Michael Jarrell (1958)

...denn alles muss in Nichts zerfallen... (2005)

pour récitant, quatre voix, chœur et ensemble

  • Informations générales
    • Date de composition : 2005
    • Durée : 11 mn
    • Éditeur : Lemoine
    • Dédicace : à Christiane et Jean-Louis Jolivet
Effectif détaillé
  • soliste : récitant
  • ensemble de voix solistes à 4 voix , chœur mixte
  • 2 flûtes (aussi flûte piccolo, flûte alto), hautbois (aussi cor anglais), 3 clarinettes (aussi clarinette basse), basson (aussi contrebasson), 2 cors, 2 trompettes, 2 trombones, tuba, 3 percussionnistes, harpe, piano (aussi célesta), 3 violons, 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse

Information sur la création

  • Date : 17 septembre 2005
    Lieu :

    France, Strasbourg, Festival Musica


    Interprètes :

    Johan Leysen : récitant, chœur Accentus, Ensemble intercontemporain, Laurence Equilbey et Pascal Rophé : direction.

Note de programme

Témoignage de Abraham P.

« Je me suis penché vers mon petit frère en lui disant : « Solly, va rejoindre papa et maman » et comme un petit bonhomme, il y est allé. Si j'avais su que je l'envoyais droit au crématoire! Je... J'ai ce sentiment de l'avoir tué. Je me suis demandé s'il avait pu rejoindre mes parents, je pense que oui. Il a dû leur dire : « Abraham m'a dit d'aller avec vous!". Je me demande ce que mon père et ma mère ont pensé, surtout quand ils sont rentrés ensemble dans le crématoire... Je ne peux pas me retirer cela de la tête. Cela me fait si mal, et je ne sais pas que faire. »

Ce témoignage d'Abraham P. fait partie de ceux qui sont réunis dans un programme d'archives enregistrées en vidéo de l'université de Yale (Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies). Dans ces images d'archives (plus de trois mille témoignages), il ne s'agit pas que de mots, mais de visages qui sont marqués, déformés par le « souvenir ». Ce sont des regards, en partie des yeux éteints, qui fixent quelque chose, ce qu'en fait la caméra ne peut saisir.

C'est à la suite de la lecture de ce témoignage que m'était venue l'idée d'écrire Mémoires. J'avais été touché par ce souvenir intime et fragile. Outre le problème de la culpabilité des survivants de ces camps, il reflète une tout autre réalité que celle que l'on trouve dans les manuels d'histoire. C'est la différence entre une expérience individuelle et une expérience collective qui était à la base de cette pièce. Pour essayer d'exprimer cette différence, j'avais choisi de juxtaposer à ce témoignage certains extraits du Liber ecclesiastes. Ce texte prévoit et explique tout. Ce détachement, cette intemporalité contrastent tellement avec le témoignage si simple et direct d'Abraham P.

Dès la création de Mémoires, j'avais l'impression qu'il fallait une architecture temporelle plus imposante, qu'il fallait plus de témoignages pour mieux tenir front à cette force impersonnelle du Liber ecclesiastes. Il fallait aussi un récitant pour dire des choses que l'on ne peut faire chanter et un ensemble plus grand pour remplir l'espace sonore et accroître les pics dynamiques. J'ai donc lu plus de témoignages, j'ai découvert d'autres livres et je me suis retrouvé certes dans un monde dont j'avais la connaissance, mais dont je n'avais pu imaginer les abîmes.

Après de longues hésitations, je décidais de ne pas faire un inventaire de ces horreurs (cette littérature est accessible à tous), ni de rouvrir un débat sur la culpabilité ou sur les mensonges sur lesquels cette extermination fut basée (le plus grave ayant été l'invention d'une « race » juive), mais bien de me tenir au projet initial.

Les chiffres du début lus par le récitant (je pense qu'il n'est pas nécessaire d'expliquer à quoi ils correspondent) ont leur pendant — ceux, également lus, à la fin... Ceux-là doivent être complétés: un million d'Ibos au Biafra, un million cinq cent mille Bengalis, 200 mille Guatémaltèques, un million sept cent mille Cambodgiens, 500 mille indonésiens, 200 mille Timorais, 250 mille Burundais, 500 mille Ougandais, 800 mille Rwandais, 10 mille Bosniaques. C'est un inventaire incomplet des génocides des six dernières décennies.

A aucun moment je n'ai cherché à donner des leçons ou à être moralisateur, je ne crois pas que cela soit mon rôle, cette pièce est peut-être, modestement, une stèle, « ...car au néant doit aller toute chose »... ...denn alles muss in Nichts zerfallen... est dédiée à des amis très chers, Christiane et Jean-Louis Jolivet.

Michael Jarrell, éditions Lemoine.