mise à jour le 5 décembre 2022
© Penelope Messidi

Beat Furrer

Compositeur autrichien d'origine suisse né le 6 décembre 1954 à Schaffhausen, Suisse.

Beat Furrer commence des études de piano au conservatoire de sa ville natale puis s’installe à Vienne en 1975 pour étudier la composition avec Roman Haubenstock-Ramati et la direction d’orchestre avec Otmar Suitner.

En 1985, il crée l’ensemble Klangforum Wien (d’abord appelée Société de l’art acoustique). Il en est le directeur artistique jusqu’en juillet 1992. Depuis 1992, Beat Furrer est professeur de composition à l’Université de musique et d’arts du spectacle de Graz. De 2006 à 2009, il est professeur de composition invité à l’Université de musique et d’arts du spectacle à Francfort-sur-le-Main.

Il est professeur de composition à la Hochschule für Musik und Darstellende Kunst à Graz.

Les arts plastiques, la littérature, le jazz forment l’arrière-plan d’où naissent les premières œuvres. Certaines techniques s’apparentent par analogie aux procédés plastiques : superposition de couches qui cernent progressivement un objet en revisitant une même structure (Retour an dich, trio, 1986), effets de clairs-obscurs (Streichquartett n° 1, 1984). Ce travail de différenciation extrême entre les sons, les gestes et les textures se ramifie par endroits en des trames très denses ou se tient, au contraire, au bord de la dissolution (Studie 2 - à un moment de terre perdue, pour ensemble, 1990, Nuun, concerto pour piano et orchestre, 1996). La tendance à laisser certains éléments non-fixés, ou encore à laisser se développer les figures de manière autonome à l’intérieur d’un cadre réduit, reste une marque de son écriture jusque dans les dernières oeuvres. La forme musicale procède le plus souvent par processus superposés, recouvrements ou dévoilements progressifs, filtrage ou distorsion de mécanismes ou de matières raffinées, parfois déchirés par des gestes emphatiques surgissant dans toute leur étrangeté (Still, 1998). La voix enfin, du balbutiement bruité jusqu’au langage constitué, occupe dans ses compositions une place décisive. Les instruments, comme la voix restent souvent proches de l’énonciation parlée. La flûte d’Invocation (2002-2003), au même titre que la chanteuse et la comédienne, joue le personnage principal. Parmi ses œuvres de théâtre musical, citons son premier opéra Die Blinden, créé en 1989 au festival Wien Modern, Begehren (2001) et Fama (2005), qualifié de Hörtheater (théâtre pour l’écoute) et Wüstenbuch (2010). Son opéra La Bianca Notte, basé sur des textes de Dino Campara a été créé à Hambourg en 2015. Sa pièce pour contrebasse et électronique Kaleidoscopic memories est créée en 2016 lors du festival ManiFeste de l’Ircam par Uli Fussenegger. En 2019, son dernier opéra, Violetter Schnee, sur un livret de Händl Klaus, est créé au Staatsoper Unter den Linden de Berlin.

  • 1984 lauréat du Concours de composition « Junge Generation in Europa » (Jeune Génération en Europe à Cologne, Venise, Paris)
  • 1989 lauréat du Forum des jeunes compositeurs à Cologne
  • 1992 bourse Siemens
  • 1993 prix de musique de la ville de Duisburg
  • 1996 compositeur en résidence aux « Semaines musicales de Lucerne »
  • 2004 prix de musique de la ville de Vienne 2003
  • depuis 2005 membre de l’Académie des Arts, Berlin, section musique
  • 2006 Lion d’or pour FAMA à la Biennale de Venise
  • 2014 Grand Prix de l’Etat Autrichien
  • 2018 Prix Ernst Von Siemens pour la musique

© Ircam-Centre Pompidou, 2017

Sources

  • Editeurs : Bärenreiter, Universal Edition ;
  • Daniel ENDER, « Aspects de l’œuvre de Beat Furrer », dans L’inouï, revue de l’Ircam, n° 2, 2006 [Ircam-Centre Pompidou, Éditions Léo Scheer], p. 11-18 ;
  • Sigrid WIESMANN, « Beat Furrer » The new Grove Dictionary of Music and Musicians, Oxford University Press, 2007.

Aspects de la musique de Beat Furrer

Par Daniel Ender

I

Ce que la recherche historique – quand bien même elle se tourne vers un passé proche – perçoit comme développement logique, voire nécessaire, s’est le plus souvent produit d’une façon bien moins planifiée et ciblée que ce que montre une vue rétrospective et classificatrice. Cela vaut pour la politique comme pour d’autres sous-systèmes culturels de la société, en particulier l’histoire des arts. Comme l’historien a tendance à inclure rétrospectivement des événements individuels dans une relation logique et d’en déduire un ordre – son ordre –, on passe bien souvent à côté de la contradiction et de la diversité du réel. De même on est tenté d’ignorer la simultanéité d’événements aux genèses tout à fait distinctes, pour peu que leur dynamique soit voilée par l’abstraction conceptuelle.

Ces remarques sont spécialement appropriées lorsqu’il est question de biographies individuelles. Lors de l’étude des artistes et de leurs œuvres, elles conduisent à des difficultés propres. Si l’on en croit les positions défendues par la philosophie post-structuraliste1, aborder l’ensemble de l’œuvre créateur d’un auteur serait un numéro d’équilibrisme téméraire exposé au double danger de surestimer des continuités extérieures et de niveler l’hétérogénéité en vue d’un aperçu global exempt de toute contradiction. Alors qu’à travers l’artefact final, seul le sommet de l’iceberg représentant le travail de l’artiste devient visible – le processus créatif restant dans l’ombre de la sphère privée –, alors que l’on doit le plus souvent se contenter des commentaires laconiques des auteurs, commentaires qui peinent à réduire la distance entre le processus artistique et son produit, le risque demeure de construire une image projetant les attributs de l’œuvre sur la personne – que ce soit par manque de connaissance ou de manière inconsciente. Dans un premier temps néanmoins, notre démonstration procédera par associations qui tenteront, à partir d’une constellation biographique, de dégager des clés d’interprétation sans pour autant en forcer les traits.

II

Depuis sa jeunesse Furrer a manifesté une forte attirance pour les arts plastiques ; jeune homme il dut se décider entre musique et peinture. Des lignes convergentes entre ces deux formes d’art sont aisément reconnaissables, comme par exemple dans la forme concrète de la notation qui constitue toujours une part décisive de la conception compositionnelle de Furrer. Mais ce qui est encore plus important que ce détail, plus important même que le rapport concret à des termes picturaux comme dans Studie – Übermalung (1989-1990) ou encore la collaboration avec des peintres dans le cadre du projet ABBILD récemment réalisé dans le cadre du Festival Wien Modern, réside dans le fait que la pensée de Furrer semble procéder par analogies avec les procédés des arts plastiques ; elle se nourrit de la technique des couches telle qu’on la trouve chez Jannis Kounellis et l’intègre comme une part essentielle du processus de composition. C’est ainsi que certaines œuvres explorent une structure de manière répétée et s’en approchent par touches successives.

Durant ses premières années à Vienne, Furrer s’est produit avec plusieurs formations de jazz. Quand bien même sa musique ne contient guère plus de reflets directs de cette tendance, elle entretient des liens cachés avec un art plus libre de l’exécution, comme par exemple lorsqu’un espace de liberté est concédé aux interprètes dans leurs parties respectives. Y voir des prémisses d’improvisation serait certes un peu exagéré ; il n’en reste pas moins que le refus de fixer l’œuvre dans une forme définitive est une part essentielle de l’esthétique de Furrer qui va des premiers morceaux à la mobilité de FAMA.

Furrer parle plusieurs langues, son intérêt pour la littérature est décisif et l’étendue de cet intérêt se retrouve directement dans ses compositions. De plus, il rédige le plus souvent ses livrets lui-même et utilise aussi des traductions personnelles, surtout en ce qui concerne les textes de l’Antiquité. En outre, le texte parlé et le Sprechgesang occupent chez lui une place décisive. Un des aspects essentiels du texte réside dans l’ancrage du matériau linguistique dans le geste : à cet égard, la référence aux indications d’exécution est éloquente (« sprechend » [parlé], « flüsternd » [chuchoté]…)

III

Divers dans leurs formes sonores, riches en trouvailles dans leur conception formelle, à cent lieux d’une esthétique unitaire, tels se présentent les premiers morceaux du catalogue officiel de ses œuvres, qui inclut quelques-unes des compositions de fin d’étude réalisées à la Wiener Musikhochschule auprès de Haubenstock-Ramati. Alors que des œuvres telles qu’Illuminations (1985) d’après Arthur Rimbaud ou Dort ist das Meer – nachts stieg‘ ich hinab (1985-1986) sur des textes de Pablo Neruda se distinguent dans leurs parties vocales par une force d’expression débordante, de la même époque proviennent des études qui se consacrent aux plus infimes différenciations possibles entres les sons, les gestes et les scansions formelles : Music for Mallets (1985) ou Retour an dich (1986) travaillent sur des parties instrumentales qui se chevauchent, au sein desquelles les instruments pris individuellement jouent les mêmes portées avec un décalage temporel très restreint ; ce faisant, le matériau employé explore des distances intervalliques réduites grâce à des gestes contenus dans un espace étroit et une intonation richement colorée. Il en résulte un tissage d’événements très étroitement liés, qui laisse la perception osciller entre identité (apparente) et divergence, tandis que d’autres couleurs instrumentales et un contexte en mutation éclairent sans cesse les nouvelles facettes d’un matériau presque toujours semblable. De la même façon, dans … y una canción desesperada, des gestes voisins sont confrontés les uns aux autres à travers trois guitares accordées au quart de ton.

Les œuvres de plus grande dimension – la plupart du temps notées de façon traditionnelle – véhiculent elles aussi dès leurs premières notes des éléments non fixés : en parallèle d’une phrase à l’organisation synchrone, des voies indépendantes se font entendre ; leur développement est autonome par rapport à la métrique du chef et elles peuvent se ramifier par endroits en des textures très denses ou en des champs sonores scintillants, issus de petites structures elles-mêmes répétées à l’intérieur d’un espace sonore donné. À côté de ces techniques génératrices d’une riche différenciation, des gestes emphatiques ne cessent de s’élever brusquement, l’expression immédiate surgissant par instant dans toute son étrangeté.

De prime abord, on peine à trouver un dénominateur commun à ces procédés qui se percutent souvent les uns les autres. Tout au plus faudrait-il recourir à la métaphore qui constitue le titre de la première œuvre pour orchestre de Furrer, écrite en 1983 et entièrement révisée en 1986 : Chiaroscuro [Clair-obscur]. Ce procédé des arts plastiques, qui projette à partir de la confrontation nettement marquée entre clarté et obscurité le jeu de contraste entre ombre et lumière, peut synthétiser jusqu’à un certain point la bande passante esthétique des œuvres de l’époque de Chiaroscuro ainsi que des périodes ultérieures.

Cette remarque peut aussi s’appliquer à une œuvre dans laquelle tout le talent de Furrer s’était révélé pour la première fois : le (premier) Quatuor à cordes**2, où des contrastes incroyablement abrupts sont à l’œuvre. Le premier mouvement juxtapose de manière frontale deux éléments concurrents (Figure 1) : des notes prolongées ou Liegetöne et des glissandi lents – dont les entrées doivent être « à peine audibles » [Einsätze kaum hörbar], comme l’indique la partition – se trouvent interrompus par des interventions verticales quasi monolithiques et mécaniques dans leur répétition. Après la première rencontre de ces deux sphères, les contraires semblent déjà s’être métamorphosés et quelque peu rapprochés : la deuxième intervention, avec sa dynamique un peu en retrait, peut être interprétée à la fois comme écho de la première mais aussi comme rapprochement vers la strate des glissandi qui commence ainsi à se modifier. Alors que l’on est gagné par l’impression que les lignes fuyantes surgissent de l’ombre des attaques et auraient même pu continuer durant l’intervalle, celles-ci modifient leur nuance en ayant recours au flautato et à de brusques changements d’archet. Par la suite, les Liegetöne enflent et les interventions qui se répétaient auparavant à travers une dynamique figée subissent elles aussi une transformation, elles se voient désormais dynamisées par les crescendi et les glissandi : ce qui passait d’abord par une exposition immédiate subit maintenant une interpénétration dialectique.



Figure 1 : Streichquatett
© avec l'aimable autorisation d'Universal Edition A. G., Wien / UE 18371.

IV

Le plus souvent au sein des partitions de Furrer, plusieurs lignes de développement sont poursuivies en parallèle : ainsi, une série d’œuvres commençant par In der Stille des Hauses wohnt ein Ton (1987) et allant de Risonanze (1988), à un moment de terre perdu (1990) et Face de la chaleur (1991) jusqu’à Narcissus (1994), s’attache à une différenciation successive des bruits et des sons. Parallèlement, plusieurs morceaux interrogent tout simplement les problèmes de rythmique et de métrique, et expérimentent des structures temporelles imbriquées les unes dans les autres : alors que d’une part la pièce pour piano Voicelessness. The snow has no Voice (1986) compense la superposition de 12:13 ou 13:14 noires par une notation optimale pour l’interprète car spécifiant exactement dans quel ordre les notes doivent être jouées, d’autre part, dans Ultimi cori (d’après Giuseppe Ungaretti) pour deux chœurs et percussion, le rapport métrique exact entre les groupes est maintenu dans l’indétermination par la disposition variable des mesures. Grâce à des structures harmoniques proches et leur dislocation ponctuelle, la communication entre les musiciens devient le thème avéré de la composition.

Dans l’œuvre de théâtre musical Die Blinden (1989) d’après Maurice Maeterlinck, des niveaux de grilles rythmiques et harmoniques organisées à la manière de blocs apparaissent de manière d’abord isolée d’un côté, tandis que de l’autre côté des sons différenciés s’étendent aussi bien à l’effectif instrumental qu’à l’effectif vocal. Tous ces éléments sont ensuite repris et juxtaposés comme par montage, pour être enfin mêlés les uns aux autres. Les divers moyens musicaux sont liés aux éléments du livret, organisé par le compositeur comme un montage de textes riche en correspondances où interviennent entre autre Platon, Friedrich Hölderlin et Arthur Rimbaud ; ainsi l’enchevêtrement musical des différents niveaux répond-il aux références littéraires.

Un dialogue crypté avec la musique du passé est entrepris à travers Madrigal pour orchestre (1992) et Lied pour violon et piano (1993), deux pièces qui évoquent de façon sous-jacente et à peine audible les modèles de Monteverdi et de Schubert.

La deuxième œuvre de théâtre musical de Furrer, Narcissus (1994), renvoie au célèbre récit des Métamorphoses d’Ovide. Les personnages du récit d’Ovide ne sont pas représentés comme tels sur scène ; au contraire ils accèdent à un sens nouveau en devenant des principes esthétiques. C’est plus particulièrement le cas de la nymphe Echo qui, en tant que figure, disparaît totalement de l’œuvre pour s’affirmer en tant que « présence 3 » fluide dans la musique. Le rôle de Narcisse est réparti en deux récitants et pose d’emblée le problème de la langue, ou plutôt de la genèse de la langue à partir de sons simples comme le bruit de la respiration, ces sons devenant peu à peu des phonèmes d’un texte fragmenté pour progressivement se fondre en mots. Pendant ce temps, les canevas rythmiques croissent et conduisent à une perception de plus en plus immédiate ; ces types de canevas étaient d’une grande importance dans les compositions plus anciennes de Furrer, où plutôt que de former une surface sonore concrète, ils régissaient la structure profonde de la composition. On pourrait aller jusqu’à dire que, paradoxalement, le langage musical de Furrer s’est affermi d’une façon nouvelle à travers une œuvre, Narcissus, qui réfléchit sur le défaut de langue.

V

Peu à peu, des éléments de mouvement continu de plus en plus nombreux sont apparus dans les partitions de Furrer. Longtemps ils ne se manifestaient qu’en des points de climax, ou bien ne brillaient qu’en des passages le plus souvent muets ou frôlant les limites de ce qui est clairement audible, lorsqu’il ne s’agissait pas de fragments motiviques passagèrement mis en avant. Le trio Aer (1991) a été le premier à expérimenter de façon conséquente la dynamique de lignes en mouvement continu, leur croissance et leur disparition.

Nuun 4 (1996) atteint à cet égard une nouvelle dimension dans la densité sonore devenue déterminante dans le langage musical de Furrer depuis lors – même si elle n’a plus guère été mise en relief de façon aussi évidente que dans Nuun. Cette œuvre pour deux pianos et ensemble de 26 musiciens poursuit pourtant avec rigueur un phénomène déjà présent auparavant : une tonalité centrale se déploie en dehors de tout ancrage dans une tonalité ou une tonique. Ces deux aspects, celui du mouvement et celui de l’organisation des hauteurs, s’interpénètrent et sont intrinsèquement liés entre eux : la texture très dense qui marque le début est caractérisée par des processus de mouvements qui se superposent et dont les plus frappants sont centrés autour du si – note qui ne se contente pas seulement de donner un cadre à l’ensemble de l’œuvre et dont découle le final, mais qui est constamment présente même si cette présence n’est pas toujours manifeste. La sonorité centrale est, quant à elle, forte d’une présence constante au début et subit ensuite peu à peu une imperceptible montée chromatique, principe qui préside aussi à de nombreux événements de l’espace sonore. En effet, un mouvement ascensionnel s’illustrant par de multiples manifestations traverse l’œuvre : montée chromatique simple et plus ou moins régulière, gammes ou figures issues de celles-ci. Un exemple pourra illustrer le lien entre un pareil mouvement ascendant et la sonorité centrale. Dans la figure 2 (partition, mes. 115-117 sans les cordes ni les percussions), les accords des deux pianos contiennent une montée chromatique (ici du la au fa). D’une part les doublages d’octaves affirment le caractère des hauteurs de ton, d’autre part ils rendent flous les quartes, les quintes ainsi que les changements de registres. Les bois jouent (dans les mesures 115-116 principalement) des extraits de gammes ascendantes ; les cuivres jouent des fragments de motifs issus de ces mêmes gammes ainsi que des événements ponctuels qui leurs sont étroitement liés. À la mesure 117, les cuivres illustrent la note centrale si avec des répétitions rapides et basses (cors) et des crescendi (trombones). Tout au long du morceau, ces procédés se restreignent de plus en plus. Après un point culminant et un suspens, la musique vit du souvenir des processus en mouvement : sa structure est dévoilée au grand jour et safforce expressive est tout particulièrement marquante dans le dernier passage, où une dernière suite d’accords par les deux pianos mène à la sonorité finale.



Figure 2 : Nuun
© 1996 by Universal Edition A. G., Wien / UE 30902.

VI

Un développement ayant recours à des procédés analogues à ceux de Nuun caractérise des compositions instrumentales telles que Presto (1997) et still (1998) ou encore aria pour soprano et petit ensemble (1999).

Le chemin ainsi parcouru, qui va des expressions vocales élémentaires au chant, conditionne aussi le développement de l’œuvre scénique suivante : dans Begehren (2001), pièce où le mythe d’Orphée d’après Ovide et Virgile se lie à une relecture moderne de Cesare Pavese, on trouve à la place d’Orphée et d’Eurydice un « Il » et une « Elle » anonymes. La partie masculine est assurée par un récitant, ce qui est un nouvel éclairage quant à l’impossibilité de s’exprimer : alors que « Elle » chante, « Il » développe des facultés d’expression rudimentaires, processus qui n’a pas encore trouvé son aboutissement lorsque l’œuvre se termine. La perte du langage est aussi le thème d’*invocation* (2003) d’après le roman Moderato cantabile de Marguerite Duras – la composition éponyme pour soprano et flûte basse ayant pu être intégrée comme noyau central à ce théâtre musical.

Parallèlement, l’épisode des Métamorphoses d’Ovide décrivant le « séjour de la renommée » (Fama) fait sa première apparition : alors que les individus se taisent, de l’ombre de la société s’élève la force de la rumeur qui prend forme à travers une totalité chromatique circulaire, anticipant la pensée de l’espace qui plus tard conditionnera la conception de FAMA. Le processus décrit par Ovide et explicitement repris par Furrer (les sons gagnant le séjour de la renommée) pourrait bien signifier davantage que ce qu’il transmet immédiatement. Car la présentation d’événements sonores portés par l’espace et venant de loin caractérise manifestement, à l’écoute, bien des passages des œuvres de Furrer – qu’il s’agisse des tonalités éthérées du Quatuor à cordes ou de la massive présence des secousses qui font suite à Nuun. Et c’est peut-être bien cette image équivoque qui pourrait constituer une clé pour l’ensemble de sa musique.


  1. Voir à ce sujet Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Dits et écrits, t. I, Paris, Gallimard, 1994.
  2. Concernant cette œuvre, voir Manfred Angerer, « Das bestimmte Bezeichnen eines unbestimmten Gegenstandes. Zu Beat Furrers Streichquartett und einigen Problemen des Schreibens über Musik », Nomos. Aspekte Neuer Musik, n° 0 (1988), p. 49-54.
  3. Sur ce point, voir Claudia Maurer Zenck, « Echo wird Musik. Zur Entstehung von Beat Furrers „Narcissus“ », Werner Breig (éd.), Opernkomposition als Prozess. Referate des Symposions Bochum 1995, Kassel,
  4. Voir Bernhard Günther, « Beat Furrer, Narcissus-Suite, Nuun – für zwei Klaviere und Orchester », Next Generation, Beat Furrer (brochure-programme du festival de Salzburg), 1996, p. 20-28. Bärenreiter, 1996, p. 165-186.

Sources
Daniel Ender, traduit de l’allemand par Philippe Abry, © Ircam - Centre Pompidou, 2006 (parution dans L'Inouï n° 2, revue de l'Ircam).

© Ircam-Centre Pompidou, 2008

Documents

Liens Internet

Conférences de Beat Furrer à l’Ircam

(liens vérifiés en octobre 2021).

Bibliographie

  • « Beat Furrer » In : Lexikon zeitgenössischer Musik aus Österreich. Komponisten und Komponistinnen des 20. Jahrhunderts. directeur de publication Bernhard Günther. music information center austria, 1997, p. 449-452.
  • Christoph BECHER, « Der freie Fall des Architekten ». In: Neue Zeitschrift für Musik 7/8, 1990, p. 34 et suivantes.
  • Diether DE LA MOTTE, « Zum Narcissus-Fragment » in : Nähe und Distanz, Wolfgang Gratzer, éditeur, Hofheim, vol. 2, 1997, p. 236-248.
  • Daniel ENDER, Métamorphoses du son : la musique de Beat Furrer, Genève, Contrechamps éditions, 2019.
  • Daniel ENDER, Martin KALTENECKER, « Un compositeur : Beat Furrer » dans L’inouï, revue de l’Ircam # 2, 2006, Ircam - Centre Pompidou, Éditions Léo Scheer, p. 9-38.
  • Bernhard GÜNTHER, « Zeit im Sprung : Beat Furrer » in : Takte, Informationen für Bühne und Orchester, 2/1996, Kassel, p.16 et suivantes.
  • Peter HAGMANN, « Musik der offenen Beziehungen » in : Neue Zürcher Zeitung 9, 1991, p. 68.
  • Reinhard KAGER, « Klangblitze in stiller Dunkelheit. Zur Musik der Schweizer Komponisten Beat Furrer und Michael Jarrell » in : Programmheft der Internationalen Musikfestwochen Luzern, septembre 1996, p. 142 et suivantes.
  • Thomas MACHO, « Hören, Sehen, Übersetzen. Für Beat Furrer », in MusikTexte n° 158, août 2018, pp. 27-29.
  • Patrick MÜLLER, « Le lieu possible d’une action ; entretien avec Beat Furrer sur son nouvel opéra Invocation », dans Dissonance # 81, juin 2003, p. 16 -19.
  • Patrick MÜLLER, « Quasi parlando : Invocation, opéra de Beat Furrer », dans Musica Falsa n° 19, automne 2003, p. 52 -57.
  • Peter OSWALD, « Chiffrierte Botschaften des Lebens ». In : Melos n° 3, 1988, 33 et suivantes.
  • Christian SCHEIB, « Beat Furrer » in : Komponisten der Gegenwart, Edition Text + Kritik, München 1992.
  • Christian SCHEIB, « Destillationsprozesse » in : du, Die Zeitschrift für Kultur, 7/2001, p. 135 et suivantes.
  • Kerstin SIEGRIST, Furrer - die Opern “Die Blinden” und “Narcissus”, Johannes Gutenberg-Universität, Mainz, 1997.
  • Ulrich TADDAY (éd.), « Beat Furrer », Musik-Konzepte, edition Text+Kritik, Heft 172/173, 2016.
  • Michael TÖPEL, « Moderato cantabile. Beat Furrer im Gespräch über seine neue Oper » in : Takte, Informationen für Bühne und Orchester, 2/2002, Kassel, p. 2 et suivantes.
  • Claudia Maurer ZENCK, « Echo wird Musik. Zur Entstehung von Beat Furrers Narcissus » in : Opernkomposition als Prozess, Werner Breig, éditeur, Kassel 1996, p. 165-186.

Discographie

  • Beat FURRER, Enigma I-VI ; still ; …cold and calm and moving, Helsinki Chamber Choir ; Uusinta Ensemble ; Nils Schweckendiek., direction, 1 cd Toccata Classics, 2016, TOCC 0360.
  • Beat FURRER, Zwei Studien ; Enigma VII, WDR Sinfonieorchester Köln, Titus Engel, direction ; WDR Rundfunkchor Köln, Rupert Huber, direction, dans « Wittener Tage für neue Kammermusik 2015 », 2 cd Kulturforum Wien/WDR, 2015.
  • Beat FURRER, Strane Costellazioni, Junge Deutsche Philharmonie ; David Afkham, direction, dans « Grammont sélection 7 », 1 cd Musiques Suisses/Grammont, 2016, MGB CTS-M 142
  • Beat FURRER, … cold and calm and moving *; Aer *; Lied *; Studie für Piano *; Auf tönernen Füssen, Samuel Fried, piano ;Eva Furrer, flûte ; Mira Tscherne, voix ; Proton-Ensemble ; Trio Catch, 1 cd  Musiques Suisses/Grammont Portrait, 2016, MGB CTS-M 141
  • Beat FURRER, Wüstenbuch ; Ira-arca ; Lied ; Aer, Klangforum Wien, Trio Catch, Tora Augestad : soprano, Sébastien Brohier : baryton, Eva Furrer : flûte, Uli Fussenegger : contrebasse, Mikhail Dubov : piano, Vladislav Pesin : violon, 1 cd Kairos 2014, n° 0013132KAI.
  • Beat FURRER, Streichquartett Nr.3, KNM Berlin, Steffen Tast et Angela Jaffé : violons, Kirstin Maria Pientka : alto, Ringela Riemke : violoncelle, Tora Augestad : soprano, Uli Fussenegger : contrebasse, 1 cd Kairos, 2010, n° 0013132KAI.
  • Beat FURRER, Konzert für Klavier und Orchester ; Invocation VI ; Spur ; FAMA VI ; Retour an dich ; Lotófagos I, Nicolas Hodges : piano, WDR Sinfonieorchester Köln, direction : Peter Rundel, Petra Hoffmann : soprano, Eva Furrer : flûte basse, Kammerensemble neue musik berlin, Isabelle Menke : voix, Eva Furrer : flûte contrebasse, Tora Augestad : soprano, Uli Fussenegger : contrebasse,1 Cd Kairos, 2009, n° 0012842KAI.
  • Beat FURRER, Begehren, Johann Leutgeb : récitante, Petra Hoffmann : soprano, Vokalensemble Nova, ensemble Recherche, direction Beat Furrer, 1 Super Audio Cd hybride Kairos, 2006, n° 0012432KAI, version Dvd, 2008, n° 0012792KAI.
  • Beat FURRER, Fama, Isabelle Menke : récitante, Eva Furrer : flûte contrebasse, Bernhard Zachhuber : clarinette basse, Manfred Spitaler : clarinette basse, Klangforum Wien, Neue Vocalsolisten Stuttgart, direction : Beat Furrer, Kairos, 2006, 1 SACD Hybride, n° 012562KAI.
  • Beat FURRER, Drei Klavierstücke ; Voicelessness, The snow has no voice ; Phasma, Nicolas Hodges, piano, 1 Cd Kairos, 2005, WDR3, n° 0012382KAI.
  • Beat FURRER, Aria pour soprano et ensemble à vent ; Gaspra ; Solo pour violoncelle, ensemble Recherche, Lucas Fels : violoncelle, Petra Hoffman : soprano, 1 Cd Kairos, 2002, n° 0012322KAI.
  • Beat FURRER, Stimmen ; Face de la chaleur ; Dort ist das Meer, Julie Moffat : soprano, Eva Furrer : flûte, Ernesto Molinari : clarinette, Ensemble Vocal de la SWR de Stuttgart, direction : Rupert Huber, Schlagquartett de Cologne, Symphonique de la Radio de Vienne, Beat Furrer : direction, 1 Cd Kairos, 2001, n° 0012272KAI.
  • Beat FURRER, Nuun ; Presto con fuoco ; Still ; Poemas, Klangforum Wien, direction : Peter Eötvös, Sylvain Cambreling, 1 Cd Kairos, 2000, n° 0012062KAI.
  • Beat FURRER, Mobile for Shakespeare, Ensemble Avantgarde, direction : Beat Furrer, 1 Cd Hat Art, coll. Hat Now, 1999.