Jean-Claude Risset (1938-2016)

Invisible Irène (1995)

pour sons de synthèse réalisés par ordinateur fixés sur support deux pistes

œuvre électronique

  • Informations générales
    • Date de composition : 1995
    • Durée : 12 mn
    • Éditeur : édition du compositeur
    • Commande : Sonic Art Networks
    • Livret (détail, auteur) :

      textes de Tchouang-Tseu

Information sur la création

  • Date : 16 février 1995
    Lieu :

    Angleterre, Durham, Musicon.


Information sur l'électronique
Information sur le studio : GMEM (Groupe de Musique Expérimentale de Marseille) et LMA-CNRS (Marseille-Luminy)
Dispositif électronique : sons fixés sur support (sons de synthèse réalisés par ordinateur fixés sur support deux pistes)

Observations

  • Grand Prix Musica Nova 95' de Prague ;
  • Enregistrement : CD « Jean-Claude Risset, Elementa », INA C 1019 275 852, 2001.

Note de programme

Invisible Irène, commande du Sonic Arts Network, est un hommage à la soprano Irène Jarsky, dont on entend la voix « invisible ».

La pièce s'appuie sur des textes de Tchouang-tseu, philosophe et poète taoïste chinois du IVe siècle avant notre ère, qui évoquent les sons et les êtres, le ciel et la terre, le souffle, la parole, l'idée, le vide. Elle cite aussi Wang Wei, Lao Tseu, Dante, Basho, Heine, Goethe, Longfellow et Leopardi. Bien que la pièce n'utilise pas les textes d'Italo Calvino, elle est librement inspirée de son ouvrage Le città invisibili, sur une idée d'Irène Jarsky.

Dans l'ouvrage de Calvino, l'empereur de Chine Kublai Khan écoute Marco Polo lui décrire les villes qu'il a visitées. Ces villes portent des noms de femme. On s'en aperçoit bientôt, ce sont des villes de rêve – parfois de cauchemar – qui traduisent désirs, fantasmes, hantises, processus, utopies, schèmes profonds. À l'instar de la poésie chinoise, qui s'efforce d'agencer les mots dans l'espace, Marco Polo se livre à une description spatiale du temps, il imagine une géographie de l'esprit et de la mémoire, une géographie d'un monde qui nous parle, et qui est vrai parce qu'il l'a inventé.

Certains des sons qui répondent à la voix d'Irène Jarsky ne viennent pas eux non plus d'un monde physique, visible, palpable. Les transformations même de la voix la transportent dans une acoustique fictive, qui n'est plus la trace audible de vibrations mécaniques dans un monde matériel. Le recours à la synthèse et au traitement numérique de la voix permet de mettre en œuvre des processus immatériels, des espaces imaginés, à l'instar des cités invisibles – même si l'imagination de Calvino reste plus agile et variée que les simulacres sonores que nous savons produire. Comme l'écrit le poète et peintre chinois Wang Wei, « les choses doivent être à la fois présentes et absentes ». On ne trouvera pas dans Invisible la traduction musicale des thèmes qu'invoque Tchouang-tseu ou des villes mythiques que décrit Calvino, mais quelques suggestions métaphoriques qui tentent d'évoquer à travers des images sonores certains schèmes fascinants qui transparaissent dans ces textes.

Invisible Irène (1995), pour bande 2 pistes, dure 12mn15s. Il existe une variante, Invisible (1996) pour soprano et bande. Les sons qui accompagnent la soprano ont été obtenus par des processus de synthèse ou de traitement numérique qui tirent parti des ressources du Groupe de musique expérimentale de Marseille et de recherches effectuées au Laboratoire de mécanique et d'acoustique du CNRS. On entend ainsi des voix imaginaires synthétisées par le programme MUSICV, des harmonies-timbres réalisées grâce à MUSICV ou SYTER, des ralentissements ou accélérations sans transposition, des harmonisations, hybrides de voix et de vent produits à l'aide du programme SOUND MUTATIONS qui fait appel aux grains de Gabor ou aux ondelettes. Le phénomène perceptif de fission mélodique – on dit aussi ségrégation par flots – aide l'auditeur à démêler les polyphonies vocales. L'auteur remercie particulièrement Daniel Arfib.

d'après Jean-Claude Risset.