Jérôme Combier (1971)

Campo Santo, Impure histoire de fantômes (2016)

installation-concert pour cinq musiciens, électronique et dispositif scénique et vidéo

œuvre électronique, Ircam
œuvre scénique

  • Informations générales
    • Date de composition : 2016
    • Vidéo, installation (détail, auteur) : Pierre Nouvel, mise en scène et vidéo.
    • Durée : 1 h 30 mn env
    • Éditeur : Verlag Neue Musik
    • Commande : Commande d'État et du Château de Chambord (résidence de Jérôme Combier)
Effectif détaillé
  • flûte, 2 percussionnistes, accordéon, guitare électrique

Information sur la création

  • Date : 14 décembre 2016
    Lieu :

    France, Orléans, Théâtre d'Orléans-Scène nationale


    Interprètes :

    Ensemble Cairn : Cédric Jullion flûte ; Arnaud Lassus, Sylvain Lemêtre, percussions ; Christelle Séry, guitare électrique ; Fanny Vicens, accordéon. Avec les voix de Jacques Gamblin, Nathalie Duong, Dima Tsypkin, Miriam Coretta-Schulte.

Information sur l'électronique
Information sur le studio : Ircam
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Robin Meier

Observations

Écouter l'enregistrement du concert du 8 juin 2017 au Centquatre : https://medias.ircam.fr/x2e328d

 

Note de programme

Campo santo emprunte son titre à un livre de W. G. Sebald et a pour propos l’exploration d’un lieu oublié, Pyramiden, autrefois ville fleuron de la culture soviétique, ville la plus septentrionale qui soit, perdue dans l’archipel norvégien du Svalbard (Spitzberg) et qui fut autrefois, à l’âge d’or de l’industrialisation occidentale, et plus précisément du socialisme soviétique, emblématique d’une organisation humaine construite autour du travail. Aujourd’hui, abandonnée, elle est synonyme d’une irréfragable destruction dont la cause est celle d’un déclin économique, d’une faillite, celle probablement du communisme et d’un modèle culturel.
Pyramiden est une cité ouvrière construite à l’ère soviétique et qui se situe à l’extrême nord de la Norvège, à 10 degrés du pôle Nord, sur l’archipel de Svalbard. Son nom lui vient de la montagne en forme de pyramide au pied de laquelle elle fut fondée par des Suédois en 1910. En 1926, les Russes l’achetèrent, pour à leur tour la vendre à la compagnie minière Arktikougol en 1931. La communauté fonctionnait de manière totalement autonome, et était gérée comme une vaste entreprise de près de 1200 employés jusqu’à la fin des années 1990. Il n’y avait pas d’argent à Pyramiden et la communauté élevait du bétail, cultivait des plantes en serres que le gouvernement central avait fait venir du continent. Dans Pyramiden, portrait d’une utopie abandonnée (éd. Actes Sud, Arles, 2009), Kjartan Flogstad écrit : « La ville communiste la plus parfaite du monde curieusement ne se trouv[ait] pas dans l’Union des républiques socialistes soviétiques, mais en Occident capitaliste, dans un pays de l’OTAN, la Norvège. […] Dans cette société idéale socialiste, tout est gratuit : le voyage aller puis retour à la fin du contrat, le jardin d’enfants, l’école, l’hôpital bien équipé, le couvert, en immeuble de quatre étages avec chauffage urbain. […] La ville minière de Pyramiden est construite comme une expression tardive du plan russe et de l’avant-gardisme utopique. »
Dans les années 1960, les mineurs de Pyramiden exploitaient environs 200 000 tonnes de charbon par année, 248 000 tonnes pour l’année 1978. Après la chute de l’Union soviétique, la production diminue peu à peu, et en novembre 1996 il ne reste plus que 590 habitants, 467 hommes, 120 femmes, 3 enfants. Au printemps 1997, toutefois on rénove la piscine et l’hôtel, mais les chiffres de production ne sont plus que de 20 000 tonnes par an et le 31 mars 1998, l’exploitation minière s’arrête. L’Anna Akhmatova est le dernier navire d’approvisionnement à quitter Pyramiden, chargé de ce que le Trust Arktikougol jugeait important de conserver de la ville désaffectée. Les livres de la bibliothèque, les bobines de films et les disques restèrent. On les y trouve encore aujourd’hui.
À travers l’exploration d’un lieu vide, à travers le modèle de Pyramiden, une réflexion s’ouvre sur les utopies économiques et sociales – Pyramiden rappelle à certains égards les phalanstères du Nord de la France – et sur le modèle d’une organisation humaine autour de la notion de travail et de productivité, la recherche d’une mémoire collective. Campo santo tend avant tout vers la recherche d’une épiphanie des lieux humains désertés.
Campo santo est une histoire de fantômes, cette déambulation s’attache à l’histoire d’hommes et de femmes qui ont habité la ville du Spitzberg, qui y ont travaillé, vécu, et ont laissé là, les traces de leur existence.

Une oeuvre qui commence par un déplacement, un espace à explorer, un lieu à questionner par une expérience sensorielle, physique…
À la fois concert et installation sonore et visuelle, Campo santo puise sa matière dans le réel, à Pyramiden même, gardien essoufflé d’une mémoire collective. À la conjonction de la musique, des arts visuels, de la littérature, du cinéma, de la danse, c’est avant toute chose un objet artistique et les réflexions qui l’ont vu naître et qui auront motivé sa construction (les lectures de Charles Fourier, Robert Owen, Auguste Blanqui, Jacques Derrida), demeurent comme une architecture souterraine, qui n’émerge que le temps d’une phrase ou d’un paragraphe. Campo santo est aussi une réflexion sur le marxisme et sur la critique marxiste, sur l’utopie qu’a pu constituer Pyramiden dans le monde soviétique. Sur ce point, le projet s’inspire du livre de Derrida : Spectres de Marx.
En amont de l’écriture, le projet Campo santo a fait l’objet d’une recherche, d’un voyage dans l’archipel de Spitzberg, où enregistrer, échantillonner une série de sons (piano déglingué, bruits de métaux, de cuves, de bidons, bruits de radiateur, vent, goélands) et où puiser images et films qui ont servi ensuite de matière à la composition musicale et à la scénographie du spectacle. Le dispositif des percussions fait appel majoritairement à des instruments métalliques répertoriés : cloches-plaques, steel-drum, tam-tam, cymbales. Quatre petites plaques de laiton ont été trouvées sur le site de Pyramiden et analysées en studio pour servir de matière harmonique.

Sources et fragments de textes, par ordre d’apparition
Denis Diderot (Salon de 1767), Jacques Derrida (Spectres de Marx, éditions Galilée), Ray Bradbury (Chroniques martiennes, éditions Folio SF), Italo Calvino (Le città invisibili, éditions Oscar Mondadori), Friedrich Nietzsche (Also sprach Zarathoustra, Insel Verlag, p. 222), Vladimir Maïkowski (Le Nuage en pantalon, éditions Le temps des Cerises), Ossip Mandelstam (Les cahiers de Voronej, éditions Circé), Karl Marx (Le Capital, édition populaire [résumé-extraits], Julien Borchard, éditions PUF), W. G Sebald (Austerlitz, éditions Actes Sud), Jean-Yves Jouannais (L’usage des ruines, éditions Verticales), Rainer Maria Rilke (Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, éditions du Seuil), Georges Didi-Hubermann (Génie du non lieu, air poussière, empreinte, hantise, éditions de Minuit), Friedrich Nietzsche (Le Gai savoir, Fragments posthumes, trad. P. Klossowski, Gallimard), Jacques Rancière (préface à L’éternité par les astres, Auguste Blanqui, éditions Les impressions nouvelles), W. G Sebald (Campo Santo, W. G. Sebald, éditions Actes Sud).

Note de programme du concert du 8 juin 2017 au CentQuatre dans le cadre du festival ManiFeste.

Documents