Texte cité dans

Les ruines circulaires

Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime ......Le dessein qui le guidait n'était pas impossible, bien que surnaturel. Il voulait rêver un homme : il voulait le rêver avec une intégrité minutieuse et l'imposer à la réalité. Ce projet magique avait épuisé tout l'espace de son âme ; si quelqu'un lui avait demandé son propre nom ou quelque trait de sa vie antérieure, il n'aurait pas su répondre....Il le rêva actif, chaud, secret ......Chaque nuit, il le percevait avec une plus grande évidence....Il l'accoutuma graduellement à la réalité....Dans une aube sans les oiseaux, le magicien vit fondre sur le mur l'incendie concentrique. Un instant, il pensa se réfugier dans les eaux, mais il comprit aussitôt que la mort venait couronner sa vieillesse et l'absoudre de ses travaux. Il marcha sur les lambeaux de feu. Ceux-ci ne mordirent pas sa chair, ils le caressèrent et l'inondèrent sans chaleur et sans combustion.Avec soulagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit que lui aussi était une apparence, qu'un autre était en train de le rêver.

extrait de «Les ruines circulaires» (Fictions) (traduction P. Verdevoye)