Michaël Levinas (1949)

Par-delà (1994)

pour orchestre

  • Informations générales
    • Date de composition : 1994
    • Durée : 20 mn
    • Éditeur : Lemoine, Paris, nº 27216, 1994
    • Commande : Südwestfunk Baden Baden
Effectif détaillé
  • 3 flûtes (aussi 1 flûte piccolo), 3 saxophones baryton, 3 clarinettes (aussi 1 clarinette basse), 2 bassons (aussi 1 contrebasson), 4 cors, 5 trompettes (aussi 1 trompette basse), 1 trombone, 1 tuba, 3 percussionnistes, 1 piano, cordes

Information sur la création

  • Date : 16 octobre 1994
    Lieu :

    Allemagne, festival de Donaueschingen


    Interprètes :

    l'orchestre du Südwestfunk Baden Baden, direction : Michael Gielen.

Note de programme

Cette pièce d'orchestre représente, dans mon travail de composition, une extension. Cette extension porte sur les recherches que j'ai réalisées sur l'hybridation des timbres instrumentaux et la polymodalité micro-intervallique. Dans un premier temps, ces recherches m'ont permis, dans mes récentes pièces, Préfixes, Rebonds et Diaclase, de réaliser des hybridations entre instruments ayant des identités spectrales proches mais aussi de créer des alliages et des mixtures de timbres obtenus par des superpositions micro-intervalliques des modes. La notion même de superposition me permettait de relier mon écriture du timbre à la « catégorie polyphonique ». Dans Par-delà, l'ampleur orchestrale a permis une formation instrumentale plus importante et plus puissante qui tenait compte des lois acoustiques qui régissent de façon privilégiée certaines familles d'instruments entre elles. Ainsi, je renouais à la fois avec une polyphonie qui pense la fonction horizontale sans être obligatoirement issue d'une résonance fondamentale et je recréais la notion de groupes instrumentaux.

Premier groupe : Claviers, pianos, sortes d'instruments harmoniques à percussions résonantes et « pédale centrale » de l'orchestre. Ce groupe est composé d'un piano en seizième de ton et de deux pianos en relation de quart de ton. Il est complété très discrètement par des percussions.

Deuxième groupe : Deux trompettes et un cor avec des modes de jeux permettant un vibrato périodique et des relations de micro-intervalles identiques au piano.Ces deux groupes procèdent entre eux par polyphonie modale et par ornementation. Le phénomène acoustique naît d'une cohérence harmonique et produit paradoxalement un effet de timbre vocal. Le troisième groupe est conçu sur le principe d'une technique « d'abouchage » entre les cuivres, héritage de l'orchestre de Gluck. Trompette basse + tuba, cor + tuba, cors + trompettes. Chaque instrument joue dans le pavillon de l'autre. Chaque instrument devient la caisse de résonance de l'autre. Il en résulte une hybridation à la couleur micro-intervallique et vibrante.

Le quatrième groupe, qui comprend flûtes, clarinettes et saxophone, est écrit dans des tessitures et textures tendues de manière à faire entendre les différentiels. Ici encore, j'ai utilisé des trilles par mouvement contraire en quart de ton entre des instruments notés à l'unisson... Des cordes « pigmentent » comme un tableau de Seurat, les pivots harmoniques de cette pièce par une technique de rebondissement d'archet dont j'ai intégralement déterminé les rythmes en dégradé. Cette conception particulière des alliages harmoniques et des combinatoires modales superposés et donc polyphoniques, m'a amené à la suppression de certains instruments traditionnellement partie intégrante de l'orchestre symphonique. Il est vrai que cet orchestre mémorable, source des plus grands chefs-d'œuvre, est né de la cohérence du système tonal révélé par nos grands maîtres des XVIIIe et XIXe siècles.

Qu'est-ce que développer ?
La nécessité formelle de mon écriture s'exprime dans une tension que j'entends entre le prévisible, la trajectoire, le processus, la procession et la rupture (continue-discontinue) qui rompt ce mouvement. Qui sont-elles, ces trajectoires qui conduisent la forme de mon écriture ? Des ascensions et des descensions qui se brisent dans un sur-place rythmique de notes répétées. Cette rythmique résonne sous la forme de respirations instrumentales, orchestrées entre les instruments abouchés et commentées par le reste de l'orchestre. Ces trajectoires, donc, se brisent et s'essoufflent.

Abstraction et concrétude — une alternative ?
Cette tension formelle évoquée plus haut est du même ordre qu'une certaine relation que je voudrais faire entendre dans ma musique entre l'abstraction, essence même du musical, et de l'au-delà du son qui est aussi le « par-delà » des systèmes. Le son n'est-il pas le matériau riche et complexe dans ses possibles combinatoires ? Il semble pourtant que l'histoire du langage musical nous enseigne cette relation spécifique entre l'instrument, prolongement du corps humain, expression directe ou métaphorique de la voix (métaphore que l'on retrouve même dans le son technologique) et cette transcendance. C'est là, peut-être, que s'inscrit la relation secrète, voire dialectique, entre la pure abstraction du musical et sa manifestation sous les formes narratives, I'opéra par exemple. Une fois de plus, tension entre abstraction et les multiples signifiants du son. C'est là peut-être que se cache à nouveau la vocalité de mon écriture dans cette pièce d'orchestre.

Michael Lévinas, programme du festival Musica 96