Morton Feldman (1926-1987)

Three Voices (1982)

pour soprano et bande (ou trois sopranos)

œuvre électronique

  • Informations générales
    • Date de composition : 1982
    • Durée : 1 h 30 mn
    • Éditeur : Universal Edition, nº UE 17634
    • Dédicace : à Joan La Barbara
    • Livret (détail, auteur) :

      Frank O'Hara, Wind

Effectif détaillé
  • soprano solo

Information sur la création

  • Date : 4 mars 1983
    Lieu :

    États-Unis, Valencia, Calif., California Institute of the Arts


    Interprètes :

    Joan La Barbara, soprano

Information sur l'électronique
Dispositif électronique : sons fixés sur support

Note de programme

En 1981, j'écrivis à Morty, pour lui demander de m'écrire une pièce pour voix et orchestre. Il me répondit en m'expliquant les problèmes que posaient les réalisations avec orchestre, mais en me laissant entendre qu'il pensait à quelque chose. Peu après, il m'envoya Three Voices. Dans la lettre d'accompagnement, datée du 23 avril 1982, il me disait :

« Chère Joan,

Voilà le travail ! Je suis un peu ennuyé du son sensuel, si ce n'est « somptueux », de l'ensemble — je ne m'attendais pas à cela. Les paroles sont extraites des deux premiers vers de Wind, un poème que Frank O'Hara m'a dédié. Je crois que c'est Frank qui porte la responsabilité principale du côté « somptueux » de la pièce.

Le système de base, c'est ce que tu chantes live, les deux autres voix sont enregistrées — où faut-il placer les deux haut-parleurs, je n'en ai aucune idée — c'est également l'une des rares compositions où je n'ai pas écrit d'indications métronomiques persuadé que c'est ton timbre et la façon dont tu respires qui en définira le rythme — ça fonctionne très bien à la fois dans le « lent » ou dans une lenteur « rapide » (si cela signifie quelque chose).

Je sais à quel point ça va être terrible de jouer cette œuvre ! Je sens que cette œuvre est toi comme « Joan, c'est ta couleur » — quel beau décolleté — et la durée, même si elle semble un peu longue (qui a jamais entendu parler d'une robe de cocktail avec une longue traîne ?) malgré tout joue ça pour moi !

Il va sans dire que tu peux toujours me la renvoyer, quelle qu'en soit la raison.

Je vous embrasse toi et Mort (le compositeur Morton Sutoinick), L'autre Morty »

Lorsque j'ai commencé à y travailler, je l'ai appelé pour lui demander quelle en était la durée exacte afin que je puisse la programmer dans mes concerts. « Je crois que ça doit faire quarante-cinq minutes », me dit-il. Aussi l'ai-je programmé avec d'autres œuvres. Quand j'ai commencé à enregistrer les deux voix les plus alguës, j'ai dû le rappeler, paniquée.

Morty, c'est à peu près deux fois plus long. Quatre-vingt-dix minutes !

C'est vrai, m'a-t-il répondu. J'avais toujours pensé que ça aurait cette longueur.

Et ce fut la durée de la première exécution, qui commença à onze heures du soir et qui se prolongea bien après minuit... comme une éternité dans un vaste et magnifique espace.

Sa mort m'a complètement bouleversée. J'ai décidé d'enregistrer ce qu'il avait écrit pour moi, mais je ne voulais pas scinder Three Voices en deux CD, et c'est pour cette raison que je suis revenue aux figures les plus rapides de la partition et que j'ai appris à les chanter plus vite, aussi vite qu'il m'est possible, tout en gardant la clarté de chaque hauteur. Le résultat final de l'enregistrement Three Voices for Joan La Barbara (New Albion NA0183 fut très proche de l'idée originale en quarante-cinq minutes et aussi le premier disque compact consacré à la musique de Feldman).

Dans la version plus rapide, on se retrouve soudain propulsé dans la tempête d'une infinie quiétude d'accords complexes. J'ai pu visualiser l'image de O'Hara : un ours perdu dans une tempête de neige, piégé dans une boule de neige qui ne tombe jamais. « Rien ne tombe jamais. »

Dans la version originale de quatre-vingt-dix minutes, on peut vivre des moments de pure beauté dans un paysage sonore plus précieux et pourtant luxuriant, qui tendent peut-être vers la fascination du rien qui marque les principes de l'expressionnisme abstrait...

Après des années au cours desquelles j'avais chanté la version rapide, j'ai trouvé une signification nouvelle dans la version plus lente et plus langoureuse. Plus qu'une pièce de concert, cette œuvre est une vie entière dans le temps d'une soirée.

Morty me dit un jour qu'il avait eu la vision des haut-parleurs comme autant de pierres tombales et qu'il avait conçu la voix live comme conversant avec des esprits. Pour lui, c'était les voix de ses amis Philip Guston et Frank O'Hara qui y étaient enterrées ; la voix live était la sienne. Il m'avait donné sa voix à chanter.

Joan La Barbara, programme du Festival d'Automne à Paris 1997, cycle Feldman.

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