Philippe Manoury (1952)

Terra Ignota (2007)

In memoriam Karlheinz Stockhausen, pour piano et ensemble dirigé du piano

  • Informations générales
    • Date de composition : 2007
    • Durée : 20 mn
    • Éditeur : Durand, Universal Music Publishing
    • Commande : Orchestre Poitou-Charentes et Festival de l'Épau
    • Dédicace : pour Jean-François Heisser
Effectif détaillé
  • soliste : piano (aussi chef d'orchestre)
  • 2 flûtes, hautbois, cor anglais, clarinette, clarinette basse, basson, 2 cors, trompette, trombone, 2 percussionnistes, 4 violons, 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse

Information sur la création

  • Date : 18 février 2008
    Lieu :

    théâtre des Bouffes du Nord, Paris


    Interprètes :

    Jean-François Heisser, direction et piano, Orchestre Poitou-Charentes

Observations

Disposition de l'ensemble :
Piano solo,
1 quintette (nord-ouest) : 2 flûtes, 3 violons,
1 septuor (nord-est) : cor anglais, basson, cor, 2 altos, 2 violoncelles,
1 sextuor (sud-ouest) : percussion, hautbois, clarinette, violon, cor, trompette,
1 quatuor (sud-est) : percussion, clarinette basse, trombone, contrebasse

Note de programme

« Terra Ignota » était le nom qui, sur les cartes géographiques du globe terrestre, désignait autrefois les terres qui n’avaient pas encore été explorées. J’ai utilisé ce terme comme métaphore d’une situation musicale dans laquelle le pianiste soliste (qui joue aussi du célesta) serait une sorte d’explorateur se trouvant au centre de quatre continents, représentés par quatre groupes d’orchestre suivant les repères cardinaux suivants :

• au nord-est : les instruments graves (cor anglais, basson, cor, altos et violoncelles) ;
• au nord-ouest : les instruments aigus (flûtes et violons) ;
• aux sud-est et sud-ouest : deux ensembles composites.

Les régions du nord sont le lieu d’une relation distante avec le soliste. Elles représentent plutôt l’orchestre traditionnel tel qu’on le connaît dans les concertos, jouant soit en accompagnement du soliste, soit en tutti. Les régions du sud, quant à elles, sont le lieu propice pour une collaboration de proximité et d’échanges. Le soliste y développe une relation de musique de chambre, dialoguant parfois avec l’un et l’autre des groupes, parfois avec les deux. Mais, tel que cela s’est passé dans l’histoire, il n’est pas une découverte qui n’ait modifié considérablement les régions visitées. Ainsi ces quatre « continents » perdront-ils parfois leurs spécificités propres pour se mélanger, dans des évolutions musicales plus globales et unifiées, dans un même discours.

Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un concerto mais d’une forme qui inclut musique soliste, musique de chambre, musique concertante et musique symphonique. L’œuvre, d’un seul tenant, obéit à la forme rigoureuse d’une sonate précédée d’une grande introduction. Cette forme, cependant, ne sera volontairement pas audible à l’écoute car j’ai veillé à modifier continuellement les caractères et les expressions lors des « reprises », « développements » et « réexpositions ». Ainsi, lors de la section qui fait office de « reprise » de l’exposition, le soliste quittera le piano pour jouer du célesta privilégiant exclusivement les régions aiguës. Un autre élément de distorsion de cette forme intervient dans les proportions successives de chaque section. Ce serait ce que je pourrais appeler « une sonate en perspective » : au fur et à mesure que la pièce s’éloignera de son début, ses proportions seront de plus en plus petites. L’introduction est extrêmement développée, l’exposition est également de grandes proportions, sa pseudoreprise est sensiblement plus courte, le développement sera encore plus bref, quant à la réexposition et sa coda, elles se contenteront de rappeler les éléments principaux. À la toute fin, après une élimination progressive des instruments, le piano se retranchera à son tour dans une expression très ramassée qui constitue l’exact opposé de la grande liberté dont il faisait preuve au début. S’il a grandement contribué à modifier les régions qu’il a visitées tout au long de l’œuvre, il va sans dire que cette expérience l’aura aussi profondément transformé.

La particularité la plus visible de cette composition réside probablement dans l’organisation des rapports entre l’instrument soliste et les groupes d’orchestre placés en face et autour de lui. En cela j’ai voulu réintroduire une coutume qui était habituelle du temps de Mozart, qui dirigeait lui-même l’orchestre de son piano. Une grande part des parties d’orchestre est écrite de façon à pouvoir être jouée sans direction. Parfois, lors de sections assez complexes, un percussionniste synchronise les différents groupes instrumentaux entre eux. Parfois aussi, le soliste deviendra, à part entière, chef d’orchestre. Cette composition, écrite pour mon ami Jean-François Heisser, pianiste et chef d’orchestre, peut toutefois être exécutée de manière plus traditionnelle.

L’œuvre a été composée à San Diego (Californie) au cours de l’automne 2007. Peu de temps après l’avoir achevée, j’appris la mort de Karlheinz Stockhausen, grand explorateur, s’il en est, de continents musicaux nouveaux. J’ai décidé alors de lui donner le titre : Terra Ignota (in memoriam Karlheinz Stockhausen).

Philippe Manoury, programme de la création Poursuite I : contacts, Paris, Bouffes du Nord, le 18 février 2008.