Patrick Marcland (1944)

Eclipsis déployé (2007)

pour six musiciens et électronique

œuvre électronique, Ircam

  • Informations générales
    • Date de composition : 2007
    • Durée : 40 mn
    • Éditeur : Ed. Musicales Transatlantiques
    • Commande : Ircam-Centre Pompidou
Effectif détaillé
  • 1 cor anglais, 1 clarinette, 1 trompette, 1 trombone, 1 tuba, 1 alto

Information sur la création

  • Date : 8 janvier 2007
    Lieu :

    Paris, théâtre des Bouffes du Nord


    Interprètes :

    les solistes de l'Ensemble intercontemporain : Didier Pateau : cor anglais, Jean-Jacques Gaudon : trompette, Benny Sluchin : trombone, Arnaud Boukhitine : tuba, Christophe Desjardins : alto, Alain Damiens : clarinette.

Information sur l'électronique
Information sur le studio : Ircam
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Manuel Poletti
Dispositif électronique : dispositif électronique non spécifié

Observations

Écouter l’enregistrement du concert du 8 janvier 2007 au Théâtre des Bouffes du Nord : https://medias.ircam.fr/xeda332_eclipsis-deploye-patrick-marcland

Note de programme

A l’origine, il y a la demande de Christophe Desjardins de développer une courte ébauche d’un duo alto et trompette qu’il avait jouée avec Jean-Jacques Gaudon dans ma pièce chorégraphique Étude, pour six musiciens et trois danseurs, créée en 1995 avec les musiciens de l’Ensemble intercontemporain. Cela produisit Eclipsis, créée en 2004 par les mêmes musiciens au Centre Pompidou et qui constitue ici le prélude à partir duquel va se déployer l’œuvre, dans le temps et dans l’espace.

La métaphore de l’éclipse concerne en fait plus directement le jeu perpétuel de cache, de masque, dans le duo instrumental initial, entre l’alto et la trompette, à un point tel qu’ils en arrivent parfois à se confondre. On ne sait plus qui joue. L’un domine l’autre, alternativement, même lorsque le son de l’alto, dans la quête d’une égalité impossible, cherche à se fondre avec celui de la trompette, dans une ambiguïté renforcée par l’apport de l’électronique. La sonorité particulière de l’alto a souvent pour moi une forme de parenté avec celle des cuivres. C’est pourquoi je l’ai associée ici à celle de la trompette (avec ou sans sourdines), dans une sorte d’errance nostalgique. Rien de narratif dans ce dialogue abstrait, mais plutôt la simple mise en œuvre d’un antagonisme et d’une parenté qui en constituent la dynamique.

Dans le déploiement de l’œuvre, j’ai conservé l’idée de l’éclipse et de cette ambiguïté permanente mais cette fois avec trois couples d’instruments. On assiste donc à une démultiplication du même procédé, à l’image de la fameuse scène des miroirs dans La Dame de Shanghaï d’Orson Welles.

L’écriture prolifère doublement, touchant les dimensions à la fois spatiale et temporelle. Au duo originel avec électronique s’adjoignent à présent la clarinette, le trombone, le tuba et le cor anglais. Le choix des instruments est lié à leur timbre spécifique mais aussi au fait qu’ils peuvent être joués debout car au cours de l’exécution les musiciens sont amenés à se déplacer sur le plateau. Bien sûr, ces déplacements sont simples (il ne s’agit pas de faire gesticuler inutilement les musiciens). Ils soulignent les aspects formels de l’œuvre et jouent sur la perception du temps. Ils visent aussi à favoriser une véritable relation interprètes-public qui suppose que ce dernier soit placé dans des conditions optimales d’attention et d’attente.

Je soulève bien sûr ici la question du théâtre qui, à mon avis, doit se poser lorsque l’on aborde la problématique du concert comme moyen irremplaçable de transmission de la musique.

La musique fait partie du théâtre dans le sens où tout ce qui se passe sur scène a à voir avec le théâtre. Peter Brook a l’habitude de définir le théâtre simplement : « Quelqu’un traverse un espace tandis qu’un autre l’observe ». Il s’agit donc moins d’un lieu – même si l’espace scénique est, le temps du spectacle, sacré – que de cette relation particulière qui s’instaure entre celui qui occupe cet espace et celui qui regarde. À partir du moment où les musiciens entrent sur scène, s’installent les prémices d’une situation théâtrale. Le concert doit donc être, aussi, un moment de théâtre et il faut en tenir compte. Il ne suffit pas pour cela de mettre des musiciens sur scène, abrités derrière leurs pupitres, en misant sur la seule qualité musicale. Il faut aussi tenter de faire advenir ce quelque chose d’unique, ce fait théâtral, cette présence réelle, qu'évoque Olivier Py, garantie d’un véritable échange entre tous les protagonistes, acteurs et spectateurs.

Cette préoccupation est une constante dans mon travail de composition. Je pense la pièce à écrire d’abord comme une dramaturgie avant toute idée de forme musicale.

L’alto prend ici progressivement un rôle central dans cette dramaturgie, vers lequel convergent les autres instruments.

Le matériau de la partie électronique provient ici principalement des instruments eux-mêmes dont les sonorités ont été largement transformées. Si elles sont souvent méconnaissables, il reste néanmoins une parenté, une filiation avec les instruments présents sur scène. J’ai pensé la partie électronique comme une prolongation et une ouverture du jeu instrumental permettant d’accentuer les ambiguïtés sonores évoquées plus haut. L’emplacement des haut-parleurs vise aussi à favoriser les conditions d’une écoute aussi éveillée que possible. Loin de vouloir immerger le public dans le son, comme dans une sorte de cocon utérin confortable, ni le secouer par des effets spectaculaires, j’ai voulu au contraire une sonorisation relativement sobre et très localisée sur l’espace scénique, requérant une tension vers l’avant du public, participant par sa présence active à ce qui se joue devant lui.

Patrick Marcland, d’après un entretien avec Corinne Schneider.