la partition. La restitution du son dans une œuvre musicale s'apparentait alors à l'opération de synthèse additive, où l'on réalise l'opération inverse de l'analyse : l'empilement d'ondes sinusoïdales. Chez Murail, par exemple, ces résultats pouvaient être confiés successivement à des sons de synthèse ou aux instruments (« synthèse instrumentale », (GRISEY, 1991)). Selon cette approche, l'analyse spectrale est considérée comme un outil qui fournit un matériau harmonique. On remarque alors que les résultats bruts d'une analyse spectrale donnent un matériau trop riche pour être utilisé harmoniquement (le propre de l'harmonie étant de donner une couleur à l'aide de quelques rapports d'intervalles).\n\nL'algorithme de Terhardt, appelé également Iana, permet de simplifier les résultats bruts de l'analyse FFT aux fréquences les plus représentatives perceptivement pour un timbre : il permet de transcrire un timbre en accord.\n\nSaariaho utilise d'une part une analyse spectrale brute, un modèle complet du spectre, pour construire les premiers sons synthétiques d'_Amers_, et d'autre part les résultats filtrés par Iana, le modèle réduit du spectre, pour composer les parties instrumentales. La compositrice peut ainsi jouer avec virtuosité sur la proximité perceptive entre harmonie et timbre : le modèle complet, proche du son d'origine, permet de fusionner ses éléments en un timbre, tandis que le modèle réduit introduit une perception séparée des fréquences, une fission de type harmonique.\n\n**Premières présentations du trille**\n\nNous redonnons le trille d'origine :\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x446b90\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nVoici un exemple de son synthétique composé à partir du trille initial\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3d920c\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nLes analyses spectrales du violoncelle (COHEN-LEVINAS, 1993) correspondent à deux approches : d’une part, le modèle réduit (en haut) et d’autre part, le modèle complet (en bas).\n\n[image:b5405990-7475-4024-a1a8-a2d5851d7f33] [image:b07d53b6-ca36-4273-9080-886574efd301]\n\nL'analyse FFT découpe le son en tranches temporelles régulières. Saariaho, dans l'idée de projeter l'évolution du son dans la forme de l'œuvre, va s'appuyer sur cette présentation du matériau pour organiser les premières séquences. Dans ces séquences, un son synthétique lance la séquence : il est construit à partir du modèle complet correspondant à l'indice temporel de l'analyse. L'ensemble s'inscrit dans la résonance de ce son, avec les notes du modèle réduit. Le violoncelle lance le mi bémol trillé puis navigue entre ensemble et électronique, tel un marin dans une mer de sons.\n\n_Amers_, repère D\n\nson électronique\n\nSON 04\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x705e04\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nextrait du CD\n\nSON 05\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaedda4\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n[image:b8544b19-f621-4416-a298-7e38e19e8702] [image:6e1013ef-b1da-43f7-857f-12c9fe194808] [image:bf024c2c-e17a-4011-a3b2-890a5758b8d5]\n\n##### Un matériau pluridimensionnel\n\nLa compositrice se trouve ainsi face à un **matériau spectral à trois dimensions**. À une inscription dans le temps des évolutions de l'harmonie s'ajoute une profondeur de champ, qui comme par des effets de focale, en révèle plus ou moins les détails. Un tel matériau harmonique ne se destine plus à conduire une forme de manière traditionnelle : le discours d'_Amers_ est fondé sur la mise en perspective de ces différents éléments. La formation choisie (violoncelle solo, ensemble et électronique) est adaptée à ces continuels changements de points de vue.\n\nNotons qu'un modèle secondaire est également utilisé (surtout dans la seconde partie de l'œuvre) : le même trille, joué sur la même corde du violoncelle, mais désaccordée d'une quinte inférieure (la bémol).\n\n#### Le rapport entre violoncelle, ensemble et électronique dans la première partie\n\nLa construction de l'orchestration avec différents degrés de précision d'un même matériel harmonique ou mélodique est pratiquée depuis l'époque classique : les pupitres de cuivres et de percussion énoncent les grandes lignes de l'évolution tonale de manière morphologiquement simplifiée (tenues de cors) ou caricaturée (impulsions de timbales). Cette répartition instrumentale est _de facto_ une répartition spatiale, ces pupitres se situant en fond de scène. Il y a d'ailleurs une cohérence perceptive entre l'éloignement physique des instruments et la simplification des traits musicaux : on entend moins bien les détails de variation d'un son lointain.\n\nDans la première partie d'_Amers_, l'électronique, à la morphologie la plus simple, prend en charge l'évolution harmonique globale. Comme dans une œuvre orchestrale de facture classique, s'y ajoutent ponctuellement les deux cors et les clarinettes, qui soulignent les éléments les plus prégnants de l'harmonie spectrale. Chaque protagoniste de ce concerto définit ici sa place dans cette perspective harmonique, à l'aide d'une morphologie spécifique.\n\n##### Synthèse sonore\n\nLa synthèse électronique est la moins articulée : elle prend souvent la forme d'une vague. Le modèle spectral est représenté le plus fidèlement possible du point de vue timbral-harmonique mais la complexité rythmique, gestuelle du trille est simplifiée à l'extrême.\n\nDans l'exemple suivant, le son de synthèse avec une forte sensation de consonance fusionne avec le trille de violoncelle. Il est opposé en tout au violoncelle : son absence d'articulation et sa position acousmatique contrastent avec la physicalité et les mouvements du soliste, qui est ainsi mis en valeur.\n\n_Amers_ : repère E\n\nSon électronique\n\nSON 06\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x22a459\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nExtrait du CD\n\nSON 07\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5ef724\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n[image:e672fd8b-410c-4645-9f0e-0a1dd83498f6] [image:d1c4c111-e2a1-478b-a922-c93a16e5266b] [image:701c1738-fe56-40a2-8fc0-f854a4f6f649]\n\n_Amers_ : repère F\n\nSon électronique\n\nSON 08\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7e8310\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nExtrait du CD\n\nSON 09\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb658fb\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n[image:eeab1f2c-41af-459b-abd8-54ee23c5fd7f] [image:8f006666-c97c-4d47-8457-064720487001]\n\n##### Ensemble instrumental\n\nSur un canevas harmonique de quelques hauteurs (modèle réduit du spectre), l'ensemble instrumental présente des figures très variées rythmiquement. Comme par un effet de calque, il superpose au son électronique une représentation plus schématique et plus volubile du modèle spectral. Par la superposition du modèle complet au modèle réduit (et aidé par quelques réverbérations longues), l'ensemble fusionne donc naturellement avec l'électronique.\n\nLe trille est donc représenté moins précisément du point de vue timbral-harmonique, mais son énergie agogique est en permanence exacerbée, détaillée, réinventée par un tissu d'interpolations rythmiques souples et élégantes.\n\n_Amers_, repère C, m.25-28 : comparaison du violoncelle, de l'ensemble et de l'électronique\n\nvioloncelle [image:4428cf0c-a69e-46f7-afdf-076de2ff19db]\n\nSON 10\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x099c42\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nLes extraits de violoncelle seul sont extraits des passages correspondants dans la pièce soliste _Près_ (voir plus bas pour des explications sur la relation entre les deux œuvres).\n\nRelevé des notes de l'ensemble et du violoncelle en notes noires (modèle réduit). Notes principales du son électronique en notes blanches.\n\n[image:046af2d6-1249-4135-98a4-4a11809012bb]\n\nson électronique\n\nSON 01\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x446b90\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nextrait du CD\n\nSON 11\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xca1466\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n##### Soliste\n\nLa présence d'un soliste dans une pièce de musique spectrale peut sembler à première vue contradictoire avec le principe qui veut que les instruments doivent fusionner en un son unique. Si pour _Diadèmes_ (concerto pour alto, ensemble et électronique, 1986), [composer:60a04277-706c-4308-b651-29fa394607ef][Marc-André Dalbavie], par ailleurs peu intéressé par le principe de fusion harmonique, abandonne peu à peu les fondamentaux de la composition spectrale (voir citation ci-dessous), _Amers_ permet une mise en avant du soliste. Son activité reste inscrite à l'intérieur d'un champ harmonique pluridimensionnel, dont il exprime la surface la plus extérieure. A chaque instant, en combat avec l'inertie des sons synthétiques ou les pulsions de l'ensemble, le violoncelle doit affirmer un degré supérieur, synthétique, de la représentation du modèle.\n\nPeut-on parler d'un concerto spectral ? Selon Marc-André [composer:60a04277-706c-4308-b651-29fa394607ef][Marc-André Dalbavie] : « Tout a commencé lorsque j'ai écrit _Diadèmes_. A un moment de ma pièce, je me suis retrouvé avec un instrument solo, mélodique, un alto, dans une section qui, de ce fait, devenait contradictoire avec les principes de l'orthodoxie spectrale. Je me suis aperçu que, si l'on voulait écrire une forme concertante, l'écriture spectrale devenait une gêne. On est alors coincé entre ce système qui prône la fusion instrumentale et la nécessaire séparation du soliste et de l'ensemble qui est caractéristique de la forme concertante. » (TEXIER, 1993)\n\nCe rôle convient tout à fait à la rhétorique d'un soliste de concerto : la construction des figures se fait donc dense, le registre d'expression large car tantôt toutes les notes du modèle réduit doivent être prononcées, tantôt certaines sont polarisées, cristallisées. La partie soliste expose le son d'origine en relation avec sa mise en abîme la plus extrême, beaucoup plus travaillée que les figurations de l'ensemble.\n\n_Amers_, violoncelle, lettre O (m. 154-161)\n\n[image:f1396dbf-f3fb-454d-99c9-201b7d433a89]\n\nSON 12\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x41acd0\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nLa partie de violoncelle représente le modèle spectral de manière tellement complète et autonome qu'elle a donné lieu à l'écriture d'une « pièce-sœur », Près (1992-1994), qui reprend dans un ordre légèrement différent et dans trois mouvements séparés les principaux éléments du violoncelle et de l'électronique d'_Amers_ (LORIEUX, 1999).\n\n#### Analyse spectrale et écriture\n\nL'écriture de Saariaho s'est développée dans les années 1980 autour de la notion d'axe timbral (SAARIAHO, 1991) : les éléments musicaux d'une pièce (rythmiques, timbraux, harmoniques) y sont intrinsèquement dotés de qualités consonantes (sons « clairs ») ou dissonantes (sons « bruités », ou sombres). Une œuvre comme _Lichtbogen_ (pour ensemble, 1986) organise les variations de « luminosité » de tels éléments. Déjà, le sonagramme de l'analyse spectrale d'un son ne fournit pas seulement le matériau harmonique, mais inspire à la compositrice les évolutions formelles de la pièce (GRABOCZ, 1993).\n\nLes analyses spectrales sont utilisées pour l'harmonie de manière systématique à partir de Io (pour ensemble et bande magnétique, 1987). Ces éléments sont considérés comme porteurs de qualités dynamiques et hiérarchisés en différents niveaux. Comme avec _Lichtbogen_, un discours s'élabore alors entre différents éléments sonores, ici entre différents niveaux de représentation harmonique.\n\n> « Le groupe instrumental et la bande commencent souvent sur le même accord, puis l'un ou l'autre, ou bien les deux à la fois, s'en vont vers des structures différentes, pour se rencontrer à nouveau plus tard. Cela produit le même effet que deux calques ou transparents superposés dont les figures seraient partiellement similaires et différentes, de telle sorte que quand une des images bouge de temps à autre, les lignes se séparent pour construire des figures différentes. » (SAARIAHO, 1991)\n\nExtrait de _Io_ (pour ensemble et électronique), 1987\n\nSON 13\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5c520f\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nUn peu plus tard l'écriture massive de _Du cristal_ (pour orchestre, 1991) est fondée sur la même idée de blocs harmoniques dérivant les uns par rapport aux autres.\n\nExtrait de _Du cristal_ (pour orchestre), 1991\n\nSON 14\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc88e85\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nL'écriture par superposition de matériaux sonores par « transparence » du diptyque orchestral [work:2d743146-a43e-4fde-acbc-db820c635ca1][...à la fumée] évoluera dans _Amers_ vers une construction de l'harmonie et de l'instrumentation en perspective, grâce à la possibilité de nouvelles analyses spectrales, et notamment la mise en œuvre du principe de « modèles de résonance ».\n\n### Écriture de la résonance et modèle source-filtre\n\nDans la méthode d'analyse sonore par modèles de résonance, un son est considéré comme l'interaction entre un excitateur (source) et un résonateur (filtre). Par exemple pour une cymbale, la baguette met en vibration l'instrument ; pour un violoncelle, une corde excitée résonne dans le corps de l'instrument (POTARD & al., 1991). L'algorithme d'analyse trace les continuités des partiels entre les différents moments de la résonance. Ces résultats sont alors transcrits sous forme de bancs de filtres résonants. En théorie, une impulsion bruitée, courte et forte qui excite un tel banc de filtres suffit à restituer la résonance du son analysé. Plus généralement, une source sonore passée dans ces filtres se voit appliquer d'une sorte de réverbération colorée, à la manière de résonances par sympathie.\n\nCette méthode conçue pour modéliser des sons à la résonance riche, comme des cloches ou des pizzicatos d'instruments graves, gagne à être appliquée à d'autres types de sons (tenus, ou très courts) : considérés comme résonants, ils permettent de définir un champ harmonique. Un modèle de résonance est une représentation dynamique d'un son, celle de sa potentialité spectrale.\n\nLa notion de champ harmonique de cette méthode d'analyse dépasse une conception de modélisation spectrale en suite d'objets harmoniques de l'analyse FFT. L'analyse spectrale, plus qu'un outil qui fournit du matériel harmonique, devient un moyen d'appréhender la couleur générale d'un modèle à travers différents points de vue. Cette couleur générale, complexe, variante, définit un espace de résonance. La composition est alors l'inscription d'éléments musicaux dans une relation de consonance/dissonance par rapport à cet espace de résonance.\n\nCette conception de l'harmonie et cette perspective sur l'écriture spectrale sont issues du principe de modèles de résonance, qui tranche avec l'utilisation de la grammaire spectrale chez les confrères de Saariaho, souvent réduite à la même époque au déploiement combinatoire de couleurs harmoniques typiques.\n\nLa notion d'espace de résonance est travaillée dès les débuts de la musique spectrale, sur le modèle tutélaire de la résonance du spectre de si bémol de [work:39478c4d-c92a-4f01-90fa-9d1538902947][Stimmung], de Stockhausen, étalé sur plus d'une heure. [work:d968fdf1-307a-485a-80e3-2a8d1b997fed][Prologue], de Grisey (pour alto et résonateurs, 1976) et [work:22614d3f-51de-46f7-8caf-ee048d4c7a3c][Appels], de Lévinas (pour ensemble) associent aux instruments des résonateurs : des caisses claires ouvertes auxquelles s'ajoutent un piano ouvert, une palme et un métallique d'ondes Martenot, un tam-tam, une grosse caisse pour Grisey. Le discours musical de ces pièces est sous-tendu par la définition d'un arrière-plan sonore de résonances sympathiques qui apparaîtront à l'auditeur avec différents degrés de présence, réglés par l'écriture. Il y a un effet de perspective entre un premier plan sonore et cet arrière plan volatil, qui est de l'ordre de la séparation entre un excitateur et un résonateur dans un instrument de musique. A l'arrivée au début des années 1990 de la possibilité technique de restituer des modèles de résonance en temps-réel, et pour des raisons de mise en place technique plus facile, Grisey souhaitera remplacer les résonateurs instrumentaux de _Prologue_ par leurs équivalents modélisés.\n\nDans la première partie d'_Amers_, les sons synthétiques définissent un arrière-plan au-dessus duquel l'ensemble et le soliste vont s'inscrire dans un rapport de fusion (consonance) ou de fission (dissonance).\n\nLa fonction de l'électronique est ici de représenter la résonance du trille au ralenti : les différentes séquences représentent différents moments de l'analyse FFT. Ces sons synthétiques sont construits avec des sons filtrés par des modèles de résonance. Les filtres résonants, construits à partir de versions légèrement différentes du modèle spectral, sont appliqués sur des sons riches : vagues (la métaphore marine est à l'œuvre dans _Amers_, comme l'indique son titre), modes de jeu bruités du violoncelle, trémolos de grosse caisse, ces sons riches pouvant être transposés et/ou ralentis. Cependant, dans la partition, les sons synthétiques sont notés simplement sous forme harmonique. Cette notation ne fait pas apparaître l'évolution de la morphologie des sons filtrés, qui évoluent en fonction du caractère harmonique.\n\n#### Exemples : évolution des rapports entre électronique et instruments\n\n_Amers_ (début, repères A à I) : évolution du rapport entre la bande et l'orchestre section par section.\n\nEn notes noires : relevé des notes de l’ensemble et du violoncelle d’_Amers_\n\nEn notes blanches : relevé de la représentation harmonique de la bande, telle qu’inscrite sur la partition.\n\n(La durée de ces accords est indiquée par les pointillés.)\n\n[image:41b6b404-4583-4c6a-9bea-78f5d1ff0de7] [image:51332916-5ecd-4db0-a823-202e10f187e1]\n\nDu début à B : pas de son électronique. C’est le violoncelle lui-même qui définit son espace résonant. Il y a un jeu de fusion entre le violoncelle et l’ensemble, comme le montrent ces deux extraits respectivement de A et de B :\n\nSON 02\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcdfded\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nSON 15\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb79452\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nRepère C : entrée de l'électronique. L'ensemble et la bande sont harmoniquement fusionnés. La bande présente une synthèse additive du modèle, reverbérée.\n\nSON 16\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe24c76\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nRepère D : Le modèle utilisé à l'électronique est le même : on entend un équivalent du son précédent, mixé avec un son de vague coloré par un modèle de résonance réalisé à partir du même modèle de mi bémol. L'ensemble présente en plusieurs courtes phrases une déviation progressive de l'accord de l'électronique vers la structure harmonique présentée au son E.\n\nSON 05\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaedda4\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nRepère E : Le modèle utilisé à l'électronique est celui du la bémol. L'ensemble s'inscrit d'abord dedans, puis en dérive un peu, par une sorte de principe de broderies. La bande présente un modèle insistant sur les fréquences aigues de sol8, puis de fa7 et de ré7, ces deux dernières fréquences étant soulignées par différents instruments, dont le violoncelle.\n\nSON 07\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5ef724\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nRepère F : La bande insiste sur une zone autour du fa#7, qui sera prononcé par des glissandos de piccolo entre le fa#7 et le sol7\\. L'ensemble fusionne et ne s'écarte que peu.\n\nSON 09\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb658fb\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nRepère J : on retrouve le modèle de mib d'origine, avec une fusion à l'ensemble. Environ à la mesure 90, le son électronique présente un son de violoncelle qui évolue d'un son habituel vers un son écrasé, avec lequel le son s'arrête. Cela correspond à une variation rapide de l'ensemble d'une harmonie en fusion avec la bande vers une harmonie plus proche du second modèle.\n\n[image:bda834b0-4e57-4f76-89b7-b99b9312edbb]\n\nSON 17\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x621644\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n#### Alternance de modèles\n\nLe modèle spectral de mi bémol énoncé à l'ouverture de l'œuvre agit comme un point de repère — un amer — qui correspond à un point de consonance et de repos agogique lancé au début de chaque section de cette la première partie (LORIEUX, 2004). Saariaho organise une dynamique de consonance/dissonance à la fois du point de vue local entre électronique et ensemble, et du point de vue formel : les plus grands moments de tension, matérialisés par des sons bruités et une figuration rythmique mouvementée sont ceux où l'état harmonique est le plus éloigné du modèle de mi bémol d'origine. Un point éloigné pourra être porté par le modèle spectral alternatif de la bémol. L'alternance, à l'échelle formelle, entre les modèles de la bémol et mi bémol rappelle le mouvement du trille.\n\n_Amers_ (repère L) : utilisation du modèle de la bémol (caractère mouvementé)\n\nSON 18\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x238d72\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n_Amers_ (repère ZZ, fin de la pièce) : utilisation du modèle de mi bémol (caractère calme)\n\nSON 19\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xf85006\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n### Écriture et synthèse par modèles physiques\n\nAvec les analyses présentées précédemment, le son est défini par un spectre : l’analyse spectrale FFT, précisée par iana, décrit différents moments du son, et l’analyse par modèles de résonance décrit le son globalement par un banc de filtres résonants.\n\nAvec la méthode de synthèse par modèles physiques (implémenté dans le logiciel de l'Ircam Mosaic qui deviendra plus tard Modalys ), éléments excitateurs et résonants sont séparés, comme pour les modèles de résonance, mais une attention particulière est accordée à l’attaque comme définition du son.\n\n> « La synthèse traditionnelle tend à faire prévaloir la partie résonante du son quand la synthèse par modèles physiques restitue aux régimes transitoires du son toute leur importance pour le discours musical, singulièrement pour l'articulation et le phrasé. » (NICOLAS, 1991)\n\nEn effet, pour synthétiser un son, l'utilisateur doit procéder virtuellement à la construction mécanique des différents objets qui vont le produire. Par exemple entendre une corde frottée par un archet, on définit notamment la taille et la tension de la corde, la vitesse et la pression de l'archet. On définit un son non par l'énonciation d'un spectre comme dans la synthèse classique, mais à la manière d'un instrument, par un geste virtuel sur un résonateur virtuel.\n\nSaariaho utilise cette méthode de synthèse de manière métaphorique dans la première partie, en développant la partie de violoncelle autour de ce concept et de manière concrète dans la seconde, où l'on entend des sons percussifs très présents. Alors que la première partie de la pièce s'intéressait à la définition de la résonance du trille, la seconde va développer son aspect physique, gestuel.\n\n#### Partie de violoncelle\n\nLa partie de violoncelle aborde dès le début de l’œuvre le trille comme s’il s'agissait de l'analyser en termes de modèle physique. En effet, dans ce paradigme de synthèse, c’est à l’utilisateur de spécifier les paramètres physiques de l’instrument qu’il veut synthétiser ou reconstituer, et il ne peut le faire que par l’observation préalable d'un instrument réel.\n\n[image:1983df85-8530-4675-a275-0b800c9dfb98]\n\nLe modèle sonore, après avoir été observé sous l’angle spectral, se trouve alors observé sous l’angle de sa production gestuelle :\n\n* une variation de la pression de l’archet\n\n* une variation de la position de l’archet\n\n* une alternance rapide sur la corde entre appui et effleurement.\n\nL’écriture de violoncelle chez Saariaho utilise à plein régime une telle dissociation des paramètres de jeu d’archet (point de contact, pression, vitesse, sens) ou même de main droite (trilles, variations rapides de pression du doigt entre harmonique et son appuyé).\n\n##### Exemples (violoncelle)\n\nLe violoncelle est construit par imitations et développements du trille (principe d'alternance, principe d'allégement du doigt).\n\n_Amers_, violoncelle, m 58-59 (lettre F) : reprise d'un trille vertical sur une note du modèle réduit\n\n[image:b54ad261-d29f-42fd-abc0-e77af84e6d45]\n\nSON 20\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x56064e\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n_Amers_, violoncelle, m. 10 : ralentissement (« zoom ») du trille vertical (son appuyé vers son effleuré)\n\n[image:bb1d7d6e-f47f-4092-accc-850f0b922a73]\n\nSON 21\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xab750d\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n_Amers_, violoncelle, m.73 et m.172-179 : rythmisation du principe d'alternance entre son appuyé et son harmonique\n\n[image:7a5a8ea9-bb90-456a-b0d3-be3afbbf3484]\n\nSON 22\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8e2a77\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n[image:a309c9da-5719-47a9-9a92-50edf2f87218]\n\nSON 23\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3409fc\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n_Amers_, violoncelle, m.150-153 : exploitation du principe d'allégement de l'archet\n\n[image:d9ba7704-3cbb-432a-863c-15acd9958cdb]\n\nSON 24\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xcef021\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n#### Partie électronique\n\nLa seconde partie de l'œuvre marque un passage de sons électroniques sans morphologie bien dessinée à des sons extrêmement précis rythmiquement, obtenus par synthèse par modèles physiques, toujours inscrits dans le champ harmonique des modèles spectraux en alternance de mi bémol et de la bémol.\n\nCes sons synthétiques rappellent les figurations de l'ensemble, ou encore du violoncelle, et témoignent eux aussi d'une ré-interprétation des principes du trille.\n\n_Amers_ : repère BB\n\nSON 25\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc25be0\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n_Amers_ : repère NN\n\nSON 26\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xdb8449\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nLes rythmes dans la première partie étaient réalisées par des figurations arpégées de l’harmonie, superposant volontiers différentes divisions du temps. Ces processus rythmiques sont construits dans la seconde partie à l’aide de programmes informatiques d’interpolations rythmiques.\n\n_Amers_, repère DD (son et partition) : transcription de l'électronique\n\nSON 27\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xe39a77\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n[image:c3d70dd6-85a8-46d2-892a-0689add4701d] [image:9dd8db5d-795e-4dc2-b3d6-60ce0e05b116]\n\nLa partie électronique de la seconde partie témoigne d’ailleurs d’une volonté de travailler les correspondances concertantes entre les différentes attaques du violoncelle avec les modèles physiques présents dans la bande.\n\n_Amers_, repère LL (son et partition) : échanges ou unissons rythmiques entre la partie électronique et le violoncelle\n\n[image:65566c7f-10c8-4408-95a8-8cd4868e21ee]\n\nSON 28\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xc0d5c1\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nMieux, ce type de synthèse permet de contrôler des modèles hybrides : par exemple, il est possible de réaliser un glissando qui représente la transformation d’un gong virtuel.\n\n_Amers_, repère OO (son et partition) : transformation progressive d'une plaque métallique vers une lame de bois\n\n[image:1fbb1413-7364-44e0-8497-6663d8a8b185]\n\nSON 29\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6a211d\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n_Amers_, repère RR (son) : glissando d'un gong virtuel\n\nSON 30\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x6789c9\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nDes continuums rythmiques et timbraux entre électronique, ensemble et violoncelle sont donc possibles, sous la forme de passage de relais de hauteurs et de timbres.\n\n_Amers_, repère HH (son) : passage de relais entre électronique et violoncelle\n\nSON 31\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x204a40\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n### Conclusions\n\n#### Avatars de la représentation du modèle : de la modélisation à l'abstraction\n\nA la base du projet d’_Amers_, Saariaho s’intéresse donc à la cohérence perceptive qui peut exister entre tous les timbres synthétiques. Un même modèle spectral, ou un même son, est ici à l’origine d’une partie de violoncelle, d’une partie orchestrale, de sons de synthèse additive, de résonateurs et de modèles physiques. Jean-Baptise Barrière propose une typologie des sons synthétiques, basée sur les notions de **modélisation, hybridation, interpolation, dérivation, extrapolation, abstraction** du modèle d’origine (POTARD, BAISNEE, BARRIERE, 1991).\n\nLa synthèse additive ou par modèle de résonance permet de représenter littéralement le son d’origine, de le modéliser, et les différentes versions de ses analyses permettent une dérivation, voire des interpolations ou hybridations entre elles. L'extrapolation est illustrée par l’utilisation de la synthèse par modèles physiques, qui prêtent au modèle une représentation avec d’autres timbres synthétiques : les sons de gongs d’_Amers_ sont entièrement étrangers spectralement au trille. Il s’agit dans la deuxième partie d’une extrapolation de la notion d’éloignement, qui était présente sous forme seulement harmonique dans la première partie. On assiste donc au passage extrême d’une présentation textuelle du modèle à l’élaboration de structures musicales presque totalement imaginées à partir de lui.\n\nModèle spectral : le trille sur mi bémol.\n\nSON 01\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x446b90\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nModélisation : premier son de l'électronique dans _Amers_.\n\nSON 03\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3d920c\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nHybridation : enregistrement de gong filtré par le modèle sous forme de banc de filtres (modèle de résonance).\n\nSON 32\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xfe0612\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nInterpolation : mixage de grosse caisse et crotale se transforment progressivement vers un son de violoncelle ralenti. Le tout est filtré par un modèle de résonance sur le trille d'origine.\n\nSON 33\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x35ded1\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nDérivation : mixage croisé entre un son de violoncelle et la résonance d'un gong réalisé par synthèse par modèles physiques. Interpolation rythmique ralentie.\n\nSON 34\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x10cfb8\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nExtrapolation : Construction rythmique sur les notes du modèle, éloignée du son référentiel.\n\nSON 35\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x3c39aa\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\nAbstraction : glissando de gong réalisé par synthèse par modèles physiques. Ce son est en dehors des notions du modèle, mais lié à lui par une évolution.\n\nSON 36\n\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xd748c5\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\n\n#### Synthèse sonore et écriture spectrale\n\nChez Saariaho, les outils d’informatique musicale sont donc intégrés du point de vue technique comme du point de vue esthétique : ils donnent lieu à la mise en place de situations musicales originales qui nourrissent la poétique de l’œuvre.\n\nLa musique spectrale de la première génération a montré que les principes de synthèse sonore permettent de renouveler le point de vue des compositeurs sur l’organisation du matériau sonore, en ne dissociant pas orchestration et harmonie de manière à créer directement du timbre. Ce mode de composition a de plus l’avantage de façonner la matière sonore avec une oreille formée à la musique classique : c’est un mode de contrôle du matériau avant tout harmonique. Le rythme, par exemple, reste un paramètre secondaire : d’abord gommé au nom de la non-figuration nécessaire à la fusion timbrale, il allait cependant être réintégré quelques années plus tard, comme c’est particulièrement le cas dans _Amers_ .\n\n#### Pérennité de l'écriture de la résonance\n\nPrenant acte des développements technologiques les plus récents de son époque, Saariaho prolonge ces innovations tout en redynamisant le système spectral. Si le passage continu entre perception timbrale et perception harmonique est au centre de ses préoccupations au tournant des années 1990, la notion d’espace de résonance va devenir de plus en plus importante, la plaçant sur une voie qui va lui permettre de développer un langage tout à fait personnel.\n\nSaariaho va utiliser dans ses œuvres mixtes après _Amers_, comme _Six Japanese Gardens_ ou _Lonh_, l'analyse par modèle de résonance sur des sons instrumentaux, qui seront excités par des sons riches : vent, vagues, souffles, etc. Se détournant du travail avec les modèles physiques, son travail préparatoire compositionnel se focalise alors systématiquement vers l'extraction de modèles de résonance, à la base de bon nombre de ses pièces. Ces modèles permettent un travail de filtrage à la fois dans le domaine éléctroacoustique, comme dans _Amers_, et dans le domaine symbolique, comme ce sera le cas avec l'opéra _L'Amour de Loin_, où les accords utilisés sont obtenus par croisement de trois accords spectraux (obtenus par analyse des modèles de résonance, et correspondant chacun à un personnage) avec l'analyse spectrale de sons instrumentaux [^Battier & Nouno, 2006]. Ce type de travail harmonique garantit à la fois variété et cohérence autour de modèles bien reconnaissables.\n\nCette méthode tout à fait riche accompagne donc l’évolution de la compositrice, qui a d’ailleurs pu caractériser son travail au moyen d'une métaphore significative : « Le compositeur est comme un banc de filtres que des matériaux divers font résonner de manière variable » [^Cohen-Levinas, 1993].\n\n## Références\n\n### Références bibliographiques\n\n* Marc BATTIER, Gilbert NOUNO, « L'électronique dans l'opéra de Kaija Saariaho _L'Amour de loin_ », dans Carlos Agon, Gérard Assayag, Jean Bresson (éditeurs), The OM Composer's Book, coll. « Musique et sciences », Ircam, Centre Georges-Pompidou, 2006, 271 p.\n\n* Danielle COHEN-LEVINAS, « Entretien avec Kaija Saariaho », Cahiers de l’Ircam, n° 2 « La synthèse sonore », 1993, p. 13-41.\n\n* Marta GRABOCZ, « Conception gestuelle de la macrostructure dans les œuvres de Kaija Saariaho et Magnus Lindberg, œuvres créées à l'Ircam », Les Cahiers du C.I.R.E.M., n° 26-27, « Musique et Geste », été 1993, p. 155-168.\n\n* Gérard GRISEY, « Structuration des timbres pour la musique instrumentale », dans _Le timbre, métaphore pour la composition_, Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 352.\n\n* Grégoire LORIEUX, Les pièces sœurs de Kaija Saariaho, à travers deux exemples : _Lichtbogen/Stilleben_ et _Amers/Près_, Mémoire de Maîtrise, sous la direction de Geneviève Mathon, 1999, Université de Tours, inédit.\n\n* Grégoire LORIEUX, « Une analyse d’_Amers_ de Kaija Saariaho », DEMeter, novembre 2004, Université de Lille-3.\n\n* François NICOLAS, « Synthèse par modèles physiques et composition musicale », inédit, Ircam, 1991.\n\n* Yves POTARD, Pierre-François BAISNÉE, Jean-Baptiste BARRIERE, « Méthodologie de synthèse du timbre : l’exemple des modèles de résonance », dans _Le timbre, métaphore pour la composition_, Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 135-163.\n\n* Kaija SAARIAHO, « Timbre et harmonie », dans _Le timbre, métaphore pour la composition_, Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 412-453.\n\n* Ivanka STOIANOVA, « Une œuvre de synthèse : analyse d’_Amers_ », dans Cahiers de l’Ircam, série « Compositeurs d’aujourd’hui », n°6, « Kaija Saariaho », 1994, p. 43-66.\n\n* Marc TEXIER, « Entretien avec Marc-André Dalbavie », dans Cahiers de l’Ircam, série « Compositeurs d’aujourd’hui », n°3 « Marc-André Dalbavie », 1993, p. 9-18.\n\n* Todor TODOROFF, Éric DAUBRESSE, Joshua FINEBERG, « Iana~ (a real-time environment for analysis and extraction of frequency components of complex orchestral sounds and its application within a musical realization) », Proceedings of the International Computer Music Conference , San Francisco, ICMA, 1995, p. 292-293.\n\n* Miao Wen WANG, Le son comme élément commun à la grammaire et au matériau : étude de _Amers_ de Kaija Saariaho, Mémoire de DEA [Musique et Musicologie du XXe siècle], sous la direction de Hugues Dufourt, EHESS / ENS / Ircam, Paris, 1997.\n\n### Références discographiques\n\n* Kaija SAARIAHO, _Château de l'âme_, _Graal-théâtre_, _Amers_ ; Avantii CHamber Orchestra/Anssi Karttunen, cello, dir. Esa-Pekka Salonen, 1 Cd Sony, 2001, SK 60817.\n\n* Kaija SAARIAHO, Private Gardens (_Lonh_ ; _Près_ ; _NoaNoa_ ; _Six Japanese Gardens_), Dawn Upshaw, soprano, Anssi Karttunen, cello, Camilla Hoitenga, flûte, Florent Jodelet, percussions, 1 Cd Ondine, 1997, ODE 906-2.\n\n* Kaija SAARIAHO, _Verblendungen_, _Lichtbogen_, _Io_, _Stilleben_. Avanti, dir. Jukka-Pekka Saraste, 1 Cd Finlandia FACD 354, 1989.\n\n* Kaija SAARIAHO, _Du Cristal_ ; _...à la fumée_ ; _Nymphea_, Los Angeles Philharmonic, dir. Esa-Pekka Salonen, Kronos Quartet, Anssi Karttunen, cello, Petri Alanko, flûte), 1 Cd Ondine, 1993, ODE 804-2.\n\n### Liens internet\n\n* Kaija SAARIAHO, [site officiel de la compositrice](http://saariaho.org/)\n\n* Page de [Kaija Saariaho](https://www.wisemusicclassical.com/composer/short-bio/kaija-saariaho) sur le site de son éditeur Chester Music\n\n* Emission de radio et [entretien](http://dissonances.pagesperso-orange.fr/Saariaho.html) par Bernard Girard\n\n[^Lorieux,2004]: Grégoire LORIEUX, « Une analyse d’_Amers_ de Kaija Saariaho », DEMeter, novembre 2004, Université de Lille-3\\. [^Wang, 1997]: Miao Wen WANG, « Le son comme élément commun à la grammaire et au matériau : étude de _Amers_ de Kaija Saariaho », Mémoire de DEA [Musique et Musicologie du XXe siècle], sous la direction de Hugues Dufourt, EHESS / ENS / Ircam, Paris, 1997\\. [^Stoianova, 1994]: Ivanka STOIANOVA, « Une œuvre de synthèse : analyse d’_Amers_ », dans Cahiers de l’Ircam, série « Compositeurs d’aujourd’hui », n°6, « Kaija Saariaho », 1994, p. 43-66\\. [^Grisey, 1991]: Gérard GRISEY, « Structuration des timbres pour la musique instrumentale », dans _Le timbre, métaphore pour la composition_, Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Paris, Ircam / Christian Bourgois, 1991, p. 352\\. [^Battier & Nouno, 2006]: Marc BATTIER, Gilbert NOUNO, « L'électronique dans l'opéra de Kaija Saariaho _L'Amour de loin_ », dans Carlos Agon, Gérard Assayag, Jean Bresson (éditeurs), The OM Composer's Book, coll. « Musique et sciences », Ircam, Centre Georges-Pompidou, 2006, 271 p. [^Cohen-Levinas, 1993]: Danielle COHEN-LEVINAS, « Entretien avec Kaija Saariaho », Cahiers de l’Ircam, n°2 « La synthèse sonore », 1993, p. 13-41.","analyse-de-i-amers-i-(1992)-de-kaija-saariaho",{"getUrl":180},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/fde8013e-de22-4126-8619-84d39606fba5-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=6f0366419225353fb19f75d6dfb4e91a1657bdf634ed9e5aba55fdf56fc9f737",{"url":180,"isIcon":11,"alt":174,"centered":37},[183],{"firstName":184,"lastName":185},"Grégoire","Lorieux",{"title":187,"titleEn":188,"text":11,"textFr":189,"textEn":11,"date":190,"type":32,"slug":191,"authors":11,"toc":11,"image":192,"composer":11,"cardImage":194,"cardTitle":187,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":195},"Analyse de \u003Ci>NoaNoa\u003C/i> (1992) de Kaija Saariaho","Analysis of \u003Ci>NoaNoa\u003C/i> (1992) by Kaija Saariaho","###Dispositif électroacoustique###\r\n\r\nL'instrumentiste a besoin d'un microphone pour la flûte et d'une pédale pour déclencher les événements de la partie électronique (démarrage, arrêt d'un son ou d'un traitement sonore).\r\n\r\n####Sources sonores####\r\n\r\n1\\. temps différé : le flûtiste contrôle le départ (parfois l'arrêt) des fichiers sons, à l'aide d'une pédale au pied (pédale MIDI) ;\r\n\r\n2\\. temps réel : en plus du micro du flûtiste, on peut disposer un micro d'ambiance devant lui, pour une meilleure sonorisation.\r\n\r\n####Traitements####\r\n\r\nLe flûtiste contrôle également à la pédale l'avancement des étapes d'un programme informatique en temps-réel contrôlant lui-même le départ (ou l'arrêt) des traitements appliqués sur la flûte : [definition:fd57f414-8351-4c66-973a-2716cb5bfc57][réverbération] (infinie et 'speech'), transposition ([definition:4b8f6113-b1e8-4b5f-97f8-59bdb2265581][harmoniseur]) et retard ([definition:16eeaf6d-430b-4507-ac7d-3922105c93ca][delay]). Dans certaines versions de la pièce, les effets de transposition et retards sont optionnels.\r\n\r\n####Réglage des traitements####\r\n\r\n* réverbération infinie : capture de 500 ms de son et temps de réverbération de 10 secondes, avec des niveaux d’entrée et de sortie du module à -1.2 dB.\r\n* réverbération 'speech' (pour la voix) : \r\n * soit un temps de réverbération fixe (6 secondes) avec des niveaux d'entrée et de sortie du module à -2 dB ;\r\n * soit un module spécial qui fait évoluer le temps de réverbération en fonction de l'amplitude de l'instrument (plus le son est fort, plus la réverbération est courte).\r\n* Harmoniseurs : 2 harmoniseurs à – 500 cents et + 500 cents.\r\n\r\n* Delays : 250 ms de retard sur chaque harmoniseur.\r\n\r\n[image:14e45904-4dc7-42ba-a131-8f7bd5f22a6c]\r\n\r\n**Schéma du système en temps-réel utilisé dans *NoaNoa* **\r\n\r\n####Diffusion####\r\n\r\nL'œuvre ne prévoit pas de [definition:1979ee83-9bff-4e74-a756-c3b3c0cecaec][spatialisation] particulière. Selon la configuration, on peut diffuser sur deux haut-parleurs (disposés juste devant l'instrumentiste, par exemple), ou bien quatre (dans ce cas, on place les deux haut-parleurs supplémentaires derrière le public).\r\n\r\n###Analyse de l'œuvre###\r\n\r\n####Présentation####\r\n\r\nLe mot tahitien « noanoa » signifie « odorant ». Selon la compositrice « ce titre se réfère à une gravure sur bois de Paul Gauguin, NoaNoa. Il fait également référence à un journal de voyage du même nom, écrit par Paul Gauguin durant son séjour à Tahiti entre 1891 et 1893\\. Les fragments de textes utilisés pour la voix sont extraits de cet ouvrage. » (Saariaho, [work:27474383-b037-4eb1-84c4-0b07dd79433e][note de programme de *NoaNoa*]).\r\n\r\nLa pièce de Saariaho garde certainement une trace de la sensualité joyeuse des couleurs de Gauguin.\r\n\r\n**La flûte chez Saariaho**\r\n\r\nLa flûte est avec le violoncelle l'instrument le plus utilisé par Kaija Saariaho, particulièrement à cette période de sa production. Un travail très régulier avec une interprète de prédilection, Camilla Hoitenga, aura permis le développement d'une écriture à la fois idiomatique à l'instrument et originale, signature de la compositrice.\r\n\r\nLa flûte permet à Saariaho de mettre en place le système de l'« axe timbral »[^Saariaho,1991], à la base de son langage. Il s’agit de travailler sur des sonorités toujours changeantes, se situant du côté du son « bruité » (par exemple souffles de la flûte, ou bruit blanc), ou du son « clair » (par exemple, harmoniques de violon, résonances de glockenspiel…).\r\n\r\nLa flûte illustre ainsi parfaitement ce procédé, avec l’idée d’un son instrumental dans un état instable, en perpétuel mouvement ; par ses modes de jeu ductiles entre notes pures et souffles.\r\n\r\n[image:c5eef6ee-850f-465a-987d-e7fa25f21e77]\r\n\r\nD'autre part, Saariaho se sert de la flûte comme d'un filtre à la voix : dans bien des cas, le son de la flûte apparaît comme le prolongement de voix parlées ou chantées.\r\n\r\nUne telle utilisation de l'instrument a lieu dès [work:6cf409f7-590d-41b4-8d8e-4c6c25946a4f][*Laconisme de l'aile*]. Cette pièce pour flûte seule est basée sur un poème extrait d'*Oiseaux* de Saint-John Perse, qui est dit par l'instrumentiste. Ainsi, la partie du flûtiste alterne, mélange et crée des continuités entre texte et sons.\r\n\r\nDans [work:e956c108-c807-400f-ae96-d08872cb2589][*Lichtbogen*], sorte de démonstration du principe de l'axe timbral, où le timbre de l'ensemble oscille entre des situations de son clair et de son bruité, les souffles de la flûte prennent une grande part à l'évolution du timbre global.\r\n\r\nLe « centre de gravité » de l'ensemble de [work:6ce30002-66cc-4d7f-998f-58d72185580d][*Io*] est le pupitre des trois flûtes (les instrumentistes jouant : piccolo, flûte en Ut, en Sol, et flûte basse). Ces instruments sont amplifiés et réverbérés. La compositrice utilise des textures de consonnes prononcées dans les flûtes graves, qui évoluent d'abord vers des sons soufflés inarticulés puis vers des notes. La pièce se termine sur une résonance de trois flatterzunge soufflés *fff* des flûtes, prises dans une réverbération infinie.\r\n\r\nLes solistes de la deuxième partie du diptyque [work:2eefac6b-ac70-484e-8b13-06e6e0590b09][*Du cristal*][work:2d743146-a43e-4fde-acbc-db820c635ca1][*... à la fumée*], une flûte alto et un violoncelle, sont également amplifiés et réverbérés : comme par un effet de loupe, Saariaho précise, cisèle avec eux certaines structures harmoniques ou rythmiques présentées de manière massive ou polyphonique à l'orchestre. La partie de flûte, très virtuose, utilise les principes d'écriture développés pour [work:6ce30002-66cc-4d7f-998f-58d72185580d][*Io*] : instabilité entre note et souffle, emploi de consonnes d'articulation fricatives (les phonèmes chuchotés dans la flûte sont dénués de sens : ils servent en quelque sorte à indiquer une consonne d'articulation, qui soit différente du « t », du « k » ou du « g »).\r\n\r\nEnfin, la plupart des idées instrumentales de *NoaNoa* viennent directement de la pièce *Gates*, qui est un extrait de la musique du ballet [work:72accfd5-5043-400e-a19d-41f905159f1e][*Maa*] : notamment une figure 'd'appel' ascendante, suivie d'un long glissando d'un demi ton, qui est reprise comme motto de *NoaNoa*.\r\n\r\n« *NoaNoa* est née des idées que j'ai eues en écrivant la musique de ballet *Maa*. Je voulais inscrire, même de manière exagérée, peut-être abusive, certains maniérismes de l'écriture pour la flûte, qui m'avaient hantée depuis des années, pour me forcer à écrire quelque chose de nouveau ». (Saariaho, notice de la partition)\r\n\r\nAprès cette pièce, Saariaho continue l'exploration de l'instrument en dédiant à Camilla Hoitenga un concerto qui renoue avec Saint-John Perse : [work:c817cb9a-0db1-4e93-a968-d83e5896661c][*L'aile du songe*].\r\n\r\n**1992, année charnière**\r\n\r\nL'année 1992 chez Saariaho est un moment de bascule entre deux périodes. Ce tournant se manifeste parallèlement aux évolutions technologiques. Habituée à développer des outils pour la construction d'œuvres en studio, la compositrice a à présent accès aux transformations du son en temps-réel pendant le concert. *NoaNoa* est la première œuvre de Saariaho écrite pour électronique en temps-réel, œuvre significative de l'évolution de Saariaho entre les deux œuvres que nous poserons comme jalons : [work:e956c108-c807-400f-ae96-d08872cb2589][*Lichtbogen*] et [work:5ca91b92-6697-4802-9d25-51e776a24297][*L'amour de loin*].\r\n\r\n[work:e956c108-c807-400f-ae96-d08872cb2589][*Lichtbogen*] (1986) est construit sur la relation entre le « son bruité » (marqué par un « - » sur les esquisses) et le « son clair » (marqué par un « + »)[^Grabocz, 1993]. Si chaque instrument énonce avec évidence ses qualités bruitées ou claires, les évolutions timbrales sont à apprécier non pas tant au niveau d'un instrument seul mais bien au niveau du timbre orchestral global. La dramaturgie de la pièce est basée sur le glissement lent entre une situation musicale et une autre. L'expérience de cette pièce permettra à Saariaho de théoriser la notion d'axe timbral.\r\n\r\nAvec l'opéra [work:5ca91b92-6697-4802-9d25-51e776a24297][*L'amour de loin*] (2000), Saariaho abandonne quelque peu l'axe timbral pour se concentrer sur une écriture d'espaces sonores, c'est-à-dire d'environnements sonores différenciés. L'univers des deux personnages principaux de l'opéra se caractérise par une série d'accords et de sons pré-enregistrés. Ces accords et ces sons vont s'entrecroiser à la fois dans l'écriture instrumentale et électro-acoustique[^Battier & Nouno, 2006].\r\n\r\nEcrite en 1992, *NoaNoa* exploite le principe de l'axe timbral comme une grammaire permettant un dynamisme consonance/dissonance comparable à la tonalité, mais axée sur la perception du timbre. Ce principe innerve toute la pièce, de la structure globale jusqu'à la construction des phrases.\r\n\r\nEn cela, Saariaho rejoint les préoccupations des compositeurs de sa génération, qui souhaitent alors avec la musique spectrale fonder un langage musical complet et cohérent, en s'appuyant, d'ailleurs, sur les recherches de l'époque sur l'analyse et la synthèse sonores.\r\n\r\nLa musique spectrale de l'époque tient encore à définir le timbre aussi par la construction harmonique : c'est pourquoi cette pièce est à analyser en liant étroitement la construction des motifs de hauteurs avec celle des timbres.\r\n\r\nD'autre part, c'est l'électronique en temps-réel qui fait basculer Saariaho vers la notion d'espace sonore, qui sera particulièrement illustrée avec le travail d'[work:96ef8dbd-e913-4bc1-acdb-4b04935fa019][*Amers*] (<http: demeter.revue.univ-lille3.fr=\"\" analyse=\"\" lorieux.pdf=\"\">) : la flûte évolue dans un parcours sonore défini en particulier par les réverbérations et les résonateurs.\r\n\r\n####Entre son et bruit####\r\n\r\n**Forme globale**\r\n\r\nConformément au principe d'axe timbral développé par Saariaho, le timbre de la flûte oscille entre son et bruit. *NoaNoa* est construit plus systématiquement sur ce principe que les œuvres précédentes. On peut suivre globalement, dans la partie de flûte, un parcours du « son clair » (consonance, « + ») au « son bruité » (dissonance, « - »).\r\n\r\nCette pièce est basée sur une écriture toujours mouvante des sonorités instrumentales : le mélos de *NoaNoa* est essentiellement timbral. A l'image de ces sonorités, l'analyse de l'œuvre résiste à une fragmentation motivique stricte : si, dans un premier temps, les éléments sont présentés lisiblement un par un, ils se fondent très vite les uns dans les autres ou passent de manière continue de l'un à l'autre.\r\n\r\nKaija Saariaho écrit : « Formellement, j’expérimente l’idée d’un développement de plusieurs éléments simultanément, d’abord les uns après les autres, puis superposés. » (Saariaho, [work:27474383-b037-4eb1-84c4-0b07dd79433e][note de programme de *NoaNoa*])\r\n\r\nEn cela, la forme de *NoaNoa* suit le schéma classique de présentation (A), puis de développement (B) d’un certain nombre d’éléments.\r\n\r\nA la fin de la pièce de nouveaux éléments apparaissent (C), dérivés des premiers par croisement, simplification de leurs caractéristiques, jusqu’à mettre à nu des sons multiphoniques doublés par des [definition:b8848bdf-c724-4d3a-b0db-c6a7233da8e8][filtres] résonants (m.156-158).\r\n\r\n[image:7f61fd76-5b73-4943-905c-eda2b3c8a206]\r\n\r\n** Mesures 156-158, *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd **\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0560f3\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© 1997 Ondine, ODE 906-2**\r\n\r\n**Découpage de la pièce**\r\n\r\nCette illustration montre la répartition des éléments de *NoaNoa* dans le temps.\r\n\r\nOn remarque que :\r\n\r\n* La partie A est globalement + (« claire »),\r\n* La partie B travaille sur une alternance systématique entre + et -,\r\n* La partie C est globalement – (« bruitée »).\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4cf54c\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"450\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Construction de la partie de flûte**\r\n\r\nCette vue aérienne de la forme correspond à une perception globale de l'œuvre, qui dans ses détails, joue avec ductilité sur les variations de timbre de la flûte, comme autant d'éclairages différents, de variations autour d'une sonorité principale, pensée ici comme point de repère.\r\n\r\nPar exemple, la partie A contient du point de vue quantitatif, d'importants éléments bruités (mes 22-28). On peut ici faire un parallèle avec la manière dont les éléments contrastants sont introduits dans une forme sonate, les éclairages différents faisant penser à autant d’emprunts éloignés du point de repère.\r\n\r\n**Détail des évolutions de la partie A**\r\n\r\nOn peut également suivre les évolutions entre + et – de manière plus locale. Les catégories consonance / dissonance correspondent à celles de la musique spectrale de l'époque. Ces catégories sont classées par ordre d'importance, ce qui introduit une hiérarchie sur l'axe timbral entre les différents modes de jeu. Par exemple, globalement, l'ajout de voix dans la flûte est assimilée comme plus dissonant que le jeu vibrato. On peut avoir des nuances de « dissonance » avec l'amplitude du vibrato.\r\n\r\n**Variations de qualité (clair/bruité) dans la première page de la partition**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xdd30c2\" allowfullscreen=\"\" width=\"600\" height=\"450\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n####Construction et croisement des espaces sonores####\r\n\r\n**La réverbération, outil d'écriture**\r\n\r\nL'électronique dans *NoaNoa* fait l'objet d'une véritable écriture, elle agit comme un contrepoint qui guide la pièce de sa sonorité « claire » du début à une sonorité « bruitée ».\r\n\r\nL'utilisation de la réverbération n’a pas pour premier objectif de créer des espaces acoustiques virtuels. Elle prend une fonction musicale d’amplification et de coloration blanche des sonorités instrumentales. L’instrument est d’abord amplifié (c’est la fonction musicale naturelle de la réverbération) : l’instrumentiste a l’impression d’une facilité de jeu car il pense projeter le son plus loin, plus facilement. Mais les réverbérations font subir à la matière sonore comme des effets d’éclairage ou de contraste lumineux, subtils (temps de réverbération courts) ou violents (réverbérations infinies), jusqu’à agir comme traitements sonores qui dénaturent le son d’origine.\r\n\r\n**Réverbération infinie**\r\n\r\nAinsi, la réverbération infinie des premières notes a pour fonction musicale d'ouvrir l'espace sonore de la pièce en gelant le *mi* aigu. Sur la deuxième mesure, comme un écho, le *mi* est prolongé par un glissando, qui a une importance structurelle importante : la réverbération infinie, toujours active ici, provoque un cluster entre le *mi* et *la* *fa* aigus (mes 1 et 2), ou bien entre le *sol* bémol et le *fa* grave (mes 3 et 4).\r\n\r\n[image:157114a2-4ea5-4ecf-9b52-e47dc5f0516e]\r\n[image:7e0ba886-d6b0-4b35-8a37-a8a51aeb094f]\r\n\r\n** Mesures 1 à 4, *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x858cc2\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© 1997 Ondine, ODE 906-2**\r\n\r\nOn peut comparer ce petit cluster à un bruit blanc qui serait filtré par un filtre étroit, filtre résonant, ouvert entre ces deux fréquences.\r\n\r\nC’est un principe d’écriture qui se retrouve chez Saariaho dès [work:6ce30002-66cc-4d7f-998f-58d72185580d][*Io*], où la partie de synthèse comprend des sons qui varient entre bruit blanc (ouverture maximale des filtres) et coloration, accords (fermeture presque totale des filtres, ou filtres résonants).\r\n\r\n**Réverbération variable**\r\n\r\nPour les mesures 22 à 28, la réverbération change de fonction musicale. A priori, le traitement change ici de temps de réverbération en fonction du niveau sonore reçu : plus le niveau est faible, plus la réverbération est forte, et vice-versa.\r\n\r\n[image:47a0d58f-d559-481b-814f-cb03e91a20c6]\r\n\r\n** Mesures 22 à 25, *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\n[image:ba69f64a-6511-429e-af60-e89e4399ea42]\r\n\r\n**Mesure 35 : écoute du son de la partie électronique sur l'événement 10**\r\n\r\n** *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xaed5af\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© 1997 Ondine, ODE 906-2**\r\n\r\nOn a dans ces premières lignes les deux principes d’écriture de *NoaNoa* :\r\n\r\n* Une écriture de la résonance, où les réverbérations infinies sont en quelque sorte l’équivalent de filtres résonants ouverts, donnant une coloration blanche à la flûte (et qui vont progressivement se refermer jusqu’à la fin de la pièce).\r\n* La présence du texte (qui se transformera en phonèmes incompréhensibles), ici la voix est masquée par la flûte, et le tout est réverbéré, ou mélangé à des bruits.\r\n\r\n**Une coloration progressive**\r\n\r\nAu fur et à mesure, les deux types de réverbérations, halo de couleur « blanche » de la flûte, laissent place à des filtres résonants dont la coloration est harmonique, car ils sont obtenus à partir de l'analyse des multiphoniques de la flûte. On reste ici dans la grammaire de l'axe timbral en passant du « bruit blanc » de la réverbération à la « clarté » franche des multiphoniques. Les réverbérations agissent comme des filtres à l'ouverture maximale, qui laissent passer toutes les fréquences, qui vont se refermer progressivement sur des fréquences précises.\r\n\r\nEn correspondance avec cette idée de réverbération comme un filtre ouvert largement, la flûte décrit d'abord un espace de hauteurs variés, dans une grande agitation rythmique. A cet état de la pièce, on a « l'idée d'un développement de plusieurs éléments simultanément, d'abord les uns après les autres, puis superposés. » (Saariaho, [work:27474383-b037-4eb1-84c4-0b07dd79433e][note de programme de *NoaNoa*]).\r\n\r\nL'agitation et le mélange des éléments du début de la pièce va progressivement laisser la place à seulement deux éléments, qui semblent être une concentration, ou une coagulation de tous les éléments précédents. Le champ d'exploration combinatoire des figures est épuisé, ou bien abandonné, et se restreint à quelques figures.\r\n\r\n**« Hoquet » de la fin de la pièce**\r\n\r\nA la fin de la pièce, on observe une alternance entre une écriture « tourbillonnante », ou en « toupie », un hoquet entre la voix et la flûte, et un multiphonique, superposé à un fichier son.\r\n\r\n[image:333882d1-4f39-4591-b9c1-933cc26608fc]\r\n\r\n** Mesures 162-163, *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\nLe « hoquet voco-instrumental » (Léothaud, 2004) des mesures 154 et 155 peut faire penser à la technique pygmée, virtuose, de mélange de la voix avec la flûte de bambous. Ici, la fonction formelle des phonèmes, sans signification (en fait, ce sont des consonnes d'articulation placées en dehors de l'instrument) est de s'opposer au texte compréhensible du début de la pièce.\r\n\r\n[image:735326fd-dcbd-43c9-ace9-2a6a20d5f71a]\r\n\r\n** Mesures 154-155, *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x369859\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© 1997 Ondine, ODE 906-2**\r\n\r\n**Exemple de hoquet voco-instrumental : musique pygmée**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa6736f\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**« Hoquet voco-instrumental : Hindehu », enregistrement de Simha Arom et Geneviève Dournon, Centrafrique (1965), extrait du coffret de disques compacts : « Les voix du monde, une anthologie des expressions vocales », réalisation : Zemp, H.; Lortat-Jacob, B.; Léothaud, G., 1996\\. Collection CNRS - Musée de l’Homme (MNHN) - Le chant du Monde, fondée par Gilbert Rouget. Usage réservé dans le respect du patrimoine culturel des communautés d'origine. Consultation publique de l'intégralité de la plage sur le site des Archives sonores CNRS - Musée de l’Homme (CREM-LESC UMR 7186 CNRS - Université Paris Ouest, avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication)** \r\n\r\n <http: archives.crem-cnrs.fr=\"\" archives=\"\" items=\"\" cnrsmh_e_1996_013_001_002_028=\"\">Le fichier son superposé est composé de souffles passés dans des filtres résonants. Ces filtres résonants ont été obtenus d'après le multiphonique qui est justement joué (on a ainsi l'illusion que la flûte filtre en temps-réel les souffles pré-enregistrés). La fonction formelle de ce multiphonique qui apporte une couleur harmonique est de s'opposer aux réverbérations du début de la pièce, colorations floues de l'instrument et de la voix.\r\n\r\n** Mesure 163 : écoute du son de la partie électronique (événement 61)**\r\n\r\n[image:f0dd7fa6-0c71-448d-9ee0-10194498daf0]\r\n\r\n** *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa8a6c0\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© 1997 Ondine, ODE 906-2**\r\n\r\n**Schéma du renversement des situations musicales**\r\n\r\nOn pourrait ainsi schématiser le renversement des situations musicales qui s'est effectué :\r\n[image:22185ee7-bf38-4520-81e4-551a6f8192fc]\r\n\r\n###La flûte et la voix###\r\n\r\n####Le texte : fragments et phonèmes####\r\n\r\nSaariaho utilise un texte (tiré du journal de voyage NoaNoa de Gauguin) qui doit être chuchoté dans la flûte : il est masqué, et cette réverbération (en captant la voix mélangée à la flûte) amplifie le masquage. A la mesure 35, la voix est masquée cette fois par un bruit.\r\n\r\nMasqué ne veut pas dire incompréhensible : la difficulté de l’exécution tient d’ailleurs dans cette difficulté à articuler clairement les mots, en vocalisant peu, ou pas, de manière à faire résonner la flûte avec la note écrite.\r\n\r\n[image:a17f5901-a4a8-4c30-8f40-7520c962ab9c]\r\n\r\n**Mesures 35-36, *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x589085\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© 1997 Ondine, ODE 906-2**\r\n\r\nAu contraire de ses précédentes œuvres, où les phonèmes n'avaient aucune signification, Saariaho utilise des phonèmes extraits du journal de Paul Gauguin, ce qui enrichit le discours de la flûte du point de vue strictement musical (consonnes articulatoires, mais aussi voyelles) et aussi sémantique. Même si les mots ne sont pas narratifs, ils sont très évocateurs (Riikonen, 2003).\r\n\r\nLe passage d’un texte compréhensible à sa fragmentation s’est fait par l’entremise de l’introduction de fichiers sons comprenant des voix d’homme chuchotées (celles de Xavier Chabot et de Jean-Baptiste Barrière). Ce sont également des extraits du journal de Gauguin, mais passés dans un traitement de brassage, qui mélange les syllabes. On reconnaît des bribes de phrases, seulement. Ce type de fichier son a donc deux fonctions ici :\r\n\r\n* brouiller le texte, pour aider la flûte à passer peu à peu de mots signifiants à des consonnes seules, sans signification.\r\n* introduire une voix exogène, qui produit un effet d’étrangeté. Perceptivement, on a la sensation que la voix s’extrait de la flûte, devient indépendante.\r\n\r\n** Mesures 88-93, écoute de la partie électronique (son de l'événement 31)**\r\n\r\n[image:fa8f8cba-c4ab-433e-baa3-c3a1f7f4f544]\r\n\r\n** *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x0fce86\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© 1997 Ondine, ODE 906-2**\r\n\r\n####Masquages de la voix####\r\n\r\nL'ethnomusicologue Gilles Léothaud a classifié les procédés utilisés pour masquer la voix (Léothaud, 2004) : par exemple, dans le cadre de l'altération, de la déformation acoustique de la voix émise, les différentes cultures musicales mondiales utilisent des altérateurs (récipients, tuyaux...), des systèmes excitateurs (par exemple la flûte), des amplificateurs, ou des acoustiques particulières (lieux réverbérants). Ces catégories s'appliquent tout à fait au style de Saariaho et c'est précisément pour cela que la flûte est un instrument central de la compositrice.\r\n\r\nDès [work:6cf409f7-590d-41b4-8d8e-4c6c25946a4f][*Laconisme de l’aile*], la voix de l’instrumentiste résonne dans la flûte. C’est également le cas à chaque fois que la flûte est utilisée : les phonèmes chuchotés ou parlés dans la flûte sont plus ou moins compréhensibles. Par une sorte de pudeur, la compositrice masque l’élément révélateur de son inspiration poétique.\r\n\r\nCette utilisation de l’instrument peut rejoindre l’idée qu’un cri, comme celui des mesures 61 – 63, doit être domestiqué, acculturé par un masque ou un instrument.\r\n\r\n[image:1f7dca7a-5d16-496f-afd4-c250045a8775]\r\n\r\n**Mesures 61-63, *NoaNoa* de Kaija Saariaho - © Chester Music Ltd**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x57d687\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**© 1997 Ondine, ODE 906-2**\r\n\r\nLa plupart du temps, l’électronique chez Saariaho se compose de systèmes de réverbération, variable ou infinie, ce qui a pour effet d’entourer l’instrument comme d’un halo de « lumière blanche ». C’est également un type d’altération vocale, selon Léothaud. Par ailleurs, la mise en résonance est un procédé central de Saariaho : le modèle spectral est toujours représenté par un filtre résonant.\r\n\r\nLa figuration de la fermeture progressive d’un filtre résonant dans *NoaNoa*, correspond à la fois à l’impulsion inspiratrice de l’œuvre (une gravure sur bois de Gauguin), et aux préoccupations esthétiques de la compositrice.\r\n\r\n###Écrire la résonance : un geste de graveur###\r\n\r\nEn 1992, Saariaho cristallise dans son écriture le principe d’écriture de la résonance (Lorieux, 2007). Dans [work:96ef8dbd-e913-4bc1-acdb-4b04935fa019][*Amers*], pour violoncelle, ensemble et électronique, un son de violoncelle sert de matrice à toute la pièce : c’est un milieu sonore, un espace résonant, énoncé par l’électronique, dans lequel les instruments évoluent. Dans cette pièce, le modèle sonore est présenté dès le début ; on en dérive mais on y revient toujours (c’est un amer, ou un repère).\r\n\r\nLe modèle spectral chez Saariaho est donc toujours dynamique : il est représenté par un filtre, et va s'actualiser par un son, par un accord, ou par un traitement sonore sur un bruit riche.\r\n\r\nDans *NoaNoa*, la résonance est d'abord floue : le texte résonne dans la flûte, qui résonne dans la réverbération. Mais un milieu sonore, qui serait adéquat, idiomatique à la flûte, se cherche, puis s'aimante sur un accord multiphonique, à l'image d'un amas de matière brut qui s'organise, se hiérarchise peu à peu, par des phénomènes de coagulation ou de gravitation. De manière significative, cet accord final est aussi un filtre, donc un modèle spectral.\r\n\r\nLe geste du graveur sur bois part d'une surface brute et épaisse, qui contient potentiellement toute forme. Peu à peu en relief ou en creux, apparaissent des plans, des lignes de force. Le hoquet voco-instrumental de la fin de l'œuvre est une sorte de figure en relief, alors que le filtre résonant a plutôt une fonction de creusement du matériau sonore.\r\n\r\n###Références###\r\n\r\nPartition publiée chez [Chester Music Ltd](https://www.wisemusicclassical.com/), reproduction avec l'aimable autorisation de Première Music Group.\r\n\r\n####Références bibliographiques####\r\n\r\n**sur Saariaho**\r\n\r\n* BATTIER, Marc, NOUNO, Gilbert, « L'électronique dans l'opéra de Kaija Saariaho, *L'Amour de loin* », in Carlos AGON, Gérard ASSAYAG, Jean BRESSON, The OM Composer's Book, coll. Musique et sciences, Ircam, Centre Georges-Pompidou, 2006.\r\n* GRABOCZ, Martha, « La musique contemporaine finlandaise : conception gestuelle de la macrostucture / Saariaho et Lindberg », Cahiers du CIREM, Musique et geste, n ° 26-27, décembre 1992-mars 1993.\r\n* LORIEUX, Grégoire, « Une analyse d’*Amers* de Kaija Saariaho », DEMéter, novembre 2004, Université de Lille-3, <http: www.univ-lille3.fr=\"\" revues=\"\" demeter=\"\" analyse=\"\" lorieux.pdf=\"\">, lien consulté le 7 juillet\r\n* SAARIAHO, Kaija, « Timbre et harmonie », dans *Le timbre, métaphore pour la composition*, Jean-Baptiste Barrière, éd., Paris, Ircam - Christian Bourgois, 1991.\r\n* SAARIAHO, Kaija, McADAMS, Stephen « Qualités et fonctions du timbre musical », in Le timbre, métaphore pour la composition, Paris, Christian Bourgois, 1991\\. \r\n* SAARIAHO, Kaija, BARRIERE, Jean-Baptiste, CHABOT, Xavier, « On the realisation of *NoaNoa* and *Près*, two pieces for solo instruments and the Ircam signal processing workstation », in Proceedings of the 1993 International Computer Music Conference, Tokyo, 1993\\. \r\n\r\n**sur NoaNoa**\r\n\r\n* RIIKONEN, Taina, « Shaken or stirred – virtual reverberation spaces and transformative gender identities in Kaija Saariaho's *NoaNoa* (1992) for flute and electronics », Organised Sound , 8, Cambridge University Press, 2003, p. 109-115.\r\n* CD-ROM « P. Gauguin : *Noa Noa*, Diverses choses, Ancien culte Mahori », éditions Emme, ASIN: B0000CGADX.\r\n\r\n**Autre**\r\n\r\n* Gilles LEOTHAUD, « La voix mélangée à l'instrument de musique », in [Ethnomusicologie Générale](http://farrokh.vahabzadeh.googlepages.com/Ethnomusicologiegnrale.pdf), 2004, p. 86-87.\r\n\r\n####Références discographiques####\r\n\r\n* « Chamber Music », Trio Wolpe, *NoaNoa* ; *Cendres* ; *Mirrors* (2 versions) ; *Spins and Spells* ; *Monkey Fingers* ; *Velvet Hand* ; *Petals* ; *Laconisme de l'aile* ; *Six Japanese Gardens*, KAIROS 0012412, 2004.\r\n* « Conspirare, Chamber Music for solo flute », *NoaNoa*, Patti Monson, avec des œuvres de Reich, Dick, Meltzer, Higdon, Bresnick, 1 cd CRI 867, 2000.\r\n* « Private Gardens », *NoaNoa* ; *Lonh* ; *Près* ; *Six Japanese Gardens*, Camilla Hoitenga, ONDINE ODE 906-2, 1997.\r\n* « Electro acoustic Music III », *NoaNoa*, Camilla Hoitenga, avec des œuvres de Karpen, Nelson, Dusman, Fuller, Risset, NEUMA 450-87, 1994.\r\n\r\n####Liens internet####\r\n\r\n* Site personnel de la compositrice, <http: saariaho.org=\"\">.\r\n* Page de Kaija Saariaho sur le site de son éditeur, <http: www.musicsalesclassical.com=\"\" composer=\"\" short-bio=\"\" 1350=\"\">.\r\n* Emission de radio, et un entretien par Bernard Girard <http: dissonances.pagesperso-orange.fr=\"\" saariaho.html=\"\">.\r\n* Site Music Finland / Composers & Repertoire, <http: composers.musicfinland.fi=\"\" musicfinland=\"\" fimic.nsf=\"\" comaa=\"\" 356208d41c39bbccc225748100354e34?opendocument=\"\">.\r\n\r\n[^Saariaho,1991]: SAARIAHO, Kaija, « Timbre et harmonie », dans *Le timbre, métaphore pour la composition*, Jean-Baptiste Barrière, éd., Paris, Ircam - Christian Bourgois, 1991, p. 412-453.\r\n[^Grabocz, 1993]: GRABOCZ, Martha, « La musique contemporaine finlandaise : conception gestuelle de la macrostucture / Saariaho et Lindberg », Cahiers du CIREM, Musique et geste, n° 26-27, décembre 1992-mars 1993, p. 158.\r\n[^Battier & Nouno, 2006]: BATTIER, Marc, NOUNO, Gilbert, « L'électronique dans l'opéra de Kaija Saariaho, L'Amour de loin », in Carlos AGON, Gérard ASSAYAG, Jean BRESSON, The OM Composer's Book, coll. Musique et sciences, Ircam, Centre Georges-Pompidou, 2006, p. 21-30.</http:> </http:></http:></http:></http:></http:></http:>","2009-06-10T00:00:00.000Z","analyse-de-i-noanoa-i-(1992)-de-kaija-saariaho",{"getUrl":193},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/954b9144-0b20-4ba2-81d5-e9f43ea69cdf-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=20a534a68e33358f885dca90789f9cc463c6fcd15af6b82cd97bc0cb8fcec92f",{"url":193,"isIcon":11,"alt":187,"centered":37},[196],{"firstName":184,"lastName":185},{"title":198,"titleEn":199,"text":200,"textFr":200,"textEn":11,"date":190,"type":32,"slug":201,"authors":11,"toc":11,"image":202,"composer":11,"cardImage":204,"cardTitle":198,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":205},"Analyse de \u003Ci>Metallics\u003C/i> (1995) de Yan Maresz","Analysis of \u003Ci>Metallics\u003C/i> (1995) by Yan Maresz","### Versions de l'œuvre\r\n\r\n#### Configuration de la version en temps réel\r\n\r\nLa version originale fait appel au programme MAX sur la station NeXt de l'Ircam qui sert de base pour la gestion de tous les événements électroniques en [definition:09ce4c72-cdd2-445b-8438-cd0ad23f8c5d][temps réel] : synthèse par filtres, traitements, *sampling*, spatialisation et déclenchement de sons *direct-to-disk*. À l'époque, l'Ircam avait mis au point deux outils permettant une plus grande interactivité entre l'instrument et l'ordinateur ; un micro-capteur situé dans l'embouchure de l'instrument, et qui, par une analyse très précise du signal d'entrée, permettait de faire un suivi de hauteur (*pitch tracking*) et d'amplitude (*envelope follower*), ainsi qu'un petit déclencheur situé sur l'instrument, actionné par le pouce de l'interprète, qui servait à déclencher les sons *direct-to-disk*. Dans la version Max MSP (2001), le son de la trompette est capté par un microphone sur pied. Le signal est envoyé aux quatre haut-parleurs et à la carte d'entrée de l'ordinateur. Il est traité en temps réel par le logiciel pour produire divers effets (réverbération, *delay*, filtres, harmoniseurs, *chorus*, spatialisateur, etc.), puis renvoyé vers les quatre haut-parleurs. Afin d'obtenir la meilleure précision possible dans l'interaction entre le jeu direct et l'électronique, le compositeur préconise que le trompettiste déclenche lui-même les traitements en temps réel en utilisant une pédale MIDI en suivant les indications de la partition et en s'aidant de la *clicktrack* (diffusée par le casque). Si cette option n'est pas possible, les événements MIDI peuvent être déclenchés par un fichier MIDI chargé dans le patch Max.\r\n\r\n[image:e083dd55-9c86-424c-8953-2d819ad1f85a]\r\n\r\n**Configuration de la version « temps réel »**\r\n\r\n#### Configuration de la version avec bande 4 pistes\r\n\r\nIl existe une version pour bande dans laquelle la plus grande partie des sons électroniques provenant du traitement en temps réel a été récupérée, mais où les traitements spécifiquement interactifs (comme la spatialisation de la trompette ainsi que tous les procédés de filtrage) sont absents. Toutefois, une simulation des réponses de ces différentes sourdines a été effectuée à l'aide d'échantillons de trompette.\r\n\r\n[image:60022dda-41bc-4255-9834-999f35af57c8]\r\n\r\n**Configuration de la version « bande »**\r\n\r\n#### Remarque\r\n\r\nLes exemples sonores de cette analyse proviennent de l'enregistrement du concert du 26 juin 1995 à l'Ircam (version temps réel, Laurent Bômont : trompette, Xavier Chabot : RIM), des archives sonores de l'Ircam et des archives personnelles du compositeur. Les références aux mesures proviennent de la version pour bande.\r\n\r\n### Recherche sur les sourdines\r\n\r\n#### Points de départ\r\n\r\nLe projet compositionnel de *Metallics* repose sur la modélisation informatique des [definition:8edad65f-5d2a-4a93-b630-fd03611bfb2c][sourdines] de trompette. Les travaux de René Caussé et Benny Sluchin[^causse] sur les sourdines des cuivres ont posé les bases du paradigme compositionnel : comment simuler, à l'aide de l'électronique, les caractéristiques spectrales des sourdines ?\r\n\r\nSelon René Caussé et Benny Sluchin : « Les sourdines, agissant au niveau du pavillon, modifient les conditions de réflexion et de transmission des ondes acoustiques. Cela se traduit par une modification de l'amplitude et de la fréquence des extrema de la courbe d'impédance d'entrée de l'instrument et, en sortie, par un filtrage fréquentiel différent (certaines composantes seront affaiblies, d'autres renforcées dans le spectre). La distribution temporelle des composantes diffère également lors des attaques des notes (transitoires) et crée une modification du rayonnement dans l'espace, les composantes n'ayant pas le même « poids » dans toutes les directions de l'espace [^causse]. »\r\n\r\nPartant de cette constatation – les sourdines agissent par un filtrage fréquentiel et par une modification du rayonnement spatial – Yan Maresz a développé des bancs de [definition:b8848bdf-c724-4d3a-b0db-c6a7233da8e8][filtres] capables de produire les mêmes effets. Le dispositif de filtrage en temps réel est devenu alors l'intercesseur d'un jeu entre image sonore réelle et ombre synthétique. Si les données acoustiques des sourdines de cuivres ont pu être appliquées à l'écriture orchestrale (par exemple dans [work:b6c60615-ce07-431e-a4a7-d4ce040ea578][*Modulations*] ou [work:20a78ed3-3e87-4d3f-a7f0-260b829a49aa][*Transitoires*] de [composer:de82cc8f-5a38-4f47-95b4-868f2621f4d1][Grisey]), *Metallics* représente la première tentative de modélisation d'un filtrage de sourdines en temps réel.\r\n\r\nLes sourdines permettent une large palette expressive. Au même titre que certains timbres instrumentaux ou que les typologies vocales de l'opéra, les sourdines constituent des images sonores archétypales : chaque sourdine possède une sonorité typique facilement identifiable et, par là même, suggère à l'auditeur l'évocation d'un monde sonore et d'un imaginaire particuliers. Yan Maresz s'est servi de ces archétypes comme des éléments porteurs de forme. Ainsi, la trompette *open* (sans sourdine) véhicule une image de puissance, d'héroïsme ou même de bellicisme (comme celle qu'évoquent, chez Verdi, les trompettes d'Aïda). Tout à l'opposé, la sourdine *cup*, délivre une sonorité veloutée, lyrique, proche de la clarinette, qui engendre un monde sonore plus introverti. La sourdine *straight*, la plus employée au XXe siècle, évoque la virtuosité, la brillance. Elle possède un caractère percussif et mordant. La sourdine *harmon* possède un double visage. Lorsqu'elle est munie du tube (*wawa*), elle évoque un monde ludique, clownesque, comme dans les musiques d'accompagnement des dessins animés. Sans le tube, sa sonorité est à la fois chaleureuse et distordue. On l'associe immédiatement au jazz. La sourdine *whisper* (sourdine de travail), distille le calme, l'intimité mais aussi le mystère, l'ambiguïté car elle « déréalise » l'instrument (c'est celle dont le filtrage fréquentiel est le plus important). Le compositeur va donc mettre à profit cette typologie de sonorités archétypales afin d'établir une forme dont chaque section reflète un univers spécifique. Ces images sonores fortement individualisées favorisent la mémorisation de la structure et permettent également de créer des relations sémantiques entre les différentes sections.\r\n\r\n#### Une idée directrice qui organise la forme : le classement des sourdines suivant leur inharmonicité\r\n\r\nLa forme de la pièce, telle qu'elle était prévue dans le projet initial, consistait en cinq sections, quatre d'entre-elles étant déterminées par l'emploi d'une sourdine particulière. Quatre transitions, jouées *open*, devaient les séparer. Dans le schéma ci-dessous, la section *Straight* et sa transition sont notées en pointillés car, bien qu'étant prévues dans le projet initial, elles n'existent, dans la version actuelle (et certainement définitive), que par la présence d'un son échantillonné qui sert de lien entre la deuxième transition et la section *Harmon*.\r\n\r\n[image:919584d8-3939-4c4f-8d2c-08b7c4c6d81a]\r\n\r\n**Schéma formel du projet initial de *Metallics* **\r\n\r\nCependant, la forme de *Metallics* ne se réduit pas à une simple succession de moments ou de climats. Le compositeur a surajouté à cette forme en cinq sections une directionnalité en relation avec des données provenant de l'analyse des sourdines. Comme le précise le compositeur : « Une fois tout ce matériau mis à jour, j'ai tenté de l'organiser dans une forme qui fasse sens, en évitant la tentation gratuitement bruitiste et événementielle : le matériau s'inscrivait progressivement dans la forme, en découlant de l'organisation temporelle des données acoustiques obtenues par l'analyse et le classement des timbres, selon une hiérarchie allant du plus pur au plus bruité[^heuze] ». Une analyse formantique a permis de connaître le degré d'inharmonicité produit par chaque type de sourdine. L'analyse s'est déroulée en trois phases à partir d'un *la2* tenu *forte* :\r\n\r\n* analyse FFT dans AudioSculpt afin de dégager la série harmonique\r\n* analyse IANA (réduction du spectre par l'algorithme de Terhardt) afin de déterminer les composants acoustiquement pertinents pour resynthétiser un timbre\r\n* analyse LPC (Linear Production Coding) sur DEC pour obtenir les [definition:be608520-079e-4b2d-97f9-755fbdfb1b13][formants] (le compositeur n'a retenu que les seize premiers)\r\n\r\nVoici, à titre d'exemple, les trois analyses de la sourdine *cup* :\r\n\r\n[image:af133647-3b59-4898-a8f8-2d434be51233]\r\n\r\n**Analyses de la sourdine cup (FFT, IANA, LPC)**\r\n\r\nL'ordre d'apparition des sourdines dans la pièce a été obtenu en comparant les taux de distorsion spectrale des différentes sourdines par rapport au spectre de la trompette open :\r\n\r\n* *Cup* = 0,390\r\n* *Straight* = 0,623\r\n* *Harmon* = 1,211\r\n* *Whisper* = 1,291\r\n\r\nComme il a été mentionné plus haut, les analyses n'ont été effectuées qu'à partir d'un son tenu forte. Mais les taux sont très similaires quelle que soit l'intensité, sauf pour la sourdine *whisper* qui a la particularité d'être la plus bruitée à forte intensité et la moins bruitée à faible intensité. Yan Maresz a choisi, pour des raisons esthétiques, de placer cette sourdine dans la section finale bien que la partie de trompette y soit le plus souvent jouée *piano*.\r\n\r\nLa forme de l'œuvre reprend donc le classement des sourdines par rapport au taux de distorsion spectrale. Entre chacune des cinq sections, s'intercalent quatre transitions de trompette, jouées *open*, qui suivent le même parcours vers le bruit mais par le biais de [definition:2decb6af-47c6-4eb2-8bd6-29155185a98f][modes de jeu] de plus en plus bruités : doigts alternés, *flatterzunge*, *valve trills*, *pops*, *slaps*... Le brouillage est d'ailleurs renforcé par les filtrages en temps réel qui s'effectuent uniquement pendant ces transitions. En outre, ces transitions se distinguent par un ambitus plus large que celui des sections. Celles-ci jouent donc un rôle important dans la perception de la forme puisqu'elles opèrent soit des anticipations (filtrage *cup* + *harmon* de la première transition), soit des rappels (la dernière transition reprend à rebours les cinq filtrages : *whisper*/*harmon*/*straight*/*cup*/*open*).\r\n\r\nLe processus formel est renforcé par une sorte de *crossfade* structurel entre les traitements en temps réel (filtrage, synthèse par filtres, harmoniseur, filtres résonants, *delays*, etc.) et les sons *direct-to-disk*. Jusqu'à la section *Harmon*, les traitements en temps réel sont omniprésents alors que les échantillons ont un rôle moins crucial. Souvent de courte durée, ces derniers servent à renforcer un effet. À partir de la section *Harmon*, les sons *direct-to-disk* gagnent en complexité et en durée pour finalement éliminer tout traitement en temps réel lors de la section *Whisper*.\r\n\r\nAinsi, l'œuvre fixe sa destinée à travers un parcours qui explore les sonorités de la trompette, des plus claires aux plus bruitées. Yan Maresz a exploité, grâce à la puissance d'analyse de et de synthèse de l'outil informatique, la possibilité « de plonger à l'intérieur de l'instrument[^heuze] ». Métaphoriquement, *Metallics* réalise une sorte de voyage sensoriel à l'intérieur du tube de la trompette. Remontant du pavillon à l'embouchure, de la projection à la source, l'oreille de l'auditeur explore le son jusqu'à ses retranchements les plus extrêmes, jusqu'aux composantes les plus bruitées : *slaps* des lèvres, bruit des valves, etc.\r\n\r\n### Virtuosité instrumentale\r\n\r\nYan Maresz utilise à plein les possibilités de l'instrument, aussi bien en ce qui concerne la vélocité, l'exploration de registres peu inusités, que les modes de jeu. La première transition (mes. 31 à 51), avec ses traits virtuoses et ses notes répétées, est ainsi particulièrement périlleuse pour l'instrumentiste. D'une manière générale, l'ambitus des transitions (qui ont la caractéristique d'être interprétées sans sourdine) est plus large que celui des sections (entre 28 et 30 demi-tons). Au contraire, les sections *Cup* et *Whisper* se distinguent par un ambitus plus réduit (respectivement 24 et 19 demi-tons) qui renforce le caractère doux et intimiste de ces sourdines. La fin de la quatrième transition constitue un des passages les plus étonnants de l'œuvre dans lequel l'instrumentiste joue, uniquement avec la pression des lèvres, une longue phrase en sons pédales.\r\n\r\n[image:e8396d06-4afb-4b5e-9dc6-6a53ee096344]\r\n\r\n**© Editions Durand / Universal Music Publishing Classical**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x27adc8\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Sons pédales**\r\n\r\nOn trouve, dans *Metallics*, une dizaine de modes de jeu répartis majoritairement dans les transitions. Seule la première transition, qui mène à la section *Cup*, ne repose sur aucun mode de jeu particulier. On peut classer ces modes de jeu en deux catégories : ceux qui agissent principalement sur la hauteur du son et ceux qui agissent sur le timbre. Parmi les premiers, on trouve le trémolo ou le trille (parfois accompagnés d'accélérations ou de ralentissements), le trille de valves (une même note jouée sur deux positions procure des variations microtonales), le glissando simple, et le *rip*, sorte de glissando ascendant rapide sur la série harmonique qui produit l'effet d'un jet de son (par exemple mes. 53). Parmi les modes de jeu agissant sur le timbre, sont employés le *flatterzunge* (sorte de trille obtenu par un roulement de langue rapide) qui peut être superposé à un trille de valves (mes. 98-99), le *doodle tonging* (coups de langue rapides qui produisent une articulation ternaire à l'intérieur d'un son tenu), le demi-valve, obtenu avec le piston à moitié enfoncé qui produit un son riche en harmoniques, l'effet *wawa* produit en actionnant le tube de façon à ouvrir (o) ou fermer (+) plus ou moins progressivement le pavillon, le *slap* (son grave à hauteur indéterminée, souvent précédé d'un jet d'air) et le *pops* (claquement de lèvres à hauteur déterminée).\r\n\r\nCes modes de jeu sont répartis en fonction des affinités de timbre avec les filtrages. Ainsi, la transition 2 est dédiée aux doigtés alternés. Trilles de valves et *flatterzunge* se succèdent pour former un accord tenu par les filtres résonants et coloré par les interpolations entre les filtrages *cup* et *harmon*. Le recours à la sourdine *harmon* avec ou sans le tube délimite les trois sous-sections qui la divisent : A (mes. 114-126) sourdine avec tube (*wawa*), B (mes. 127-140) *harmon* sans tube et C (mes. 141-156) sourdine avec tube. Lors des sous-sections A et C, la partie instrumentale joue à plein le jeu de l'effet *wawa* (ouvert/fermé), sur des valeurs brèves comme sur des valeurs longues contrepointés par des sons *direct-to disk*. La sous-section B, semble un lointain souvenir de la fin de la première partie. Traits et trilles de trompette, excitation des filtres, delays, rotations rapides suggèrent un sentiment de vitesse et d'urgence.\r\n\r\nLa transition 4 fait émerger, au travers de quelques bribes de phrases, au son détimbré et lointain, les modes de jeu bruités et percussifs : air, trilles de valves sur le souffle, *pops*, *slaps*. Une atmosphère de mort et de désolation se répand à travers un chaos organisé. La chute se poursuit dans un quasi glissando en sons pédales (*growl*). La transition se termine dans un dernier souffle, *morendo*, prolongé par une longue réverbération.\r\n\r\n### Virtuosité de l'électronique\r\n\r\nLe recours à l'électronique permet de surpasser les limites techniques de l'instrument et d'insuffler une « sur-virtuosité ». Maresz explique que : « L'une des grandes découvertes, lorsqu'on commence à travailler avec la lutherie électronique, réside dans cette possibilité d'approcher les limites de l'instrument et de se permettre de les dépasser[^heuze]. » L'électronique est à même de réaliser des tours de force irréalisables, même par l'instrumentiste le plus chevronné : augmenter démesurément la durée d'un son, accroître la vitesse d'un trait, outrepasser l'étendue de l'instrument, délocaliser le geste instrumental à l'aide de la spatialisation, et surtout générer une auto-polyphonie.\r\n\r\nL'électronique rend possible cette dernière possibilité de deux façons, soit par les traitements en temps réel (*delay*, réverbération infinie, *sampling*, *harmoniseur*), soit par l'adjonction de sons *direct-to-disk*. Nous nous intéresserons plutôt aux traitements en temps réels qui offrent la possibilité d'une polyphonie virtuelle.\r\n\r\nLe [definition:16eeaf6d-430b-4507-ac7d-3922105c93ca][*delay*] (retard) est un décalage temporel introduit sur le signal d'entrée. Suivant le taux de retard incrémenté (pouvant aller de quelques millisecondes à quelques secondes), l'effet sur le signal de sortie est soit une modification de timbre (*delay* très court, inférieur à 100 ms.), soit une modification temporelle. Le paramètre de *feedback* permet de réinjecter le signal de sortie vers le signal d'entrée et de multiplier ainsi les répétitions. Celles-ci sont contrôlées par un gain d'atténuation. Dans *Metallics*, le *delay* produit deux effets types qui alternent tout au long de la partition : des répétitions rapides d'une même note brève (indiquées sur la partition « *bounce 8* ») et des sons entretenus à partir d'une valeur longue (dénommés « *4 delays with feedback* »). Ces deux effets servent donc à épaissir la texture.\r\n\r\nAu début de la section *Cup*, l'effet d'entretien est particulièrement intéressant, aussi bien sur le plan temporel qu'harmonique. Appliqué à des valeurs longues ornées de trilles à vitesse variable, le *delay* crée l'impression d'une nappe sonore irisée de multiples résonances. De plus, il est couplé aux filtres qui produisent une séquence harmonique transposée deux octaves plus bas.\r\n\r\n[image:82b205d3-089e-4585-9745-6db6f7d5b29c]\r\n\r\n**© Editions Durand / Universal Music Publishing Classical**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x001345\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nL'événement 31 déclenche ce delay en spécifiant quatre valeurs de retard (800 ms., 900 ms., 500 ms., 700 ms.) et une valeur de *feedback* (120) qui réinjecte le signal vers l'entrée de façon à prolonger le son.\r\n\r\nLa [definition:fd57f414-8351-4c66-973a-2716cb5bfc57][réverbération] infinie prolonge, dans le même registre, certaines notes sans décroissance de dynamique afin de former un agrégat étagé. Ce traitement est employé à deux reprises : mes. 50 et mes. 117\\. Dans les deux occurrences, la réverbération infinie est couplée à des filtres résonants :\r\n\r\n[image:bb925d8a-81e6-41eb-ad3d-d4ef6b787a6c]\r\n\r\n**© Editions Durand / Universal Music Publishing Classical**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xb24e7d\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nLe *sampling* consiste à échantillonner une note pour lui affecter un traitement en temps réel. Il en est fait usage aux mes. 32 et 138\\. On peut entendre ainsi, à la fin de la section *Open* (mes. 32), un *fa3* échantillonné, qui subit une dilatation temporelle puis un *glissando* descendant :\r\n\r\n[image:1bd0a4bb-072d-4883-a104-7e8442970890]\r\n\r\n**© Editions Durand / Universal Music Publishing Classical**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xef7e2a\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nL'[definition:4b8f6113-b1e8-4b5f-97f8-59bdb2265581][harmoniseur] effectue des opérations de translation sur la fréquence du signal d'entrée. Il permet donc de transposer un son, vers l'aigu ou le grave, sans modifier sa durée. Si le taux de transposition est de quelques degrés, le timbre n'est pas altéré, mais au-delà le son est déformé, et prend un timbre caractéristique. On peut affecter un *delay* à chaque transposition pour obtenir un effet d'arpège. Un exemple d'utilisation de l'harmoniseur se trouve à la fin de la section *Cup* (mes. 89-91), où le trompettiste joue un *si3* en valeurs brèves. Lors de l'événement 43 (mes. 89), les valeurs de transposition sont respectivement de 10 cents, -300 cents, -1000 cents, -1300 cents. L'effet produit est un accord plaqué constitué des notes *la #2*, *do #3*, *sol #3* et *si3*.\r\n\r\nL'événement 44 (mes. 89) illustre le rôle que peut jouer l'affectation d'un *feedback* à l'harmoniseur en produisant des transpositions en chaîne par réinjection des valeurs vers le signal d'entrée. Un délai de 500 ms. est d'abord affecté à l'harmoniseur, l'accord joué par l'électronique est donc plaqué un demi-temps après la note jouée (noire = 60). Après un second délai de 2000 ms, une transposition (-200, -708, -897, -1289) est appliquée avec un *feedback* (fb 50) qui entraîne un glissement vers le grave pour chaque note de la phrase mélodique après un court délai de 50 ms.\r\n\r\n[image:90b51c20-86ee-4fce-8251-44bb68cd9896]\r\n\r\n[image:701b4cae-db4f-4842-99cc-cddbe36c6f5e]\r\n\r\n**© Editions Durand / Universal Music Publishing Classical**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x28441c\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n### La question de l'identité\r\n\r\nLa question de l'identité entre l'instrument réel et son ombre synthétique est au cœur de la musique électronique et particulièrement de la technologie du temps réel. *Metallics* tire partie de l'ambiguïté d'identité entre son acoustique et son électronique grâce à la simulation par des bancs de filtres des caractéristiques spectrales des sourdines. Yan Maresz fait judicieusement intervenir les « formants » électroniques de sourdines avant ou après les sections jouées avec les sourdines réelles. Il en découle un jeu d'anticipation ou de rappel entre l'ombre électronique et l'instrument.\r\n\r\nLe rôle du filtrage, dans *Metallics*, est crucial puisqu'il conditionne tout le projet de la pièce : recréer l'image acoustique des sourdines. C'est aux deux bancs (A et B) de seize filtres qu'est dévolue cette tâche. Ceux-ci sont réglés en fonction des analyses formantiques de la phase initiale du projet. Rappelons que seules les transitions, dans lesquelles l'instrumentiste n'a pas recours aux sourdines acoustiques, ont recours au filtrage.\r\n\r\nÀ titre d'exemple, observons le processus de filtrage de la transition 2 (mes. 100-112) qui mène de la section *Cup* à la section *Straight*. Le filtrage se déroule en trois phases : 1) filtrage *cup* (mes. 100-104), 2) interpolation de *cup* vers *harmon* (mes. 104-105), 3) filtrage *harmon* (106-112).\r\n\r\n[image:7fcbcecd-52bf-46b1-8f54-8cbb0cfce37b]\r\n\r\n**Processus de filtrage entre les sections *Cup* et *Straight* **\r\n\r\nL'interpolation entre les seize formants *cup* et les seize formants *harmon* a été calculée à l'aide du programme Patchwork :\r\n\r\n[image:a771a7e7-09be-41bd-b852-cfc4f3917e54]\r\n\r\nInterpolations entre les formants cup et harmon (en Hz). Les colonnes donnent les valeurs pour chacun des 16 filtres. À titre d'exemple, les valeurs du premier filtre décroissent de 535 Hz jusqu'à 384 Hz.\r\n\r\nDes filtres résonants appliqués aux notes principales s'ajoutent au *delay* et au filtrage. Après être passé par une réverbération, le signal est ensuite dirigé vers le module qui gère les filtres résonants puis vers le module de chorus stéréo qui colore l'accord de résonance en lui appliquant un vibrato (speed 0.4, depth 42). Les cinq fréquences choisies pour résonner sont les suivantes : 174/175 Hz (*fa2*), 311 Hz (*mi b3*), 587 Hz (*ré4*), 740 Hz (*fa #4*), 68/69/70 Hz (*do #1*). Cet accord est ensuite transposé à trois reprises. Ainsi quatre [definition:17a49728-5a72-4f51-8b6b-e98d131f1660][accords-timbres] sont formés pendant cette transition :\r\n\r\n[image:5138d412-d994-4b67-9db8-a24a2ddbe4c5]\r\n\r\n**Harmonie produite par les filtres résonants**\r\n\r\n[image:fc094198-1636-41e7-a6f6-7f3ae9bc1e72]\r\n\r\n**© Editions Durand / Universal Music Publishing Classical**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x86479d\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Transition 2 entre les sections *Cup* et *Straight* **\r\n\r\nLes bancs de filtres servent également à la synthèse en temps réel. La constitution des harmonies produites est directement issue des analyses formantiques. Par conséquent, ces harmonies reflètent l'image sonore des sourdines.\r\n\r\n[image:f7a2ab68-992d-43ad-b038-2b3ab03f1757]\r\n\r\n**Harmonies obtenues à l'aide de la synthèse par filtres**\r\n\r\nLors de la section initiale, ces cinq accords-timbre sont déclenchés à partir d'un *la3* par le trompettiste. Les deux bancs de filtres sont couplés à des échantillons qui renforcent l'effet de la synthèse par filtres. Ils servent à présenter les cinq images acoustiques de base : *open* (mes. 7), *cup* (mes. 10), *straight* (mes. 13), *harmon* (mes. 19) et *whisper* (mes. 23).\r\n\r\n[image:8445addc-d6f7-408e-91d6-c51306fcea2f]\r\n\r\n**© Editions Durand / Universal Music Publishing Classical**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x73afb1\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Section *Open* (mes. 7-15) utilisant la synthèse par filtres**\r\n\r\n### L'hybridation\r\n\r\nL'exploration des ressources sonores de la trompette s'effectue, comme nous l'avons vu précédemment, à travers les modes de jeu et les traitements en temps réel. Cependant, le compositeur a poussé plus loin cette exploration en imaginant des sonorités « sur-naturelles ». On en trouve les traces dans les croisements et les hybridations entre divers métaux, effectués pour la fabrication des sons *direct-to disk* tels le mixage d'une attaque de trompette et d'une cymbale *crash* ou l'interpolation d'un tam-tam vers un crotale. Dix-neuf sons au format SDII (Sound Designer), stockés sur disque dur, sont prêts à être déclenchés par le programme MAX.\r\n\r\nPour la plupart, ces échantillons proviennent de sons de trompette enregistrés avec ou sans sourdine, avec ou sans modes de jeu. D'autres instruments ont été mis à profit pour des raisons de tessiture, comme le tuba, ou de timbre, comme la cymbale. Presque tous les sons ont subi des traitements semblables à ceux utilisés en temps réel : réverbération, delay, harmoniseur, filtrage. Des traitements spécifiques ont permis d'élargir démesurément la tessiture ou de dilater dans le temps certains gestes instrumentaux, de filtrer certaines fréquences et d'extraire la partie bruitée du son. De nombreux échantillons sont en réalité issus de montages à partir de plusieurs sons afin de créer des textures complexes (logiciels Studio Vision, Sample Cell et ProTools). Voici quelques exemples de traitements effectués sur les échantillons :\r\n\r\n**Exemples de sons hybridés**\r\n\r\n* Tam-tam interpolé vers un son de crotale :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x893c9d\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n* Cymbale jouée à l'archet dilatée avec le programme SVP :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x4504ff\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n* Tuba avec sourdine *wawa* bruité avec le programme additive :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x453387\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n* Clochettes dilatées :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x722b64\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n* Mixage d'une attaque de trompette et d'une cymbale *crash* :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xea8f48\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n* Mixage de plusieurs *rips* de trompette (*glissandi* sur les harmoniques) et dilatation :\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x71ba42\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\nLa section finale ne comporte aucun traitement en temps réel, sauf la réverbération. Un unique échantillon soutient le jeu de trompette en se prolongeant jusqu'à la fin de la pièce. Sa durée (quasi une minute), sa richesse, sa complexité et sa place lui confèrent un statut particulier d'élément à la fois récapitulatif et conclusif. C'est un montage de plusieurs sons constitué, au début, d'un *mib4* répété et prolongé qui évoque le début de la pièce, puis de *slaps* de tuba et de trompette, de bruits d'air, d'effet *wawa* bruités qui renvoient à la section *Harmon*.\r\n\r\n[image:6d878fa7-e4fa-4b6c-a404-699cf36d946d]\r\n\r\n**© Editions Durand / Universal Music Publishing Classical**\r\n\r\n<iframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x8e81e3\" allowfullscreen=\"\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\"></iframe>\r\n\r\n**Section *Whisper* où le soliste n'est soutenu que par un seul échantillon**\r\n\r\n### Postérité du projet esthétique\r\n\r\nLe projet de *Metallics* repose sur un travail préalable de recherches sur les propriétés acoustiques des sourdines et sur leur modélisation informatique par des bancs de filtres. Ce travail, tout en supportant une formalisation complexe de l'écriture, a également été mis à profit pour articuler la pièce en cinq sections. Ainsi, la forme de l'œuvre et les processus internes à chaque section dépendent directement du classement des sourdines en fonction de leur taux de distorsion spectral. Chaque section représentant un archétype sonore spécifique, la réception de la pièce en tire immédiatement un bénéfice en termes d'identification et de mémorisation du matériau. Par ailleurs, le choix du temps réel a permis de développer un environnement électronique capable à la fois de suggérer les images acoustiques des sourdines et d'élargir les possibilités de l'instrument tant sur le plan de la virtuosité que de la polyphonie.\r\n\r\n*Metallics* représente une expérience fondatrice pour Yan Maresz. Les recherches et les technologies mises en jeu ont eu une influence durable sur son écriture instrumentale et sur son utilisation ultérieure de l'électronique. De nombreuses œuvres en témoignent comme [work:f02e79c5-7360-4d61-a6af-cbb165f880c1][*Entrelacs*] pour 6 instruments (1998), [work:d1465ecd-d03a-4739-a91a-292b398c5d37][*Zigzag études*] pour orchestre (1998) ou [work:aff7a109-c82d-4115-90b0-17f6b58d7a1c][*Eclipse*] pour clarinette et 14 instruments (1999), [work:5694d542-8547-4092-a0ff-1e23bf4df952][*Sul Segno*] pour harpe, guitare, cymbalum, contrebasse et dispositif électronique (2004) ou [work:e55908dd-546f-4849-b9a6-641e4120b669][*Metal Extensions*] pour trompette et ensemble instrumental (2001). Ainsi, *Sul Segno* constitue le prolongement de recherches réalisées à l'Ircam à l'occasion d'une commande pour un spectacle chorégraphique de François Raffinot intitulé [work:d9c6db84-1a90-45c3-aac2-def7be4a423a][*Al Segno*] (2000). A l'instar de *Metallics*, le compositeur manipule des images sonores archétypales et élargit les ressources des instruments solistes au moyen de la synthèse par modèle de résonance. Mais, la postérité de *Metallics* s'exerce d'une façon encore plus marquée dans [work:e55908dd-546f-4849-b9a6-641e4120b669][*Metal Extensions*] pour trompette et ensemble instrumental (2001) qui partage le même matériau que celui de la pièce pour trompette solo. Dans *Metal Extensions*, le compositeur a relevé cette véritable gageure de trouver des équivalences orchestrales aux filtrages, mais aussi aux autres traitements comme le *delay*, l'harmoniseur, la réverbération infinie ou le *chorus*. À l'heure actuelle, Maresz poursuit son activité de recherche en collaboration avec des chercheurs de l'Ircam, notamment sur la problématique de l'orchestration, un aspect de la composition qui n'a jamais fait l'objet de recherches systématiques.\r\n\r\n### Ressources documentaires\r\n\r\n#### Bibliographie\r\n\r\n* CAUSSÉ, Réné, SLUCHIN, Benny, *Sourdines des cuivres*, Paris : Editions de la Maison des sciences de l'homme, 1991.\r\n\r\n* HEUZÉ, Bruno, « Yan Maresz, Portrait », *Résonance*, Ircam/Centre Georges Pompidou, n° 14, septembre 1998.\r\n\r\n#### Discographie\r\n\r\n* Yan MARESZ, *Metallics*; *Eclipse* ; *Entrelacs* ; *Sul segno* ; *Metal Extensions*, Ensemble intercontemporain, direction : Jonathan Nott, Ircam/Centre Georges Pompidou/Accord, 2005.\r\n\r\n#### Références spécifiques\r\n\r\n* Logiciels MAX MSP, Patchwork, Additive, SVP.\r\n\r\n* Site personnel du compositeur <http: www.yanmaresz.com=\"\">\r\n\r\n* Enregistrement de *Metallics* en concert le 26 juin 1995 à l'Ircam (Laurent Bômont, trompette) <http: medias.ircam.fr=\"\" xe5822e_metallics-yan-maresz=\"\">\r\n\r\n[^causse]: CAUSSÉ, Réné, SLUCHIN, Benny, *Sourdines des cuivres*, Paris : Editions de la Maison des sciences de l'homme, 1991.\r\n[^heuze]: Yan Maresz, cité par Bruno Heuzé, dans HEUZÉ, Bruno, « Yan Maresz, Portrait », *Résonance*, Ircam/Centre Georges Pompidou, n° 14, septembre 1998, page 16.</http:></http:>","analyse-de-i-metallics-i-(1995)-de-yan-maresz",{"getUrl":203},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/34e0e832-2ce7-409e-8a31-c77d6ca0e50a-thumbnail.jpg?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=6447677862a453b6341789025934b0d08686110463ec9a8bd2f0c06fe7fdc758",{"url":203,"isIcon":11,"alt":198,"centered":37},[206],{"firstName":207,"lastName":208},"Philippe","Lalitte",{"title":210,"titleEn":211,"text":212,"textFr":212,"textEn":11,"date":190,"type":32,"slug":213,"authors":11,"toc":11,"image":214,"composer":11,"cardImage":216,"cardTitle":210,"cardTitleEn":11,"cardDescription":38,"cardDescriptionEn":11,"cardPersons":217},"Analyse de \u003Ci>Dialogue de l'ombre double\u003C/i> (1985) de Pierre Boulez","Analysis of \u003Ci>Dialogue de l'ombre double\u003C/i> (1985) by Pierre Boulez","### Introduction\r\n\r\nThe original inspiration for this composition comes from a specific scene in the play _Le Soulier de Satin_ written in 1924 by Paul Claudel. This is a work that Pierre Boulez came in contact with on the occasion of Jean-Louis Barrault's production at the Comédie Française. The action in _Le Soulier de Satin_ takes place mostly in Spain but also many other places (Mogador, Americas etc.). There are many references to distant places and times, but few to “here and now”. The work is a sort of “zig-zag” of place and time.\r\n\r\nThe title of Boulez's work comes from a particular point in Claudel's play : the second day, scene 13 entitled _L'Ombre Double_ (literally : the double shadow) because of the shadow of a man and a woman together projected onto a wall. So the inspiration for Boulez comes from this specific scene, not the work as a whole. In the play the double shadow is treated as a single character. In _Dialogue de l'Ombre Double_ a solo live clarinet (called clarinette première) placed in the middle of the hall dialogs with a kind of shadow of itself. The shadow is the pre-recorded clarinet (called “clarinette double”) which is spatialized over a six point loudspeaker system placed on the periphery of the hall. The audience is placed between the solo clarinet and the loudspeaker system.\r\n\r\n### The Setup\r\n\r\nIdeally, the performer is placed in the middle of the concert hall surrounded by the audience which in turn is surrounded by a group of six equidistant speakers over which the transitions are played.\r\n\r\n[image:9d4d5036-78c3-4137-8747-a3cf39c7abbb]\r\n\r\nHowever, since all halls are not well suited to placing the performer in the center, it may be necessary to place the performer on a traditional stage instead.\r\n\r\n[image:72deb895-4dce-434b-8ec1-e8d93fd35eb7]\r\n\r\nIn order to heighten the contrast between the live strophes and the recorded transitions, special lighting may be used to illuminate the performer only during the strophes - the live portions - he plays live on stage.\r\n\r\n[image:9b6736c9-0e9f-434d-bf04-3c59eae4fd3c]\r\n\r\n**All figures from \"Technical Instructions\" booklet accompanying the score (Pierre Boulez “Dialogue de l’ombre double” © Copyright 1985 by Universal Edition A.G., Wien/UE 18407)**\r\n\r\n#### The Strophes\r\n\r\nDuring the strophes, the clarinet may need to be amplified with the aid of a microphone and two speakers placed near the performer. If the acoustics of the hall are excessively dry, the clarinet's sound is reverberated slightly.\r\n\r\nDuring _Strophe II_, _Strophe III_ and _Strophe V_ in the version in Roman numerals and _Strophe 1_, _Strophe 3_ and _Strophe 4_ in the version in Arabic numerals, the live clarinet's sound is transformed with the aid of a piano, whose right pedal is pressed down permanently so that the strings can vibrate freely. (See Figure below.)\r\n\r\nThis transformation works in the following way:\r\n\r\n1) The amplification microphone picks up the live clarinet's sound which is sent to a speaker placed under the piano.\r\n\r\n2) The sound coming out of the speaker makes the freely vibrating strings of the piano resonate.\r\n\r\n3) A microphone placed over the strings picks up the resonating strings' sound which is then sent to the two speakers used for normal amplification.\r\n\r\nNotice in the first two setup figures that the piano should not be visible to the audience.\r\n\r\n[image:62640c4c-e678-4bfa-bd5e-c8f9eb7b1e75]\r\n\r\n**Figure from _Technical Instructions_ booklet accompanying the score (Pierre Boulez “Dialogue de l’ombre double” © Copyright 1985 by Universal Edition A.G., Wien/UE 18407).**\r\n\r\n#### The Transitions\r\n\r\nThe clarinet should be recorded on track one of the tape. The transitions are played back through six equidistant speakers (referred to as speakers 1 to 6) surrounding the audience and one speaker placed outside the circle (referred to as speaker 7). This last speaker, used only at the end of the last tape section of the piece, should sound distant and may therefore be placed outside the hall. Following the cues marked in the score, the pre-recorded clarinet sounds are to be sent around the hall from one speaker to another giving the listener the impression that the sounds are moving in physical space. Hereafter, this will be referred to as \"spatialisation\".\r\n\r\nIn _Dialogue de l'ombre double_ two kinds of spatialisation are used:\r\n\r\n1) continuous: the sound moves smoothly from speaker to speaker.\r\n\r\n2) discrete: the sound moves abruptly from speaker to speaker.\r\n\r\nDepending on the means available, the spatialisation may be performed in one of two ways:\r\n\r\n1) manually: the level of each speaker is controlled by the individual potentiometers of a small mixing console.\r\n\r\n2) automatically: the second track of the tape should contain a code that will be sent to the control computer in order to trigger the level changes automatically in synchrony with the cues marked in the score.\r\n\r\n#### Equipment Setup\r\n\r\nThe figure below shows the complete electronic setup necessary for a performance of _Dialogue de l'ombre double_. The equipment surrounded with a dotted line (the VCA control unit, the control computer and the SMPTE decoder) is necessary only if the spatialisation is to be done automatically.\r\n\r\nNB : The figure is taken from the technical documentation edited in 1992\\. The tape recorder function can be replaced by any computer multitrack recording and playback technology ; the VCA unit by any level automation system coupled to a time code device.\r\n\r\n[image:8db58f11-c4d0-4b0b-9915-262e1bae6a46]\r\n\r\n**Figure from _Technical Instructions_ booklet accompanying the score (Pierre Boulez “Dialogue de l’ombre double” © Copyright 1985 by Universal Edition A.G., Wien/UE 18407).**\r\n\r\n#### Cue Notation\r\n\r\nChanges in spatialisation are indicated in the score using cue numbers. Accompanying each cue number is a graphical indication showing the level for each speaker.\r\n\r\n[image:93d601a8-061d-4db7-a9e0-02c945b7b011]\r\n\r\nAs mentioned previously, the spatialisation can be done automatically (the preferred method) or manually. Indications for both types of spatialisation cues are shown in the score fragment below. Squares enclosed automatic cues. Circles enclose manual cues. When only circled cues appear, they apply to both automatic and manual spatialisation.\r\n\r\n[image:3532c150-3f2c-49ac-9d2b-51452b226f17]\r\n\r\n### Formal Organization\r\n\r\nFrom a formal point of view the piece consists of a _Sigle Initial_, six _Strophes_ linked by five _Transitions_ and a _Sigle Final_. The six _Strophes_ are played by the live clarinet and the other pre-recorded movements are heard over the loudspeaker system. The live parts alternate with the pre-recorded parts.\r\n\r\nHere is a liste of the sections as they occur in the piece :\r\n\r\n_Sigle Initial_ (pre-recorded)\r\n\r\n_Strophe I_ (live)\r\n\r\n_Transition I à II_ (pre-recorded)\r\n\r\n_Strophe II_ (live)\r\n\r\n_Transition II à III_ (pre-recorded)\r\n\r\n_Strophe III_ (live)\r\n\r\n_Transition III à IV_ (pre-recorded)\r\n\r\n_Strophe IV_ (live)\r\n\r\n_Transition IV à V_ (pre-recorded)\r\n\r\n_Strophe V_ (live)\r\n\r\n_Transition V à VI_ (pre-recorded)\r\n\r\n_Strophe VI_ (live)\r\n\r\n_Sigle Final_ (pre-recorded)\r\n\r\n### The Musical Role of Spatialisation\r\n\r\nThe spatialization of the _Sigle Initial_, _Transitions_ and _Sigle Final_ serves two musical purposes.\r\n\r\nFirst of all, in keeping with the spirit of the piece, it is used to create a detached, ethereal atmosphere which contrasts sharply with the stark reality of the solo clarinet playing on stage. This contrast is heightened during the performance by dimming the lighting when the live clarinet does not play.\r\n\r\nSecondly, the spatialisation serves to analyse the musical material in the score. The different types of musical writing present in the score are articulated using various spatialisation techniques : varying the number of speakers used at any given time, varying the dynamic levels rapidly from one fragment of the score to the next thereby creating foreground and background effects, moving the sound rapidly in a circular or zig-zag fashion through the hall. For example, in _Transition I à II_ the clarinet plays a melodic line made up of trilled notes which are interrupted from time to time by short bursts of one to three notes accompanied with rapid grace notes. The trills are always heard on all loudspeakers at a moderate dynamic level. The bursts, on the other hand, are heard on only one loudspeaker at a time (which changes with each new burst) at a loud dynamic level. The alternation of dynamics and number of speakers used, creates a foreground background effect that articulates the trills and the bursts, while the constantly changing speaker for the bursts accentuates the chaotic character of the bursts themselves.\r\n\r\n### Spatialized Writing\r\n\r\nThe notion of spatialisation even applies to the actual writing of the score.\r\n\r\nThe sketch below (done by the author of this document) is from the _Sigle Inital_ which opens the piece.\r\n\r\nNotice at the top of the sketch the note cells. The numbering of the cells corresponds to the cue numbers - associated with each of the phrases of the clarinet at the bottom of the sketch - used for triggering manually or automatically the sound spatialisation.\r\n\r\nThe first phrase is composed using the material in the group of cells number 1, the second phrase from the group of cells number 2 and so forth. The composition of each individual phrase is obtained by zig-zagging between the cells.\r\n\r\n[image:43ba9259-ca9c-464a-b39d-eead0e20b2e5]\r\n\r\n### Density Variation\r\n\r\nThe idea of density variation appears in the _Sigle Initial_, the section that opens the composition. The spatialisation here is based on the idea of density variation ; that is, the emphasis is placed in the number of speakers active (or not) at any given moment, and not so much the movement of sound in space.\r\n\r\nIn order to make the idea of density variation more visible, below is a portion of the technical score indicating which speaker(s) are ON and OFF at any given cue. Globally the tendency is very clear : at the beginning of the section the density is one speaker at a time ; while at the end, all the speakers are on. In other words, the recorded clarinet begins by softly darting around the room (one speaker at at a time) and progressively occupies more and more space (speakers) so as to be omni-present at the end.\r\n\r\nThere is an amusing anecdote here: Pierre Boulez wanted this increasing number of speakers to symbolize the gathering of Luciano Berios friends on the occasion of the premiere of the work dedicated to his sixtieth birthday.\r\n\r\n[image:9e96b4e2-9d2f-493b-8663-df49a85a3349]\r\n\r\n**Speakers on and off at each cue in _Sigle Initial_.**\r\n\r\nBelow is an excerpt of the score from the _Sigle Initial_. Above the clarinet part - enclosed in small circles - are the cue numbers for each change in spatialisation. Below – enclosed in small rectangles – are the indications for the level changes for each speaker.\r\n\r\n[image:cb34442c-6af8-460c-a15e-051ae6dc2372]\r\n\r\n**Pierre Boulez “Dialogue de l’ombre double” © Copyright 1985 by Universal Edition A.G., Wien/UE 18407**\r\n\r\n\u003Ciframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x07d5f5\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\">\u003C/iframe>\r\n\r\n**(p)1998 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin**\r\n\r\n© Copyright 1992 by Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM) Paris (France)\r\n\r\n### Circular Motion\r\n\r\nIn _Transition III à IV_ the spatialisation is used to underline the flowing melodic writing which becomes more and more agitated as the section evolves. In order to underline this, the spatialisation proceeds through a slowly accelerating continuous [definition:de05ae2d-e8c5-4fab-a4ed-081a886cbde2][circular motion]. The acceleration imitaes the agitation of the clarinet which finishes by stopping on a series of repeated notes which is echoed by the spatialisation by fixing the note to one speaker.\r\n\r\n[image:ee18324f-aa88-438c-930c-7b359e4923b1]\r\n\r\n**Pierre Boulez “Dialogue de l’ombre double” © Copyright 1985 by Universal Edition A.G., Wien/UE 18407**\r\n\r\n\u003Ciframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/xa50eb8\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\">\u003C/iframe>\r\n\r\n**(p)1998 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin**\r\n\r\n© Copyright 1992 by Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM) Paris (France)**\r\n\r\n### Foreground / Background\r\n\r\nTwo sections of the piece explore the idea of foreground/background : _Transition de I à II_ and _Transition de V à VI_. Each section explores the idea in a slightly different way.\r\n\r\nIn _Transition de I à II_ the dynamic level of all six speakers is set to the same realatively soft level. This is the background. The music evolves as a smooth series of trills broken occasionally by one or more grace notes played forte. In order to highlight the abrupt entrance of the grace notes, the level of one or more speakers is suddenly increased. This is the foreground. Once the grace notes are played and the slow trills resume, the level on those speakers goes back to the background level. So the spatialisation serves to separate the slow soft melodic trills from the abrupt grace notes.\r\n\r\n[image:62ea97eb-5478-490f-953f-70e96510ecd6]\r\n\r\n**Pierre Boulez “Dialogue de l’ombre double” © Copyright 1985 by Universal Edition A.G., Wien/UE 18407**\r\n\r\n\u003Ciframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x5381d7\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\">\u003C/iframe>\r\n\r\n**(p)1998 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin**\r\n\r\n© Copyright 1992 by Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM) Paris (France)**\r\n\r\nIn _Transition de V à VI_ we have again a series of slowly evolving tremolos played softly broken by the sudden appearance of a series of grace note figures played forte. Here, as opposed to _Transition de I à II_, the relatively soft background level is applied only to a small number of speakers at any given time. At each appearance of the grace notes however, all speakers suddenly jump to the forte level. Again, the spatialisation is being used to articulate the kinds of musical writing ; in this case the slow tremolos and abrupt grace notes.\r\n\r\n[image:48d4da53-94a3-4edf-977f-2dd5ed2b1a6f]\r\n\r\n**Pierre Boulez “Dialogue de l’ombre double” © Copyright 1985 by Universal Edition A.G., Wien/UE 18407**\r\n\r\n\u003Ciframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x234768\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\">\u003C/iframe>\r\n\r\n**(p)1998 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin**\r\n\r\n© Copyright 1992 by Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM) Paris (France)**\r\n\r\nSound example corresponding to score excerpt above.\r\n\r\n### Zig-Zag\r\n\r\nThe writing in section _Transition IV à V_ is characterized by a series of short abrupt phrases. They are like short bursts. In order to highlight this aspect, each phrase is projected onto a new speaker each time following an irregular path.\r\n\r\n[image:ed57b75a-5639-45c7-aa1b-f3b2d9eb1b72]\r\n\r\n**Pierre Boulez “Dialogue de l’ombre double” © Copyright 1985 by Universal Edition A.G., Wien/UE 18407**\r\n\r\n\u003Ciframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x7c2d5a\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\">\u003C/iframe>\r\n\r\n**(p)1998 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin**\r\n\r\n© Copyright 1992 by Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM) Paris (France)**\r\n\r\n### The Use of Reverberation\r\n\r\nOne of the simplest ways of giving the sense of space to a sound is to reverberate it more (sounds “far”) or less (sounds “near”). In _Dialogue …_ this is achieved by varying the proportions of the “near” (0.8 to 1.5 meters) and “far” (5.5 meters) microphone recording levels in making the pre-recorded clarinet parts.\r\n\r\n_Sigle Initial_ uses only the near microphone (at 0.8 meters) with no reverberation.\r\n\r\n_Transition I à II_, _Transition III à IV_ and _Transition V à VI_ use only the near microphone (1.5 meters) with a reverberation time of 1.8 – 2.0 seconds.\r\n\r\n_Transition II à III_ uses both the near (1.5 meters) and far (5.5 meters). The latter is sent to the reverberator with the time set to 1.8 – 2.0\\. Predominance is given to the far microphone in order to make the clarinet sound very distant.\r\n\r\n_Sigle Final_ uses both the near and far microphones plus reverberation. During this section the proportion between the two vary in such a way that at the beginning the clarinet sounds near at the end sounds distant.\r\n\r\n_Transition IV à V_ uses the piano reverberation described earlier. The purpose is to create and capture the resonances provoked by exciting the piano strings (with blocked pedal) via the clarinet sounds.\r\n\r\nThere is one other place where the piano reverberation is used and that is in _Strophe III_ where the clarinet plays live.\r\n\r\n\u003Ciframe src=\"https://medias.ircam.fr/embed/media/x9bc3c5\" width=\"480\" height=\"40\" frameborder=\"0\">\u003C/iframe>\r\n\r\n**(p)1998 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin**\r\n\r\n**L'enregistrement de l'œuvre est disponible en intégralité chez Deutsche Grammophon : .**\r\n\r\n### References\r\n\r\nMore on the work \"Dialogue ...\" in\r\n\r\nMore on Pierre Boulez\r\n\r\nScore : edited by Universal Edition under the number UE 18407.\r\n\r\nRecording : Dialogue de l'ombre double (with Répons) - DGG 457 6052 - 20/21 Series, 1998 :\r\n\r\nForum IRCAM spatialisation technologies","analyse-de-i-dialogue-de-l-ombre-double-i-(1985)-de-pierre-boulez",{"getUrl":215},"https://storage.ressources.ircam.fr/ressources/analysis/photos/9752d8f6-2bfb-42c9-b30e-9a750f8bc2e0-thumbnail.png?response-cache-control=public%2C%20max-age%3D31536000%2C%20immutable&X-Amz-Algorithm=AWS4-HMAC-SHA256&X-Amz-Credential=ressources%2F20251015%2Fus-east-1%2Fs3%2Faws4_request&X-Amz-Date=20251015T124710Z&X-Amz-Expires=604800&X-Amz-SignedHeaders=host&X-Amz-Signature=370eb9b1e75778f0e765c74e430c37970de61673a2fe6bf97776121d620610b2",{"url":215,"isIcon":11,"alt":210,"centered":37},[218],{"firstName":44,"lastName":45},["Reactive",220],{"$si18n:cached-locale-configs":221,"$si18n:resolved-locale":226,"$snuxt-seo-utils:routeRules":227,"$ssite-config":228},{"fr":222,"en":224},{"fallbacks":223,"cacheable":37},[],{"fallbacks":225,"cacheable":37},[],"en",{"head":-1,"seoMeta":-1},{"_priority":229,"currentLocale":233,"defaultLocale":234,"description":235,"env":236,"name":237,"url":238},{"name":230,"env":231,"url":232,"description":230,"defaultLocale":232,"currentLocale":232},-3,-15,-2,"en-US","fr-FR","Ressources IRCAM est une plateforme de ressources musicales et sonores, développée par l'IRCAM, pour les artistes, les chercheurs et les passionnés de musique.","production","Ressources IRCAM","https://ressources.ircam.fr",["Set"],["ShallowReactive",241],{"/analyses":-1,"flat pages":-1},"/en/analyses"]