Iannis Xenakis (1922-2001)

Tetras (1983)

pour quatuor à cordes
[À quatre]

  • Informations générales
    • Date de composition : 1983
    • Durée : 14 mn
    • Éditeur : Salabert, Paris
Effectif détaillé
  • violon, violon II, alto, violoncelle

Information sur la création

  • Date : 8 juin 1983
    Lieu :

    Portugal, Lisbonne


    Interprètes :

    le Quatuor Arditti.

Note de programme

Tétras, qui signifie « à quatre », réunit pour une quinzaine de minutes environ, plusieurs des procédés dont on peut observer la constance ou la transformation au cours des quelque quatre-vingts réalisations (dont certaines architecturales, comme le Diatope, les Polytopes) qui jalonnent l'œuvre de Xenakis, depuis Metastasis (1954) jusqu'à nos jours.

Le premier de ces procédés à se manifester ici est le glissando dont l'intérêt principal, sur le plan aussi bien sonore que visuel, de par sa représentation graphique, réside dans la fonction qu'il peut assurer de transformation continue des hauteurs, plus ou moins étalée dans le temps. Ici, ces glissandi se présentent sous une forme microscopique, leurs trajectoires étant modifiées de manière rapprochée par de très fines fluctuations apparentées à celles d'une onde vibratoire. Plusieurs plages de la pièce utilisent ce procédé, en le variant par des rythmiques ou des modes d'attaque différents, et en suggérant parfois des modifications de volume par des dessins tour à tour parallèles et contraires répartis entre les quatre instruments du quatuor à cordes.

Le premier passage en glissandi sera interrompu brusquement pour faire place à un ensemble de bruits ou plutôt à un nouveau domaine de transformation continue allant du bruit – frappé, frotté, glissé – au son proprement dit, ce dont le pizzicato peut constituer un degré intermédiaire. Un autre passage en glissandi, dont les ondulations sont plusieurs fois ramenées à un trille, s'éparpille subitement en une poussière de sons. Le caractère amorphe et la parfaite neutralité rythmique de ce nuage sonore ainsi réalisé sont le produit de l'une des étapes importantes dans le travail du compositeur : la mise en application musicale du calcul des probabilités qui, entre autres, le conduisit à se servir de l'ordinateur.

Car, ainsi qu'il l'expose avec la simplicité de ceux qui ont une parfaite maîtrise scientifique de leur sujet, « nous avons une pensée statistique sans le savoir. Donc nous ne pouvons que simuler le hasard, et pour cela il faut être soit un fou, soit un enfant, soit passer par des calculs très compliqués ». Tetras comporte également un passage en gammes que Xenakis préfère désigner sous le terme d'« échelles ». Celles-ci seront présentées parfois de façon brutale. En rupture avec leur contexte, parfois de manière progressive, comme tirées du matériau préexistant. Par leur diversité et leur caractère fugitif, elles déconcertent toute tentative de leur attribuer un rôle référentiel, car les aspects multiples qu'elles prennent sont sous-tendus par un jeu esthétique allant à l'encontre du confort perceptif. Pour Xenakis en effet, une échelle, quelle qu'elle soit, n'est jamais qu'un choix établi dans le continuum sonore, un « crible » dont il s'agit de trouver toutes sortes de métamorphoses. En essayant d'éviter qu'ils se répètent ou qu'ils revêtent une tournure linéaire trop proche de la mélodie.

Ces différents aspects de l'écriture de Xenakis, et bien d'autres encore, sont ici réunis dans le but d'entretenir une constante oscillation d'un pôle à un autre, du continu au discontinu, en engageant des moyens variés et strictement contrôlés dans leur apériodicité. Cette patiente et performante élaboration de moyens techniques, doublée d'une sûre intuition du produit musical, fait de Tetras un exemple dans la production de Xenakis d'œuvre complexe, riche, à l'intérêt constamment renouvelé.

Suzanne Giraud.