Olivier Messiaen (1908-1992)

Catalogue d'oiseaux (1956 -1958)

pour piano

  • Informations générales
    • Date de composition : 1956 - 1958
    • Durée : 2 h 30 mn
    • Éditeur : Alphonse Leduc
    • Dédicace : aux oiseaux et à Yvonne Loriod
Effectif détaillé
  • 1 piano

Information sur la création

  • Date : 15 avril 1959
    Lieu :

    Paris, Salle Gaveau


    Interprètes :

    Yvonne Loriod

Titres des parties

1er livre : 1. Le Chocard des Alpes. 2. Le Loriot. 3. Le Merle bleu.

2e livre : 4. Le Traquet stapazin.

3e livre : 5. La Chouette hulotte. 6. L’Alouette lulu.

4e livre : 7. La Rousserolle effarvatte.

5e livre : 8. L’Alouette calandrelle. 9. La Bouscarle.

6e livre : 10. Le Merle de roche.

7e livre : 11. La Buse variable. 12. Le Traquet rieur. 13. Le Courlis cendré.

Note de programme

Chants d’oiseaux des provinces de France. Chaque soliste est présenté dans son habitat, entouré de son paysage et des chants des autres oiseaux qui affectionnent la même région.
La rédaction musicale du premier Catalogue d’oiseaux a été commencée en octobre 1956 et terminée le 1er septembre 1958. Les voyages et les séjours répétés, nécessaires pour la notation des chants de chaque oiseau, ont été parfois très antérieurs à la composition des pièces. Ses indications étant très précises, l’auteur a pu sans peine réveiller des souvenirs vieux de quelques heures ou de plusieurs années. L’œuvre est par lui dédiée deux fois : à ses modèles ailés, à la pianiste Yvonne Loriod.

La Rousserolle effarvatte
Toute la pièce est un grand mouvement courbe, de minuit-3 heures du matin, à minuit-3 heures du matin, les événements de l’après-midi à la nuit répétant en ordre inverse les événements de la nuit au matin. Elle est écrite pour la rousserolle effarvatte et, en général, à la gloire des oiseaux des roseaux, des étangs et des marais – et de quelques oiseaux des bois et des champs qui sont leurs voisins.
La Sologne. Entre Saint-Viâtre, Nouan-le-Fuzelier, Salbris et Marcilly-en-Gault : les étangs du Petit et du Grand Rancy, des Noues, de la Briquerie, des Trois Croix, des Coups de vent, de la Rue Verte, des Chapelières, de la Vieille Futaie, et tant d’autres étangs… je les nomme plus naïvement : étang des nénuphars, étang des roseaux, étang des iris, etc.
Minuit : la musique des étangs et le chœur des grenouilles. 3 heures du matin : la rousserolle effarvatte, cachée dans les roseaux, fait entendre un long solo de timbre gratté, évoquant à la fois le xylophone, le bouchon qui grince, les pizzi des cordes et le glissando de la harpe, avec quelque chose de sauvage et d’obstiné dans le rythme qui n’existe que chez les oiseaux de roseaux. La nuit est solennelle comme une résonance de tam-tam.
6 heures du matin : lever de soleil, rose, orangé, mauve, sur l’étang des nénuphars. Strophes joyeuses du merle noir, gazouillis de la pie-grièche écorcheur et du rouge-queue à front blanc.
8 heures du matin, les iris jaunes : double cri rauque du faisan, glissando sifflé de l’étourneau-sansonnet, éclat de rire étrange et surnaturel du pic-vert – le bruant des roseaux, la mésange charbonnière, et l’exquise bergeronnette grise (si distinguée dans son costume demi-deuil) ajoutent quelques sons.
Midi : la locustelle tachetée fait entendre son interminable grillottement d’insecte.
5 heures de l’après-midi, la digitale pourprée : crescendo trille du phragmite des joncs, rythmes puissants, acidulés et grincés, de la rousserolle turdoïde. Coassement sec et flasque d’une grenouille. La mouette rieuse part en chasse. Les nénuphars. Concert en duo de deux rousserolles effarvattes.
6 heures du soir, les iris jaunes et la locustelle tachetée. Une foulque (noire, plaque frontale blanche) semble choquer des pierres et souffler dans une petite trompette pointue. L’alouette des champs s’élève et jubile en plein ciel, les grenouilles lui répondent dans l’étang. Un râle d’eau, invisible, pousse une série de cris effroyables – cris de pourceau qu’on égorge – en hurlement décroissant, diminuendo.
9 heures du soir : coucher de soleil, rouge, orangé, violet, sur l’étang des iris. Le héron butor mugit – son de trompe grave, un peu terrifiant. Le soleil est un disque de sang : l’étang le répète – le soleil rejoint son reflet et s’enfonce dans l’eau. Le ciel est violet sombre…
Minuit : la nuit est installée, toujours solennelle comme une résonance de tam-tam. Le rossignol commence ses strophes mystérieuses ou mordantes. Une grenouille agite des ossements.
3 heures du matin : de nouveau, un grand solo de rousserolle effarvatte. Et nous terminons sur un rappel de la musique des étangs, avec le dernier mugissement du héron butor…

Le Courlis cendré
L’île d’Ouessant (Enes Eusa), dans le Finistère ; à la pointe de Pern, on peut voir un grand oiseau, au plumage rayé, tacheté de roux jaunâtre, de gris et de brun, haut sur pattes pourvu d’un très long bec recourbé en forme de faucille ou de yatagan : le courlis cendré ! Voici son solo : trémolos lents et tristes, montées chromatiques ; trilles sauvages, et un appel en glissando tragiquement répété qui exprime toute la désolation des paysages marins. À la pointe de Feunten-Velen, hachés par le bruit des vagues, tous les cris des oiseaux de rivage : appel cruel de la mouette rieuse, rythmes cuivrés (à sonorités de cor de chasse) du goéland argenté, mélodie flûtée du chevalier gambette, notes répétées du tournepierre à collier, sifflements stridents, roulements aigus de l’huîtrier pie – et d’autres cris encore : ceux du petit gravelet, du goéland cendré, du guillemet de troil, de la sterne naine et de la sterne caugek. L’eau s’étend à perte de vue. Peu à peu, le brouillard et la nuit se répandent sur la mer. Tout est noir et terrible.
Au milieu de ses rochers déchiquetés, le phare du Créac’h fait entendre un mugissement puissant et lugubre : c’est la sirène d’alarme ! Encore quelques cris d’oiseaux, et la plainte du courlis cendré qui se répète et s’éloigne… Froid, nuit totale, bruit du ressac…

Olivier Messiaen, note de programme du concert du 17 janvier 2023 à l'Espace de projection de l'Ircam.