Texte cité dans

Exercices du silence

1 mai 2006


Livret établi par le compositeur d’après les lettres de Louise du Néant

1. Prélude du silence

Louise
Je sais que le silence est le nœud de la perfection, et je tâche, autant que je le puis, à le garder, car je désire ardem­ment de plaire à mon Jésus ; mais je vous prie de m’enseigner la manière de lui être agréable ; je ferai très exac­tement tout ce que vous me prescri­rez. Ne craignez pas de me faire aucune peine. On fait tout avec la grâce divine. Je me sens, par la miséricorde de Dieu, si disposée à tout ce qu’il voudra, que si je devenais encore aussi folle que j’ai été, je l’en bénirais ; la créature doit servir de quelque chose à son créateur. Que m’importe en quel état il me mette, je dirai toujours comme mon aimable Jésus : Mon Dieu, que votre volonté soit faite, et non la mienne. Je vous prie très instamment, monsieur, de conti­nuer vos soins charitables, et de ne vous pas rebuter de la dissipation de mon esprit, et du grand flux de paroles que vous avez remarqué de moi. Votre très humble et obéissante servante, Louise du Néant.

2. Première mortification

J’avais une grande tentation de man­ger d’un pâté, j’en ai coupé par mor­ceaux, et l’ai mis avec de la saleté, et puis l’ai mis à terre, et l’ai ramassé avec la langue comme une bête.

3. Passacaille des détestations

Louise
… faire gémir la nature en lui donnant tout ce qu’elle ne voudra point. Je ne suis plus à moi ; mon cœur, mon âme, mon corps, et tout ce que je suis, est le domaine de Dieu. … tout ce qu’il y a de créé m’est insup­portable, et je ne puis me souffrir moi-­même. … je ne vaux rien, je ne souffre pas tant que j’ai mérité, étant digne d’un
million d’enfers. … je demeure quelquefois à genoux deux heures, immobile comme une statue, sans savoir où je suis, ni ce que je fais. … je ne me mêlais plus de moi­même, et je m’étais défaite de ma volonté. … je conçois contre moi une aversion incroyable. Il m’est arrivé de me faire battre ; je me jetai entre les bras de celle qui me frap­pait, afin qu’elle redoublât ses coups ; et je disais tout bas : Bon, ma chère, frappez plus fort, et vengez bien mon Dieu ; je crois que je me serais fait déchi­rer, tant j’avais d’aversion pour moi­-même. … être abjecte et méprisable.

4. Mariage mystique

Louise
Un jour, je fus bien trois heures à jouir de sa présence, avec un plaisir que je ne saurais vous exprimer ; car je m’étais enfermée seule avec mon divin Époux dans ma prière, où il semblait que nous parlions cœur à cœur. Il me déclara ses volontés sur moi, et il me fit connaître que je ne mourrais pas si tôt, et qu’il voulait me laisser vivre pour souffrir des maux si extraordinaires qu’à moins qu’il ne me fît une grâce particulière, je ne pourrais les suppor­ter. Il me répéta cela plusieurs fois. Oui, me dit­-il, ma chère fille et mon épouse, je veux être uni à toi par les grandes croix que je te prépare, sois constante.

5. Passacaille des détestations reprise

Louise
Je ne suis plus à moi ; mon cœur, mon âme, mon corps, et tout ce que je suis, est le domaine de Dieu. Je sais que je suis sur une mer orageuse, où je ne vois qu’écueils de tous côtés. … tout ce qu’il y a de créé m’est insup­portable, et je ne puis me souffrir moi­même. … frappez plus fort… Couchée comme je suis dans un lieu très malsain, où il n’entre que le feu d’une chandelle, où la neige tombe jusque sur mon lit, néanmoins je me porte fort bien ; on aurait pu me com­parer au mont Etna, qui est tout blanc de neige au ­dehors, et tout plein de flamme au­ dedans ; car tandis que je suis toute blanche de neige, je suis dans le cœur rouge et embrasée des flammes divines. … être abjecte et méprisable.

6. Litanie des humiliations

Jésus
Ma chère épouse, sois moi fidèle jus­qu’à la moindre chose ; je souhaite que tu fasses tout le contraire de ce que tu as fait autrefois ; tu as eu de l’or­gueil et de la vanité, il faut que tu t’abaisses maintenant, que tu obéisses à tout le monde ; tu as mangé de bons morceaux, il faut maintenant que tu manges ce qu’il y a de plus mauvais ; tu aimes à demeurer longtemps au lit pour être plus belle, tu te lèveras de grand matin ; tu aimais le luxe dans les habits, tu porteras des haillons et le reste des pauvres ; tu étais pas­sionnée pour l’honneur et la flatte­rie, et tu voulais passer pour un grand esprit ; il faut que tu passes pour une folle, et que tu aimes le mépris, les affronts, les rebuts, les anéantisse­ments.Tu as eu soin de bien traiter ton corps, tu lui feras toutes les macéra­tions que tu pourras ; enfin, il faut que tu ne mettes aucun empêchement à la Grâce, et je prendrai un plaisir extrême à reposer en ton cœur ; car si tu fais cela purement pour moi, tu feras tous mes délices.

7. Première extase

Louise
J’irai partout criant : Amour, amour, je ne veux plus vivre que du divin amour…

8. Scène des folles

Louise
Mes maîtresses les pauvres m’aidè­rent à me mortifier ; car j’entrepris de faire dix-huit lits dans un jour, et de balayer deux fois deux grandes salles. Tous les soirs je déshabillais mes maî­tresses pour les mettre au lit, et le matin je les habillais. Toute la jour­née je leur rends d’autres services qui leur sont nécessaires ; je sers mes maîtresses avec tant d’amour, que der­nièrement j’en portais une entre mes bras, et l’autre sur mon dos, pour les mener où il était nécessaire ; je les recouchai. Que pourrais­je bien faire pour garantir du froid mes pauvres maîtresses ? je voudrais bien moi seule me charger de tous leurs maux. Je verse des larmes en abondance, quand je les vois beaucoup souffrir, et je consi­dère que c’est moi qui mérite tout ce qu’elles endurent. Hélas ! faut­il que l’innocent périsse pour le coupable! Je crois que ces bonnes personnes font pénitence pour moi.

9. Deuxième mortification

Louise
Je ne fais guère d’autres pénitences que de jeûner deux fois par semaine, mais pour y suppléer j’ai pratiqué d’autres mortifications pendant la grande maladie de sœur P. Je lui raclais la langue, et j’avalais les ordures que j’en tirais ; je mangeais aussi ce qu’elle avait mâché et rejeté de la bouche, afin de me châtier de la répugnance que j’avais à la servir.

10. Louise abandonnée

Louise
Mon cher Amant m’a fait la grâce de me dire, il y a quelques jours, que j’aurai des peines inconcevables ; il me témoigna aussi qu’il n’était pas content de ce que dernièrement je refusai ses caresses spirituelles. En se retirant il ajouta que je ne le verrais de long­temps, et que j’étais une mutine. Il me dit tout cela au fond du cœur ; je l’entendis aussi distinctement que si je l’eusse entendu des oreilles du corps. Car ainsi qu’il s’est vengé de ma résis­tance à ses caresses ; son éloignement m’a jetée dans un abîme de tristesse, croyant qu’il m’avait abandonnée, parce qu’ensuite je me trouvai atta­quée par des tentations de colère, de pensées sales, et de plusieurs autres misères qui me portaient au déses­poir. Je me renfermai dans mon cachot, et ne sentant aucun secours de ce bien ­aimé, je pris une grande croix entre mes bras, et la regardant fixement en me mettant à genoux devant elle, je lui dis : Ô bonne croix, ô chère épouse de mon Jésus ! je dois être attachée sur le côté qu’il n’occupe pas, il l’a laissé vide pour moi…

11. Louise jalouse de Madeleine

Louise
Tandis que j’étais dans un confession­nal pour être plus recueillie, je vis l’image de sainte Madeleine qui embrassait les pieds de mon Jésus. Il me prit une si grande jalousie contre elle, que je me mis à crier, par un trans­port qui vous paraîtra une vraie folie. Donnez ­moi votre place, lui dis-­je ; il y a assez longtemps que vous possédez mon amant, je veux aussi le posséder à mon tour. Ce n’est pas la première fois que ces sottises sont arrivées. Quand je vis qu’elle ne se retirait pas, je pris mon crucifix, je lui embrassai les pieds, et je lui disais : Je le tiens aussi bien que vous. Je le regardais fixement, et les larmes me vinrent aux yeux ; je lui fis mille protestations de faire péni­tence comme la Madeleine, afin de lui être aussi agréable qu’elle.

12. Deuxième extase

Dieu
Je désire que tu me sois extrêmement fidèle ; que tu corriges jusqu’à la moindre petite faute ; que tu mortifies continuellement tes sens ; que tu rentres sans cesse en toi­ même pour m’entretenir. Sache que la moindre tache qui obscurcit ton âme tant soit peu, me fâche et m’oblige à m’éloigner de toi.

Louise
Seigneur, comment ferai-­je pour obser­ver tout ce que vous désirez de moi ?

Dieu
Ma fille bien­ aimée, retire ­toi des créa­tures ; je veux que tu gardes un grand silence ; que tu fasses tous les mois une retraite de trois jours en l’honneur des trois Personnes de la Très Sainte Trinité ; que tu fasses une de huit jours aux quatre fêtes solennelles de l’an­née, comme ton Père spirituel l’ordon­nera ; que tous les vendredis tu la fasses pour honorer la Passion de mon Fils ; et parce que tu m’as demandé plu­sieurs fois d’être fille de la Passion, tu porteras ce jour-­là la couronne d’épine et la robe nuptiale, et tu feras la dis­cipline trois fois, le jeûne au pain et à l’eau, et tu mangeras par terre.

Louise
Il ajouta qu’il voulait entièrement se communiquer à moi, et me faire de grandes faveurs ; mais il m’obligea à en garder le secret, et à me tenir fort cachée. Il me semblait que mon âme s’était envolée dans le sein de la divi­nité, et que j’étais en Paradis ; je tom­bai dans de si violents transports d’amour, que je fis de grandes extra­vagances ; je criais tout haut : Aime ­t­on mon Amour ! J’étais seule, et je par­lais aux créatures sans raison, et je leur demandais si elles aimaient mon Jésus. Quelle folie !

13. Troisième mortification et troisième extase

Louise
Le samedi, je fis venir dans mon cachot deux de mes maîtresses, qui ont depuis trois ans des ulcères incurables aux jambes. Il y avait plus de quinze jours que j’étais fortement inspirée de les lécher ; je les enfermai l’une après l’autre dans mon cachot, je leur don­nai à dîner, et de l’argent que j’avais ; après que j’eus fait ma prière je vou­lus commencer, mais la puanteur était si grande que le cœur m’en fit mal ; cependant, sans balancer davantage, je me jetai dessus. Comme je n’en pou­vais plus, je cessai, afin de prendre haleine ; je craignais de lécher les endroits les plus puants, mais je me disais à moi-­même : Lèche, lèche, vilaine bête, et punis ta mauvaise langue qui a tant offensé Dieu. La bonté divine me donna tant de courage, que je le fis à dessein de soulager mes maî­tresses qui me faisaient pitié. Je sen­tis alors un si grand transport d’amour, que je baisais ces ulcères avec plai­sir ; je pensai même tomber en pâmoi­son. Je pleurais de joie, puis j’exhortais mes pauvres maîtresses à souffrir avec patience, et à aimer Dieu de toutes leurs forces.

14. Tentation de la glossoptysie

Louise
Ah! mon Dieu, je me suis éloignée de mon pays pour mener une vie cachée, et pour être le rebut de toutes les créa­tures ; et je trouve encore des gens qui ont de la bonté et de la charité pour moi, et qui me regardent comme une bonne servante de Dieu. Mais, hélas! où sont les services que je lui ai ren­dus ? Cela vient peut-­être de ce que je parle de Dieu ; en vérité il me prend forte envie de me couper la langue, aussi bien il ne m’en faut point pour aimer Dieu : Un grand saint se l’est coupée, qui ne méritait pas cette punition comme moi ; mais il n’importe, mon cher Père, ne laissons pas d’aimer Dieu ; oui, aimons-­le, et ne travaillons que pour sa gloire toute pure. Ce qui me console, c’est que je suis dans la souffrance.

Louise du Néant, par Jean Maillard Présentation et notes établies par Claude Louis­Combet Édition Jerôme Million, Nouvelle édition mai 2006