Alireza Farhang (1976)

Tak-Sîm (2011)

pour quatuor à cordes et électronique

œuvre électronique, Ircam

  • Informations générales
    • Date de composition : 2011
    • Durée : 20 mn
Effectif détaillé
  • violon, violon II, alto, violoncelle

Information sur la création

  • Date : 18 janvier 2012
    Lieu :

    France, Paris, Cité de la Musique, Salle des concerts


    Interprètes :

    le Quatuor Kronos.

Information sur l'électronique
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Benoît Meudic
Dispositif électronique : dispositif électronique non spécifié

Note de programme

Quand un compositeur de culture extra-européenne se consacre à la musique de tradition écrite occidentale, la question du rapport à l’héritage culturel et musical de son pays d’origine est non seulement inévitable, mais toujours délicate.

La réponse qu’y apporte Alireza Farhang est, de son propre aveu, fluctuante et ambivalente : sa relation à la musique iranienne – dans laquelle il a baigné toute sa jeunesse, notamment grâce à son père, flûtiste émérite – est à la fois passionnée et houleuse. Si elle fait indéniablement partie de son identité culturelle, il fut un temps où il luttait à toute force contre toute résurgence de cette musique au sein de son langage – il la chassait de sa pensée jusque dans ses aspirations les plus inconscientes. Aujourd’hui, s’il regrette qu’on cherche trop souvent quelque exotisme dans ses œuvres – ou qu’on l’encourage à puiser dans ses origines quelque inspiration, attitude que Fahrang considère réductrice et banale –, il a cessé de fuir la référence. La longue période de refoulement qui a précédé cette acceptation a toutefois été selon lui nécessaire pour pouvoir développer un rapport plus sain avec cette partie de lui-même : avec le recul, la référence devient un outil parmi d’autres.

Tak-Sîm, quatuor avec électronique, vient illustrer ces nouveaux rapports apaisés, tout en faisant figure d’exception : la musique iranienne fait en effet partie intégrante du projet musical. « L’idée m’est venue à l’automne 2009 au cours d’un séminaire à la Columbia University, se souvient Alireza Farhang. Un jeune compositeur turc installé à New York nous a proposé l’écoute d’une musique traditionnelle turque, sur un instrument seul. À la fin, il a demandé au public d’identifier l’instrument en question. De l’avis général, il ne pouvait s’agir que d’un instrument traditionnel turc. Certains se justifiaient, parfois de manière très savantes, parlant de timbre, d’intonation… Personne n’avait deviné que c’était en réalité un violoncelle. Je me suis ainsi rendu compte à quel point la façon de jouer, l’intonation, les intervalles, les articulations, les différentes manières de tenir une note, peuvent changer le caractère d’un instrument, son image sonore comme son identité. »

Ainsi est née Tak-Sîm, qui grime un quatuor à cordes en instrument iranien – et plus spécifiquement le setâr de Ahmad Ebâdi –, en reproduisant ses modes de jeu et les idiotismes spécifiques à la musique iranienne. Du reste Tak-Sîm est un mode de jeu de la musique persane qu’Ahmad Ebâdi a largement contribué à développer. Littéralement, le terme peut se traduire par « uni-corde ». Au surplus, Taksîm, sans tiret, est le système modal sur lequel s’est élaborée la musique turque.

Pour Alireza Fahrang, ce projet est un défi technique à l’écriture : plus qu’une contrainte, un propos. Pour transmettre, dans un contexte musical occidental – et avec le quatuor à cordes, qui en est un effectif emblématique – l’intonation si particulière de la musique perse, le principal défi d’écriture réside dans la conduite de son et les ornementations,  qui laissent tant de place à l’improvisation. L’improvisation musicale est en effet avant tout une question de culture, avec son histoire et ses codes. Son appropriation par un quatuor à cordes comme le Quatuor Kronos est donc d’autant plus malaisée que les musiciens de l’ensemble n’ont ni l’expérience nécessaire de cette tradition musicale, ni le temps de s’y plonger – ce qui exigerait des années d’études. Si l’écoute et l’imitation ont ainsi joué un très grand rôle dans le travail avec les musiciens, le besoin s’est très vite ressenti d’une notation graphique nouvelle. Enfin, le recours à l’électronique, qui interagit avec le son du quatuor, s’est lui aussi révélé comme un adjuvant naturel au résultat recherché.

Cet effort constant d’imitation pour élaborer le matériau de la pièce a naturellement conduit le compositeur à un travail approfondi de déconstruction du langage de la musique persane – et de là, paradoxalement, à remettre en question une fois encore son identité culturelle. Et ce n’est qu’en déconstruisant, puis décomposant, voire défigurant le modèle, jusque dans son geste le plus élémentaire et le plus inné, qu’Alireza Fahrang est parvenu à s’extraire des postulats – ceux de la tradition musicale iranienne, de la musique occidentale ou de la musique électroacoustique – pour s’exprimer enfin dans son langage propre.

Jérémie Szpirglas, janvier 2012.