Karlheinz Stockhausen (1928-2007)

Mantra (1969 -1970)

pour deux pianistes

œuvre électronique

  • Informations générales
    • Date de composition : 1969 - 1970
    • Durée : entre 1 h 5 mn et 1 h 12 mn
    • Éditeur : Stockhausen Verlag
    • Opus : 32
Effectif détaillé
  • 2 pianos (aussi wood-block, cymbales antiques)

Information sur la création

  • Date : 18 octobre 1970
    Lieu :

    Allemagne, Donaueschingen


    Interprètes :

    Alfons Kontarsky et Georg Földes.

Information sur l'électronique
Dispositif électronique : spatialisation, modulation en anneaux

Note de programme

Après Stimmung, Aus den sieben Tagen, Für Kommende Zeiten, après les musiques intuitives et méditatives des années soixante, Mantra manifeste le rétablissement du déterminé, de l’écriture et de la notation, prolonge expériences de mixité et interaction entre l’électronique et l’instrumental, et préfigure la notion de formule générant l’œuvre stockhausénienne jusqu’à Inori, Sirius ou Licht.

Composée à Osaka et à Kürten, commande de la radio de Baden-Baden (SWF), Mantra est écrit pour deux modulateurs en anneaux, deux pianos, deux wood-blocks et deux jeux de douze cymbales antiques correspondantaux sons du mantra (du sanscrit « man », penser), aux « sons essentiels et fondamentaux qui ont le pouvoir d’établir la communication », aux sons d’une formule magique de méditation et de soutien pour la concentration sur la voie de l’énergie (saktopaya).

Ni développements, ni variations, mais répétitions, extensions dans le temps et dans l’espace de structures intervalliques, l’œuvre repose sur un mantra, non pas thème, mais mélodie, articulée en quatre sections séparées par des figures de silence irrégulières, que le premier piano expose, après deux mesures d’introduction, à la voix supérieure et simultanément en miroir à la voix inférieure, associant verticalement la première section au miroir de la seconde, la seconde au miroir de la première, la troisième au miroir de la quatrième et la quatrième au miroir de la troisième. Les treize sons caractérisés du mantra — répétition régulière, accent de fin d’oscillation, son normal, groupe rapide d’appoggiatures, tremolo, accord, accent de début d’oscillation, liaison chromatique, staccato, répétition irrégulière, trille, sforzato de mise en oscillation, liaison en arpège — et les douze augmentations mantriques déterminent une articulation formelle en 13 x 12, 156 sections : « le mantra n’est pas varié ; aucun son n’est ajouté, rien n’est accompagné, orné, etc. Le mantra reste toujours lui-même et se montre dans ses douze facettes avec ses treize caractères » ou encore : « chacun des treize grands cycles, pour lesquels chacun des sons du mantra est respectivement son central autour duquel se constituent les formes d’augmentation, est dominé par un caractère mantrique différent. » La coda conclusive comprime, concentre, condense l’œuvre dans un espace de temps minime, à l’intérieur de quatre lignes superposées, où microcosme et macrocosme reflètent les oscillations harmoniques du son dans le « champ temporel acoustique ».

Enfin, l’utilisation des modulateurs en anneaux, appareils électroniques projetant la somme et la différence des fréquences de deux signaux sonores déterminés (de l’injection de deux notes identiques ne résulte donc que l’octave, la consonance parfaite), et l’interaction entre son réel et son modulé définissent une conception harmonique qui élargit les notions classiques de consonance et de dissonance : les notes polaires du mantra supérieur et du mantra inférieur de chaque cycle devenant fréquences pures des modulateurs en anneaux, le premier et le treizième son de chaque mantra étant identiques au son sinusoïdal ainsi déterminé, la consonance d’octave filtre successivement les hauteurs d’une formule par ailleurs modulée, voire microintervallique et irrémédiablement dissonante.

« Parce que la vraie poésie est action, elle crée des vides dans la conscience — tant de murs, de barricades nous entourent ! Le réel peut alors entrer : c’est un mantra du réel, une initiation », écrit Satprem, dont le nom hindou masque un poète français attaché à l’administration de Pondichéry et auteur d’un livre sur le gourou Sri Aurobindo, Sri Aurobindo ou l’aventure de la conscience, cité par Stockhausen dans sa présentation de l’œuvre.

Laurent Feneyrou, programme « Cycle Piano », Ircam et Centre Pompidou, 15 et 16 octobre 1993.